ARTÍCULOS MASÓNICOS

 

La Laïcité, une stratégie de la liberté

Le concept de laïcité, comme idée politique et constitutionnelle, est apparu en France et cette origine se reflète nécessairement dans quelques-unes de ses formulations. En effet, ses précédents historiques s'enracinent plus ou moins dans la Révolution française et son développement s'est produit dans le contexte des débats entre cléricaux et anticléricaux au XIXe siècle, lors de la constitution de la IIIe République. Ces connotations si françaises n'affectent pas le noyau central de l'idée, dont l'écho se fait entendre aujourd'hui dans le célèbre débat ouvert entre libéraux et communautaristes représentés par des auteurs comme Rawla et sa célèbre "position originale" et ses critiques, Sandel et MacIntyre.

Seuls les aspects les plus contingents peuvent se réduire au cadre français. Ces aspects qui souvent amalgament des éléments très disparates transforment le débat en un brouhahas hétéroclite et inutile. Il s'avère donc indispensable de récupérer le noyau actif de la laïcité en reprenant les fondements du politique afin de le libérer des adhérences qui nuisent à sa clarté conceptuelle. Eugenio Trías propose de "séculariser la raison", en lui retirant cette sacralisation qu'elle reçoit de façon inconsciente et diffuse, non pour lui donner congé mais au contraire pour la rendre opératoire et efficace dans ses domaines d'application. C'est dans ce même sens que nous proposons de laïciser la laïcité.

La virtualité véritable de la laïcité ne se réduit pas un débat (toujours intéressant, par ailleurs) entre cléricaux et anticléricaux, mais touche à quelque chose de beaucoup plus précieux et chargé de sens politique: il s'agit de prétendre à un ordre politique qui ne se limite pas à être une simple exaltation ou célébration de la communauté sur laquelle il se fonde, afin de fonder un pouvoir public au service des citoyens considérés comme tels et non en fonction de leur identité nationale, ethnique, sociale ou religieuse.

Conformément à cette finalité laïque, si digne de promotion au milieu du revival des communautarismes de toutes sortes, le centre et le fondement du politique n'est en aucune façon une essence collective, ni le jus sanguinis ni l'adhésion à une foi révélée, aussi vraie soit-elle, ni, bien sûr, la gloire d'une dynastie ou l'hégémonie d'une ethnie, une race, une idiosyncrasie collective ou une certaine culture populaire, mais la réalisation matérielle et morale d'un idéal de vie commune: Liberté, Egalité, Fraternité.

En partant de la reconnaissance de la consubstantialité communautaire de l'individu, qui ne peut être ignorée, le problème est le suivant: comment rendre à la Communauté ce qui lui appartient tout en préservant en même temps le projet d'un pouvoir sociétal qui garantisse l'autonomie de l'individu, non seulement face au pouvoir politique mais aussi face aux exigences de possession de sa propre Communauté.

Cette question est une formulation spécifique des questions par lesquelles Rawls entreprend son propre travail de construction du concept de libéralisme politique:

  1. Existe-t-il une conception de la justice pouvant permettre d'établir des termes équitables de coopération sociale entre des citoyens considérés libres et égaux, et comme des membres pleinement coopérants de la société pendant toute leur vie, d'une génération à l'autre?
  2. Quels sont les fondements de la tolérance .../ ....., compte tenu du pluralisme raisonnable comme résultat inévitable des institutions libres?
  3. Comment l'existence durable d'une société juste et stable de citoyens qui ne laissent pas d'être profondément divisés par des doctrines religieuses, philosophiques et morales raisonnables est-elle possible?

Il est important d'indiquer que le laïcisme ne suppose pas simplement l'a-confessionnalisme passif de l'Etat mais qu'elle implique un a-confessionnalisme actif qui se manifeste dans l'engagement de créer et de préserver un espace civico-politique exclusivement défini par l'éthique et la symbolique civile, en empêchant toute dérive politique du confessionel. Du point de vue laïque, la condition de citoyen est la seule sur laquelle le pouvoir politique dispose d'autorité et c'est en vertu de ce titre que se fonde la capacité individuelle à participer de la constitution et du contrôle de ce pouvoir, sans qu'aucune autre condition puisse entrer en jeu, quelle soit religieuse, raciale ou ethnique.

