CATHEDRALE
CENTRE DES AMIS (Le)
CERCLE SOCIAL
CERNEAU
CHATNE D'UNION
CHAMBRE DU MILIEU
CHANSONNIERS
CHAPEAU
CHAPITRE
CHARBONNERIE
CHARLESTON
CATHEDRALE
La cathédrale préserve le passage des opératifs* et éclaire sur les compétences techniques et le quotidien des compagnonnages*.
Les cathédrales témoignent des techniques et expriment les intentions des maîtres d'œuvre en matière de symbolique architecturale. Le point, la croix*, le carre, le cercle, le pentagone et l'octogone sont les symboles les plus usités. L'utilisation de proportions dites dorées ( "Divine Proportion" ) montre les progrès du savoir-faire, puisque celles-ci furent introduites par Lucas Pacioli (Divina proportione, Venise) en 1509. La construction des cathédrales renseigne donc sur « le trait », dont l'art sera divulgué par Philibert Delorme (Traité d'architecture 1567) .
Mais, les cathédrales sont aussi les témoins de la vie quotidienne des compagnons qui ont laissé des marques* lapidaires, ou qui ont représenté la vie du saint patron de la corporation dans les verrières et ont décrit leur univers habituel d'opératifs. Elles constituent donc une source remarquable pour qui veut connaître la maçonnerie des métiers. Ainsi, le vitrail Saint-Chéron (Chartres} montre les imagiers dans leur loge*, les tailleurs de pierre et un maître d'oeuvre monté en haut d'une tour et mesurant la verticalité du mur. Les grands labyrinthes, disparus pour la plupart, détiennent aussi des renseignements précieux. Celui de la cathédrale de Reims (disparu en 1779) contenait des petits médaillons renfermant les effigies des quatre premiers maîtres d'oeuvre de la cathédrale avec leur nom (Jean d'Orbais, Jean Le Loup, Gaucher de Reims et Bernard de Soissons). Les compagnons considèrent la cathédrale comme le lieu ou ils vivent : les "sautoirs" ceux de mères en particulier, semblent ainsi reproduire les plans des cathédrales Notre-dame (celle d'Amiens en particulier}. Le "légendaire compagnonnique " accorde d'ailleurs une place considérable à ce lieu en valorisant les évènements qui s'y seraient produits. En raison des origines opératives de la franc-maçonnerie, celle-ci peut parfois être décelée au cœur des cathédrales. La scène relatée sur le chantier de la cathédrale de Cologne dans Les Quatre Fils Aymon (XVe siècle), où Renaud de Montauban, engagé comme simple manœuvre, fut tué par des ouvriers du chantier par un coup de marteau sur la nuque, fait penser au récit de la légende d'Hiram*
J.-Fr. B.
CENTRE DES AMIS (Le)
Cette loge est, avec Les Amis de la Liberté*, le second atelier dans lequel se retrace l'essentiel de la vie maçonnique parisienne durant la Terreur.
Il doit sa naissance à l'initiative de frères du Grand Orient* appartenant au Souverain Chapitre Métropolitain qui ont constitué en février 1793 une loge destinée à réunir les membres des loges de l'Orient de Paris qui ont cessé ou suspendu leurs travaux. Sous la houlette des trois commissaires installateurs, le célèbre Roëttiers de Montaleau*, Randon de Lucenay et Rivière, la loge se veut dépositaire des premières connaissances de la maçonnerie, fidèles à ses valeurs traditionnelles. Le choix de la titulature*, Le Centre des Amis, en témoigne: Roëttiers l'impose face à La Régénération et à La Réunion Fraternelle. Souchée sur la loge Guillaume Tell (constituée le 25 février 1789 à l'orient des Gardes Suisses) à l'initiative du Dr Gerbier, elle confie le vénéralat à ce dernier qui est alors Grand Maître Perpétuel Honoraire du chapitre de France et le fondateur de Guillaume Tell. Le Centre des Amis réunit essentiellement des hommes de loi, surtout des parlementaires (Joachim Ceyrat, Augustin Charles Dubin de Saint-Leonard, Pierre-François Gilet de la Croix, Jean-Pierre Graffin, Louis-Lezin de Milly), des médecins (Gerbier, François Dominique Lesne) et des gens de finance (Roëttiers de Montaleau, le banquier Louis Daniel Tassin). Les travaux commencent le 2 février 1793 dans le local de la rue du Pot de fer et Roëttiers est élu vénérable* face à Gerbier. Il fait reproduire par celle-ci le règlement de l'atelier auquel il appartenait (L'Amitié). La loge se substitue à Guillaume Tell et se réunit régulièrement jusqu'en décembre 1793. C'est à partir de cette date que l'atelier entretient des liens solides avec Les Amis de la Liberté. Le plan proposé par cette loge est ainsi examiné au sein d'un comité le 17 janvier 1794, dans un contexte très difficile. Celui qui ne signe plus que « Montaleau »» a été arrêté à l'automne de 1793. Reparu en loge vers la fin de décembre. il réactive les travaux: les initiations* reprennent et on discute de ce plan. Approuvé avec prudence, celui-ci reçoit un début d'exécution. On accepte donc le drapeau tricolore au-dessus du président, tout en conservant l'usage du triangle*, et les autres points proposés par la loge républicaine. L'année 1794 est cependant chaotique. Au début de l'année 1795, les travaux reprennent avec plus de régularité. On annonce surtout la mort de nombreux frères parmi lesquels figurent Gerbier et Tassin de l'Etang. Gerbier est décédé victime de son dévouement dans les secours que le praticien porte aux défenseurs de la patrie. Roëttiers rend un vibrant hommage à "ce digne ami de l'humanité qui, retiré pour quelques jours à sa maison de campagne, crut devoir donner secours aux défenseurs de la patrie qui, des Armées, avaient été amenés dans les casernes de Courbevoie... " Le banquier Tassin de l'Etang a quant à lui laisse la tête sur la guillotine.
