J
JACOBITES
JANSÉNISME
JÉRUSALEM
JEUNE ITALIE
JEUNES-TURCS
JOUAUST
JUIFS






J
J-01.JPG (38K) « Jakin » est le nom de la colonne* de droite du Temple* de Jérusalem* selon I Rois 7, 21; elle figure sur le tableau* de loge* et jouxte la porte d'entrée. Le second surveillant y siège, mais sa position est inversée au Rite Français*. Mot sacré au grade de compagnon* ainsi qu'au 26° d,u Rite Écossais Ancien et Accepté* (Écossais Trinitaire ou Prince de Mercy), son sens a prêté à discussion certains auteurs donnant « Sagesse de Dieu », au lieu du sens de solidité ou de force. Les associations symboliques de Jakin , établi es au cours du XIXe siècle, sont ailées dans le sens masculin, solaire; le côté « rigueur » des spéculations des kabbalistes et complémentaire de la « miséricorde » étant représenté par Boaz. Des auteurs maçonniques comme Oswald Wirth* ont souligné le rapport de J avec la lettre hébraïque lod qui désigne la Divinité, et avec le soufre*, le feu principe des alchimistes ou «teinture rouge» de la transmutation.

J.P. L.

















JACOBITES
J-03.JPG (86K) Partisans malheureux du catholique Jacques 11 qui a été chassé du trône d'Angleterre par la Glorieuse Révolution de 1688 les jacobites tentent vainement jusqu'au milieu du XVIIIe siècle de restaurer la dynastie déchue des Stuart. De 1689 à 1746 (date du désastre de Culloden), des vagues successives de réfugiés jacobites s'échouent principalement en France, où Louis XIV installe Jacques 11 à Saint Germain en Laye. De 1689 à 1692, 40000 réfugiés jettent les bases de la diaspora jacobite. Elle est alors majoritairement composée de militaires, d'lrlandais et de catholiques qui s'engagent au service de la France. Par la suite Anglais et Écossais, anglicans et presbytériens viendront les rejoindre sur le continent. Cette diaspora est marquée par sa composante nobiliaire (près de 40 % des effectifs). Dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, les réussites sont nombreuses, du banquier Richard Cantillon au duc de Fitz James, petit fils de Jacques 11 et pair de France en passant par le ministre Mac Nenny symbole du despotisme éclairé aux Pays Bas autrichiens*.

Ils sont également crédités de la fondation de quelques unes des plus vieilles loges européennes, de la création des hauts grades* « écossais » et de la diffusion de l'Art royal jusqu'aux confins européens et de la mise en place d'un réseau maçonnique structuré destiné à faciliter leur objectif politique de reconquérir le pouvoir Les légendaires Supérieurs Inconnus de la francmaçonnerie et notamment de la Stricte Observance Templière*, ont été fréquemment identifiés aux prétendants Stuart et, depuis G. Bord, la plupart des historiens contemporains ont admis l'existence à Paris de loges .( jacobites ,). Ayant à leur tête d'importantes figures de proue du mouvement comme Charles Radcliffe, lord Darwentwater, fondateur de Saint Thomas * n° 1 et Grand Maître de la Grande Loge* de France de 1736 à 1738, l'historiographie les oppose aux loges « hanovriennes», dont les membres reconnaîtraient la légitimité de la succession protestante et allemande au trône d'Angleterre avec George 1er en 1714 et l'autorité maçonnique de la Grande Loge de Londres.

