MACÉ
MAÇONNOLOGIE
MAGHREB
MAISON DE L'OUBLI
MAISTRE
MAÎTRE
MAÎTRE SECRET
MALON
MARAT
MARCONIS DE NÈGRE
MARÉCHAUX D'EMPIRE






MACÉ
M-01.JPG (60K) Jean (Paris, 1815-Mouthiers, 1894) Issu d'une famille modeste, bachelier en 1835, Jean Macé exerce divers métiers et s'affirme républicain en 1848. Devenu fouriériste auteur de La Profession de foi d'un communiste il organise la correspondance avec les départements pour le journal La République. Menacé d'arrestation, il s'éloigne de la capitale après le coup d'État de 1851 et enseigne dans un pensionnat de jeunes filles à Beblenheim en Alsace. Partisan des méthodes actives, de l'école en plein air, il rédige des textes de vulgarisation, comme l'histoire d'une bouchée de pain qui explique comment elle se transforme dans le corps.

Il fonde en 1861 la Société des Bibliothèques communales du Haut-Rhin, puis lance, dans L'Opinion nationale, une campagne pour la fondation d'une Ligue de l'Enseignement pour la diffusion de la culture, semblable à celle qui avait été conçue en Belgique en 1864. Les trois premiers adhérents sont un tailleur de pierres, un conducteur du P. L. M. et un sergent de ville.

Macé, encouragé, publie, le 15 novembre, dans le même quotidien, un manifeste en faveur de la Ligue française de l'Enseignement, ouvre une souscription pour la publication d'un bulletin, rédige un projet de statuts. Dans son article premier, la Ligue se fixe pour but de « provo quer par toute la France l'initiative individuelle au profit du développement de l'instruction publique ». Elle veut fonder des bibliothèques, des sociétés d'instruction, et des cours publics pour adultes des écoles pour enfants aider les institutions déjà créées tout en s'abstenant de prendre une position politique ou religieuse. Elle va se battre pour que l'enseignement devienne obligatoire.

Il est reçu franc-maçon le 2 juin 1866 à la loge La Parfaite Harmonie à Mulhouse qui remet depuis la Restauration des livrets de caisse d'épargne aux élèves méritants de cours d'adultes. Il est appuyé, en maçonnerie, par Paul Vacca, fondateur du premier cercle de la Ligue, professeur agrégé de physique membre de La Fraternité Vosgienne à Épinal, puis vénérable des Amis de la Vérité à Metz. Les premières loges adhérantes à la Ligue sont celles d'Epinal, de Mulhouse, de Colmar, de Strasbourg et, à Paris, les deux ateliers où officie Massol*: La Renaissance et La Rose du Parfait Silence Le déisme sentimental de Macé agace cependant de nombreux maçons libres penseurs qui se défient de la Ligue. Pour élargir sa base, Macé doit préciser que ce n'est pas la maçonnerie qui a fait la Ligue mais ses 5319 premiers adhérents. Plus tard, il porte un toast à l'entrée des maçons dans la Ligue et des ligueurs dans les loges.

Le cercle de Strasbourg de la Ligue en mars 1870, lance une pétition en faveur de l' instruction gratuite et obligatoire qu i recueille 350 000 signatures en Alsace et s'étend dans le pays sous l'autorité de Charles Silvestre journaliste de L'Opinion nationale, membre de La Renaissance. Le Convent* du Grand Orient*, unanime, en juin, sur proposition de Vienot, appuie collectivement cette initiative, qui est reprise par les loges d'Agen et de Strasbourg. La décision est transmise à Jules Simon pour être déposée sur le bureau de la Chambre.

La campagne de pétitions est activée par le « Cercle parisien pour la propagation de l'instruction dans les départements» qui publie son premier bulletin en juin 1868, crée une bibliothèque populaire. coopère à la fondation d'un orphelinat de filles. À l' initiative de son secrétaire général, Emmanuel Vauchez, est lancé le « Mouvement national du Sou contre l'ignorance » qui bénéficie d'une large publicité dans les loges. Vauchez élargit à la laïcité*, qui figurera désormais sur les feuilles de pétition la campagne pour l'obligation et la gratuité. Près de 1 300 000 signatures sont recueillies. Il entre en maçonnerie, à la loge La Renaissance le 5 janvier 1874. Le Cercle parisien. à défaut de l'autorisation d'un organisme central, joue ce rôle jusqu'au congrès constitutif de la Ligue, en 1881. Entre-temps, la victoire républicaine de 1877 et la présence de Jules Ferry* au ministère de l'instruction publique et à la tête du gouvernement ont fait aboutir les projets de Jean Macé.

Des maçons sont toujours très actifs, en accord avec la Ligue, dans le secteur éducatif Gustave Francolin dirige la revue L'École nouvelle qui oeuvre pour l'amélioration du sort des instituteurs et le frère Saint-Martin gère l'hebdomadaire L'École laïque. Le frère Trébois préside le conseil d administration de la Société des écoleS laïques libres de Paris. Après cette initiative, un « tronc des écoles laïques » circule dans de nombreuses loges parisiennes. La Jérusalem Écossaise 99 (Rite Écossais) fonde « Le Sou des écoles » (avril 1875), et des comités des sous des écoles laïques se constituent à Lille et à Marseille.

La loge L'Alsace-Lorraine* -où Macé, devenu sénateur inamovible, s'est affilié après 1870 et à laquelle il restera fidèle jusqu'à sa mort -demande l'autorisation de centraliser la propagande en faveur du projet d'éducation civile et militaire émis par la Ligue de l'Enseignement et de correspondre à cet effet avec toutes les loges de toutes les obédiences. En 1882, elle diffuse une circulaire en faveur de l'OEuvre du Développement civique et militaire de la jeunesse française reprenant une initiative du frère George, sénateur des Vosges qui l'avait soumis à la Ligue de l'Enseignement. Le Conseil de l'Ordre, l'année suivante, autorise la constitution d'un comité de propagande maçonnique en faveur de cette oeuvre. On retrouve, à sa direction, Macé, Vauchez Dalsace, Chatrian George, Hubert*, Floquet.. Le frère Charles Lhomme rédige, en 1884, un manuel des bataillons scolaires.

La Ligue tient des congrès annuels où sont étudiés des projets sur l'éducation et la formation des jeunes et des citoyens: les fêtes de l'enfance et des cercles populaires de lecture (1882), l'enseignement professionnel et l'application des lois Ferry (1883), la formation professionnelle ou ménagère de la femme (1884); l'éducation civique et militaire (1885), sujets étudiés parallèlement dans les loges. En 1894, Jean Macé lance un appel à la formation des jeunes entre la fin de la scolarité et le service militaire.

En 1925, les diverses oeuvres laïques qui se sont constituées avec ou à côté de la Ligue fusionnent pour s'unir dans une Confédération nationale des OEuvres laïques.