La reconstruction du Centre des Amis se déroule dans des conditions comparables à celles des Amis de la Liberté. En avril 1795, lors de l'initiation de Pierre Jean Lesné, on apprend que le dîner fraternel du troisième décadi de chaque mois sera suspendu jusqu'à des temps meilleurs. Le Centre des Amis continue cependant à rassembler les frères éparpillés par la tourmente révolutionnaire. Le 4 octobre 1796 le frère Delucenay (ex-Randon de Lucenay) devient vénérable en lieu et place de Roëttiers. Ce sont donc bien ces deux loges qui ont assuré l'essentiel de la survie de l'Ordre et de la vie maçonnique parisienne pendant la vacance du Grand Orient qui s'achève au début de l'année 1797. Le Centre des Amis a bien rempli sa mission en rassemblant des hommes aux tendances politiques différentes et, alors que Les Amis de la Liberté ont fusionné, Le Centre des Amis redevient une loge ordinaire ou presque. On apprend en effet dans le rapport du 24 octobre 1809 que la loge le Centre des Amis est la seule loge à l'orient de Paris à professer le Régime Rectifie*. Comme le Grand Orient ne dispose plus du cahier de ce régime, il en demande une copie au Centre des Amis peu de temps après que l'un des principaux animateurs de cet atelier durant la période sombre de la Révolution, Roëttiers, eut disparu. Une autre époque à commencé
M.-Th. G.
CERCLE SOCIAL
En 1790 est crée à Paris Le Cercle Social. II s'agit là d'une nouveauté mêlant club politique révolutionnaire, loge* maçonnique et salon littéraire, tout à la fois point de rencontre et de correspondance pour les hommes de lettres de l'Europe entière et organe fédérateur du parti patriote sur la base d'une adhésion à la Déclaration des Droits de l'Homme et à la Constitution. Les "francs frères" désignent les "sympathisants" et participants aux réunions. Une "bouche de fer" sert de boîte aux lettres, chacun pouvant correspondre, proposer, discuter voir dénoncer tout ce qui lui paraissait contre-révolutionnaire. Né d'une idée émise le 21 février 1790, Le Cercle social est né le 13 octobre 1790, lors de la première séance de la confédération universelle des Amis de la Vérité* au Cirque du Palais Royal. Les conférences rassemblent bientôt de 5 000 à 8 000 personnes. Le Cercle social parvient ainsi en pleine période révolutionnaire à réaliser son projet initial qui est de constituer un "salon littéraire ouvert au vaste public" et à faire descendre le débat politique dans la Cité. Les deux hommes qui sont à l'initiative du projet sont Claude Fauchet, le procureur de la Vérité et futur évêque constitutionnel du Calvados, et le publiciste Nicolas Bonneville. Ils sont codirecteurs jusqu'en avril 1791, puis Bonneville se trouve seul aux commandes du Cercle social quand Fauchet rejoint son évêché. On lui prête des volontés égalitaristes jusqu'à vouloir imposer une loi agraire et, bien que proche des Girondins dont il défend les idées, il est libéré sur l'intervention de Marat* (qui le pensait fou). Le directoire du Cercle regroupe en outre des personnalités éminentes comme Barere*, Desmoulins* et Condorcet*.
Nombreux sont les auteurs qui, de Michelet à Laurent Versini, ont assimilé Le Cercle social à une loge maçonnique et alimenté ainsi la thèse de la franc-maçonnerie mère de la Révolution*. Les affinités maçonniques du Cercle social sont, il est vrai, nombreuses. La titulature* de l'institution évoque en elle-même les références de l'Art Royal*: le cercle est graphiquement la représentation du Grand Architecte de l'Univers*. Un vocabulaire similaire (les membres sont "frères et amis") et la défense de thèmes cher aux francs-maçons, comme le refus de l'esclavage des noirs* ou la reconnaissance de la Fraternité* comme vertu cardinale, accentuent les ressemblances:. Les effets de halo liés à la présence de personnalités illustres initiées ou proches de la maçonnerie et les liens maçonniques des fondateurs font le reste. Spécialiste de littérature anglaise et allemande devenu traducteur et l'introducteur des premiers écrits du romantisme allemand entre 1782 et 1786, Bonneville est en effet fortement influencé par les tendances mystiques et impliqué dans les activités des illuministes de Saint-Martin*. Il se prétend maçon et est en outre l'auteur en 1788 de trois ouvrages sur la franc-maçonnerie: Les Jésuites chassés de la franc maçonnerie et leurs poignards brisés par les maçons, La Maçonnerie écossaise comparée avec les trois professions et /e secret des Templiers au XIVe siècle et Memeté des quatre voeux de la Compagnie de Saint Ignace et des quatre grades de la maçonnerie de Saint-Jean. Il adhère également à l'Association de Bienfaisance judiciaire, une association créée en décembre 1787 et très maçonnisée.
Cependant, les liens se révèlent rapidement fragiles. Les rapports exacts de Bonneville et de Fauchet avec la maçonnerie sont d'ailleurs bien tenus. On n'a, en effet, aucune trace du passage en maçonnerie du premier, sinon apres la période d'activité du cercle ! Affilie à Paris à La Retinion des Etrangers en 1795, il devient membre de la loge Le Centre des Amis* en 1796. quant à Fauchet, il a maçonné de manière éphémère à Caen où il rejoint les frères de Thémis qui commencent à s'impliquer dans des activités antijacobines. Cela se passe aussi apres la fondation du cercle. En outre, parmi les membres relevés, les maçons avérés ne sont pas plus de 20%. Mais les faits décisifs concernent les écarts entre le fonctionnement du Cercle social et celui des loges d'Ancien Régime: Le Cercle social refuse tout à la fois les notions de secret*, d'initiation* et de sélection des membres. Or, ce sont là trois principes constitutifs de la maçonnerie d'Ancien Régime. Les sociétaires du cercle rompent donc avec les principes fondamentaux de celle-ci. Il s'agit pour eux avant tout de faire descendre la politique pour transformer la cité et non plus d'améliorer l'individu, démarche qui restait la vocation première des loges avant 1789.
C.L.B. et E.S.
CERNEAU Joseph
(Villeblevin 1765 après 1846)
Fils d'Elme Etienne Cerneau, directeur de l'école primaire de Villeblevin, et de Félicité Perpétue Gâteau, le rôle important joue par Joseph Cemeau dans l'histoire du Rite Ecossais Ancien et Accepte* n'est pas encore aujourd'hui défini avec précision.