Pour comprendre la place exacte occupée par les milieux jacobites dans le développement de la sociabilité maçonnique, il importe de distinguer les faits avérés des récits de fondation apocryphes. G. Bord et ses successeurs, malgré les tentatives récentes et séduisantes d'André Kervella, n'ont pas pu apporter de preuve tangible de leurs dires et les prétendues patentes écossaises de Saint Jean d'Écosse de Marseille constituent manifestement un faux destiné a posteriori à confirmer la loge dans son opposition au Grand Orient* de France. Pour autant, il est certain que les francs maçons étaient nombreux dans les premières vagues de réfugiés, notamment parmi les nobles et les militaires de l'entourage des prétendants successifs, comme Edward Corp l'a bien montré avec la maison du roi Stuart et l'entourage de lord Burlington. Leur désir de reconstruire un lien social, comme le feront tant de réfugiés que la France accueillera au cours du XIXe siècle, paraît également certain. D'autre part, les archives policières attestent que des réfugiés démunis ont frappé aux portes des temples parisiens au cours des années 1740 pour être assistés par leurs frères. Enfin, tant à Toulouse avec les représentants de la famille Barnewall, qu'en Russie* avec Keith et Gordon, il est prouvé que des jacobites ont joué un rôle de premier plan dans l'essor de l'Art royal.
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Peut on pour autant considérer qu'a été mis sur pied un véritable réseau de loges « jacobites », correspondant entre elles, tentant de renouer des contacts avec leurs frères des îles Britanniques acquis à la cause Stuart ? Ce n'est pas certain. En effet, le péril jacobite est dans l'Angleterre des Hanovre, et plus particulièrement dans celle du « premier ministre», Robert Walpole, une arme politique redoutable dont le parti whig au pouvoir a usé et abusé pour en écarter son rival tory, accusé d'avoir trahi l'Angleterre et de comploter en vue d'une restauration des Stuart. Ses représentants en France, notamment l'ambassadeur franc maçon Waldegrave, avaient tout intérêt à stigmatiser l'existence de redoutables réseaux d'opposants jacobites avec à leur tête des hommes comme Darwentwater. Si l'on n'a pas considéré le club de l'Entresol*comme jacobite alors que sa fondation a été suggérée par Bolingbroke, l'ennemi juré de Walpole, et qu'il a compté parmi ses membres Ramsay* on n'a pas hésité à considérer comme jacobites des ateliers, composés pour partie de réfugiés, mais rapidement ouverts à des frères français, et qui ont respecté l'obligation de neutralité politique des francs maçons.

La conjoncture politique extérieure interdisait d'ailleurs le développement de tels noyaux jacobites actifs en France. Si Louis XIV avait pris soi n d'accueillir la dynastie Stuart dans sa lutte contre les puissances maritimes protestantes, le régent Philippe d'Orléans avait conclu une alliance stratégique avec l'Angleterre, maintenue jusqu'en 1740 par le cardinal Fleury* qui fut à l'origine de la fermeture du club de l'Entresol et des sanctions, qui frappèrent les loges parisiennes à la fin des années 1730. Dès la Régence, la présence de jacobites actifs était donc devenue gênante pour les intérêts diplomatiques français et dans ces conditions la constitution de véritables réseaux politiques jacobites, ayant comme support la maçonnerie, aurait immanquablement entraîné une réaction rapide des représentants de l'État. Le fait que les francs maçons parisiens aient eux-mêmes considéré Darwentwater comme un jacobite (« outré ), prouve bien son isolement, d'autant qu'il existait en France de nombreuses passerelles entre hanovriens et jacobites. Les académies d'éducation, comme celle d'Angers, ou l'hôtel parisien du duc de Picquigny, un franc maçon notoire, en constituent des exemples concrets.

P.Y. B.

















JANSÉNISME
L'antimaçonnisme* opère souvent un lien entre la francmaçonnerie~ et le jansénisme. Il est vrai que !e premier essor de la francmaçonnerie intervient à un moment où le courant janséniste perdure malgré sa condamnation (Unigenitus, 1713) par le pape. Il était alors tentant de présenter l'idéologie maçonnique comme étant la continuatrice du Jansénisme. Voulant dénoncer la tolérance religieuse véhiculée par les Constitutions* d'Anderson* (1723), les détracteurs de l'Ordre* condamnent l'idéologie maçonnique au nom de sa proximité avec le jansénisme. Englobant la tolérance religieuse prêtée à la francmaçonnerie dans une culture hérétique vieille de deux siècles, l'eudiste Lefranc (Conjuration contre la religion catholique, 1791) considère ainsi que la francmaçonnerie est un mouvement irréligieux constituant le point d'aboutissement d'un contre modèle culturel mis en place par la Réforme au XVIe siècle... et prolongé par les jansénistes.

Si les représentants du clergé sont les plus prompts à englober francmaçonnerie et jansénisme dans une même condamnation, ils ont été précédés, dans leur assimilation, par le pouvoir politique. En effet entre 1735 et 1745, les dangers que sont censés faire courir les réunions maçonniques proviennent essentiellement du fait que le pouvoir les considère comme une des formes d'expression de l'idéologie richériste. Fonctionnement démocratique des réunions, pouvoir d'attraction sur la petite bourgeoisie parisienne, la robe et la noblesse*, il est vrai que la sociabilité maçonnique naissante est comparable aux manifestations du jansénisme tel que le présente Edmond Richer. Il est donc peu étonnant que les réunions maçonniques soient réprimées, avec moins de vigueur Cependant, au même titre que les groupes e convulsionnaires partis du cimetière Saint Médard.