Un des présidents de la Confédération, Joseph Brenier, tient le premier maillet du Conseil de l'Ordre du Grand Orient et son adjoint, Lucien Le Foyer, a été Grand Maître de la Grande Loge de France*. Le secrétaire général administratif, Dyard, est l'ancien vénérable de L'étoile Polaire, ce qui prouve le poids permanent de la présence maçonnique au sein de la Ligue.

Parmi les hommes politiques maçons et ligueurs, entre les deux guerres figurent Marc Rucart*, Jean Zay*, André Grisoni et Marceau Pivert qui préside La Fraternelle de l'Enseignement. Aujourd'hui encore, les doubles appartenances sont fréquentes.

A.c.


MAÇONNOLOGIE
M-02.JPG (100K) La maçonnologie peut être définie comme la science du fait maçonnique, posant comme principe que la franc-maçonnerie* est un objet d'études comme un autre, susceptible d'être appréhendé par une approche globale croisée et systématique, réalisée avec l'aide de l'ensemble des sciences humaines. On pourrait la nommer praxéologie maçonnique. Si le projet est ancien, le mot a été inventé et popularisé, pour la France, par Alec Mellor.

Cette discipline pose une vraie question méthodologique: la maçonnerie estelle un phénomène assez polymorphe et assez spécifique pour susciter une discipline autonome ? Les présentes études maçonniques en France comme à l'étranger, sont principalement conduites en histoire mais dans une moindre mesure en littérature en philosophie et en sociologie, quelquefois en sciences politiques, en droit, en anthropologie sociale et culturelle, en linguistique, en psychologie sociale, en socio économie, en héraldique et en numismatique, en musicologie et/ou en histoire de l'art et sont presque totalement négligées 1'« écologie culturelle », l'anthropologie politique et religieuse, la sémiologie, la psychanalyse ou l'ethnopsychiatrie. Or, il est presque impossible d'espérer la formation d'une maçonnologie opératoire sans utiliser les méthodes et les concepts, proposés par les sociologues comme Emile Durkheim, Pierre Bourdieu ou Bruno Étienne, des anthropologues comme Claude Lévi-Strauss, ou des historiens comme Fernand Braudel ou Georges Dumézil, même si ceux ci n'ont jamais prétendu étudier la maçonnerie...

La mise en place d'une maçonnologie authentique se heurte, en fait aux acteurs sociaux eux-mêmes. Trop longtemps, notamment en France, la production sur la maÇonnerie a été un enjeu de pouvoir entre ses adversaires et ses zélateurs, capables d arriver aux mêmes conclusions avec des moyens et des buts totalement Opposés. La légende de la maçonnerie, organisatrice de la Révolution française*, lancée par Barruel*, en est un exemple remarquable.

De plus, quelle place accorder à la production interne, notamment à la masse d'ouvrages. de travaux et articles (August Wolfstieg recense 54 000 titres dans sa Bibliographie der freimaurerischen Literatur Leipzig, 1911) sur l'histoire (le plus souvent légendaire, partielle et partiale), l'initiation*, le symbolisme et le pseudo ésotérisme maçonniques ? Comme le dit Antoine Faivre, la franc-maçonnerie n'est pas u n courant ésotérique, mais divers courants ésotériques se retrouvent dans la franc-maçonnerie: « Si vous dites que tout ce qui est secret ou initiatique est ésotérique, ce n 'est pas la peine d 'employer le terme "ésotérique". Il y a beaucoup de choses secrètes et initiatiques dans les "traditions" mais elles ne sont pas ésotériques" pour autant, à moins de donner à cet adjectif le sens de "secret", ce qui n'est d'aucune utilité. »

Si l'immense majorité de cette production est constituée par des interprétations personnelles relevant du « travail » maçonnique et fournissant un ensemble révélateur de l'imaginaire des maçons, nombre de ceux qui se prétendent experts en symbolique (et en maçonnologie) ne produisent que des ouvrages a l'érudition douteuse et aux interprétations alambiquées.

La maçonnologie doit pourtant inclure l'inventaire, l'analyse et l'interprétation des contenus, des relations et des formes symboliques le phénomène de symbolisation, les mythes et l'élaboration du symbolique de la franc-maçonnerie, mais en utilisant entre autres l'anthropologie structurales l'ethnologie, la sémiologie, la linguistique ou la psychanalyse. L'analyse du fait maçonnique est également brouillée par l es débats id écologiques et doctrinaux internes aux obédiences* et aux maçons. Le problème de l'opposition classique entre maçonnerie régulière et maçonnerie Libérale en témoigne. Selon les seuls critères des sciences humaines, la Grande Loge Nationale Française* estelle plus proche du Grand Orient* de France ou de la Grande Loge de Suède ? La loge anglaise Singapore no 7]78 estelle libérale, dogmatique et/ou régulière ? Les réponses risquent de varier selon qu'elle émane des autorités du Grand Orient de Belgique* ou de celles de la Grande Loge de Norvège. La Grande Loge d'Écosse*, qui conteste l'interprétation du premier des principes fondamentaux pour la reconnaissance* des Grandes Loges édictés le 4 septembre 1929 par la Grande Loge Unie d'Angleterre*, est-elle moins régulière que cette dernière ? Toutes ces prises de position internes à l'Art royal* sont significatives pour le chercheur mais n'induisent en rien les critères d'une analyse comparative « objective ». On peut meme ajouter que si le chercheur est lui-meme maçon, il doit encore plus faire preuve de vigilance épistémologique.

Y. H.M.


MAGHREB
Alors que nous avons des témoignages très précis sur la présence de francs maçons dans l'Empire ottoman* et meme en Iran* dés le XVIIIe siècle, il n'en va pas de même en Afrique du Nord. La francmaçonnerie n'apparâît au Maghreb qu'avec la colonisation et plus particulièrement, comme en Égypte*, avec les loges militaires. En Algérine, l'installation de populations européennes nombreuses amène la constitution de loges civiles. Celles ci recrutent peu d'indigènes et autochtones « musulmans » ou juifs* au XIXe siècle.

Les relations entre la franc-maçonnerie et le monde maghrébin sont complexes et diversifiées. En Tunisie, on trouve des loges italiennes au début du XIXe siècle, tandis qu'au Maroc les maçons anglais implantent quelques loges bien avant les Français.

En Algérie, X. Yacono signale que quelques commerçants et voyageurs « algériens " s'étaient fait initiés en Europe avant 1830, mais le fait n'est pas significatif.

