CLaude
Wauthier
HÉRITAGE
DURABLE DES ANNÉES DE COLONISATION
L'étrange
influence des francs-maçons en
Afrique francophone
IMPORTÉE par
l'Europe, la franc-maçonnerie est singulièrement
présente en Afrique francophone, mais aussi en Afrique
anglophone, tout comme en Amérique latine ou aux
Etats-Unis: le "Libertador" Simon Bolivar et le
président Roosevelt étaient maçons. Elle est souvent
très proche du pouvoir, comme au Gabon, où le
président Omar Bongo est l'éminence grise des
obédiences locales. Dans les multiples crises qui
accompagnent la démocratisation en cours du continent,
les francs-maçons africains s'efforcent souvent de jouer
un rôle de médiateur.
Au Congo-Brazzaville,
l'ancien président congolais Denis Sassou Nguesso et son
successeur Pascal Lissouba sont tous deux francs-maçons,
mais d'obédiences différentes: M. Lissouba a été
initié au Grand Orient (GO) de France, et M. Sassou
Nguesso appartient à une loge sénégalaise affiliée à
la Grande Loge nationale française (GLNF). A la suite
des récents affrontements entre leurs milices armées
dans la capitale, des francs-maçons français et
africains - de la Grande Loge de France (GLF), de la
Grande Loge unie de Côte-d'Ivoire et des Grands Orients
et Loges unies du Cameroun (Goluc) - ont joint leurs
efforts pour rétablir la paix, sans succès jusqu'ici (1). Cet exemple en dit long sur l'influence
des francs-maçons en Afrique francophone.
Depuis la création de
la première loge par le GO, en 1781, à Saint-Louis du
Sénégal, plusieurs francs-maçons ont illustré
l'histoire de la colonisation française. Tout d'abord
les deux promoteurs de l'abolition de l'esclavage,
l'abbé Grégoire sous la Révolution, et Victor
Schoelcher, secrétaire d'Etat à la marine sous la IIe
République, qui le fit supprimer définitivement en 1848
- l'esclavage avait été entre-temps rétabli par
Napoléon Ier (2). Puis Abd El Kader, reçu en
1864 au Grand Orient, lequel voulait manifester ainsi à
l'émir algérien la reconnaissance des Français pour la
protection qu'il avait accordée, dans son exil syrien,
aux chrétiens de Damas lors des massacres de 1860. Le
grand artisan de l'expansion coloniale française, Jules
Ferry, était également franc- maçon. Comme le sera le
gouverneur des colonies Félix Eboué, un Noir originaire
de Guyane qui, en 1940, rallia le Tchad à la France
libre, entraînant toute l'Afrique-Equatoriale française
et le Cameroun aux côtés du général de Gaulle au
moment où le régime de Vichy promulguait les lois
antimaçonniques et antijuives.
Les francs-maçons (ou
"frères de lumière", comme on dit parfois)
furent assez nombreux dans l'administration coloniale.
Après la seconde guerre mondiale, ils militèrent, pour
la plupart, pour l'indépendance des territoires
africains d'outre-mer, et de plus en plus d'Africains
rejoignirent les loges. Après 1960, l'année des
indépendances, la franc-maçonnerie a continué à
essaimer, en s'africanisant et en s'émancipant par
rapport aux obédiences françaises. Dans plusieurs pays
africains francophones, des obédiences nationales se
sont créées, qui ont néanmoins conservé des liens
plus ou moins étroits avec les françaises, dont elles
reflètent parfois les clivages.
Comme on sait, la
franc-maçonnerie est multiple, voire morcelée, plus
peut- être en France qu'ailleurs (3). Le clivage le plus net est
celui qui sépare le Grand Orient des autres loges. A
l'opposé des autres rites, le GO n'invoque pas, dans sa
Constitution, le Grand Architecte de l'Univers,
c'est-à-dire Dieu, et ses membres ne prêtent pas
serment sur la Bible. La Grande Loge de France et la
Grande Loge nationale de France reconnaissent le Grand
Architecte de l'Univers, mais seule la GLNF est reconnue
par la Loge unie d'Angleterre, l'obédience mère de la
franc- maçonnerie mondiale.