La condamnation de la maçonnerie par es autorités pontificales par la promulgation de la bulle In Eminenti * apostolatus specula, suit de peu les tracasseries policières au cours desquelles les représentants des autorités distinguent peu francmaçonnerie et jansénisme. La bulle, publiée le 28 avril 1738, passe aux yeux de beaucoup comme un prolongement d'Unigenitus. Elle mentionne, à coté de la condamnation du secret*, .( les autres raisons justes et raisonnables connues de tous ". Le propos est imprécis, mais on sait que Rome était à ce moment là inquiète du développement conJoint du jansénisme italien et de l'activité des loges*, notamment en Lombardie et en Savoie.

C'est d'ailleurs en Italie* que l'idée d'une continuité directe entre jansénisme et maçonnerie, sur le plan historiographique, connut le succès le plus durable. En 1907, L'historien Rota la défend encore et les historiens du Risorgimento l'ont longtemps validé dans leur recherche des origines de la renaissance culturelle de l'ltalie. Jansénisme et francmaçonnerie constitueraient les racines de celui ci.

On essaie aujourd'hui de rendre à chaque mouvement sa spécificité. Cela conduit à souligner, comme le fait Pierre Chevallier, les différences qui existent entre les deux mouvements. Ainsi, on doit signaler l'opposition commune des jansénistes et des théologiens orthodoxes envers les associations maçonniques. On retrouve exprimé par les jansénistes le refus pour le chrétien de fréquenter les réunions maçonniques. Les fondements de la condamnation sont les mêmes que ceux qui furent émis par les théologiens de la Sorbonne en 1748 1749: Les Nouvelles ecclésiastiques conseillent ainsi « aux vrais et bons chrétiens» de ne pas entrer dans la société des francs maçons en raison de l'obligation de prêter un serment secret. Rappeler ces faits n'invalide pas pour autant l'existence de liens culturels entre francmaçonnerie et mouvement Janséniste.

On peut les observer à deux niveaux. D'une part, la pratique des hauts grades* peut être considérée de meme que les gestes propres aux jansénistes comme une volonté de ressourcement spirituel rattachée au catholicisme. On sait en effet que la maçonnerie écossaise procède de l'attachement aux préceptes et aux valeurs du christianisme dans une perspective de régénération et cette idée est chère aux jansénistes. Or, on est frappé par le succès des grades écossais chez les prêtres francs maçons et notamment chez ceux qui comme les Bénédictins*, furent formés par les jansénistes. D'autre part , on constate des continuités évidentes entre les milieux culturels touchés par le jansénisme et la sociabilité maçonnique. Les jansénisants constituent une proportion non négligeable du personnel des premières sociétés maçonniques à Paris: ainsi, L'évêque de Soissons Fitz James et le conseiller de La Faultrière fréquentent ils la loge du Louis d'Argent alors que les substituts Bauelar et Davollé sont membres de la loge CoustosVilleroy*.

Une enquête plus détaillée permet de voir les générations de maçons dont les pères et onces furent influencés ou formés par les jansénistes. Les bénédictins initiés à la francmaçonnerie sont ainsi fort nombreux à avoir été .. à l'école du jansénisme" Même âge, même lieu de diffusion (le monastère du Bec Hellouin) même inclination pour les fonctions d'enseignement... et beaucoup de figures de proue du jansénisme parmi les précepteurs des futurs frères, la culture des mauristes francs maçons est sans équivoque.

Il est d'ailleurs un homme dont les gestes successifs montrent les affinités culturelles entre les deux milieux: il s'agit de Marc Decourdemanche. Procureur de l'abbaye du Bec-Hellouin, promoteur de la maçonnerie à Bernay et vénérable* de loge (Les Amis de la Vertu), formé et fortement influencé par les jansénistes, l'action de ce mauriste témoigne de l'existence de sensibilités communes. Approuvant, au nom de l'esprit du siècle de la philosophie, le dépouillement des pratiques rituelles de la maçonnerie au moment ou celles-ci connaissent un regain de théâtralisation spectaculaire dû aux incidences de l'engouement pour les hauts grades, Decourdemanche retrouve en loge l'attitude dont il témoignait dans les monastères face aux gestes reLigieux... suivant en cela l'enseignement des jansénistes. D'une volonté de dépouillement à l'autre, la continuité est évidente 11 resterait à connaître, de manière exhaustive et audelà de la seule Normandie, la prégnance des liens qui peuvent relier la mouvance janséniste à la francmaçonnerie.

E.S.


JÉRUSALEM
Jérusalem constitue, de même que Babel*, l'une des références majeures de l'histoire maçonnique.