En 1801, sur le tableau de la Réunion des Cœurs Franco-américains constituée en 1789 à Port-au-Prince par la Grande Loge de Pennsylvanie* avec le n° 47, loge* dont le vénérable maître est alors le notaire Germain Hacquet, Joseph Cerneau est garde des sceaux et archives de la loge, marchand orfèvre de profession. Lorsque la Grande Loge de Pennsylvanie fonde une Grande Loge Provinciale pour Saint-Domingue en janvier 1802, il y occupe les fonctions de Second Grand Surveillant. Deux ans plus tard, réfugié à Cuba, il adresse à la Grande Loge de Pennsylvanie une pétition pour créer La loge Le Temple des Vertus Théologales à La Havane, qui reçoit le n° 103, et dont il est vénérable* fondateur. Le 15 juillet 1806, à Baracoa, Antoine Mathieu-Dupotet le crée "député Grand Inspecteur pour la partie du nord de l'île de Cuba" et lui remet une patente à cet effet. Une lettre de sa loge, lue à Philadelphie en janvier 1807 devant la Grande Loge, fait son éloge et explique qu'à la suite des dénonciations de frères indignes, Cerneau et sa famille ont été expulsés de Cuba.
Arrivé à New York en novembre 1806 Cerneau s'y lie d'amitié avec John W. Mulligan (1768-1862}, futur Grand Trésorier (1814) et député Grand Maître (1820) de la Grande Loge de New York, et fonde avec lui plusieurs ateliers, dont un Grand Consistoire en octobre 1807 et un Grand Conseil, "De la Très Sainte Trinité", le 28 octobre 1808, lequel annonce sa création dans une lettre lue le 7 décembre suivant à la Grande Loge de New York. Dans le New York City Directory de 1809-1810, Cerneau est porté comme Grand Inspecteur Général, ancien Grand Commandeur et membre de ce Souverain Grand Conseil de Princes du Royal Secret. Le 2 janvier 1810, il devient membre de la Washington Lodge n° 21 (Grande Loge de New York) à laquelle il appartiendra jusqu'a son retour en France. Deux jours plus tard, un imprimé anonyme attaquant Cerneau avec violence est publié à Philadelphie.
Le 25 mai 1812, dans des circonstances aussi obscures que celles qui présidèrent à la fondation du Suprême Conseil de Charleston* en 1801, Cerneau ouvre un Suprême Conseil à New York. Le 4 décembre suivant, un député de ce Suprême Conseil forme le Grand Consistoire de Louisiane* à la Nouvelle Orléans. Le 14 septembre 1813, une rencontre à lieu à New York entre Joseph Cerneau et Emanuel de La Motta, membre du Suprême Conseil de Charleston (Dalcho*). Elle se termine par une fin de non-recevoir réciproque, chacun des protagonistes refusant de reconnaître l'autorité de l'autre, et donne naissance à une polémique dans la presse new-yorkaise. En janvier 1813, La Motta déclare expulser Cerneau de la franc-maçonnerie avec l'approbation du Suprême Conseil de Charleston. Mais il n'est nullement établi que la fondation d'un Suprême Conseil à New York par La Motta ait alors reçu la même approbation, ni même qu'elle ait été portée à la connaissance du Suprême Conseil de Charleston.
Pendant les années suivantes, le Suprême Conseil (Grand Consistoire) de Cerneau crée de nombreux ateliers aux Etats Unis alors que le Suprême Conseil de Charleston et celui de La Molta (New York) n'en fondent aucun. Germain Hacquet est son représentant auprès du Suprême Conseil de France en 1811, auprès du Suprême Conseil du Grand Orient* de France en 1816. La confusion est à son comble lorsque le Grand Commandeur Dalcho, au mois de décembre 1821, propose à Cerneau de partager le territoire des Etats Unis* entre leurs Suprêmes Conseils respectifs. En 1826, les ateliers de hauts grades*, fondés à Charleston par Cerneau, avaient à leur tête le Grand Maître et l'ancien Grand Maître de la Grande Loge de Caroline du Sud Au mois de novembre 1827, Joseph Cerneau retourne en France, muni d'un document, qui à été découvert et publié en 1998, dans lequel ses frères new-yorkais lui expriment leur reconnaissance. En 1841 et 1842, il recevait un secours financier du Grand Orient de France. Son certificat de membre d'honneur de la Grande Loge de Cuba porte trois visas de loges qu'il visita en France, dont le dernier fut apposé le 28 juin 1846 par les Cœurs Unis à l'orient de Melun.
Le caractère et l'activité maçonnique de Joseph Cerneau ont été l'objet de violentes attaques depuis plus d'un siècle. Mais l'historien de la Washington Lodge écrit à ce sujet: "Le frère Cerneau semble avoir été un maçon enthousiaste aussi bien qu'un organisateur. Pendant les dix-sept années de son appartenance à notre loge et, en tant que tel. à la Grande Loge [de New York], nous n'avons rien trouvé dans les archives de ces deux corps permettant d'ajouter foi aux accusations portées contre lui". Les ateliers que le Suprême Conseil de Cerneau avait fondés aux Etats Unis (et au Brésil) devaient empoisonner l'existence des deux Suprêmes Conseils des Etats Unis pendant le XIXe siècle. Le grand commandeur Albert Pike* consacra de nombreux articles à démontré leur irrégularité. Mais comme à ce jour aucun document n'a permis de déterminer l'autorité en vertu de laquelle le Suprême Conseil de Charleston fut fondé, la question ne peut être tranchée en droit sinon en fait. L'expression "Rite de Cerneau" ne recouvre aucune réalité. Jusqu'en 1812, en vertu de la patente qu'il avait reçue en 1806, Joseph Cerneau et les ateliers fondés par lui pratiquaient les 25 grades de l'Ordre du Royal Secret d'Estienne Morin*.
A.B.
CHAINE D'UNION
"Les rites*, entre autres fonctions essentielles, joignent le visible à l'invisible. Ils constituent le lien fluidique qui unit le corps maçonnique constitué à l'esprit maçonnique dégagé des loges* matérielles". La phrase de Marius Lepage*, rappelant l'importance du sens à donner à chaque pratique rituelle s'applique tout particulièrement à celle de la chaîne d'union.
