NATHAN
NAZISME
NÉGRIER
NETTELBLADT
NEUF SŒURS
NICOLAI
NIHILISME






NATHAN
Ernesto (Londres, 1845 Rome 1921) Né d une mère italienne et d'un père allemand, Ernesto Nathan est le cinquième de douze enfants. De famille juive et de formation culturelle anglo-saxonne, mais lié aux milieux de la démocratie mazzinienne et garibaldienne, il est l'un des représentants les plus importants de la gauche démocratie que italienne. À partir des années 1880, il entre dans l'aréne politique, mûrissant. avec quelques-uns des personnages les plus actifs de la vie publique, le projet d'un regroupement de toutes les forces de la gauche laïque et démocratique qui espèrent pouvoir s'opposer victorieusement à la majorité conservatrice aux notabilités dominantes dans la vie politique locale et nationale Ce projet a de lointaines racines dans le monde démocratique italien post-unitaire d'origine garibaldienne mais n'a jamais obtenu de résultats durables.
Il reprend corps en 1890 dans le Pacte de Rome issu du congrès radical mis en ouvre par Cavalotti avec la collaboration d'Ettore Ferrari* et d'Ernesto Nathan qui continue de poursuivre ce dessein avec ténacité 11 le réalisera avec de grandes difficultés, entre 1907 et 1913, lorsqu'il devient maire de Rome, à la tête d'une Alliance constituée par un « Bloc » laïque démocratique qui comprenait des libéraux, des démocrates constitutionnels, des républicains, des radicaux et des socialistes.

En 1888. Nathan obtient ta citoyenneté italienne L'année suivante il est élu au conseil municipal de Rome et devint conseiller provincial à Pesaro, la ville d'origine de sa mère il tente par trois fois d'entrer au Parlement en 1890 en 1892 et en 1895.
Homme de l'opposition, appuyé par les radicaux et par les républicains, il ne réussit pas à vaincre l'hostilité du gouvernement
En 1895, il mène même toute sa campagne électorale sur une dure opposition à Crispi, fondée sur la question morale dans son essai Le Devoir présent, imprimé en mars 1895 puis réimprimé vu le succès obtenu Nathan accuse les politiciens, les administrateurs publics et les magistrats d'avoir perdu le sens du devoir, après avoir constaté que beaucoup d'entre eux avaient « la conviction que les actions considérées comme déshonorantes dans la vie privée sont tolérées dans la vie publique » et que les « principes d'intégrité sur lesquels se fonde la saine morale privée ont été en partie abrogés pour laisser la place à la commode doctrine de Loyola selon laquelle la fin justifie les moyens» Cette grave accusation est d'autant plus dure que Crispi alors président du Conseil l'avait assuré d'une neutralité bienveillante quant à sa candidature, pourvu qu'il ne parle pas de la question morale.
En 1896, il est élu Grand Maître du Grand Orient d'ltalie, après avoir obligé Adriano Lemmi*, trop impliqué dans la ligne politique de Crispi, à démissionner

Initié en maçonnerie depuis le 24 juin 1887, pendant 25 ans.
il devient la référence sûre pour les maçons italiens Au cours des années où il était Grand Maître il consacra beaucoup d'énergie à faire connaître l'institution à ceux qui n'en faisaient pas partie.
Les portes du palais Giustiniani sont ouvertes à tous et il donne des conférences publiques pour divulguer les principes maçonniques convaincu que l'institution nè peut que tirer avantage de leur vulgarisation.

La maçonnerie est pour lui une association patriotique et éducative qui a pour devoir de « réveiller dans les âmes assoupies» l'aspiration au rachat moral.« d'imprégner les consciences, avec le sentiment du devoir civil, de l'amour fraternel et de la défense fraternelle contre l'injustice; de planter profondément les racines de l'idéal qui, en alliant la foi et la science, soulève l'être vers le haut »

Ses contemporains ont jugé Nathan comme le meilleur Grand Maître du Grand Orient d'ltalie et le véritable quide de l'institution, même lorsqu'il laisse sa charge, en 1904, à Ettore Ferrari C'est « un quide et un grand général admiré, suivi, obéi et craint.
Convaincu, inébranlablement convaincu de la beauté et de la bonté des principes maçonniques comme moyen de conduire les hommes sur la vole du perfectionnement moral et civil» Mais surtout semble-t-il Nathan a été celui qui a le mieux réussi à réunir l'esprit socio-politique de la maçonnerie italienne et l'esprit initiatique qui lui est propre Sa véritable force a été sa nature spirituelle maçonnique qu'il a alliée avec les grands principes de la pensée de Mazzini, éducateur de peuples, apôtre de la justice et de la vérité.

Selon Nathan, ce qui rend la maçonnerie différente de toute autre association c'est l'aspiration à la paix universelle, à l'accord entre les peuples « qui se dessine dans l'horizon lointain comme la victoire suprême du droit sur la force». Le lien de fraternité maçonnique, selon lui, se présente comme «le germe des États-Unis d'Europe rêvés », comme un lien entre tous les peuples du monde Nathan considéra comme un devoir maçonnique de combattre la réaction et, en parallèle une autre plaie qui pervertissait la vie publique et la vie privée: la corruption L'éducation du cœur et de l'esprit devait amener « à l'exercice de la venu comme devoir civil » à « un enseignement laïque fonde surtout sur l'éducation morale».
L'education, la formation des jeunes, a toujours été au centre des pensées de Nathan, convaincu de la nécessité d'élaborer une morale civile pair former l'homme et, donc, le travailleur.