Lors de la conquête de l'Algérie, de nombreux officiers sont francs-maçons, y compris Bugeaud. Ils se servent, en particulier dans les relations avec l'émir Abdelkader* de juifs francs-maçons parfois sujets britanniques comme intermédiaires dans les négociations de 1830 à 1850. Aussi la première loge dont nous ayons une trace historique est. elle une loge militaire (Cimus), laquelle ne déploya pas une grande activité maçonnique, alors que la première loge comprenant des civils, Bélisaire (du nom d'un général carthaginois !) allait jouer un rôle essentiel dans l'Algérie française et fut la dernière loge à fonctionner discrètement dans l'Algérie indépendante. Installée le 22 mai 1833, elle ne compta jamais plus de trois ou quatre musulmans. Au XXe siècle, ceux ci étaient plutôt des laïcs militants car les musulmans pieux ou pratiquants n'adhérèrent jamais à la franc-maçonne rie « algérienne ", sans doute trop liée au colonialisme et composée de membres bien trop laïcs.

De nombreuses loges (une quinzaine) furent créées partout sur le territoire algérien. Certaines sont célèbres comme Hippône qui succède à Ismaël (1833) ou l'Union Africaine à Oran en 1836, plus tard Les Hospitaliers (1862) de Constantine qui initiera quelques précurseurs des nationalistes algériens. Les francs-maçons, qui ne sont jamais plus de 1000, sont plutôt du parti coloniste. Selon que l'on se place du point de vue européen ou indigène, l'histoire de la maçonnerie en Algérie est complètement différente.

En milieu européen, seuls les bourgeois et les colons peuvent participer aux travaux des loges car les cotisations sont assez élevées. La franc-maçonnerie y est à la fois plus traditionnelle qu'en métropole et orientée plutôt vers l'entraide même si certains frères contrôlent les conseils municipaux des grandes villes et les trois journaux locaux, ils ne font pas de la politique leur action principale.

Dès les premières années de la Troisième République, l'esprit laïc s'instaure dans les loges: les francs-maçons sont favorables à la politique d'assimilation et condamnent fermement tout le système d'enseignement musulman !
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Dans une première période, au XIXe siècle, quelques musulmans furent admis en loge, mais le chiffre le plus élevé fait état d'une quarantaine d'indigènes... Ils n'étaient plus que 4 ou 5 à la veille de la Première Guerre mondiale, les juifs sont à peine plus nombreux à cette époque: une dizaine !

Si les frères sont plutôt « assimilationnistes ", ils préconisent aussi des réformes pour accomplir l'oeuvre de civilisation de la France et sont favorables à l'ouverture des écoles pour les enfants indigènes.

L'affaire Dreyfus* creuse l'écart entre les communautés: l'Algérie française bascule dans l'antisémitisme. La crise est sérieuse aussi bien à la Grande Loge* qu'au Grand Orient: exclusions, querelles, changement d'obédiences démissions, sous le regard effaré des musulmans... prémices de ce qui se passera en 1954

Un certain nombre d'ateliers sont dissous, d'autres mis en sommeil pendant la guerre de 1914-1918. L'activité maçonnique redevient intense après la Grande Guerre avec une quarantaine de loges réparties à égalité entre la Grande Loge et le Grand Orient. La plupart des gouverneurs de l'Algérie sont francs-maçons pendant ces cinquante années. La Iran(maçonnerie a été l'un des vecteurs sinon l'un des agents du colonialisme.

Avec Vichy*, les loges sont fermées, les archives confisquées et les frères dénoncés. Après la Seconde Guerre mondiale. Le Grand Orient de France est plutôt favorable à l'émancipation de l'Algérie mais les frères européens d'Algérie ne le sont pas et de fortes dissensions se font jour dans les loges.

Il n'y avait plus alors aucun frère « indigène» et encore moins musulman dans les loges au moment de l'indépendance Elles disparaissent. Seule survécut quasi clandestinement la loge Bélisaire qui se réunit encore, sans présence musulmane, jusqu'aux années 1974, date de l'initiation du dernier Français d'Algérie... Elle est aujourd'hui reconstituée discrètement à Marseille où elle compte une cinquantaine de frères pieds-noirs, européens. juifs, musulmans, kabyles, et elle initie régulièrement des Algériens et des Tunisiens.

En Tunisie, la franc-maçonnerie est attestée très tôt à cause de sa position géographique et ce sont des frères italiens qui arrivent peut être à la fin du XVIIIe. Une loge issue de la mythique Mère loge Écossaise de Marseille* est signalée à Tunis en 1812. La présence est plus certaine avec la création d'une loge anglaise en 1824 et l'arrivée de maçons génois et napolitains vers 1836. Entre 1841 et 1845, est constituée la première vraie loge italienne: Les Fils Choisis de Carthage et d'Utique. Son vénérable* était un certain Luigi Visconti instructeur des troupes beylicales: il ne s'agit donc plus simplement de réfugiés politiques italiens mais d'Européens installés dans la Régence.

A partir de 1860 et jusqu'au Protectorat (1881-1883), le Grand Orient de France a crée une première loge (La Persévérance). Nous trouvons la trace d'une loge maltaise, les obédiences anglaises en comptent désormais trois ou quatre et les obédiences italiennes, une bonne dizaine. Les loges travaillent en anglais, italien, français et arabe, mais les musulmans y sont en tout au nombre de 5 et les juifs 35,

Les Anglais et les Italiens ne sont pas satisfaits de la mainmise française sur la Tunisie et, malgré les efforts de certains frères. les relations sont difficiles entre les francs-maçons français et étrangers, jusqu'à la conquête de la Libye par l'ltalie. L'instauration du fascisme amène de nombreux frètes italiens vers les loges françaises.

Au débuts du siècle, la Grande Loge de France crée sa première loge (Volonté, 1903) et le Grand Orient de France compte deux loges à Tunis, une à Sousse, une à Bizerte et une à Sfax. Comme en Algérie, de nombreux frères occupent des postes importants dans l'administration coloniale, y compris celui de résident, ce qui soulève l'hostilité affichée de l'archevêché .

Sans que I on puisse avancer de chiffres précis, il semble que les musulmans et les juifs furent plus nombreux que dans les autres contrées maghrébines à adhérer à la franc-maçonnerie. Paradoxalement, l'oeuvre de la France fut plus efficace et moins violente en Tunisie qu'ailleurs.
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Après la Seconde Guerre mondiale, l'esprit libéral fut plus nettement affirmé qu'en Algérie puisque les maçons demandèrent la libération des militants du néo-Destour exilés. Le président Bourguiba leur en garda une certaine reconnaissance, mais la franc-maçonnerie ne fut pas autorisée à maintenir ses temples après l'indépendance, pour des raisons qui tiennent d'ailleurs plus à la politique du parti unique qu'à une hostilité. Les Français et les juifs quittèrent petit à petit la Tunisie, et la franc-maçonnerie est aujourd'hui en sommeil avec toutefois une petite lumière qui persiste aux environs de Tunis.