Matérialisée sur le temple* et sur les tableaux* aux grades* d'apprenti* et de compagnon* par la représentation de la houppe dentelée, la pratique de la chaîne d'union clôture les tenues* principalement dans les rites qui, comme le Rite Français* ou le Rite Ecossais Rectifie*, se réclament des Modernes* mais aussi dans d'autres qui, comme le Rite Ecossais Ancien et Accepte. empruntent beaucoup à ces derniers. Si les origines sont mal connues, sa dimension symbolique est évidente et permet aux initiés d'apprendre concrètement la fraternité*. Ouverte (quand les frères laissent les bras le long du corps} ou fermée (quand ils les croisent), la chaîne d'union vise toujours, par la signification de la main tenue, à réunir les frères et à matérialiser l'union fraternelle qui lie tous les maçons du globe.
Le nouvel initié, en y entrant. peut saisir très concrètement la rupture avec l'isolement du profane et devient maillon d'une chaîne éternelle. Au Rite Français les exhortations spirituelles sur l'Amour fraternel frappent les esprits. La mission unificatrice donne naissance, dès le XVIIIe siècle, à de nombreux comportements destinés à cimenter la République des francs-maçons. Réseaux de correspondance*, actes de solidarité entre frères et soulagement des familles des initiés sont les pratiques les plus connues qui justifient l'idée de chaîne d'union. On notera cependant que les tendances centrifuges de l'Art Royal* atténuent largement la portée de celle-ci. Sa valeur efficiente n'est pas toujours détestable et le "champ magnétique" tourbillonnaire censé être porté par le croisement des bras ne fonctionne pas toujours. De l'autonomie des provinces aux contradictions entre l'égalitarisme d'une maçonnerie des boutiquiers qui snobe les hauts grades à l'aristocratisation montrée par l'engouement pour ceux-ci dans les loges nobiliaires, nombreuses sont les forces qui viennent déjà au quotidien briser la charme mythique.
E. S.
CHAMBRE DU MILIEU
Dans la maçonnerie française, l'expression « chambre du milieu » n'apparaît qu'au grade de maître*. Elle désigne le lieu où le compagnon* est élevé à ce sublime degré. Dans le Régulateur du maçon (1801), qui reprend le rituel du Grand Orient de France* de 1785, nous lisons: « Où avez vous été reçu ?-Dans la chambre du milieu. - Comment y êtes vous parvenu ?-Par un escalier que j'ai monte par trois cinq et sept. -Qu'avez vous vu ? -Horreur, deuil et tristesse.
De même au Rite Ecossais Rectifie*, dans les instructions par demandes et réponses, nous lisons:
"Où avez vous été reçu maître ? -Dans la chambre du milieu, séjour de regrets et de larmes.-Comment y êtes vous parvenu ?-Par un escalier mystérieux en forme de vis, qui se monte par trois, cinq et sept". Dans ces deux rites, la chambre du milieu apparaît comme le lieu où les maîtres reçoivent leur salaire*. Ainsi pour le premier: "Où reçoivent ils leur récompense ?-Dans la chambre du milieu". Pour le second: "Où avez vous été payé ?-Au centre de la chambre du milieu". Pour les maçons français du XVIIIe siècle, la chambre du milieu représentait la premier chambre intérieure du temple*, le Hekhal. Dans la Bible, la division tripartite du temple est très bien soulignée, et le Hekhal occupe une situation intermédiaire entre le porche et le saint des saints. Un lien à existe entre la lettre G* et la chambre du milieu et il existe toujours dans la maçonnerie anglaise (Rite Emulation*). En effet, selon les premières divulgations des années 1740 (Catéchisme des francs-maçon et Le Sceau Rompu), l'impétrant entre dans cette chambre, apres avoir monté un escalier à vis (par trois, cinq et sept) et, après avoir été tuilé par un surveillant, il aperçoit la lettre G. dont on lui dit qu'elle est constituée de caractères hébraïques représentant le nom divin. Ces textes remonteraient à The Masonrv Dissected de Samuel Prichard (1730). Le lien a disparu des textes français après 1745 et la chambre du milieu est rattachée définitivement au grade de maître, et la lettre G au grade de compagnon. Dans la maçonnerie anglaise, ce lien existe donc encore aujourd'hui. Ainsi, dans les Emulation Lectures (Commentaires du Rituel Emulation), cette chambre du milieu est l'endroit où, à l'époque du temple de Salomon, les compagnons y venaient recevoir leur salaire; ils y accédaient à partir du porche du temple par un escalier à vis donnant du côté sud. Au pied de cet escalier, ils étaient examinés (ou tuilés) par un surveillant, puis ils montaient l'escalier par «trois, cinq et sept marches », et, parvenus en haut, ils se trouvaient devant la porte de cette chambre.
Enfin, arrivés à l'intérieur, leur attention était attirée par des caractères hébraïques aujourd'hui représentés dans une loge de compagnons du métier par la lettre G. Ce ne sont autres que ceux qui forment le Tétragramme divin figurant sur certains tableaux* de loge* du grade* de compagnon. Le manuscrit de Prichard ( 1730) donne une indication supplémentaire sur l'interprétation du G. et par la même sur celle de la chambre du milieu. En effet, il dit qu'il s'agit du mot «. Géométrie » par le biais d'une énigme que l'on nous fait découvrir. Comme c'est dans la chambre du milieu que le compagnon découvrait la lettre G. et que cette lettre, comme le souligne le manuscrit. se rapporte à la géométrie, on peut penser que cette
chambre pouvait servir d'aire de tracé ou d'aire du trait chez les opératifs* dont le manuscrit se fait l'écho, c'est à dire le local où le maître maçon traçait ses épures sur le sol. D'ailleurs, ces aires de tracé existent encore dans certaines cathédrales*. Ainsi, à York existe la tracing house (chambre du trait), de même que sur les terrasses de la cathédrale de Clermont-Ferrand, on peut encore distinguer des traces grandeur nature faits au compas*. Il s'agit là d'une autre interprétation opérative de la chambre du milieu, où les compagnons francs-maçons accèdent à la connaissance de la science de la géométrie, le cinquième des sept arts libéraux, dont tous les autres découlent, comme il est rappelle dans les plus anciens des Old Charges* (manuscrit Cooke 1410). Cette géométrie est bien sûr la Géométrie du Grand Architecte de l'Univers*, dont la géométrie humaine n'est qu'un reflet.
J.-Fr. B.