Fondateur et âme de l'association « Dante Alighieri», destinée à défendre la langue et la culture italiennes à l'étranger, il n'hésite pas a se mobiliser en faveur de l'entrée en guerre de l'ltalie aux côtés de la France pour réunir Trente et Trieste à l'ltalie et pour contribuer a la victoire de la démocratie sur l'impérialisme allemand. Estimé et connu en Angleterre, on ne peut exclure qu'il ait eu un rôle également dans la rédaction du Pacte de Londres Toujours cohérent avec ses principes, il partit, lorsque la guerre éclata, comme volontaire pour le front en tant qu'officier sanitaire bien qu'il eût dépassé les soixante dix ans Au lendemain e Caporetto, en automne 1917, il accepte de reprendre sa charge de Grand Maître après que le candidat alors choisi eut été assassiné par un fou.
Il est vieux et malade, mais cela ne l'empêche pas d'engager toute la maçonnerie italienne dans une œuvre d'aide et de propagande en faveur des soldats au front, à un moment où te défaitisme semblait avoir te dessus.
Il meurt à Rome en 1921 Son héritage te plus durable est lié à la réaffirmation de l'éthique dans toutes les activités de l'homme: politiques, professionnelles civiles et éducatives et au respect de toutes les croyances.
Laïque et anticlérical mais religieux, on retrouve souvent dans ses discours le sens de la valeur civique de respecter les différentes confessions religieuses et l'importance de la valeur éthique d'un enseignement religieux qui unifie toute la jeunesse dans la paternité commune de Dieu
A-M I.


NAZISME
N-02.JPG (274K) Les mouvements et les personnalités qui précédèrent ou conduisirent le nazisme au pouvoir sont souvent liés à un fort courant anti maçonnique. Ainsi des 1920, le général Ludendorff et sa femme Mathilde von Chemnitz publient en commun un livre, Judentum und Freimaurerei ( Judaïsme et Franc-maçonnerie), et séparément deux pamphlets respectivement Vernichtung der Freimaurerei (La Destruction de la franc-maçonnerie) et Ich klage an
(J'accuse)
N-01.JPG (36K) Durant la République de Weimar, un violent anti maçonnisme se retrouve dans les œuvres de Rosenberg et d'Hitler et dans la presse de l'ultradroite mais cela n'entrave pas l'essor de la franc maçonnerie en Allemagne*

Au début de la décennie 1930. les exactions anti maçonniques, principalement menées par les S. A. de Roehm, demeurent sporadiques et désordonnées. La nomination d'Hitler comme chancelier le 30 janvier 1933 va entraîner une première vague de persécutions organisées, notamment en Bavière De nombreux frères et divers dignitaires, comme le futur Grand Commandeur if u Suprême Conseil Raoul Koner, et le Grand Maître de la Grande Loge Symbolique, Ludwig Müffelmann sont arrêtes et déportés au camp de Küstrin, près de Berlin.

Les obédiences « humanitaires » et «irrégulières » qui avaient espéré dans la République de Weimar, se mettent en sommeil Ainsi, en avril 1933, la Grande Loge Au Soleil Levant de Hambourg, sous la Grande Maîtrise de Richard Bröse, se dissout et continue à vivre grâce à ses loges sises au Chili Durant l'été la Grande Loge Symbolique d'Allemagne fait de meme, tandis que ses ateliers de Palestine continuent à maçonner. En octobre le sommeil est décidé par les Grandes Loges Au Soleil de Bayreuth et Union Éclectique de Francfort.

Une ordonnance prise « pour la protection du peuple et de l'état » par Goering ministre-président de Prusse, en date du 4 janvier 1934, précise dans son préambule:« a L'unité du peuple allemand réalisée parle mouvement national ne justifiait en aucun cas le maintien des loges. »
Le texte est le signal de la deuxième vague de violences anti maçonniques janvier-mars 1934) Une cinquantaine de loges sont perquisitionnées, attaquées ou pillées et des maçons sont arrêtes molestés ou humiliés, L'ordonnance prévoyait l'autodissolution des loges Le. 8 janvier 1931 lu tribunal suprême du parti élargit l'ordonnance de mai 1933 en éliminant du mouvement tout ancien maison