Les Écritures citent le nom de Jérusalem pas moins de huit cents fois. Si le récit le plus ancien relatif à la cité l'appelle « Salem » (Genèse 14, 18), la Bible* emploie bien d'autres noms et formules pour la désigner. On la nomme aussi la« ville de IHVH» (Isaïe 60, 14) la «cité du grand roi » (Psaumes 48, 2), la « ville de justice » et « la cité fidèle» (Isaïe 1, 26), « Sion » (Isaïe 33, 20) et aussi la « ville sainte» (Néhémie 11, 1)... C'est David qui entreprit un programme de construction: vers la fin de son règne, il commença à rassembler des matériaux de construction pour le temple (I Rois 56 2 Chroniques 15). Sous le règne de Salomon on réalisa la grande oeuvre de construction. Le temple* chefd'oeuvre architectural de Salomon, fut construit avec tous ses bâtiments el ses cours annexes sur le mont Moriah. Jérusalem tomba en 607 avant notre ère, sous les assauts des troupes de Nabuchodonosor, et le temple fut détruit le roi et la population étant exilés à Babylone et les trésors de la ville pillés et emportés (2 Rois 25, 717).

Après l'édit de Cyrus autorisant les Juifs* exilés à « monter à Jérusalem.,qui est en Juda et à rebâtir la Maison de l'Éternel, IHVH le Dieu d'lsraêl» (Isaïe 1, 14), ces derniers se mirent à reconstruire le temple sous la direction de Zorobabel (le second temple). Édifié en 515 avant notre ère ses remparts furent relevés (Néhémie 2, 1 8) avant que la ville ne fût de nouveau dévastée en 332 avant notre ère par les Grecs (Alexandre le Grand). Prospère sous le règne d'Hérode le Grand, Jérusalem vit son temple rebâti (troisième temple) ainsi que d'autres édifices annexes, nous laissant aujourd'hui le Mur des Lamentations. Ce dernier temple, celui que connut Jésus et dont il annonça le siège et la dévastation (Luc 19, 3744) fut détruit par les troupes de Titus (70 avant J.C.). D'après Flavius Josèphe, « il ne paraît plus aucune marque qu'il y eut des habitants».

Sans cesse détruite et reconstruite, Jérusalem continua à désigner symboliquement quelque chose de plus grand que toute autre ville terrestre, la représentation sur terre de la Jérusalem céleste. Jean la décrit ainsi dans son Livre de la Révélation (Rév. 3, 12) et c'est pour cela qu'elle devint lieu de pèlerinage et source d'écrits légendaires. Parmi ceux ci nombreux sont ceux qui se rattachent aux confréries de construction et aux opératifs* .
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Le thème général du temple (templo Salomonis et de edificatione templi) est présent très tôt dans les écrits médiévaux. Bède le Vénérable (ville siècle), Honorius d'Autun (XIIIe siècle), puis Guillaume Durand de Mande (XIIIe siècle), lui donnèrent une interprétation mystique. Quant au moine Théophile (XIIIe siècle), dans son Traité des divers arts, il met en relief la magnificence et l'habileté des maîtres d'oeuvre que di-til « Dieu remplit du souffle de la sagesse, de l'lntelligence et de la science». C'est précisément par l'intermédiaire de ces maîtres comme Hiram* ou Adoniram, que les légendes des métiers vont relier directement le Temple de Jérusalem et la maçonnerie. Dans tous les rites*, existants ou ayant existé, la description, les dimensions, le mobilier, la décoration intérieure et le symbolisme de ce temple sont évoqués.

Mais il s'agit là du premier Temple de Jérusalem construit par Salomon. Les francs maçons sont les « ouvriers» occupés à construire un Temple spirituel à son image. La francmaçonnerie s'est emparée du thème dès la rédaction de ses documents fondateurs. Ainsi dans les Old Charges* en particulier dans le manuscrit Cooke (1410), apparaît la référence au Temple de Jérusalem: .. D'Égypte, ils arrivèrent en Terre promise qui s'appelle maintenant Jérusalem: l'art y fut exercé et les instructions observées, [à preuve] la construction du temple de Salomon que commença le roi David . » La Terre Sainte et Jérusalem apparaissent au centre des préoccupations des maçons médiévaux. En effet les labyrinthes tracés sur le dallage de certaines églises étaient appelés « chemins de Jérusalem» probablement à cause des pèlerinages que l'on y faisait. Lorsque les changements politiques en Méditerranée rendirent impossibles les voyages en Terre Sainte et parce que tous ne pouvaient aller à Saint Jacques de Compostelle , on substitua le labyrinthe que l'on traçait sur le pavage des cathédrales* naissantes au voyage réel.