Au Maroc, l'implantation maçonnique anglaise et espagnole est antérieure à la présence de loges françaises à cause de l'importance de Gibraltar et de l'ouverture de Tanger. En 1907, les premières loges françaises (Le Phare de la Chaouia) et espagnoles sont créées à Casablanca tandis que la maçonnerie portugaise s'installe à al-Jadida et à Agadir. Comme en Algérie, la franc-maçonnerie française est porteuse des Lumières* et oeuvre au développement et à la modernisation du Maroc. Le traité de protectorat est signé a la veille de la Grande Guerre et ce n'est qu'aprés celle-ci que la franc-maçonnerie s installe vraiment au Maroc. Les loges du Grand Orient de France et de la Grande Loge sont présentes à Rabat, Mazagan, Mogador (Essaouira) puis Oujda, Fès et Meknès dès les années 1922-1923. Dans les années 30, on compte jusqu'à 30 loges dépendantes du Grand Orient et de la Grande Loge de France. Les loges du Grand Orient d'Espagne sont plus circonscrites aux territoires sous contrôle espagnol: Melilla, Tétouan, Ceuta, Larache...

Mais la guerre du Rif perturbe la belle sérénité des francs-maçons bien que Steeg, le remplaçant de Lyautey, soit un frère. L'ambiguïté commune à toutes les loges coloniales se manifeste clairement: si la franc-maçonnerie peut s'extérioriser au Maroc et si ses membres occupent des positions éminentes dans l' administration, elle reçoit de plus en plus de membres venus de France et s'oriente plutôt « à gauche >" sans que cela attire les musulmans.

Les textes anti maçonniques et antijuifs proclamés par le régime de Vichy* sont appliqués au Maroc mais la précocité du débarquement américain (1942), plus que la bonne volonté des autorités françaises et marocaines, limite les dégâts.

Comme pour le reste du Maghreb, c'est l'ordonnance de 1943 du général de Gaulle qui rend leur liberté aux frères et dès le mois d'avril 1944 la loge Résistance et République allume ses feux à Casablanca. Il ne s'agit pas bien entendu de proclamer la République marocaine.... Une nouvelle maçonnerie s'installe grâce à la présence (militaire) américaine et les frères espagnols retrouvent eux aussi quelques espaces de liberté. Mais les Marocains sont toujours aussi discrets sinon peu présents dans les loges. Cependant le courant assimilationniste perd de sa prégnance au fur et à mesure que l'idée de l'indépendance fait son chemin, et les francs-maçons français du Maroc font preuve de beaucoup plus de lucidité que leurs frères d'Algérie. Les contacts se nouent avec les élites marocaines mais sans que cela ne produise d'adhésion massive.

Pourtant, en 1958, le statut des associations se révèle défavorable aux loges étrangères et celles-ci doivent fermer les temples. Un « triangle » continua à se réunir régulièrement à Casablanca rassemblant les frères français du Maroc ou coopérants jusqu'à ce que la plupart rentrent en France ou s'envolent vers l'Orient éternel. lls avaient eu le bonheur d'assister à la naissance en 1966 d'une Grande Loge marocaine sous les auspices de l'obédience suisse Alpina*. La Grande Loge Atlas, devenue Grande Loge du Maroc en 1971, compta jusqu'à 4 ou 5 ateliers. Pour des raisons qui tiennent à la fois au régime marocain et à l'affairisme de certains frères cette jeune obédience n'a pas survécu à ses contradictions internes.

La franc-maçonnerie n'a donc pas réussi son implantation en terre maghrébine parce qu'elle a confondu sa fonction politique et sociale avec son essence initiatique. La plupart des francs-maçons qui, au cours de ce siècle, se convertissent à l'islam le font à travers la mystique musulmane ou l'exemple de René Guénon*, suivant en cela l'itinéraire indiqué par l'émir Abdelkader. Il semble que la plupart des francs-maçons, en France et parmi ceux qui ont vécu au Maghreb, aient soit ignoré cette voie, soit l'aient refusée.

B.E.


MAISON DE L'OUBLI
: voir Faramoushkhana


MAISTRE
M-05.JPG (14K) Joseph de (Chambéry, 1753-Turin, 1821) Joseph de Maistre niait à Chambéry, capitale du vieux duché de Savoie. Il tient de ses parents, catholiques fervents aidés par les jésuites, une foi profonde que modèle son appartenance à la Congrégation. Il est. en même temps, sensible aux séductions des Lumières*. Extrêmement doué, il n'a pas 20 ans lorsqu'il conquiert son doctorat en droit à l'université de Turin (1772). Il est aussitôt nommé magistrat stagiaire au Sénat de Savoie (1772-1774), cour suprême de justice et parlement aux attributions réduites, où son père s'était si bien illustré qu'il se vit conférer par le roi la dignité de comte. Joseph de Maistre exerça au Sénat jusqu'en 1792.

C'est tout jeune, malgré son attachement à l'Église, qu'il devient franc-maçon à Chambéry. A 21 ans, il est Grand Orateur à la loge* Saint-Jean des Trois Mortiers (1774) qui dépend de la Grande Loge de Londres. Son adhésion peut s'expliquer par une concession faite à la mode à une époque où, négligeant la condamnation du pape et la méfiance du pouvoir, la maçonnerie prospère en Savoie. Il est probable qu'un ensemble de convergences décida de son affiliation: recherche d'un club de divertissement entre gens de bonne compagnie, à l'écart du monde auquel sa qualité de magistrat lui interdit de se mêler trop, espoir d'un renouveau religieux sous une forme nouvelle sus ceptible d'exalter sa foi, d'enrayer le fléchissement de la croyance tandis que l'influence de l'Église diminue désir d'un espace de liberté intellectuelle échappant à la surveillance de l'état et favorisant son idéal de rénovation socio politique sous le signe de la réforme, autant d'aspirations que les Trois Mortiers semblent devoir satisfaire.

De fait, la loge, sous son aspect de « société de plaisir », répond à son attente. S'y expriment, sur le plan politique, le patriotisme savoyard rebelle à l'hégémonie transalpine un libéralisme à l'anglaise et des suggestions dont Maistre se fait le porte parole dans un Éloge de Victor-Amédee 111, son roi, et dans certains discours de rentrée au Sénat et un désir de pousser à une meilleure conduite des affaires publiques. Les ateliers sont pour lui une école de civisme actif. Cependant, ses espérances religieuses furent probablement déçues puisque au bout de quelques années, en compagnie de frères congréganistes, d'ailleurs, il rallie La Parfaite Sincérité (1778), loge de la maçonnerie mystique, sous le patronage du Directoire Écossais de Lyon gouverné par Jean-Baptiste Willermoz* et affilié à l'Ordre* allemand de la Stricte Observance Templière*.

Sous le nom de « Joseph a Floribus », qui évoque les fleurs de ses armoiries, Maistre est promu Chevalier Bienfaisant Grand Profès de la Cité Sainte. C'est en cette qualité qu'à titre personnel, il rédige le Mémoire au duc de Brunswick (1782), Grand Maître de la Stricte Observance Templière qui avait sollicité l'avis des loges sur la régénération de l'Ordre.