Le 3 août, à Essem Frick, ministre de l'lntérieur, déclare:« Il est vraiment temps que disparaissent d`Allemagne les loges maçonniques.... "
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Le 10 décembre, l'ordonnance 25 du Tribunal suprême publie une liste d'organisations qui doivent disparaître les Grandes Loges prussiennes sont nommées. Pourtant ces dernières avaient cherché à s'adapter au nouveau régime
De nombreux frères monarchistes avaient soutenu Hitler, dans lequel ils voyaient un prélude à la restauration du Kaiser. Au début de l'année 1935 malgré les interventions du ministre de l'économie Hjalmar Schacht (le seul maçon du gouvernement) et des Grands Maîtres prussiens, Hitler décide la fin de toute la maçonnerie dans le IIIe Reich.
En croyant survivre, les trois Grandes Loges prussiennes se transforment en « Ordres» nationaux chrétiens du Grand Frédéric Parallèlement, elles suppriment de leur symbolique toute référence biblique (Jakin devient Lumière, Boaz, Peuple, et Temple de Salomon, Cathédrale allemande, La légende du dieu germano-scandinave Baldr tué involontairement par son frère avec un rameau de gui, remplace le mythe d'Hiram *
Chaque membre de l'Ordre doit justifier ses origines «aryennes»
La Grosse Landesloge (l'une 'des trois loges prussiennes), qui s'était transformée en « Ordre germano-chrétien du Temple », tente de faire intervenir la Grande Loge de Suède pour une ultime conciliation.
Elle ne réussira qu'à faire passer ses archives dans le royaume suédois À cette époque, ces nouveaux ordres crypt-maçonniques comptent moins de 10 000 membres et une ordonnance du gouvernement de Prusse leur donne I ordre de se dissoudre avant le 21 juillet Les trois Grands Maîtres prussiens rédigent un texte commun d'autodissolution au nom de l'intérêt supérieur du Reich. Le 9 août, les trois ex Grandes Loges se réunissent, avec l'accord et en présence des autorités civiles pour célébrer leurs « fêtes » de fermeture définitive.
Le Völkischer beobachter titre;« L'atelier des pionniers d'une république judaïque mondiale est désormais fermé.»

La latomophagie nazie s'étend dU fur et à mesure que le Reich grandit l,e ]3 mars 1938, les loges autrichiennes sont perquisitionnées pillées et fermées par le S. D (Sicherheitsdienst, service de renseignements de la S. S ) et la Gestapo Les ateliers des Sudètes sont investis par les nouvelles autorités en octobre 1938
En man 1938 les loges tchèques (Bohème-Moravie annexée au Reich) sont fermées, mais matériel, archives et documents avaient été mis à l'abri Lorsque le territoire de Memel est annexé en mars 1939, l'unique loge se dissout volontairement.
La politique anti-maçonnique du Reich est menée par la Sipo ( police de sécurité ), la Gestapo et surtout par le S.D. qui possède une section, la IV B 3, spécialisée dans les questions maçonniques En 1939 tous ces organismes sont cependant centralisés sous l'autorité unique d'Himmler et, en 1940, est fondé l'Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg chargé de s'emparer des biens culturels, archives et bibliothèques, et de dissoudre les organisations maçonniques des pays occupés. Ainsi furent fermées successivement par les services allemands les loges des Pays-Bas (été 1940),de Belgique et des îles anglo-normandes (novembre 1940) de Norvège (1941) et du Danemark (été 1943) Dans la seule Allemagne (frontières de 1919), près de 2000 maçons allemands, dont l'ancien ministre social-démocrate Wilhelm Leuschner pendu le 29 septembre 1944 pour sa participation au complot antihitlérien du 20 juillet, le prix Nobel de la paix 1935 Carl von Ossietzkv décédé en 1938 des suites de son internément en camp de 1933 à 1936 , et l'écrivain Kurt Tucholsky, sont exterminés sous le IIIe Reich.


NÉGRIER
L'appartenance à la maçonnerie et la condition de négrier peuvent sembler a priori antinomiques l'amour de l'humanité et l'idéal fraternel semblent mal s'accorder avec la pratique de l'esclavage Pourtant alors que, à Paris, la maçonnerie fournit un contingent non négligeable à la Société des Amis des Noirs, les loges provinciales situées dans les ports de traite (Nantes, Le Havre Bordeaux ou La Rochelle), fortement investies par les gens de négoce n'hésitent pas à ouvrir les portes de leurs temples à ceux qui prospèrent en trafiquant le bois d`ébène Ainsi au Havre, armateurs et capitaines investissent en nombre La Fidélité la loge élitaire d`une cité où «l'absence de noblesse» a accru le pouvoir d'attraction de la maçonnerie sur cette aristocratie de substitution étroitement liée aux Loges de Saint Domingue dans lesquelles triomphe le discours polygéniste L'affiliation maçonnique est si courante au sein du monde de la traite que les bateaux porteurs du « précieux matériau » n'hésitent pas à arborer l'appartenance à la maçonnerie en signe de ralliement- un bateau nommé Le Franc-Maçon est armé, en 17873 du Havre vers la Cote d'Or - et, quand le temps des menaces arrive , le réseau maçonnique est utilise par les Havrais pour prémunir la Constituante d'hypothétiques tentations abolitionnistes Phénomène local? Voire À Nantes, ville phare de l'esclavage, la pratique de la traite ne semble pas avoir été l'objet d'une reconnaissance* inavouée. Ainsi, le 10 mars 1784, L'Harmonie n'hésite pas à mentionner la qualité de négriers sur des certificats demandés pour deux requérants désireux d'aller goûter les plaisirs de la fraternité sous d'autres cieux. À l'aube de la Révolution*, le paradoxe de la maçonnerie émerge: il révèle les tensions qui minent une société qui en fait constitue bien un « agrégat de peuples désunis ». E. S.