CHANSONNIERS
La présence importante de chansonniers du XIXe siècle dans les loges* est un phénomène peu connu, en marge de l'histoire de la musique maçonnique Jusqu'à présent, elle a surtout été mise en valeur par les historiens de la sociabilité, comme Marie-Veronique Gauthier ou Maurice Agulhon, dans la perspective des influences survenues entre pratiques chantantes bourgeoises et populaires. Selon ce dernier, les sociétés chantantes, comme Le Caveau qui compta un grand nombre d'initiés, auraient eu une influence sur l'apparition des "goguettes" alors qu'un chansonnier populaire comme Béranger (17801857) auraient entretenu l'intérêt grandissant de la franc-maçonnerie* pour le peuple et sa condition. Les chansons de Béranger ont fait partie du répertoire d'un bon nombre de loges, notamment de celles qui s'impliquaient dans des actions sociales bien que lui-même n'ait jamais été initié, même si le poète écrit à un de ses correspondants :"Quoique je sois complètement étranger à la maçonnerie, je n'en applaudis pas moins, Monsieur, à l'union pacifique que vous prêchez très bien: faire une propagande de fraternité*, c'est servir à la fois la patrie et l'humanité. »»
La distance que Béranger entend maintenir avec l'institution chagrine d'ailleurs plus d'un frère. En 1838, dans son recueil Chansons Maçonniques, Bazot écrit: " Béranger n'est pas maçon, c'est (aussi) un tort Déplorons le pour lui, et plus encore pour nous. " Dans une de ses chansons le même Bazot insiste sur la communauté de pensée qui unit le chansonnier à la franc-maçonnerie à propos du combat contre le fanatisme et la superstition contre la vanité et l'hypocrisie, pour la défense de la Raison, de l'Egalité et du Progrès.
Dans ces conditions, il est peu étonnant que les chansons de Béranger fussent longtemps intégrées aux programmes maçonniques.
Le 15 septembre 1930, le Grand Orient, fêtant la commémoration des Trois Glorieuses, met au programme du concert La Pansienne (Casimir Delavigne), Ceux qui pieusement sont morts (hymne de Victor Hugo, mis en musique par le frère Hérold, pour le premier anniversaire en 1831)... et deux chants de Béranger (Prédiction pour 1830 et Le Ventru). Au cours de la même fête, une pièce en un acte écrite par le frère Gsell, La Barricade, met en scène Béranger aux cotés d'Alexandre Dumas. C'est une allégorie de la Liberté de Delacroix et de Gavroche.
Si Béranger est associe au combat républicain, tous les chansonniers francs-maçons issus du Caveau ne furent pas toujours porteurs d'une sensibilité comparable. Désaugiers, Du Paty ou Piis se distinguent par leur conformisme ou leur capacité à s'accoutumer de l'air du temps. Le répertoire* d'un frère comme Louis Emmanuel Charles Du Paty (1775 1831) entre d'ailleurs en contradiction avec celle du (chansonnier militant ). Ecrivain, membre de l'Académie française, chancelier de la Société académique des enfants d'Apollon (société musicale para-maçonnique), collaborateur des Annales Maçonniques et membre d'Anacréon sous le Premier Empire, Du Paty fut fort apprécie dans les ateliers rallies au régime de la Restauration.
Antoine Madeleine Désaugiers (1772-1827), qui présida la Société du Caveau, appartint à la même loge que Du Paty et ses orientations politiques furent les mêmes.
Pourtant, le temps passant, la nouvelle génération de chansonniers francs-maçons montre une sensibilité plus progressiste.
Marius Boisson, en 1925, cite ainsi Charles Gille, un chansonnier « quarante-huitard » par excellence. Hyppolite Demanet, le jour de sa réception, fustige les préjugés tout en affirmant sa foi chrétienne.
Théodore Lebreton, poète ouvrier devenu homme politique, fondateur de la revue La Fraternité eut aussi une influence déterminante dans l'évolution des loges rouennaises vers l'engagement social et républicain.
Deux noms célèbres méritent également une mention: Eugène Pottier (1816-1887) et Aristide Bruant (1851-1925). Le premier demanda et obtint l'initiation * au sein de la loge Les Egalitaires, fondée à New York par Elie May, et aurait dû être initié dans l'atelier Le Libre Examen (Suprême Conseil des rites, puis Grande Loge de France) dont Thirifocq* fut le vénérable*si la mort ne l'en avait pas empêché En revanche, l'appartenance à la maçonnerie d'Aristide Bruant le célèbre chansonnier montmartrois, n'est pas avérée
Ch. N.
CHAPEAU
Les premiers documents iconographiques maçonniques montrent qu'une partie de l'assistance, en tenue, a la tête couverte. Plus tard, la symbolique du couvre-chef est l'objet de nombreuses controverses. Wirth* le perçoit comme un emblème de la souveraineté donnant à celui qui porte le chapeau non pas un pouvoir de commandement arbitraire, à la différence de la couronne, mais un devoir de régner. Selon Jules Boucher, le chapeau à pour fonction de montrer que celui qui en est coiffé n'a plus rien à recevoir et est parvenu au terme final de l'initiation*. Plus prosaïquement, chacun s'accorde à reconnaître le chapeau comme l'un des éléments vestimentaires des « gens de qualité » qui fréquentent les loges* au XVIIIe siècle et un signe de leur appartenance sociale.
Néanmoins, le fait que l'usage du chapeau se soit proprement ritualisé en loge a une signification et s'insère dans un ensemble symbolique global, sujet aux diverses interprétations.
Aujourd'hui, dans la maçonnerie française, l'usage du chapeau varie selon obédiences* et rites*.
Au Rite Français* "Groussier", système majoritaire au Grand Orient de France*, le port du chapeau est tombé en désuétude. En revanche, il fait partie des us dans le Régulateur de 1801 et dans les autres formes du Rite Français "moderne": le vénérable* est couvert en loge et tous les maîtres le sont quand la loge est ouverte au grade de maître.
Il en est de même au Rite Ecossais Ancien et Accepte*, même si, au ler degré de l'écossisme, le président est couvert uniquement à l'ouverture et à la fermeture des travaux. Au Rite Ecossais Rectifie*, les maîtres sont couverts en loge. Lorsqu'ils parlent, les frères-sauf le vénérable et les surveillants-se découvrent et si le vénérable enlève son chapeau pour recevoir un frère, tous les assistants doivent faire de même. On se découvre également pour la prière et la chaîne d'union*.