Les francs-maçons
français continuent, bien sûr, à s'intéresser à
l'Afrique:sous la Ve République, deux francs- maçons au
moins ont été à la tête du ministère de la
coopération, le socialiste Christian Nucci, du GO, et le
gaulliste Jacques Godfrain, de la GLNF (4). M. Guy Penne, l'ancien conseiller aux
affaires africaines de François Mitterrand à l'Elysée
entre 1981 et 1986, est membre du GO. Et l'ambassadeur
Fernand Wibaux, conseiller personnel pour les affaires
africaines du président Jacques Chirac (aux côtés de
Jacques Foccart, récemment décédé), a été initié
au GO.
D'une manière
générale, les obédiences nationales de l'Afrique
francophone sont issues d'une fusion des loges du GO et
de la Grande Loge de France, qui existaient avant
l'indépendance. C'est le cas du Grand Rite équatorial
gabonais (GRE), des Grands Orients et Loges unies du
Cameroun, des Grands Orients et Loges associées du Congo
(Golac) et du Grand Bénin. Mais au Gabon, à côté du
GRE, existe une Grande Loge nationale, affiliée à la
GLNF. En Côte-d'Ivoire, coexistent plusieurs
obédiences, dont la Grande Loge unie et la Grande
Eburnie, proches respectivement de la GLF et du GO. Au
Togo, subsistent des loges du GO et de la GLF.
Au Sénégal, les loges
du GO et de la GLF ont également conservé leur
affiliation respective, mais la GLNF est également
présente. Si les francs-maçons du Togo et du Sénégal
n'ont pas créé d'obédience nationale, c'est parce
qu'ils craignaient, assure-t-on, que celle-ci ne soit
infiltrée par le pouvoir en place et n'en devienne un
instrument, ce qui est parfois le cas dans d'autres pays.
Quoi qu'il en soit, la
plupart des obédiences plus ou moins liées au GO et à
la GLF participent aux Rencontres humanistes et
fraternelles africaines et malgaches (Rehfram), qui se
réunissent chaque année depuis 1992 dans une capitale
africaine, et auxquelles sont invitées ces loges
françaises. Les deux dernières réunions ont eu lieu en
1996 à Libreville, au Gabon (avec 400 participants), et
en 1997 à Cotonou, au Bénin (avec 600 personnes, dont
des délégués de plusieurs pays d'Europe).
Les loges africaines
affiliées à la GNLF - qui fait, en l'occurrence,
cavalier seul - ne participent pas à ces rencontres. La
GLNF a essaimé ces dernières années en Afrique noire,
et cette avancée de la seule obédience française
reconnue par la Grande Loge unie d'Angleterre et par la
maçonnerie américaine agace les autres loges
françaises, où certains la considèrent comme le cheval
de Troie de l'influence anglo-saxonne sur le continent
africain, ce dont elle se défend énergiquement.
Aucune loge des
anciennes colonies britanniques n'est conviée aux
Rehfram (elles sont aussi divisées entre obédiences
liées à la Grande Loge unie d'Angleterre, à celle
d'Ecosse ou celle d'Irlande, comme par exemple au
Nigeria, au Zimbabwe, au Kenya et en Ouganda). En
revanche, le GO du Zaïre, une émanation du GO de
Belgique, prend part à ces réunions "humanistes et
fraternelles" entre loges d'Afrique francophone.
Face à la répression
LES francs-maçons n'ont
jamais manqué d'ennemis, souvent peu recommandables, ce
qui constitue sans doute leur meilleur "certificat
de moralité". Le plus acharné et le plus
impitoyable était Hitler, qui entendait lutter contre un
imaginaire "complot judéo-maçonnique". Les
dictatures fascistes (de Mussolini, de Franco, de Salazar
et de Pinochet) ont également interdit la franc-
maçonnerie.