NETTELBLADT,
Christian Carl Friedrich Wilhelm, Freiherr von (Rostock, 1779-Parchim, 1843) Karl Friedrich Wilhelm, Freiher von Nettelbladt (1747-1818), directeur de la chancellerie de la Justice de Rostock, était membre de la Stricte Observance* (Eq. a cygno argenteo).
Ses deux fils, Christian Carl Friedrich Wilhelm et son demi-frère Christian Erhard (1791-1863) souvent dénommés Nettelbladt I et Nettelbladt II, jouèrent un rôle important dans la franc-maçonnerie* allemande. L'amé étudie à la Ritterakademie de Luneburg puis à l'université de Marburg où il devient docteur en droit. En 1800, il est nommé juge puis conseiller de chancellerie à Rostock. Initié le 5 mars 1803 à la loge Tempel der Wahrheit de Rostock, il reçoit le grade de Maître Écossais en Allemagne, puis ceux de Chevalier d'Orient et de Chevalier de l'Occident en 1805 à la loge de Saint-André Quatuor Elementa dans la ville voisine de Stralsund qui appartient alors à la Suède.
En octobre 1808, il adresse une lettre à Starck* qui habite alors Darmstadt et dont il admire les nombreux écrits, à propos du sort des archives de la loge de Wismar, petite ville proche de Rostock.

Runkel a très justement remarqué que ce premier contact, du au hasard, eut une influence considérable sur la vie et sur l'œuvre de Nettelbladt. Leur correspondance, dont on ne connaît que d'importants fragments des années 1808-1809, est certainement à l'origine du voyage de Nettelbladt à Saint-Pétersbourg où Starck avait séjourné en 1768. Nettelbladt y reçoit, au Chapitre du Phénix de Johann Böber, les grades de Confident de Saint André, Cordon Pourpre, et de Commandeur Chevalier Maître du Temple.
Occupant dés lors une position éminente au se in de la Crosse Landesloge, Nettelbladt est l'un des signataires des « Actes provisoires » du grade d'Architecte*, rédigés par l'O+M et Grand Maître National von Castillon en juin 1810.
Ce dernier reprend en janvier 1812 avec la Grande Loge de Suède des relations interrompues depuis avril 1777 lorsque le chapitre de Stockholm avait officiellement déclaré avoir ignoré l'existence des documents adressés par Eckleff* à Zinnendorf* en 1770. Au cours d'une réunion organisée du 10 au 18 juillet 1818 à Gustrow, en présence de l'O+M Christian Friedrich Becherer, du Grand Maître National Neander von Petersheiden, des deux Architectes de l'Ordre, Johann Michael Palmié et Nettelbladt lui-meme et des trois délégués désignés pour se rendre à Stockholm dont l'un est son frère cadet Christian Erhard, les instructions que Nettelbladt a rédigées à leur intention sont approuvées et Nettelbladt initié au plus haut grade de l'Ordre magister templi Chevalier Commandeur de la Croix Rouge. La délégation de la Crosse Landesloge, arrivée le 24 février 1819 à Stockholm, est présentée le 2 mars au roi Charles XIV (Bernadotte*) qui confie à son fils le prince héritier Oscar, « vicaire de Salomon », le soin de diriger les travaux pour la Suède. Le 22 mars, ses trois membres sont reçus au 9° du Rite Suédois* ils signeront le 6 avril un traité d'alliance et d'amitié avec la Grande Loge de Suède toujours en vigueur.

Promu en 1818 conseiller à la cour d'appel de Parchim, Nettelbladt y fonde la loge Friderica Ludovica et la dirige pendant 22 ans. Il signe deux lettres écrites la même année « Carolus Eq. a nexu Longinquo », témoignant ainsi qu'il était alors l'un des rares survivants de la branche cléricale de la Stricte Observance*. Nommé Grand Maître Provincial du Mecklembourg le 17 septembre 1819, il conserve cette dignité jusqu'à sa mort.
L'Ordre lui confia le soin d'effectuer une nouvelle rédaction des derniers grades du rite récemment retrouvée au Danemark par Otto Schwartz.

Nettelbladt est l'auteur de Geschichte Freimaurenscher Systeme in England, Frankreich und Deutschland.
D'abord imprimé en 1836 par ordre de la Crosse Landesloge sous forme d'instructions à l'usage exclusif de ses membres, il ne fut connu du grand public qu'aprés l'édition préparée par Adolf Widmann et publiée en 1879 à Berlin. Cet ouvrage de référence de la littérature maçonnique allemande est à la fois d'une grande utilité et d'un maniement difficile.
L'auteur y reproduit nombre de documents dont la connaissance est irremplaçable pour l'approche de la maçonnerie européenne au XVIIIe siècle, mais Il les présente et les accompagne de commentaires montrant que sa démarche repose sur une conviction intime plus que sur l'objectivité.
A. B.