Au Rite Emulation* le port du chapeau est proscrit bien que certains anciens documents anglais indiquent que le maître de la loge devait être couvert.
Les loges de la franc-maçonnerie féminine et, dans une certaine mesure, celles de la franc-maçonnerie mixte, ont adopte pour les sœurs la mantille ou le calot. avec le même usage et la même symbolique que le chapeau des frères.
Y. H.M.
CHAPITRE
Le mot d'origine ecclésiastique, désigne d'abord la réunion des chanoines (chapitre de la cathédrale*) dont l'assemblée constitue le conseil de l'évêque. En maçonnerie, les chapitres sont les ateliers supérieurs à la maîtrise regroupés sous le terme de degrés capitulaires: ils concernent les grades* allant du 15° au 18° au Rite Ecossais Ancien et Accepte*; l'Ordre Intérieur du Rite Ecossais Rectifie*; les side degrees de la maçonnerie anglaise (chapitre du Royal Arch*). Ces chapitres maçonniques font figure d'assemblées de sages... et toute une terminologie précise se rattache à eux. Les chapitres du 18° ou chapitres de Rose-croix, portent ainsi le qualificatif de «souverain ». Les frères, appelés chevaliers, se réunissent dans un temple* dont le siège est une "vallée".Les travaux d'un chapitre ne sont pas "ouverts " ou "fermés" comme cela peut être dit pour un atelier bleu*, mais "repris" ou "suspendus". Cela montre que les travaux des chevaliers ne s'arrêtent jamais . Les symboles fondamentaux sont la rose sur la croix*, le phénix et le pélican*. On les retrouve dans l'art sacré et ils témoignent d'une influence religieuse dans tous les thèmes abordés. Les chapitres du Royal Arch sont ainsi dirigés par trois "principaux » dont le premier représente Zorobabel, le deuxième Aggée, le prophète, et le troisième Josué, le Grand Prêtre. Le thème est la reconstruction du temple après la déportation des Hébreux à Babylone.
J.-Fr. B.
CHARBONNERIE
1. Italie
11. France
1. Italie
Après le Congrès de Vienne en 1815, l'Italie se retrouve, à peu de choses près, dans la situation antérieure aux guerres napoléoniennes. Les diplomates réunis à Vienne voulaient effacer les conséquences des évènements révolutionnaires et empêcher qu'ils puissent se reproduire dans l'avenir. Le nouvel équilibre est donc réalisé en ignorant la volonté des populations et les principes de nationaliste qui étaient apparus en Europe durant l'époque napoléonienne. L'Empire autrichien, qui possède le Trentin et l'lstrie, occupe également la Lombardie et la Vénétie et toute l'ltalie est sous une lourde hégémonie autrichienne à cause d'un ensemble de liens militaires et dynastiques. Le duché de Parme et Plaisance est donné à Marie Louise, fille de François ler d'Autriche et épouse de Napoléon, le duché de Modène et Reggio va à François IV de Habsbourg-Este; le Grand Duché de Toscane est aux mains du frère de l'empereur d'Autriche. Le Royaume de Naples sous la dynastie des Bourbons et l'Etat pontifical ont conclu des traités d'alliance militaire avec Vienne. La Restauration provoque l'arrêt du processus de développement civil et d'unification territoriale qui a débuté pendant l'époque napoléonienne, et on assiste à une tentative de retour au passé bien qu'avec des modalités différentes d'Etat à Etat. Au cours de l'époque napoléonienne, il s'est forme en Italie une génération de militaires, d'administrateurs du bien public et une nouvelle classe dirigeante discréditée par le retour des anciens souverains. L'interdiction de pouvoir manifester son opposition politique amène naturellement à la création de sectes et de sociétés secrètes qui se proposent de diffuser les idéaux libéraux. Nées au cours de la période napoléonienne, elles se sont inspirées de la maçonnerie pour les méthodes d'organisation, la pratique du secret, le rituel et le répertoire symbolique, mais elles s'en différencient par la pratique de la conspiration. La Carboneria est la plus importante de ces sociétés secrètes.
La Charbonnerie politique en Italie a ses origines vers 1806. Elle à un rituel similaire à celui de la maçonnerie, mais elle en diffère, même si les historiens maçons ont soutenu qu'elle en était directement issue, de même que ses opposants. La culture catholique ne faisait pas de distinction entre libéral, Carbonaro et maçon. Il est vrai que de nombreux maçons, une fois leurs loges fermées, se font initier à la Carboneria, et que de nombreux membres de sociétés secrètes font leur initiation maçonnique à l'étranger, au cours du Risorgimento
Mais l'histoire des corbonari est autonome. En Italie la Carboneria se développe surtout dans le Mezzogiorno, où elle représente une première forme d'organisation politique rassemblant des intellectuels, des étudiants, la bourgeoisie du commerce et des professions libérales, et surtout des militaires. Les corbonari -qui tiraient leurs symboles et leurs rituels du travail des charbonniers-s'inspirent pour leur action des idéaux de la constitution et du libéralisme modéré. La structure de l'organisation est verticale et clandestine et, aux différents degrés d'initiation, correspondent divers projets politiques. Ce sont les militaires-officiers et sous-officiers formes pendant la période napoléonienne - qui fournissent les noyaux les mieux préparés et les plus motives. Ce sont eux qui firent naître la premier vague révolutionnaire qui secoue l'Europe au début des années vingt. Durant l'été 1820, suite à la révolution qui avait éclaté en Espagne les carbonari se soulèvent à Naples également, réclamant la constitution. Le roi Ferdinand Ie est obligé de l'accorder, mais il demande aussitôt après l'intervention des puissances alliées, tandis que la Sicile se rebelle contre le gouvernement napolitain et que les révolutionnaires sont affaiblis par les dissensions entre démocrates et modérés. En Lombardie Vénétie, la découverte en octobre 1820 d'un magasin carbonaro entraîne l'arrestation de Silvio Pellico. La répression est très dure même si aucune insurrection n'a eu lieu. II y eut des procès et des condamnations à mort, soit pour les chefs carbonari, soit pour les Fédérés, menés par le comte Confalonieri, qui projettent l'union de la Lombardie et du Piémont.