On est donc peu surpris que les grades* maçonniques faisant référer,ce à Jérusalem soient nombreux. Citons les .. Princes de Jérusalem» (16° du Rite Écossais Ancien et Accepté*) les« Souverains Commandeurs de Jérusalem » (27°). La référence est toujours relative à la construction du Temple. En dehors des 150 et 16° du Rite Écossais Ancien et Accepté qui font référence à Babylone, leur localisation, de la maîtrise à la Rose Croix*, se réfère toujours à cette cité. Dans la maçonnerie anglaise, la Sainte Arche Royale de Jérusalem y fait référence. Enfin, la fondation de l'Ordre du Temple à Jérusalem par Hugues de Payne (1119) pose un lien entre la ville sainte et la chevalerie et, par l'intermédiaire de celle ci, avec les hauts grades* chevaleresques (Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte du Rite Écossais Rectifié*...).

J.Fr. B


JEUNE ITALIE:
voir Mazzini


JEUNES TURCS
Deux erreurs sont souvent commises à propos du courant rénovateur du radicalisme* de l'entredeux-guerres. On s'étonne d'une présence juvénile dans le parti des« vieilles barbes »: en réalité, plus sans doute que la S.F.I.O. le parti valoisien avait une grande capacité d'intégration des jeunes talents.

Le courant jeune turc est souvent assimilé à l'aile gauche du radicalisme: ce n'est vrai à partir de la législature 19321936, que d'une partie de la nébuleuse, qui s'est formée dès 1926 1928.

On commence à parler de « jeunes radicaux .) de « jeunes équipes radicales ». et bientôt de « Jeunes Turcs » au lendemain de l'échec du Cartel des Gauches*. Daladier s'appuie sur ces jeunes militants pour conquérir la présidence du parti en 1927. Ils sont également encouragés par Caillaux, dont le proche collaborateur, Emile Roche, crée ou finance des revues et des journaux accueillants aux idées novatrices. Les Jeunes Turcs sont plus attentifs aux problèmes économiques que les radicaux de l'ancienne école. Ils traduisent en pro positions réformatrices concrètes un anti capitalisme qui fait partie de l'héritage idéologique du radicalisme, mais qui n'a guère inspiré son action législative. Contre l'anarchie du capitalisme libéral, contre la domination des trusts les Jeunes Turcs considèrent que l'économie doit être « dirigée », « contrôlée » ou « organisée ». Leurs idées sont proches de celles du courant « planiste » qui va provoquer la scission des « néosocialistes » de la S.F.I.O. et qui est également bien implanté à la C.G T. Les Jeunes Turcs, comme beaucoup de bons esprits autour de 1930, pensent que le dysfonctionnement du parlementarisme rend nécessaire une « réforme de l'État »: renforcement de l'exécutif, réhabilitation du droit de dissolution, création d'une assemblée représentant les forces socio économiques. En politique extérieure les Jeunes Turcs sont ardemment pacifistes réclament le désarmement, le renforcement de l'autorité de la S.D.N.* ils adhèrent à l'idée de fédération européenne.
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L'unité du mouvement est incertaine en matière de stratégie politique Des hommes comme Kayser, Bergery, Cot, Zay*, Mendès France, Albert Bayet, voudraient ramener le radicalisme aux sources de sa tradition de gauche jadis illustrée par le jeune Clemenceau et par le combisme; ils sont logiquement des partisans convaincus de l'alliance avec les socialistes. Dans le sillage de Caillaux, au nom du « réalisme », d'autres jeunes comme Roche, Montigny, Potut, préfèrent la « concentration »avec les modérés

Le mouvement jeune turc se scinde pendant les années 30. La première tendance, déçue par l'impuissance des gouvernements radicaux face à la crise économique, indignée par le ralliement du parti à l'Union Nationale au lendemain du 6 février 1934 va former l'élément moteur de l'aile gauche du parti. Elle milite pour l'adoption d'un programme de réforme de I'État et d'économie dirigée, pour le rassemblement des gauches contre la menace fasciste. C'est en partie sous son inspiration que Daladier et la direction du Parti radical décident en 1935 de rallier le Front populaire* en formation. Les jeunes turcs hostiles à l'alliance avec les marxistes ont leur revanche en 1938 quand le meme Daladier met fin à l'expérience du Front populaire et préside aux destinées d'un néo radicalisme qui assume sans complexes son reclassement à droite et son rôle de fer de lance d'une coalition anti marxiste.

Faut il considérer le mouvement jeune turc comme un secteur particulièrement « maçonnisé » du radicalisme ? La question se pose pour les jeunes radicaux de gauche, et il est difficile d'y répondre dans l'état actuel des connaissances. Le milieu maçonnique est un peu l'image de cette union des gauches qu'appellent de leurs voeux les jeunes rénovateurs. On peut constater bien des convergences entre les idées brassées par les convents* et celles des Jeunes Turcs: même attachement à la S.D.N. et au désarmement., meme aspiration à de vastes réformes de structure. En 1932, le convent du Grand Orient* examine un plan de« démocratie économique » comprenant notamment le syndicalisme obligatoire, l'attribution de pouvoirs importants à un conseil économique émanant des associations professionnelles. Deux ans plus tard, les jeunes radicaux publient dans L'oeuvre un plan préconisant « la création d'une assemblée économique issue des corporations organisées un « la direction des industries de base et du crédit par les déléguées de cette assemblée ». Mais ces idées sont dans l'air du temps; ni les maçons ni les non conformistes du radicalisme n en ont le monopole.