NEUF SŒURS
(Les) Cette loge* qui fut une des plus brillantes de l'Ancien Régime paraît avoir été précédée par celle Des Sciences dont le fermier général philosophe Helvétius avait été l'instituteur en 1766. Lalande* en est le dernier vénérable* et, en 1772, la loge s'agrège au Grand Orient* puis change de titre distinctif pour adopter celui des Neuf Sœurs en référence aux neuf muses. Dans l'esprit de ses fondateurs, il s'agissait de créer une loge spécialement destinée à la culture des sciences, des arts et des belles-lettres, au lieu de s'occuper des «augustes fadaises ), qui constituaient l'ordinaire des travaux maçonniques d'alors. « Fille posthume d'Helvétius », la loge des Neuf Sœurs rassemblera en effet autour du noyau de ses créateurs (Cailhava, Gamier, Chauvet, Lalande, Parny) toute l'intelligentsia de ce qu'il est convenu d'appeler les secondes Lumières*.
Citons en renvoyant à l'étude de Louis Amiable (1877), Court de Gébelin*, Forster, Stroganoff, Billardon de Sauvigny, Bacon de la Chevalerie*, Lezay-Marnézia, Duval d Epremesnil-« précurseur inconscient de la Révolution* » comme on l'a écrit-,de Sèze, qui assistera Louis XVI lors de son procès, Romme, mathématicien et codificateur du calendrier révolutionnaire, Lacepède, le naturaliste, Guillotin a qui l'on doit la guillotine, Cabanis, médecin et philosophe, Pastoret, juriste, Élie de Beaumont, le défenseur de Calas les frères Montgolfier, Louis-Sébastien Mercier auteur du fameux Tableau de Paris La Métherie, rédacteur au Journal de physique, François de Neufchâteau, poète et ministre, Démeunier, précurseur de l'ethnologie, Chamfort, Lemierre, Florian, Ginguené, Delille, écrivains et poètes. Des artistes, peintres*, sculpteurs*, graveurs* sont, par inclination naturelle, bien représentes. Parmi les musiciens, on trouve Dalayrac, de Mondonville, Davaux, Piccini ou Capron. Ajoutons à ces noms ceux de Benjamin Franklin*, de Mirabeau*, de Sade* et, finalement de Voltaire* dont la réception, quelque temps avant sa mort, fut un événement européen.
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La loge fut successivement présidée par Lalande (1776-1779), Franklin (1779 1781), le marquis de La Salle (1781-1783) le comte de Milly (1783-1784), Dupaty (1784), Élie de Beaumont (1784-1785) et Pastoret (17881789). Au moment de la Révolution, elle s associe au mouvement réformiste puis se transforme en Société Nationale des Neuf Sœurs. Elle se dote alors d'un organe le Tribut de la Société Nationale des Neuf Sœurs, qui publiera entre dix morceaux de facture académique la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Mais la loge fut aussi, dès avant la Révolution, en 1780, à l'origine, de La Société Apollonienne qui devint en 1781 le Musée* de Paris, pendant que Pilâtre du Rozier, membre de la loge, fondait le Musée scientifique {1781-1784).
En 1785, les deux formations fusionnèrent pour créer le Lycée qui, en 1793, devint le Lycée Républicain, puis Lycée tout court en 1802, puis Athénée Royal de 1814 à 1848.

La loge reprit ses travaux en 1805 et se maintint jusqu~en 1848 malgré une pause de 1829 à 1836.
Moreau de Saint-Méry, qui avait été le relais des planteurs à Saint-Domingue, en fut le vénérable; lui succédèrent Étienne Garnier-Pagès* et Théodore Juge.


Le grand événement qui marqua les travaux de la loge fut le 7 avril 1778, la réception de Voltaire, et, après sa mort, la pompe funèbre organisée le 18 novembre en sa mémoire. D'après les Mémoires secrets de Bachaumont, Condorcet*, d'Alembert et Diderot devaient être reçus ce Jour-là, mais ils se récusèrent. Seul Greuze fut affilié. Ces manifestations indisposèrent le « parti dévot » très influent auprès de Louis XVI, et le Grand Orient prit prétexte d'une cérémonie d'adoption* organisée par la loge le 11 mars 1779 pour tenter de la casser; mais il n'y parvint pas.

La loge qui, tour au long de son existence, s'était manifestée par son activité philanthropique, en dotant des orphelines, en soignant gratuitement les pauvres, n'a pas seulement été une association académique: en 1782, elle organise une souscription maçonnique pour venir en aide aux héros de la Révolution américaine *; elle a à divers titres participé, dans l'esprit des Lumières, au mouvement réformateur, et si elle ne fut pas révolutionnaire comme Barruel* a voulu le faire croire (quoique Garat et Romme en fussent membres), elle occupe une place de choix dans l'historiographie de la Révolution.
Ch. P.