Dans le Piémont, la révolte éclate en mars 1821, dans la garnison militaire d'Alessandria. Victor Emmanuel ler abdique pour ne pas accorder la constitution promise par le régent Carlo Alberto, mais refusée par le nouveau roi Carlo Felice qui prend les armes contre les détachements constitutionnels. Toutes les tentatives révolutionnaires sont ainsi tronquées par l'intervention de l'armée autrichienne, à cause de leur faiblesse, du manque de liaison entre les différentes organisations secrètes et de la totale absence de liens avec les masses populaires.
A.-M.
11. France
En France, la célèbre société secrète est active à partir de 1821, et elle à emprunté nombre de ses symboles et de ses formes d'organisation à la maçonnerie du Bois* notamment aux Bons Cousins Charbonniers*, les travailleurs forestiers de Franche-Comté qui s'étaient regroupés dans une association de secours mutuel structurée en plusieurs sections ou ventes. C'est l'expansionnisme militaire de Napoléon Bonaparte* qui est à l'origine de l'introduction de cette société. Elle se fit par l'entremise d'un ancien député aux Cinq cents, Joseph Briot. Ancien Bon Cousin Charbonnier et adepte du Rite Egyptien* de Misraïm. il aurait participe à l'implantation de la Charbonnerie en Italie*. Envoyé en mission dans le royaume de Naples, il était en 1810 intendant de la province de Calabre intérieure et c'est à ce moment la que se sont implantés, à partir des Bons Cousins Charbonniers, les carbonari. De retour en France, sous la Restauration, Briot aurait utilisé le réseau de sa compagnie d'assurances, Le Phenix, pour propager la Charbonnerie en organisant des ventes dans son département.
Durant la monarchie censitaire ou les ateliers maçonniques sont idéologiquement contaminés par le. libéralisme* politique, ceux-ci fournissent les cadres à la Charbonnerie. Parmi les loges les plus impliquées se distinguent notamment Les Amis de l'Armorique et surtout Les Amis de la Vérité*. Cet atelier est l'archétype de l'atelier maçonnique dont la "subversion" opérée par la distance prise avec les contraintes rituelles de l'Ordre* permet un rapprochement avec la Charbonnerie. Il est vrai que deux de ses membres, Dugied et Joubert, se sont rendus à Naples pour échapper à la répression policière après leur implication dans la tentative bien illusoire du coup de force de Vincennes dans la nuit du 19 au 20 août 1820, et ont été initié à la Charbonnerie. En février 1821, lorsqu'ils reviennent en France, ils proposent logiquement d'adapter au contexte national des rituels allégés et laïcisés. C'est donc à partir d'un noyau de quelques francs-maçons qu'est décidée la constitution d'une organisation permanente nouvelle qui doit servir de support à l'action conspiratrice. La Charbonnerie française est une structure cloisonnée capable de s'adapter aisément à une stratégie insurrectionnelle. Son but est de sélectionner des éléments susceptibles d'organiser des conspirations pour renverser un régime honni. L'usage de mots d'ordre qui font office de mots de passe*, de saluts et de signes* de reconnaissance constitue un legs explicite de la maçonnerie traditionnelle. Il en va de même des procédures d'admission dans une "vente": elle est rendue possible par le parrainage d'un certain nombre de ses membres qui doivent se porter garants du patriotisme du récipiendaire. L'observation du secret* est aussi un élément primordial de cette société qui permet de garantir la cohésion du groupe.
Enfin, I'initiation* révèle des liens culturels évidents le postulant est introduit dans une pièce obscure apres avoir eu les yeux préalablement bandés. Il prête solennellement le serment de garder le silence absolu sur la Charbonnerie après avoir accompli des épreuves de type initiatique.
La structure hiérarchisée de cette organisation en trois niveaux superposés n'est pas non plus sans en rappeler d'autres, maçonniques ou proches de la maçonnerie comme les Illuminaten*. à la base se trouve un groupe d'au maximum 20 affiliés (il s'agit d'échapper aux contraintes de l'article 294 du Code pénal 1810), appelé "vente particulière". Au deuxième niveau se situe une "vente centrale" avec un député qui communique directement avec un comité directeur. Celui-ci constitue la haute vente de la Charbonnerie. Elle comprend à sa naissance, en mai 1821, une majorité de francs-maçons des Amis de la liberté. Les dirigeants de l'atelier se rapprochent à cette époque des députés et des notables libéraux familiers de La Fayette.
Sociologiquement, d'apres les sources répressives, l'univers de la vente semble disparate. Le milieu de l'armée* tient le haut du pavé (40 % des effectifs), ce qui explique la nature des initiatives de la Charbonnerie constituées par une série de complots militaires. Nostalgiques de la Grande Armée, malgré la présence des généraux Berton et Dermoncourt, ce sont majoritairement des sous-officiers bonapartistes dont l'avenir est obstrué par l'absence d'opérations militaires. Homme des villes, l'affilié à la Charbonnerie provient, dans les ventes civiles provinciales, de la classe moyenne et parfois du monde des travailleurs manuels volontiers républicains. C'est le cas notamment dans l'Ouest à Paris, ce monde est plus élitaire et les représentants de la bourgeoisie intellectuelle prédominent. Au sommet, on retrouve les leaders de l'opposition libérale qui rêvent d'instaurer un pouvoir législatif collégial s'inspirant de la Constitution de l'an III. Un programme politique flou permet de rallier tous ceux qui veulent renverser les Bourbons.