On peut dresser des listes importantes de Jeunes Turcs ayant appartenu à la maçonnerie: Mendès France, Zay, Monnerville*, Martinaud Deplat, Raoul Aubaud, Marc Rucart*... Mais les chefs de file du mouvement n'ont jamais été maçons (Cot, Kayser Bayet). Quant aux autres il faudrait faire le tri entre ceux qui ont mené une réelle carrière maçonnique (Gaston Monnerville ou Paul Anxionnaz*) et ceux dont le passage dans les loges* a été plus épisodique. Mendès France, qui n'est pas revenu au Grand Orient après la guerre, est un bon exemple de ces engagements superficiels: il explique à son biographe Jean Lacouture qu'il avait demandé l'initiation* parce qu'il avait beaucoup d'amis maçons et aussi parce que la maçonnerie était fort implantée au Maroc, où il imaginait à tort qu'il ferait son service militaire. « Au fond cela ne m'intéressait guère. " Jean Zay a été un maçon plus assidu, mais son journal de captivité ne donne pas l'impression que les « parlottes inoffensives » des loges aient tenu une grande place dans son action politique, ni dans sa vie intérieure. L'action des Jeunes Turcs a bénéficié toutefois de la sympathie de parlementaires maçons plus âgés très actifs au Grand Orient, comme Jammy Schmidt et Gaston Martin.

G. B.


JOUAUST,
Achille Godefroy (Rennes 1825 Saint Malo, 1889(.?) Avocat, en 1851 docteur en droit de la faculté de Rennes, Jouaust est reçu à la Parfaite Union* le 15 septembre 1856. C'est à lui le plus jeune apprenti*, que sa loge confie le soin de répondre aux quatre questions adressées par le Grand Maître Lucien Murat* sur proposition du Grand Maître Adjoint Heullant aux loges du Grand Orient de France* le 14 août précédent sous forme de concours Quatorze rapports recevront une mention honorable, dont le sien. Devenu maître* maçon le 29 mai 1857 et secrétaire de sa loge, il reçoit le grade de Rose Croix* le 2 février 1859. Son premier article d'histoire maçonnique, « La Maçonnerie à Rennes jusqu'en 1789 », fondé sur les archives* de sa loge, est publié avec la permission du Grand Orient dans Le Monde maçonnique, en décembre de la même année.

En 1861, Jouaust fait partie du groupe de 11 frères,« suspendus provisoirement » par un décret de Murat du 14 mai en raison de l'article publié un mois plus tôt dans la revue L'initiation ancienne et moderne par Riche Gardon*. L'article suggérait d'élire le prince Jérome Napoléon comme successeur de Murat plutôt que de réélire ce dernier dont le mandat venait à expiration le 30 octobre. Murat suspend la revue, son directeur et sa loge par deux décrets pris le 2 mai Puis suivant les conclusions d un rapport de son représentant particulier, Réxès Murat signe quatre autres décrets dan les jours qui suivent. Celui du 14 suspend 11 frères, dont Jouaust, coupables «à des degrés divers, de manoeuvres destinées à fausser la sincérité de l'élection du Grand Maître », celui du 21 suspend les séances de l'assemblée générale du Grand Orient.

Enfin l'assemblée législative maçonnique pour 1861 est déclarée dissoute et les ateliers du département de la Seine se voient notifier l'interdiction de se réunir par deux décrets datés du 23 mai.

Dans un article publié en septembre dans Le Monde maçonnique, Jouaust se défend en expliquant qu'une .

( réunion de cinq ou six maçons avait examiné, dans le calme le plus parfait, la situation faite à chacun de nous par l'expiration prochaine des pouvoirs du Grand Maître ».

Napoléon 111 nomme le 11 janvier 1862 le profane et maréchal Bernard Pierre Magnan (1791-1865) « Grand Maître de tous les maçons de France »: Magnan lève l'ensemble des suspensions décrétées par Murat et lance un appel pour une révision de la constitution du Grand Orient. Jouaust y répond par un article constructif, « Réforme de la constitution », paru deux mois plus tard dans Le Monde maçonnique et, le 12 juin, il est élu par 113 voix sur 149 votants au Conseil de l'Ordre.