NICOLAI
Christoph Friedrich {Berlin, 1733- 1811) Fils du libraire renommé Christoph Gottlieb Nicolai, Friedrich Nicolai est engagé comme apprenti dans une librairie de Francfort-sur-le-Main et travaille ensuite dans celle de son père à Berlin.
Ses Briefe über den itzigen Zustand der schönen Wissenschaften in Deutschland (Lettres sur l'état actuel des arts et lettres en Allemagne) publiées anonymement à Berlin en 1755, s'attaquent à Gottsched qui veut soumettre la littérature allemande aux lois du classicisme français. L'enthousiasme de Nicolai pour la littérature anglaise lui vaut l'amitié de Lessing et de Moses Mendelssohn. IL reprend la littéraire de son père en 1759 et lui donne un tel élan qu'elle devient l'une des meilleures de Prusse.
De 1765 à 1792, il dirige l'Allgemeine deutsche Bibliothek qui devait être interdite par Wöllner.

Deux éditions de Versuch über die Beschuldigungen welche dem Tempelherrenorden gemacht werden und über dessen Geheimniss Nebst einem Anhange über das Entstehen der Freymaurergesellschaft paraissent à Berlin en 1782, une traduction française due à Henry Rensner (Essai sur les accusations intentées aux Templiers et sur le secret de cet ordre, avec une dissertation sur l'origine de la franc-maçonnerie) à Amsterdam en 1783. Nicolai y exprime l'opinion que la franc-maçonnerie* a été fondée en 1646 et descend des Rose-Croix*.

Nicolai est avec Starck* lrun des protagonistes de la querelle dite du « crypto-catholicisme » qui agite le Berlin des années 17813. Il devient membre de l'Académie des Sciences de Berlin en 1798; la faculté de philosophie de Helmstedt le nomme docteur honorus causa l'année suivante.
En 1806, il publie Einige Bemerkungen über den Ursprung und die Geschichte der Rosenkreuzer und Freymaurer, veranlasst durch die sogenannte historisch-kritische Untersuchung des Herrn Hofrat Brühle über diesen Gegenstand (Quelques remarques sur l'origine et Histoire des rose-croix et francs-maçons a l'occasion de l'examen soi-disant historique et critique de M. le Conseiller à la cour Bühle)
Le frontispice reproduit une gravure comprenant la dénomination, les armes et les devises des neuf Provinces templières, décrites de manière quasiment identique dans la matricule du rothes Ordensbuch.
Nicolai indique l'avoir découverte dans Symbola Divina et humana Pontificum imperatorum Regum; accessit brevis Isagoge Jac Typotii Sculpsit Aegidius Sadeler 3 Tomi.
Prague 1601-1603 (réimprime à Francfort en 1642) et ajoute avoir trouvé deux des devises utilisées au 1° et au 3° grade du système de von Hund*.

Figure exemplaire des Lumières*, résolument hostile au mysticisme Nicolai appartenait à la Mère Loge* Aux Trois Globes, mais on ignore le lieu et la date de sa réception.


NIHILISME
Ce mot, dans son sens contemporain, prit racine dans l'histoire de la Russie, vers 1830.
Il désignait l'idéologie d'une partie de la jeunesse radicale d'extraction souvent modeste, pour qui la science tenait lieu de croyance et qui se ralliait avec enthousiasme aux doctrines libérales voire libertaires arrivées clandestinement de France ou d'Angleterre, dont elle retenait la critique de la morale et le refus des institutions présentes.
Quelques années plus tôt, en 1825, un complot dirigé contre Nicolas 1er et son absolutisme avait été tramé par des officiers et des nobles russes. La révolte fut sévèrement réprimée: 5 dirigeants pendus et 120 séditieux déportés ou emprisonnés.
La plupart de ces « décabristes » étaient francs-maçons, on les qualifiera bientôt de nihilistes.
Le mot est employé car il reflète au mieux les illusions perdu es, la douleur d'exister, le néant de toute vie et la tentation de la mort.

Le nihilisme se constitue avec la volonté d'effacer tout ce qui fut, en niant tout ce qui est.
Les théoriciens et activistes les plus radicaux du XIXe siècle se virent affublés par leurs adversaires du sobriquet péjoratif de nihilistes qu'ils n'entendirent pas récuser et le glissement sémantique fut bien perçu par Alexandre Herzen qui écrivait, le 15 février 1869, dans un supplément au journal La Cloche: « Le mot "nihilisme" est un mot d'argot, ce sont les ennemis du mouvement radical et réaliste, en Russie, qui l'ont mis en avant. »
Ce néologisme, forgé pour discréditer un mouvement social naissant, fut aussitôt assumé et propagé, par l'écrit et dans la terreur, par des doctrinaires idéalistes, soucieux de faire table rase du passé.
C'est sur un mode dépréciatif et polémique que fut aussi lancée l'imputation de nihilisme à l'encontre de théoriciens libertaires et francs-maçons comme Proudhon* Élisée Reclus, Francisco Ferrer*, Bakounine* ou Malatesta. Les communards n'échappèrent pas à ce type d aCcusation dont furent victimes les francsmaçons Jules Vallès et Jean-Bapptste Clément*.
Le titre de la chronique de Paul Bourget, « Un nihiliste français » consacrée à la mort de Jules Vallès dans le Journal des débats, le 3 mars 1885 révèle cet état d'esprit.
Il est vrai que Vallès avait eu des propos iconoclastes dans un article du Nain jaune, le 24 février 1867: « Le passé, voilà lannnemi, c'est ce qui me fait m'écrier dans toute la sincérité de mon âme; on mettrait le feu aux bibliothèques et aux musées qu'il n'Y aurait pour l'humanité non pas perte mais gloire et profit. » Trois autres acceptions du mot « nihilisme », d'un usage plus rare, entretiennent une parenté relative avec certains des thèmes maçonniques.