A l'autre extrême, les
communistes étaient, eux aussi, hostiles, du moins à
l'origine:en 1922, le Parti communiste français ratifia
la décision du IVe congrès de l'Internationale
communiste excluant les francs-maçons de ses rangs. De
fait, les communistes français durent choisir entre la
franc-maçonnerie et le PC (5). Plus récemment, les islamistes
affichent également leur opposition formelle à la
franc- maçonnerie.
Quant au Vatican, sa
position a quelque peu évolué. La première
condamnation de la franc-maçonnerie par l'Eglise
catholique remonte à 1738 et fut l'oeuvre du pape
Clément XII. Son hostilité aux "frères de
lumière" atteignit son paroxysme lors de la
séparation de l'Eglise et de l'Etat. Malgré un certain
apaisement de la lutte entre cléricaux et laïcs (les
francs- maçons ne sont plus excommuniés), les loges
restent suspectes aux yeux des catholiques
intransigeants. En 1983, la Congrégation pour la
doctrine de la foi a encore proclamé que les fidèles
francs-maçons sont "en état de péché
grave".
C'est dans ce contexte
que la franc-maçonnerie africaine s'est vu interdire
dans plusieurs pays du continent et y a été parfois
persécutée. La répression la plus notoire a été
celle dont des francs-maçons africains ont été l'objet
en 1963 en Côte-d'Ivoire. Cette année-là, le
président Félix Houphouët-Boigny imagina une série de
complots qui lui fournirent l'occasion d'éliminer de la
scène politique les dirigeants de l'aile gauche du Parti
démocratique de la Côte-d'Ivoire - parti unique à
l'époque - soupçonnés de sympathies communistes.
Plusieurs des accusés de ces complots étaient
francs-maçons, la plupart du Grand Orient, notamment
Jean-Baptiste Mockey, Jean Konan Banny, Amadou Thiam et
Ernest Boka. Ils furent humiliés, battus, torturés,
parfois en présence du président lui-même, à
Yamoussoukro. Ernest Boka mourut en détention. La
franc-maçonnerie fut interdite, Grande Loge de France
comprise; mais, en 1971, le président ivoirien lui-même
reconnut solennellement en public que les complots de
1963 n'étaient qu'une affabulation, dont il accusa un
obscur commissaire de police, et les accusés furent
réhabilités. Certains furent même nommés à nouveau
ministres, comme Jean-Baptiste Mockey. Les feux des loges
ivoiriennes furent rallumés au début des années 70
après une intervention auprès d'Houphouët de M. Pierre
Biarnès, initié au GO, qui était à l'époque
correspondant du Monde en Afrique de l'Ouest et
qui était mandaté, pour ce faire, par le grand maître
d'alors de cette obédience, Fred Zeller (6).
Dans l'ex-Zaïre, le
président Mobutu a interdit la franc-maçonnerie lors de
son arrivée au pouvoir en 1965, avant de l'autoriser à
nouveau en 1972. A Madagascar, lors de son premier mandat
présidentiel, M. Didier Ratsiraka, à l'époque
marxisant mais marié à une catholique, avait interdit
la franc-maçonnerie - celle-ci est cependant redevenue
très active dans la Grande Ile depuis le tournant
démocratique qui préluda à l'élection du président
Albert Zafy, en 1993. Une Grande Loge nationale malgache,
parrainée par la GLNF, a été créée en 1996, et
concurrence le Grand Rite Malgache, proche du GO.
L'avènement de régimes
marxistes ou marxisants - en Guinée sous Sekou Touré,
au Mali sous Modibo Keita et au Bénin sous M. Mathieu
Kérékou - entraîna aussi l'interdiction de la franc-
maçonnerie dans ces pays. Fily Dabo Cissoko et Hammadoun
Dicko au Mali, Barry Diawandou et Barry III en Guinée,
francs-maçons et opposants aux régimes en place, furent
arrêtés et moururent en détention. Au Bénin, il
fallut une intervention du conseiller Guy Penne, au
début des années 80, pour que M. Mathieu Kérékou
consente à la réouverture des loges.