Jouaust commence alors la rédaction de son Histoire du Grand Orient de France dont le chapitre 11 paraît en bonnes feuilles dans Le Monde maçonnique de mai 1863. Il y indique en note les buts qu'il poursuit:« refondre l'ouvrage de Thory*, en redresser les nombreuses erreurs... publier un livre qui soit le vademecum de toute loge française », et fait l'éloge de l'historien Emmanuel Rebold dont l'Histoire générale de la francmaçonnerie est parue en 1851. Un an plus tard tout change car l'Histoire des trois Grandes Loges de francs maçons en France, que Rebold publie au printemps 1864, vient occuper la place que Jouaust assignait à son propre livre. Une savoureuse polémique s'ensuit: il ne s'agit plus maintenant pour Jouaust de rectifier les erreurs de Thorv, mais bien celles de Rebold.

Lorsque le livre de Jouaust paraît (sans nom d'auteur) au début de 1865, il est salué dans le Bulletin du Grand Orient de mars comme« un travail complet et d'une irréprochable exactitude, une histoire impartiale »et Le Monde maçonnique d'avril estime qu'il s'agit de « l'un des écrits les plus sérieux qui aient été publiés, jusqu'à ce jour, sur l'histoire de la maçonnerie ».

Jouaust est réélu au Conseil de l'Ordre le 9 juin 1865 par 149 voix sur 200 votants. En novembre Le Monde maçonnique publie « L'Excommunication », article où Jouaust répond aux 1 remontrances respectueuses » que des maçons Lyonnais viennent d'adresser publiquement au pape Pie IX. Il leur rappelle les excornmunications qui se sont succédé depuis 1738 et leur montre qu'en raison des expressions qu'il contient «. recherche de la vérité, morale universelle liberté de conscience» le premier article de la constitution du Grand Orient de France est triplement critiquable aux yeux de l'Église romaine. Il conclut en constatant que « la papauté ayant des opinions directement contraires aux nôtres sur les mêmes questions », il est complètement inutile de répondre à ses attaques. Il fait partie de la minorité, battue le 13 juin 1867 par 180 voix contre 67, qui souhaite supprimer le Grand Architecte de l'Univers* de l'entête obligatoire des planches maçonniques Au mois de juin suivant, il es une fois encore réélu au Conseil de l'Ordre par 242 voix sur 281 votants.

On connaît le vau, aussi bref que célèbre soumis par la loge La Fraternité progressive de Ville franche (Rhône) à l'assemblée générale de 1876 qui le renvoya à l'étude des loges: « Supprimer, à l'article premier de la constitution, les deux premiers termes du deuxième paragraphe. » Depuis juin 1865, ces deux premiers termes (l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme) définissaient ensemble avec la solidarité humaine les trois principes de la francmaçonnerie dans la constitution du Grand Orient de France. Jouaust fait partie de la commission de sa loge de Rennes qui l'étudie et rédige un rapport publié en 1926 par Adrien Juvanon. Après un rappel historique, Jouaust écrit: « Nous allons soulever un tollé général dans tout le reste de la maçonnerie étrangère, sans compter les attaques violentes du parti clérical auxquelles nous allons être en butte. » Mais n'en conclut pas moins en faveur de la suppression. Ce n'est pas l'avis de sa loge qui lu i donnera mandat impératif de voter contre le voeu en 1877.

Le 18 septembre 1880, il prononce le discours de clôture de l'assemblée générale du Grand Orient sur le thème .. Tableau des évolutions de l'idée maçonnique en France », discours reproduit dans Le. Monde maçonnique. La même revue publie en janvier 1883 ses commentaires sur Le Secret des francs maçons (1744) de l'abbé Pérau. Il meurt quelques années plus tard à Saint Malo.

A. B.


JUIFS
Le XVIIIe siècle voit les élites juives européennes manifester un vif désir d'intégration et de reconnaissance sociales, culturel les et politiques. Mais le siècle des Lumières* est aussi marqué par la discrimination à l'encontre des Juifs, le rejet de la différence, y compris de la part des milieux éclairés. Moïse Mendelssohn, figure majeure des Lumières à Berlin, se voit interdire l'accès de l'Académie par Frédéric 11*, tandis que Voltaire* manifeste à plusieurs reprises son antisémitisme. La manière dont les loges* maçonniques abordent la question de l'accès au temple* des candidats juifs à l'initiation* témoigne de la part d'ombre des Lumières européennes, et de la perméabilité de la sphère maçonnique aux préjugés et aux grands de bats qui agitent la société profane.