C'est dans une dimension singulière qu'au XVIIIe siècle, pour la toute première fois, apparaît le substantif « nihiliste » sous la plume de Jean-Baptiste Crevier, qui dénonce avec force ceux des hérétiques qui croient « que Jésus-Christ en tant qu'homme n'est point quelque chose, ou ce qui revient au même, n'est rien ». Par ce qui constitue alors un authentique néologisme, l'historien prend place dans un vieux débat théologique portant sur la vraie nature du Christ. Les nihilistes dénoncés par Crevier nient sa dimension humaine.
Étrangement, si on prolonge la réflexion dans le champ du sacré, on retrouve une forme de nihilisme dans la négation de l'idée de Dieu, opérée non point par athéisme militant mais tout au contraire avec la volonté de se perdre dans le divin pour mieux l'épouser.
Cheminement paradoxal, difficile à saisir pour un esprit rationnel, mais qui fut pourtant celui, pour une bonne part, de la spiritualité médiévale et de la gnose. L'essentiel réside dans cette opération de la pensée nommée par la scolastique annihilatio qui anéantit dans un seul mouvement tout le champ du réel.

Cette recherche néoplatonicienne de l'absolu dans la négation, cette ascension vers le vide le plus parfait fut aussi tentée au XIIe siècle, par le théologien juif Maïmonide et on peut lire dans son Guide des égarés que n'existe « pour Dieu, d'aucune manière, un attribut affirmatif. Les attributs négatifs sont ceux dont il faut se servir pour guider l'esprit vers ce qu'on doit croire à l'égard de Dieu ».
Maître Eckart construit à son tour une métaphysique qui permettrait de saisir Dieu par une pédagogie du désaisissement et du détachement.
L'expression, « recherche du vide », est-elle ici la plus juste ?
Ce vide intime serait alors l'ultime façon de se fondre en Dieu en s'étant libéré de tout souci, de toute vaine interrogation, de toute image et de toute représentation mondaine du divin, pour s'abîmer dans « Dieu-le-vide ».

Le vide n'est pourtant pas le néant absolu envisagé par la métaphysique, et la quête mystique ou la création artistique le constituent comme moment pur, comme étape préliminaire de la compréhension qui permet de plonger dans les vertiges du manque, de l'absence et du refus. À partir de ce vide originel, fait d'ouverture et de disponibilité, surgit tout le champ du possible, constitué de virtualités qui, peu à peu, prennent forme.
Cette expérience mystique est tout autant un mode d'existence qu'un mode de connaissance.
Elle affirme un mystère originel (l'étymologie de mysticus évoque les mystères et l'initiation*), inaccessible par la voie de la simple raison ou par la pratique ordinaire du monde.
Ce mouvement conduit des préludes ascétiques faits de renoncements à l'union dans le mystère.
À Delphes, au début des cérémonies, l'initié devait entrer dans le lieu sacré par une ouverture basse et étroite, les pieds devant, en se glissant dans une position de cadavre et, dans la franc-maçonnerie*, le cabinet de réflexion* souligne la nécessité de revenir à une demeure originelle et catacombale, sorte de caveau funèbre qui au sein de la terre rappelle à l'initié qu'il opère un travail de deuil tout en prenant conscience du néant de toutes choses.
Le Régulateur du maçon de 1801, considéré comme la source du Rite Français*, donne ces recommandations destinées à l'initiation du profane isolé dans « la chambre des réflexions»: « Cette chambre doit étire fermée aux rayons du jour et éclairée d'une seule lampe. Les murs en seront noircis et chargés d'emblèmes funèbres, afin d'inspirer le recueillement la tristesse et l'effroi. Des sentences d'une morale pure, des maximes d'une philosophie austère seront tracées lisiblement sur les murs ou encadrées et suspendues en divers endroits de la chambre.
Une tête de mort et meme, parfois, un squelette rappelleront le néant des choses humaines. » Dans le Rite de Memphis, le grand expert précise au candidat que s'initier c'est apprendre à mourir. Au terme de l'initiation le candidat est « pareil au cadavre que la main du laveur des morts tourne et retourne à son gré ».
En Égypte*, le 3e degré de l'initiation se nommait « porte de la mort ». Lors de son passage à la maîtrise, le franc-maçon est invité à jouer le drame de l'architecte* Hiram* .
il meurt alors à une vie misérable et vulgaire pour renaître à une vie nouvelle.
Recouvert d'un linceul et privé de lumière, le futur maître, avant son élévation, descend aux enfers et fait l'expérience de la mort dans la solitude.