C'est cependant au
Liberia que des francs-maçons ont été le plus
férocement éliminés, lorsque le sergent-chef Samuel
Doe prit le pouvoir par un coup d'Etat en 1980. Depuis
des générations, la présidence de la République et le
gouvernement avaient été accaparés par des
Afro-Américains, en général affiliés à la grande
obédience noire de la franc-maçonnerie américaine,
dite de Prince Hall. Le palais présidentiel arborait
d'ailleurs des armoiries maçonniques. Le président
Tolbert (franc-maçon comme son prédécesseur William
Tubman) fut assassiné, et Samuel Doe fit ensuite
exécuter en public tous les membres du gouvernement.
La franc-maçonnerie est
aussi dans le collimateur de l'islamisme, ce qui
n'empêche pas des musulmans d'Afrique noire d'y adhérer
(les Libanais, chrétiens ou musulmans, établis sur le
continent sont d'ailleurs relativement nombreux dans les
loges d'Afrique occidentale). La référence au Grand
Architecte de l'univers est très oecuménique, et les
francs-maçons musulmans peuvent donc, en principe,
prêter serment sur le Coran, comme les juifs sur la
Torah et les chrétiens sur la Bible. L'un des plus
illustres francs- maçons musulmans est sans aucun doute
le président gabonais El Hadj Omar Bongo, dont la
conversion à l'islam, en 1973, avait suscité d'autant
plus d'étonnement que la grande majorité de la
population gabonaise est soit animiste, soit chrétienne (7).
Au Sénégal, on trouve
des francs-maçons dans les sphères du pouvoir, bien que
la très grande majorité de la population soit de
confession musulmane. La franc- maçonnerie s'y heurte à
la vive hostilité d'une frange intégriste islamiste.
"Non, un musulman ne peut pas être
franc-maçon", a titré la revue Etudes
islamiques, tandis que le périodique Wal Fadjiri
reprenait un article de la revue égyptienne Al Lewa'
Al Islami affirmant que "la franc-maçonnerie
et le mouvement Bahaï ainsi que leurs clubs de services
(Rotary, Lions, etc.) sont issus du judaïsme et
clairement incompatibles avec l'islam". Cette
hostilité n'empêche pas différentes obédiences de
faire du prosélytisme en pays musulman - ainsi la GLNF,
qui a récemment créé trois loges à Djibouti, où l'on
prête serment sur le Coran.
Pourquoi la
franc-maçonnerie a-t-elle prospéré en Afrique noire?
On peut avancer sans doute que les sociétés secrètes
sont familières aux Africains: il en existe dans la
plupart des communautés villageoises, où, selon des
ethnologues comme le Père Eric de Rosny, elles
représentent un contrepoids efficace à la puissance des
chefs traditionnels (8). Il est probable aussi que, à
l'époque coloniale, les Africains qui
"entraient" en maçonnerie - et qui
appartenaient, pour la plupart, à l'intelligentsia - y
voyaient un moyen de promotion sociale, puisque leur
admission dans une loge les plaçait à égalité avec
les Blancs au sein de l'obédience.
L'aspect ésotérique et
quasi mystique de la franc-maçonnerie a aussi attiré
des intellectuels, tel le grand écrivain malien Hampaté
Ba (musulman), qui y voyait une école d'oecuménisme et
de réconciliation entre les religions monothéistes (9), mais qui ne resta pas longtemps
franc- maçon.
Les obédiences, tout en
cultivant la spiritualité, n'en inscrivent pas moins
leur action dans le siècle. Comme sur les autres
continents, les loges d'Afrique entendent jouer un rôle
dans les affaires de la nation et interviennent à
l'occasion sur la scène politique, souvent pour jouer
les médiateurs. Ce fut le cas, notamment, au Bénin,
lors de la conférence nationale de 1989 qui accompagna
le rétablissement du multipartisme. Le Grand Bénin
publia à cette occasion un texte qui appelait à la
tolérance et contribua à éviter des affrontements
violents.