En ce précieux document maçonnique, il ne se contente pas de répondre aux questions posées mais développe sa conception idéale de la maçonnerie, société universelle au service du bien, bâtie sur ses idées de réformateur politique et ses convictions de croyant. Ce bien, aux deux premiers grades, consiste à se dévouer à la saine politique et aux exigences de la foi chrétienne. Les frères, dûment préparés, seront attentifs aux réalités de leur patrie et ils chercheront les moyens de remédier aux insuffisances constatées; ils se livreront à l'instruction des gouvernements pour que la vérité soit connue « partout où elle peut fructifier », en dépit des obstacles. Sur le plan religieux, on vivra l'amour du prochain par l'exercice de la bienfaisance personnalisée; en cet ordre international où catholiques et protestants se côtoient on travaillera au rapprochement des Églises et, contre les forces destructrices de la foi, à « l'avancement du christianisme ".
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Les frères qui se seront particulièrement illustrés dans ces taches, admis au troisième grade, constitueront une élite en quête du « christianisme transcendant »c'est-à dire de connaissances sublimes décelées sous les allégories de l'Écriture ou procédant de « contemplations métaphysiques » offertes à quelques maçons favorisés par l'Esprit qui « souffle où il veut, comme il veut, quand il veut ». Ainsi, pilotée par des sages qui veillent à sa fonction spirituelle et dirigent son action temporelle, la maçonnerie n'est pas seulement une communauté transnationale close sur elle meme, visant à la perfection sous l'égide de Dieu, elle se veut puissance transformatrice du monde tout en respectant les structures établies. En ce XVIIIe siècle riche producteur d'utopies, le système conçu par Maistre conjugue donc idéalisme et réalisme pour construire le futur.

On ne sait si ce Mémoire par ailleurs fécond en vues ingénieuses sur l'organisation de l'Ordre, parvint à son destinataire Quoi qu'il en soit « Joseph a Floribus » continua d'oeuvrer au Rite Écossais Rectifié* malgré les sérieux désaccords doctrinaux qui l'avaient opposé à Willermoz jusqu'à ce qu'en 1791 le roi, inquiet de l'agitation provoquée en Savoie par la France révolutionnaire, ordonne la fermeture des loges. Avec cette décision prend fin la carrière maçonnique connue de Joseph de Maistre mais non point sa fréquentation des f;ères. En septembre 1792, les Français envahissent le duché. Le sénateur Maistre, fidèle à son souverain, s'exile en Piémont. Un temps, il est laissé à l'écart par le gouvernement qui le soupçonne d'avoir comme franc maçon, participé à un complot qui aurait eu pour but de détacher la Savoie du royaume. L'accusation est tirée du fait que d'assez nombreux frères figurent parmi les tenants du nouveau régime qui vient de proclamer à Chambéry le rattachement à la France. Il se justifie en assurant, avec raison, que' les frères en question avaient agi en clubistes, non en maçons ès qualités.

A Lausanne où il réside de 1793 à 1798, son rôle au service du roi est à peu près celui d'un consul Parallèlement, il se mue en propagandiste contre-révolutionnaire, épaulant la reconquête de son pays par les troupes sardes;, lesquelles échoueront. Cependant, il ne cesse de lutter contre l'idéologie révolutionnaire que réfutent son Étude sur la souveraineté du peuple, demeurée dans ses cartons, et surtout ses Considérations sur la France publiées en 1797. Il gagne bientôt la Sardaigne pour y diriger la justice, puis il est nommé ambassadeur à Saint-Pétersbourg, poste qu'il occupe de 1803 à 1817.

En Russie, ses rapports avec la maçonnerie, aussi florissante que divisée en obédiences antagonistes, restent à éclaircir. On observe toutefois qu'il intervient aux cotés des maçons mystiques, traditionalistes, tels le ministre Razoumovski et le prince Galitzine, contre les frères rationalistes, héritiers des Illuminaten*qu'il exècre, à propos de la réforme de l'enseignement. Sur ce sujet d'affrontement entre les deux camps, il multiplie lettres et mémoires. A noter enfin qu'entre 1803 et 1811 il fréquente à Pétersbourg la loge du maçon: Stedingk, ambassadeur de Suède Au long de ces quatorze années il écrit. Outre une énorme correspondance diplomatique et privée, l'essentiel de son oeuvre. De cette période datent, notamment,

l'Essai sur le principe générateur des constitutions politiques, Du pape, l'examen de la philosophie de Bacon et Les Soirées de Saint-Pétersbourg où il fait entrer un « cours complet d'illuminisme » cet illuminisme auquel la maçonnerie du Rite Écossais Rectifié l'avait initié en sa jeunesse. Il finit ses jours à Turin, ministre d'État et chef de la chancellerie du royaume. J.R.


MAÎTRE
M-07.JPG (55K) Chez les opératifs*, le terme magister lathomorum (maîtres de la pierre) désigne les maîtres maçons qui étaient les architectes des cathédrales* et grands édifices religieux du Moyen Âge. Ces « maîtres » étaient des ouvriers sortis du rang, sans doute plus experts et plus habiles que les autres, la transmission de la connaissance se faisant probablement de maître à disciple, au sein des loges* de maçons de métier. C'étaient parmi eux que se recrutaient les maîtres d oeuvre (magister operis, magister fabrice) responsables avec les clercs des grands chantiers ecclésiastiques du Moyen Âge. La maîtrisé correspondait à une fonction et non à un degré particulier, accompagné d'une transmission initiatique quelconque. Dans la maçonnerie opérative anglaise des anciens temps, « aucun frère, si habile qu'il fut dans le métier, n'était appelé un maître maçon avant d'avoir été élu à la direction d'une loge » (Goblet d'Alviella*). Sur le continent, les statuts des loges opératives allemandes (Ratisbonne* en 1459 et Strasbourg* en 1563) distinguent les devoirs des apprentis*, compagnons* et maîtres. l] en est de même pour les Statuts des tailleurs de pierre de Montpellier (1586). On ne sait cependant s'il y avait des secrets* correspondants qui étaient rattachés.

Dans la maçonnerie spéculative*, les Constitutions d'Anderson* (1723) ne font pas mention du grade de maître, pris séparément, mais d'un système en deux degrés comprenant un grade d' « apprenti entré » et un de « compagnon " ou « maître ». Les deux derniers termes sont donc associés et correspondent à un seul et même grade. Le maître en titre est celui qui préside la loge. Dans les loges d'Écosse*, l'apprenti était reçu le même jour, tantôt comme maître et compagnon du métier tantôt comme maître ou compagnon Ces qualificatifs étaient donc équivalents.