Tubalcain, forgeron mythique, aïeul d'Hiram, est alors évoqué; on ne peut mieux dire que la connaissance et la maîtrise nécessitent l'expérience d'un certain enfer symbolique Les instructions morales et explicatives du Régime Écossais Rectifié*, écrites en 1785 par J.-B. Willermoz*, contiennent ces paroles destinées au futur maître: « On vous a montré le tombeau qui vous attendait, et vous y avez vu les tristes restes de celui qui a vécu.
Le tombeau est l'emblème de la maîtrise universelle qui doit finir dans son tout comme dans ses parties, et à laquelle un nouveau règne plus lumineux doit succéder. » Le franc-maçon dans son cheminement spirituel rencontre donc un néant symbolique et provisoire dans le cabinet de réflexion, lors de son initiation et de son admission au grade d'apprenti* et dans le rituel de passage à la maîtrise.

Mais le mot « nihiliste » apparaît aussi dans un sens militant et politique.
Jean Baptiste du Val de Grâce, baron de Cloots (1755-1794), devait se faire connaître sous le pseudonyme d'Anacharsis Cloots.
Après avoir collaboré à l'Encyclopédie, il se rallie à la Révolution*.
Jacobin, député à la Convention, il se rapproche des hébertistes pour inspirer une violente campagne antireligieuse et faciliter la mise en œuvre d'un culte rendu à la Raison. Il se présente dans tous ses écrits, dans ses interventions publiques comme « citoyen de l'humanité », « orateur du genre humain»,. Cet « ennemi personnel de Jésus-Christ » selon son expression même, est animé de l'unique souci de détruire ce qui peut nuire à la cohésion de la nation, à l'unité de la jeune République, et c'est sous Robespierre que le citoyen Anacharsis Cloots soutient un rapport, à la demande de la Convention, résolument intolérant à l'égard du christianisme. Pour lui,«la république des droits de l'homme n'est pas, à proprement parler, déiste, ni athée, elle est nihiliste ».
Ce nihilisme républicain ne constitue nullement la mise en cause de convictions ardentes ou l'aveu d'une déroute de la Raison. Il s'agit avant tout de combattre ligues, coalitions et factions qui menacent l'idéal républicain et d entreprendre une campagne de déchristianisation sous le drapeau de la Raison Mais, paradoxalement, cette République n'est pas pour autant athée, car ce serait réduire la valeur de son message et la portée de son rayonnement, au moment même où les partisans de Robespierre tentaient de parvenir à un équilibre entre factions rivales. En un certain sens, c'est le concept même de laïcité* de l'état qui se construit dans la proclamation du nihilisme de la République.
D'une certaine façon, radicaux et franc-maçons prolongeront la réflexion sur cette conception originale du nihilisme et conduiront l'action jusqu'à son terme logique: la séparation en France des Églises et de l'État.

On trouve enfin chez Nietzsche une réflexion sur le nihilisme construite à partir de l'affirmation de la mort de Dieu.

«Dieu est mort »: la proposition ne doit pas être lue comme la simple affirmation d'un athéisme intransigeant.
Par elle s'écroule la métaphysique, et cette chute entraîne la destruction des idéaux, des vaLeurs et des fins dont elle était solidaire.
Mais, par cette assertion, Nietzsche rompt aussi avec l'homme du ressentiment: le chrétien, le socialiste, le libre penseur ou l'anarchiste.
Ils ne sont que théologiens privés de Dieu et nihilistes incomplets qui sacralisent l'Histoire, le Progrès? Le Bonheur en substituant l'homme à Dieu et des idéaux laïques aux vieilles tables de la Loi.
« Dieu est mort » proclame l'absurdité du monde, mais ce constat tragique loin de conduire vers l'une des modalités du pessimisme, sera la source d'un amour dionysiaque qui, avec courage, accepte sous toutes ses formes cette vision de l'existence et du réel privés de transcendance.
Si les valeurs s'effondrent et si la morale métaphysique est désormais dépourvue de sol nourricier, vivre en sachant que foncièrement la vie n'a pas de sens ne peut que donner sens et valeur à la vie.
La mort de Dieu est bien tout à la fois tragique et heureuse et, si Nietzsche revendique hautement le qualificatif de penseur libre, en aucun cas il ne pourrait être considéré comme libre penseur.
Ce dernier, anarchiste obtus ou dogmatique scientiste aux yeux du philosophe, se borne à chasser Dieu de son ciel pour aussitôt lui substituer le Progrès la Science et le Peuple ! L'athée libre penseur en fait s'abîme dans une querelle de mots et s'il règle des comptes avec le Dieu de la Bible*, il ne prend jamais la véritable mesure des conséquences d'une mort proclamée, sa pensée demeure métaphysique et dogmatique.
On peut retrouver une conception comparable chez l'un des écrivains préférés du philosophe allemand, Guy de Maupassant et, implicitement, cette conception du nihilisme concerne la pratique maçonnique. En effet, dans Mon oncle Sosthène, Maupassant met en scène un vieux libre penseur, antireligieux et franc-maçon qui, se croyant sur le point de mourir, jette ses convictions aux orties et passe sous l'influence d'un père jésuite avant de se convertir au catholicisme. Dans sa conclusion, il renvoie dos à dos ces croyances organisées en rites*.
Avant lui, Flaubert avait fait subir un sort comparable au voltairien Homais et à l'abbé Bournisien, dans une page célèbre de Madame Bovary.
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