Les francs-maçons du
Togo tentèrent également, en 1993, de réconcilier le
Rassemblement populaire du Togo du président Eyadema
(qui fit fermer les loges en 1972 avant de les
ré-autoriser quelques années plus tard) et ses
opposants lors d'une rencontre organisée à Paris au
siège du GO: le dialogue ainsi instauré ne déboucha
sur rien de concret. Ce fut à nouveau le cas récemment,
on l'a vu, au Congo-Brazzaville.
Une sourde lutte avec
les Rose-Croix
CES interventions dans
la vie politique suscitent, bien entendu, de sérieuses
rivalités, non seulement entre obédiences plus ou moins
concurrentes, mais aussi avec d'autres organisations plus
ou moins vaguement apparentées, du moins dans l'esprit
du public. C'est le cas au Cameroun, où s'est
apparemment développée une sourde lutte d'influence
entre les maçons et les Rose-Croix.
Longtemps, la rumeur
publique a prétendu que le président Paul Biya était
rosicrucien, d'autant plus que le grand maître des
Rose-Croix du Cameroun, M. Titus Edzoa, ancien ministre,
avait accédé au poste de secrétaire général de la
présidence. Un véritable coup de théâtre s'est
produit en 1996 lorsque le grand maître de la branche
française de l'Ancien et Mystique Ordre de la Rose-
Croix (Amorc), M. Serge Toussaint, venu à Douala en juin
1996 pour une visite de travail, annonça que le nom du
président camerounais ne figurait pas dans les fichiers
de l'Ordre. Quelques mois plus tard, M. Titus Edzoa
quittait son poste à la présidence et, en juillet 1997,
était arrêté pour une affaire concernant la
liquidation d'une banque. Entre-temps, le grand maître
des Rose-Croix avait annoncé sa candidature contre M.
Paul Biya à la prochaine élection présidentielle (10)...
Les récentes Rehfram
ont fait l'objet d'une large couverture dans la presse
locale, avec conférences de presse des grands maîtres
africains et français. A Cotonou, en 1997, ces derniers
ont tenu une conférence de presse conjointe, dont un
quotidien béninois a rendu compte. L'un des dignitaires
francs-maçons minimise les "incompréhensions"
qui subsistent entre l'Eglise catholique et la
franc-maçonnerie, tout en ajoutant:"Avec les
autres religions, protestante et musulmane par exemple,
il n'existe aucun problème (11)."
Les Rehfram de 1997
donnèrent, par ailleurs, lieu à un affrontement
sévère entre le GO de France et les obédiences
africaines. La délégation du GO y prêcha implicitement
une laïcité agnostique à la française, ce qui
déclencha une vive riposte de la Conférence des
puissances maçonniques africaines (CPMAF, qui regroupe
la plupart des loges africaines francophones). La CPMAF
souligna, dans une déclaration, que l'Afrique avait "trop
souffert des ingérences de toutes sortes",
précisant que les Rehfram" ne sauraient être ni
le théâtre de rivalités (...), ni une tribune
de joutes démagogiques, ni un enjeu des hégémonies
avouées ou non".
Le troisième terme de
cette mise en garde visait la tentative du Grand Orient
d'amener les obédiences africaines à abandonner le
Centre de liaison et d'information des puissances
maçonniques signataires de l'appel de Strasbourg
(Clipsas) pour rejoindre l'Association maçonnique
intercontinentale libérale (AMIL), créée à
l'initiative du GO. Lors d'une réunion à Santiago du
Chili, en 1996, celui-ci a, en effet, quitté le Clipsas,
qu'il accusait de se comporter comme une "super-
obédience". Fondé en 1961 (et actuellement
présidé par Mme Marie-France Coquard, ancienne grande
maîtresse de la Grande Loge féminine de France), le
Clipsas laisse à chaque obédience la liberté d'exiger
ou non la croyance en Dieu, mais critique la
franc-maçonnerie anglo-saxonne (12), à laquelle il entend plus ou
moins faire contrepoids. Il regroupe près d'une
cinquantaine d'obédiences (européennes, africaines et
sud-américaines).