Le grade de maître, absent des Constitutions de 1723 figure en revanche dans celles de 1738, puis dans celles de la Grande Loge des Anciens* de Laurence Dermott (1753)*, Ahiman Rezon, lequel, rappelant l'ancienneté de la franc-maçonnerie* et de ses antiques usages, prétendait que le rituel de maître existait de meme que celui qui en était en quelque sorte la continuité, la Sainte Arche Royale de Jérusalem* ! 11 semble donc que le pasteur anglican n'avait reçu qu'une partie de la transmission maçonnique en 1723. En 1738, dans la deuxième version des Constitutions, le pasteur intégra la maîtrisé, et le système en trois degrés est mis en place. Le mythe d'Hiram* est associé à l'accession à ce degré. Il évoque le thème du redressement d'un corps qui se trouve déjà représenté dans le manuscrit Graham (1726). Les fils de Noé se rendent sur la tombe de leur père, la tombe représentant le coffre où se trouve gardée la Tradition (ce thème se retrouve aussi dans le compagnonnage*).

Le texte évoque le rituel de raising (élévation) tel que les loges l'ont adopté depuis. La seule différence réside dans le fait que, dans celles-ci, le personnage d'Hiram a été substitué à celui de Noé. C'est dans la divulgation de Samuel Prichard (1730) qu 'apparaissent le personnage d' Hiram et la légende qui lui est associée. La substitution se serait-elle faite durant cette période ? Si Hiram (il y a en fait deux Hiram dans la Bible: l'artisan bronzier Hiram Abif et Hiram roi de Tyr) figure dans la Bible (I Rois 5,2-12, et 7,1340, d'une part, et 2 Chroniques 2,13-16 3,15-17 et 41112 de l'autre) il n'apparaît nullement comme l'architecte du Temple de Salomon et encore moins avec le sort funeste que la maçonnerie lui a réservé !

Toujours est-il que la franc-maçonnerie spéculative a remplacé l'apprentissage -tout en gardant le mot-par une initiation* en plusieurs degrés. L'apprenti, devenu compagnon, a achevé son noviciat: il va être initié à la plénitude de la vie maçonnique. Comme toute initiation, celle ci entraîne une régénération une mort apparente d'où le néophyte se relèvera en un homme nouveau. En vivant le psychodrame qui lui est relaté, le récipiendaire incarne (Me personnage idéalisé qui est devenu le type meme du parfait maçon » (Goblet d'Alviella).

J.-Fr. B.


MAISTRE SECRET
M-08.JPG (69K) Aujourd'hui pratiqué par toutes les obédiences* françaises, ce grade est une sorte de propédeutique des hauts grades*. Vers 1725-1730, le système maçonnique anglais compte « sûrement deux, très probablement trois. et peut être déjà quatre » degrés* (R. Dachez) et, à la même époque il est très difficile de savoir quel système se pratique en France. Puis, vers 1743-1745, apparaissent ce qu'il ne convient pas encore d'appeler des « hauts grades », notamment celui de Maître Parfait, qui demeure dans presque tous les systèmes du XVIIIe siècle le premier degré après celui de « maître* bleu ». Le grade de Maître Secret est postérieur à de nombreux autres degrés écossais (Élus, Architectes...).

Il semble naître à Bordeaux* au milieu du siècle et apparaît, sous sa forme présente, au début de la décennie 1760 lors de la première synthèse écossaise effectuée par le Grand Conseil d'Augustin Chaillon de Jonville. Il ne figure pas cependant dans les deux tiers des systèmes écossais, mais constitue en revanche le 4° du Rite de Perfection. En 1783 le manuscrit Francken* présente la quasi-totalité du modèle du grade. « La loge des maîtres secrets doit être tendue de noir semé de larmes. Le maître représente Salomon [.. ]. » 11 n'y a qu'un seul surveillant, qu'on appelle Adonhiram. « Adonhiram doit être décoré d'un large ruban blanc bordé de noir, qu'il porte en sautoir*, et auquel est suspendue une clef d ivoire, la lettre Z figurant sur le panneton. Tous les frères doivent être décorés de même, porter des gantS* blancs et un tablier* de la même couleur attaché par des cordons noirs. Le blanc annonce la candeur de l'innocence des maîtres, le noir rappelle le deuil de leur chef défunt. La bavette du tablier est bleue et un oeil ouvert est peint ou brodé sur cette bavette. La loge* devrait être illuminée par 81 lumières portées par 9 chandeliers. Mais, en général, par dispense, on se contente de 3 chandeliers à 3 branches. »

Après l'ouverture, la réception est sommaire: elle prévoit l'obligation, la réception d'une couronne de laurier et d'olivier, de la clef d'ivoire, des gants et du tablier et communication du mot de passe* (Zizon), du signe dit « du Silence », de l'attouchement, des mots sacrés (lod, Adonaï, Ivah) et du « grand mot [...] sacré et mystérieux ». L'instruction est longue et minutieuse. El le mêle au mythe d'Hiram* des références vétéro testamentaires, parfois mal comprises, des allusions kabbalistiques et de l'hébreu approximatif: « Qu'avez-vous vu de plus ? -
Neuf mots d'ordre en caractères hébraïques.
-Où cela ?
-Dans les neuf rayons lumineux issus du triangle flamboyant.
-Quelle est la signification de ces neuf noms ?
-Ce sont les neuf noms par lesquels Dieu lui-même se nomma lorsqu'il parla à Moise sur le mont Sinaï, en lui donnant l'espoir qu'un jour son Nom véritable serait révélé à ses descendants.
-Donnez-moi ces neuf noms et leur signification.
-Éloah, Adonaï, Jehovah, Jahvé, Job, Aloin Achab, Osem et Jesous. Chacun de ces noms comprend 8 attributs de la Divinité, composés en tout de 888 lettres formant 72 noms qui sont reçus comme le Nom de la Divinité, selon l'alphabet des anges et l'Arbre cabalistique. »

Globalement, le texte est une préparation aux degrés suivants. La fermeture est très sobre. Le surveillant rappelle les Maîtres Secrets à « pratiquer la vertu, fuir le vice et demeurer en silence ».

Le Maître Secret conserve sa 4e place dans le Rite Écossais Ancien et Accepté* de 1805, qui reprend presque intégralement le manuscrit Francken et, depuis, le modèle du grade a peu varié. Au XIXe, le grade de Maître Secret semble de moins en moins usité jusqu'au succès et au renouveau de l'écossisme dans la seconde moitié du siècle.

Y. H.M.


MALON


Benoît (Précieux, 1841 Asnières, 1893) Fils de journaliers d'un petit village du département de la Loire, Benoît Malon, dès l'âge de 7 ans, doit travailler comme pâtre puis comme ouvrier agricole. Son frère aîné, instituteur l'aide à acquérir des premières bases culturelles. En 1863, il est embauché dans une teinturerie à Puteaux, comme « homme de peine ». Animateur de la grève des ouvriers teinturiers de cette ville il participe à la constitution de la Première Internationale* en France. Il en sera l'un des dirigeants nationaux, présent à son premier congrès à Genève en juillet 1866; devenu son « commis voyageur", il implante des sections en province soutient des grèves ce qui lui vaudra deux condamnations (à trois mois de prison en 1868 et à un an en 1870) pour appartenance à une association interdite.