En Angleterre comme aux Provinces Unies* pour reprendre l'expression de Jacob Katz, la «sortie du ghetto » est largement entamée au XVIIIe siècle. De fait, une présence juive en loge est attestée à Londres dès 1732, et les pratiques discriminatoires sont quasiment inconnues. Mais la tolérance maçonnique anglaise n'explique pas tout. L'environnement social, le niveau de fortune ont contribué à l'ouverture du temple aux notables de la communauté juive. Sur le continent, notamment en France où la sortie du ghetto a été beaucoup plus lente les ateliers ont interdit, en fait voire en droit, à l'immense majorité des Juifs l'accès à l'initiation.

On peut lire dans le Catéchisme du franc maçon publié à Berne en 1744: « C'est une cause habituelle d'étonnement qu'on admette indistinctement dans la société des francs maçons des gens des différentes religions. A ce propos, il est nécessaire de faire remarquer, premièrement: qu'on ne peut y admettre que ceux qui portent le nom de chrétiens. Si on y trouve des infidèles comme les Juifs les Turcs ou d'autres, ils y sont entrés par abus pour n'avoir pas été bien connus. » Un règlement marseillais de 1767 stipule clairement que « tous profanes qui auraient le malheur d'être juifs nègres, ou mahomettans ne doivent point être proposés ». Dans leur immense majorité les francs maçons continentaux font coïncider République Universelle des francs maçons et chrétienté. Un frère n'hésite d'ailleurs pas à s'écrier: « Le chrétien, voilà le vrai franc maçon » , La présence d'une poignée de visiteurs musulmans ou de sang-mêlé» dans les loges n'y change rien.
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Pourtant, les candidats juifs à l'initiation ne s désarment pas. Le cas de Cappadoce, important négociant juif d'Amsterdam, initié à Amsterdam qui espère trouver dans L 'Anglaise de Bordeaux à laquelle il demande son affiliation la même tolérance qu'en Hollande ou en Angleterre, est emblématique. Deux tentatives, la recommandation du vénérable* de La Paix, orient d'Amsterdam, se révèlent sans effet, le rejet est immédiat. La cause n'en est pas scellée: la qualité de juif est incompatible avec celle de franc maçon... Même dans les cas apparemment les plus favorables comme à Saint Esprit lès Bayonne, ville où la communauté juive est probablement majoritaire, les tentatives pour faire cohabiter juifs et chrétiens dans le temple de La Zélée échouent en 17831784.

Après une brève période de coexistence le désir des frères juifs d'accéder au haut grade de Rose Croix* d'essence chretienne, cristallise un sentiment de rejet de l'autre qu'une longue fréquentation commune du temple du Grand Architecte de l'Univers* n'a pas permis d'éteindre. Une fraction de la loge exige l'expulsion des Juifs du temple et menace de fonder un atelier rival réservé aux chrétiens. Après avoir imposé leurs vues, elle en commente ainsi la conclusion: « Les membres qui s'opposaient à notre union et à notre prospérité ne sont plus à même de nous nuire; nous avons goûté enfin le bien précieux d'être vraiment une assemblée d'amis. » Le parallèle entre la crise dramatique traversée par La Zélée et les violentes tensions qui secouent à la même époque les temples allemands montre que Saint Esprit lès Bayonne n'est pas un cas isolé.

Outre Rhin, juifs et chrétiens éclairés fondent 1'« Ordre des Frères Asiatiques ». Ses promoteurs se retrouvent rapidement isolés, mis en quarantaine. Dès lors, des tensions se font jour au sein de l'Ordre et provoquent son éclatement. Pour Jacob Katz, la francmaçonnerie constitue donc « au mieux une société semi neutre ». On peut meme considérer que cette semi neutralité disparaît presque automatiquement dans le cas des Juifs. On remarque d'ailleurs que les détracteurs de la francmaçonnerie du XVIIIe siècle, à la différence de leurs successeurs des XIXe et XXe siècles, n'ont pas fait état d'un complot ni d'une quelconque prise de contrôle des ateliers par les communautés juives alors qu'ils dénonçaient la collusion des loges avec l'.« Internationale protestante » et le « parti philosophique », pour la bonne raison qu'ils savaient pertinemment que les Juifs en étaient absents.

Les archives des loges françaises de métropole et d'Afrique du Nord montrent que l'antisémitisme est encore assez largement partagé par les francs maçons du XIXe siècle.Cependant, dés le milieu du siècle grandit un mouvement qui refuse toute discrimination dans les loges. C'est ainsi qu'en 1844-1848, les adresses émues de plusieurs loges amènent le Grand Orient~ à menacer les francs-maçons prussiens de rompre avec eux s'ils ne révoquent pas leur décision d'expulser les frères juifs de leurs loges.

P.Y. B.