L'AMIL - qui comptait,
au départ, moins d'une dizaine d'obédiences - se veut
encore plus laïque que le Clipsas, et on peut sans doute
inscrire la démarche du GO à Cotonou dans le contexte
plus général de la rivalité entre la France et les
Etats-Unis sur le continent africain. Mais cette
démarche (outre la réaction négative des obédiences
africaines) a provoqué quelques défections au sein de
l'AMIL. D'autres loges françaises n'ont pas caché, de
leur côté, qu'elles partageaient la position de la
CPMAF.
Sans doute des
sociologues verront- ils, dans la réaction de la CPMAF
et dans son rejet des propositions des laïcs du GO, la
preuve que les sociétés africaines restent
profondément imprégnées de religiosité, que ce soit
celle des cultes ancestraux ou celle des confessions
chrétiennes ou musulmanes. Mais peut-être est-ce moins
simple. La laïcité telle que l'entend le GO n'exclut
nullement la liberté de conscience, comme en atteste
l'adhésion de francs- maçons africains catholiques,
protestants et musulmans à cette obédience,
illustration de l'attirance un peu étrange qu'exerce la
franc-maçonnerie sur le continent.
______________________________________________
(1) Selon La Lettre du Continent, Paris,
3 juillet 1997.
(2) L'abolition de l'esclavage par un maçon
explique la forte présence de la maçonnerie aux
Antilles. Son influence se reflète jusque dans le
vaudou, où des signes maçonniques ont été parfois
intégrés dans l'iconographie du culte, en Haïti
notamment.
(3) Lire Luc Néfontaine, La Franc-
Maçonnerie - une fraternité révélée, coll.
"Découvertes", Gallimard, Paris, 1994; Paul
Naudon, La Franc-Maçonnerie, coll. "Que
sais-je?", PUF, Paris, 1995.
(4) L'Express du 6 mai 1995 avançait
que M. Michel Roussin, ministre de la coopération du
gouvernement Balladur, avait un "profil
franc-maçon". En revanche, et contrairement à
certaines informations, M. Charles Josselin, secrétaire
d'Etat à la coopération du gouvernement Jospin, n'est
pas franc-maçon.
(5) Le seul pays communiste où la
franc-maçonnerie n'a pas été interdite est Cuba:le
père de M. Fidel Castro était, dit-on, franc-maçon...
(6) M. Pierre Biarnès est sénateur des
Français de l'étranger.
(7) Ce serait sous l'influence du colonel
Kadhafi et pour faciliter l'entrée de son pays à
l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP)
que le président Bongo aurait embrassé l'islam.
(8) Eric de Rosny, Les Yeux de ma chêvre,
coll. "Terre humaine", Plon, Paris, 1981.
(9) Voir l'ouvrage de Muriel Devey, Hampaté
Ba, l'homme de la tradition, Nouvelles Editions
africaines, Paris, 1993, et Le Temps des marabouts, ouvrage
collectif sous la direction de David Robinson et
Jean-Louis Triaud, Karthala, Paris, 1997.
(10) Cf. Jeune Afrique du 9 au
15 juillet 1997 et Libération du 27 juillet 1997.
(11) Le Citoyen, Cotonou, 10
février 1997.
(12) En 1971, à Strasbourg, les
obédiences signataires (dont les Grands Orients de
France, de Belgique et d'Allemagne et les Grandes Loges
des Pays-Bas, du Danemark et d'Italie) avaient dénoncé "le
dogmatisme et le conservatisme social des maçonneries
anglo-saxonnes", lesquelles ne reconnaissent pas
le Clipsas.
Le MONDE DIPLOMATIQUE - SEPTEMBRE 1997 - Pages 6 et 7
http://www.monde-diplomatique.fr/md/1997/09/WAUTHIER/9067.html
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