Il est également militant coopératif, fondateur et vice-président de la société coopérative La Revendication de Puteaux, Suresnes, Clichy et Courbevoie. Sorti de prison à l'avènement de la République, il devient, en novembre, l'un des adjoints au maire du XVIIe arrondissement, chargé des services d'assistance; il signe l'Affiche rouge du 6 janvier 1871 qui appelle à la proclamation d'une Commune*. Soutenu par l'extrême gauche, il est élu à l'Assemblée nationale, mais il démissionne après avoir voté contre les préliminaires de paix. Finalement il se rallie à la Commune dont il sera un des élus du XVIIe arrondissement. C'est dans les affiches et les communiqués qu'il fait paraître pour cette élection qu'il se signale, en faisant suivre sa signature* des trois points, comme maçon.

Au sein de la Commune, il fait adopter un projet sur la réquisition des logements, vote contre le Comité de salut public et rejoint la minorité. Il organise, le 22 mai, avec le frère Jaclard, la défense des Batignolles et doit le lendemain, avec l'aide de Ferdinand Buisson se cacher chez le concierge d'une chapelle protestante. Passé en Suisse, il écrit La Troisième Défaite du prolétariat français où il témoigne sobrement de l'attitude de la maçonnerie parisienne pendant l'insurrection.

Malon, alors anarchisant, compagnon de la féministe Andrée Léo, se déplace entre la Suisse et l'ltalie. A Palerme d'où il sera expulsé, il est reçu, en janvier 1877, au grade de compagnon* et de maître* à la loge Fedelta. A son retour d'exil, il aurait assisté, ainsi que Jules Vallès à son retour de proscription, à une tenue* de la loge parisienne La Ruche Libre.

Il s'est entre-temps rapproché de Guesde, a adhéré au Parti ouvrier français, puis rompu avec les marxistes. Il est alors un socialiste indépendant qui se consacre à l'étude économique et philosophique. Avec un autre maçon, Élie May, il fonde en 1885 la Société républicaine d'économie sociale, réponse de gauche à La Réforme sociale de Le Play, et qui veut se situer sur le terrain du socialisme pratique. Après un échec en 1880 il fait paraître, à partir de 1885, La Revue socialiste qui survivra jusqu'en 1914.

Il compte compléter le système de Marx en y incorporant les notions de justice, de solidarité, de morale altruiste et de droit. Dans son oeuvre maîtresse, Le Socialisme intégral (1890 1891), définie comme « l'aboutisse ment synthétique de toutes les activités progressives de l'humanité présente », il présente une étude commentée de l'histoire du socialisme et conclut par des pro positions de réformes politiques, économiques et sociales. Son socialisme « laïque et libertaire » correspond aux conceptions maçonniques de la fin du siècle, d'où sa popularité au sein de l'aile marchante de la maçonnerie.

Il a repris une activité maçonnique en 1889 à la loge du Grand Orient* Le Lien des Peuples et les Bienfaiteurs réunis, vraisemblablement introduit dans cet atelier populaire par Alexis Parementer, un militant socialiste fondateur de L'OEuvre maçonnique du Travail groupe d entraide pour les maçons chômeurs qui se perpétue jusqu'en 1940.

Malon entraîne à la loge ses trois plus proches amis et collaborateurs: Rodolphe Simon, un négociant en tissus qui commandite La Revue socialiste, le député Gustave Rouanet et Eugène Fournière, un bijoutier autodidacte, militant ouvrier et coopérateur sociologue et historien élu député en 1898. La Revue socialiste, après la mort de Malon (1893) fut successivement dirigée par trois maçons: Georges Renard (1894-1898), Rouanet (1898 1904) et Fournière (1904-1914) En loge Malon présenta un des chapitres du Socialisme intégral publié par la loge au profit de l'oeuvre des invalides du travail Malon, atteint d'un cancer de la gorge, meurt en 1893 et il est incinéré au Père Lachaise. Sur le socle de son monument du au sculpteur Bartholomé, inauguré en 1913, figurent 1'équerre* et le compas

A C
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MARAT
M-10.JPG (110K) Jean-Paul (Neufchâtel, 1743 Paris, 1793) Marat est né d'un père capucin défroqué d'origine sarde et d'une mère genevoise qui lui font poursuivre ses études au collège de Neufchâtel. Il les quitte à 16 ans. À Paris, il poursuit de 1762 à 1765 des études de médecine et part exercer à Londres et Newcastle. Il passe plus de dix ans en Angleterre et y reçoit son diplôme de docteur, en 1775. Un an auparavant, il avait publié The Chains of Slavery, l'ouvrage dans lequel il développait la nécessité de l' insurrection et de la violence contre l'oppression.

C'est cette année-là que Marat rencontre la franc-maçonnerie. La King Head Gerrad Street Soho, loge affiliée à la Grande Loge de Londres, l'accueille en son sein. Hesseline, Crand Secretary certifie en effet le 15 juillet 1774 « that Brother Jean Paul Marat was made a mason and admitted to the third degree of Masonry by the Register of the Lodge of the Free and Accepted Masons regularly constituted and meeting at the King Cerrad Street Soho ». Après un séjour aux Pays-Bas et en Suisse en 1776, il rentre à Paris et reçoit en 1777, un brevet de médecin des gardes du corps du comte d'Artois. Les relations directes de Marat avec la franc-maçonnerie semblent cesser, mais ses activités scientifiques et culturelles témoignent d'une sensibilité encore vive envers les courants idéologiques qui la traversent.

La Société de l'Harmonie Universelle qu'il fréquente entretient des relations étroites avec le monde maçonnique. À partir de 1780, le médecin Marat consacre ses activités scientifiques à la rédaction de traités fantastiques sur la lumière et sur la chaleur dont les théories sont proches du mesmérisme*. Elles lui valent un certain succès. Auteur de Recherches physiques sur le feu (1780), ses travaux sur l'électricité médicale lui permettent de recevoir le prix de l'Académie de Rouen en 1783. Le « médecin Marat " jouit d'une certaine notoriété et est consulté par une clientèle parisienne, parfois mondaine. Cependant les conceptions du « savant Marat " lui valent aussi d'entrer en conflit avec l'Académie des sciences qui les englobe dans la même condamnation que celles de Mesmer.

Dès février 1789, Marat publie une Offrande d la patrie, puis un Supplément a l 'Offrande ainsi qu'un Plan de Constitution. Le 16 septembre, il sort le premier numéro de L 'Ami du peuple. Il devient un porte parole du radicalisme révolutionnaire et il en demeure un des symboles, jusqu'à son assassinat par Charlotte Corday, le 13 juillet 1793. En l'an 11 (1793-1794), le gouvernement révolutionnaire le célébrait comme un des « martyrs de la liberté »,

C.L.B.