La laïcité ne doit pas être confondue avec des militances de type rationnaliste, anticlérical ou agnostique, qui méritent un respect absolu mais qui sont, toutefois, en elles-mêmes, étrangères à l'idée de laïcité, laquelle se définit par le fait de n'apporter aucune réponse complète, ni de type spiritualiste ni d'un autre type, et de centrer en revanche son identité sur la préservation du politique de l'instrumentalisation à laquelle il peut être soumis de la part d'une église ou d'une école doctrinaire quelconque. Ce que prétend la laïcité, ce n'est rien de plus, mais aussi rien de moins que garantir que la politique soit effectivement politique et non religion, ou tout autre chose. Que la politique et les pouvoirs publics respectent notre condition de citoyens en laissant entre nos mains notre condition de croyant ou de libre-penseur, nos modes d'aborder la vie et la mort, nos goûts esthétiques, nos façons de nous vêtir ou de saluer, nos particularités sociales ou culturelles. Ce n'est qu'à ce prix que sera vraiment assurée la liberté de nos options personnelles et vitales.

L'idée-force de la laïcité ne se limite pas seulement à la question de la séparation de l'Etat et des églises mais va au-delà: pour elle le fondement de la collectivité comme sujet poltique – cette raison d'où s'engendre la res-publica – n'est autre que l'adhésion tacite ou manifeste à un projet sociétal et juridique commun.

De ce point de vue, ni la biologie, ni le sang, ni l'appartenance ethnique ou religieuse, ni même l'histoire ne sont déterminantes pour configurer une nation au sens politique, même s'ils peuvent l'être pour configurer ce que l'on appelle une nation-culture. Du point de vue laïque, "La Loi fait la Nation et non pas la Nation la Loi".

Ceci n'enlève rien aux spécifités de construction de chaque Etat. Il est évident que certaines circonstances favorisent la constitution d'un projet politique déterminé: des facteurs géographiques, comme des frontières naturelles et des voies de communication, des similitudes culturelles; des alliances historiques religieuses ou dynastiques; des mariages monarchiques et les hasards des héritages; des révolutions sociales ou des nécessités économiques, peuvent encourager et conditionner l'existence d'une nation, mais, en définitive, le fondement politique –exclusivement politique, à la lumière de l'idée même de modernité et à partir du moment où le Sujet apparaît dans l'Histoire – ne peut être autre que la libre volonté de l'individu pour adhérer à un projet de vie en commun déterminé. En réalité, toute la tradition démocratique est un long processus de séparation de la citoyenneté et de ses droits des particularismes de religion, race, ethnie ou culture. Face à la conception historique, et donc discriminative, du privilège (privilegium ou loi privée), la démocratie propose la non-discrimination et l'universalité.

Vue sous cet angle, la démocratie est à l'opposé de l'historicité qui réalise l'effet contraire de particulariser les circonstances sur lesquelles toute citoyenneté se construit. Probablement, ces deux polarités sont nécessaires, dans la mesure où l'homme est à la fois un universel et un concretum, mais le moment est peut-être arrivé de prendre la laïcité au sérieux et de lui donner la valeur qu'elle mérite en tant que principe de l'action politique.

 

Javier Otaola

 

 

Javier Otaola Bajeneta est né le 20 février 1956 à Bilbao. Après ses premières études chez les Jésuites, il suit des études de Droit à l'Université de Deusto dont il est diplômé.

Il commence sa vie professionnelle comme avocat (droit du travail) de 1978 à 1982 et entre ensuite dans les Services Juridiques de l'Administration du Pays Basque.

Il est membre surnuméraire de la Real Sociedad Bascongada de Amigos del País, de la Sociedad Landázuri et adhérent-mécène de l'ONG Aide en Action.

Il collabore régulièrement dans les média: revues (CLAVES de la Razón práctica), presse (El Correo Español, El Mundo del País Vasco) et radio (Radio-Vitoria-Radio Euskadi) etc.

Il entre en Maçonnerie à Bilbao en 1981 dans la Loge La Tolerancia et passe ensuite à la Loge Manuel Iradier de Vitoria-Gasteiz. Il a visité des loges en Espagne, France, Portugal, Allemagne, Canada et Etats-Unis, ce qui lui a permis d'acquérir une bonne vision d'ensemble de la franc-maçonnerie.

Auteur du livre "La Masonería hoy. Razón y sentido". 1996

Grand maître de la Grande Loge Symbolique Espagnole 1997-2000 (signataire de l'Appel de Strasbourg).

Président de l'Union de Strasbourg 1998-2002 CLIPSAS

 

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