MARCONIS DE NÈGRE
: voir Rites Égyptiens


MARÉCHAUX D'EMPIRE
M-11.JPG (75K) Le mare chalat n'est pas un grade mais une dignité civile rétablie le 18 mai 1804 après avoir été abolie le 21 février 1793. Au total, il y eut 26 maréchaux sous l'Empire*, dont 18 furent nommés en 1804: Berthier Murat Moncey Jourdan, Masséna Augereau, Bernadotte, Soult, Brune, Lannes, Mortier, Ney, Davout et Bessières, auxquels furent ajoutés 4 maréchaux honoraires dits « sénateurs ayant le titre de maréchaux de l'Empire »: Kellermann Lefebvre, Pérignon, Sérurier. En raison de leurs âges et de leurs états de services, ils ne devaient plus en effet être employés. Par la suite, 8 maréchaux furent nommés: Victor (19 juillet 1807), Macdonald, Mammont, Oudinot (12 juillet 1809), Suchet (8 juillet 1811), Gouvion Saint-Cyr (27 août 1812), Poniatowski (16 octobre 1813) Grouchy (15 avril 1815). Les maréchaux figurent au 1 er rang des Grands Officiers de l'Empire. lls viennent au 5e rang du protocole impérial, derrière l'empereur, l'impératrice la famille impériale les grands dignitaires et les ministres. La dignité de maréchal donne la présidence d'un collège électoral et un rang à la cour. L'empereur les appelle « mon cousin » et « monseigneur » dans la correspondance. Le doyen d'âge est Kellermann et le benjamin, Marmont.

16 maréchaux appartiennent à la maçonnerie. Suivant l'heureuse formule de Jean-Luc Quoy-Bodin ils « forment la haie d'honneur de l'aristocratie maçonnique impériale » Augereau, Bernadotte*, Brune, Grouchy, Kellermann*, Lannes, Lefebvre, Macdonald, Masséna*, Mcrlier, Murat*, Ney, Oudinot, Pérignon, Sémrier et Soult. Mais tous n'ont pas la même fibre maçonnique. Par exemple Masséna est initié dès 1784, alors qu'il est simple adjudant au Royal-ltalien; c'est un maçon de conviction profonde: il suffit de rappeler son entremise auprès de Napoléon pour maintenir l'Ordre*; en 1804, il est nommé Grand Représentant du Grand Maître: il est 33°.

En revanche, Ney, initié à Nancy en 180], ne dépasse pas le grade d'apprenti*. La plupart des maréchaux sont revêtus des hauts grades* écossais et ils appartiennent aux prestigieuses loges* de la capitale, notamment Saint-Napoléon. Elle relève du Suprême Conseil du Rite Écossais Ancien et Accepté* et a été fondée en 1804 par le capitaine-comte de Grasse-Tilly*. Trois maréchaux en sont membres: Kellermann, Brune et Masséna. Les loges Caroline et L'Impériale des Francs-Chevaliers comptent des maréchaux comme visiteurs. Lefebvre et Sérurier appartiennent à la loge L'Abeille Impériale, et beau coup sont vénérables * d'honneur de loges régimentaires.

Augereau, duc de Castiglione, est initié aux Enfants de Mars (orient du 27e régiment d'infanterie légère en garnison à La Haye en 1801), il fut Chevalier Rose Croix*, nommé Grand Hospitalier du Grand Orient* le 23 brumaire an XIII, puis Grand Officier d'Honneur en 1815, et Vénérable d'Honneur de la loge régimentaire Les Amis de la Gloire et des Arts.

Brune, initié à une date inconnue, fut Grand Officier d'Honneur du Grand Orient puis Grand Conservateur de la franc-maçonnerie* française. Il est Vénérable* d'Honneur de la loge La Consolante Amitié à Sésame en 1811, de La Saint-Napoléon à Paris en 1813 et des Frères Artistes à Paris. Il était Commandeur de l'Ordre d'Orient.

Grouchy est initié à la loge L'Héroïsme à Beauvais dès 1787. 11 était membre de La Candeur* à Strasbourg.

Lannes, duc de Montebello, initié à une date inconnue, fut Officier d'Honneur du Grand Orient en 1806, Administrateur du Grand Orient en 1809.
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Lefebvre, duc de Dantzig, est initié aussi à une date inconnue, à Mayence, aux Amis Réunis. Il fut nommé Grand Hospitalier d'Honneur et Grand Aumônier d'Honneur du Grand Orient le 23 brumaire an XIII. Depuis 1809, il était membre du chapitre L 'Abeille Impériale à Paris.

Macdonald, duc de Tarente, est initié en 1797 à la loge Le Centre des Amis* à Paris. Il fut nommé Deuxième Grand Expert du Grand Orient le 23 brumaire an XIII et Grand Administrateur de la Grande loge Symbolique en 1813. Il continue sa carrière maçonnique sous la Restauration et la Monarchie de Juillet. Il était 330 et Vénérable d'Honneur de plusieurs loges régimentaires.

Mortier, duc de Trévise, est initié le 9 février 1792 à la loge Les Amis Réunis à Lille Grand Officier d'Honneur du Grand Orient en 1806, il est réélu en 1811. Sous la Restauration, il est membre du suprême Conseil de France du Rite Écossais Ancien et Accepté*. Il était membre honoraire de la loge régimentaire Les Émules d 'Assas.

Ney, duc d'Elchingen, prince de la Moskova, est initié le 13 septembre 1801 à la loge Saint-Jean de Jérusalem à Nancy Il était membre de la loge La Candeleur lors du camp de Boulogne.

Oudinot, duc de Reggio, est initié aussi a Nancy dans la même loge que Ney, mais en 1799. Il est membre de la loge L'Amitié à Arras le 5 juin 1805. Il était Vénérable d'Honneur de la loge Saint-Napoléon a Amsterdam en 1811. Sous la Restauration il fut Grand Officier d'Honneur du Grand Orient et Premier Grand Surveillant du Suprême Conseil des Rites (1815-1835).

Pérignon est initié à une date inconnue ; il est nommé Grand Officier d'Honneur du Grand Orient en 1806. I1 est Vénérable d'Honneur et Très Sage d'Honneur en 1807, de la loge et du chapitre Les Amis de la Gloire et des Arts, une loge régimentaire en Italie, 33° et membre du Suprême Conseil du Rite Écossais Ancien et Accepté. En juin 1813, il est membre honoraire du Suprême Conseil des 33° pour le royaume de Naples.

Sérurier est initié à une date inconnue. Il était membre de la loge Saint-Alexandre d'Écosse à Paris et Grand Prieur d'Honneur du Chapitre* L'Abeille Impériale. Le 30 mars 1807, i I participe à l'installation de Cambacérès* comme Grand Maître du Rite Écossais à la Mère Loge Écossaise de France* .

Soult, duc de Dalmatie est initié à une date inconnue. Il fut Grand Officier du Grand Orient de 1804 à 1814. Il était membre du Chapitre L'Harmonie Universelle à Castres en 1813.

P.-Fr. P.