Les complots organisés entre décembre 1821 et juillet 1822 constituent une série d'échecs. à la fin de 1821, l'échec du soulèvement militaire prévu à Belfort mais ajourné entraîne l'arrestation de nombre de conspirateurs également maçons. Parmi huit des accuses, on retrouve deux frères des Amis de la Verité Buchez et Brunel. A Saumur, où se déroule parallèlement une tentative, elle aussi avortée, le lieutenant Delon, instigateur de celle-ci, est le vénérable* de l'Union Fraternelle un atelier composé d'une cinquantaine de militaires qui sert de base de recrutement de la Charbonnerie. Le complot prématuré prévu à la fin de l'année 1821 est aussi ajourné. Le deuxième essai, dirige par le général Berton, échoue, et ce dernier, impliqué dans la prise de Thouars le 24 février 1822, est arrêté puis exécuté en octobre 1822. Dans l'entrefait, en février 1822, s'est déroulé le complot le plus retentissant à La Rochelle. Prévoyant le soulèvement du 45e régiment de ligne transféré de Paris à La Rochelle, des soldats ont dénoncé leurs camarades qui sont jugés devant la cour d'assises de Paris. Quatre sergents choisissent de se sacrifier lors du procès en refusant de révéler à la justice bourbonienne les secrets de la conspiration carbonariste. Exécutés le 20 septembre 1822, "les quatre martyrs de la Liberté" comptaient trois membres des Amis de la Vérité En Provence, la Charbonnerie a échoué dans sa tentative de soulever la républicaine Toulon: l'ancien capitaine Armand Vallé est dénoncé, arrêté et exécuté le 10 juin 1822.
Les ultimes tentatives de ces complots manqués ont lieu dans l'Est, à Strasbourg (avril 1822} et à Colmar (juillet 1822). Ces échecs entraînent une crise de conscience parmi les animateurs de la Charbonnerie, convaincus qu'il faut préparer l'avenir d'une autre manière et apporter une solution acceptable aux problèmes posés par les bouleversements sociaux. A partir de 1823, les divergences politiques éclatent et, après le raz de marée électoral des ultras en février mars 1824, le mouvement voit ses membres s'éparpiller, un nombre non négligeable ralliant les saint-simoniens*. Apres 1830, d'anciens charbonniers se retrouvent dans les orientations libérales de la monarchie de Juillet et un des derniers avatars est la création en 1833, sous l'impulsion de Buonarroti* et du libraire Charles Teste*, de la Charbonnerie Démocratique Universelle qui n'a plus qu'un rapport lointain avec les conspirations militaires de la Restauration. On voit donc bien que , quoique différente, la Charbonnerie, pôle de résistance de premier plan à la tentative de Restauration et qui constitue une « grande conjuration du Libéralisme adolescent » (Pierre Leroux), s'inscrit humainement et structurellement dans une nébuleuse culturelle et politique dans laquelle s'insère également une maçonnerie en cours de transformation.
M. 1.
CHARLESTON
Charleston occupe une position stratégique dans l'émergence et le développement du Rite Ecossais Ancien et Accepte*.
John Hammerton, nommé en 1736 par la Grande Loge d'Angleterre Grand Maître Provincial pour la Caroline du Sud, est le
vénérable* de la plus ancienne loge de Charleston, Salomon' s Lodge qui se réunit pour la première fois le 27 octobre 1736. Isaac Da Costa, membre fortuné de la communauté israélite de Londres, arrivé à Charleston en 1751, appartient en 1753 à cette loge dont il est trésorier en 1759. Il est également hazan (lecteur) de la synagogue de Charleston.
La Grande Loge des Anciens*, après avoir fondé à Charleston le 10 octobre 1761 la loge no 92, éteinte vers 1765, y établit le 30 septembre 1774 la loge n° 190 dont l'un des fondateurs est Isaac Da Costa. Un an après la déclaration d'Indépendance (4 juillet 1776), la Grande Loge Provinciale se transforme en Grande Loge Autonome, la "Grand Lodge of Free and Accepted Masons of South Carolina". mais se reconstitue pendant l'occupation de Charleston par les troupes anglaises, du 12 mai 1780 au 14 décembre 1782.
Isaac Da Costa, dont les biens sont confisqués et qui est banni en mars 1781 pour avoir refusé de prêter le serment d'allégeance aux Anglais, se réfugie en juin à Philadelphie ou Moses Michael Hays (Francken*) le nomme Inspecteur Général pour les Indes Occidentales et l'Amérique du Nord. De retour à Charleston, Da Costa établit une Sublime Grande Loge de Perfection en février 1783 et meurt le 23 novembre suivant.
Dès le départ des troupes anglaises neuf frères de la Marine Lodge n°8 de la Grande Loge Provinciale de Charleston demandent à la Grande Loge de Pennsylvanie, qui travaille au même rite* que la Grande Loge des Anciens, de les constituer sous un titre distinctif identique, ce qui leur est accordé le 23 décembre 1782 avec le n° 38. Edward Weyman son vénérable*, était aussi celui de Marine n° 8 en 1770. Plusieurs membres de la loge St. Andrew's, fondée à St. Augustine le 3 mai 1771 par la « Grand Lodge for the Southern District of North America » relevant de la Grande Loge d'Ecosse*, s'étaient refugiés à Charleston après que Don Bernardo de Galvez (1756-1794), gouverneur espagnol de Louisiane*, eut conquis la Floride. Le 12 juillet 1783, la Grande Loge de Pennsylvanie leur accorde une patente avec le n° 40. Cette loge propagera le grade* de Knighti Templar introduit par la loge n° 190 à Charleston. En
1786 la Grande Loge des Anciens y établit le 26 mai la loge n° 236 dont la brève histoire est inconnue, et la Grande Loge de Pennsylvanie y reconstitue sa loge militaire n° 27 le 28 septembre avec le n° 47. Le 5 février 1787, ces 5 loges (n° 38, 40, 47, 190, 236) fondent la "Grand Lodge of South Carolina Ancient York Masons », (AYM). Un an plus tard, le 20 février 1788, trois Députés Inspecteurs Généraux ouvrent à Charleston un Grand Conseil de Princes de Jérusalem. Les principaux officiers de la Grande Loge AYM appartiennent aux organismes de hauts grades*. Edwards Weyman, premier Grand Surveillant de la Grande Loge est Grand Maître de la loge de Perfection; le général Mordecai Gist occupe les fonctions de Député Grand Maître dans les deux organismes; le colonel John Mitchell, Premier Grand Surveillant de la loge de Perfection, est le second Grand Surveillant de la Grande Loge en 1789 et en 1790
La Grande Loge Provinciale se maintient après le départ des troupes anglaises comme l'indique la lettre accompagnée d'un tableau* (11 loges, dont 5 à Charleston) qu'elle adresse à la Grande Loge des Modernes* le 4 janvier 1788. Elle redevient indépendente sous le titre «The Grand Lodge of the Society of Free and Accepted Masons »» (F&AM). Le 20 décembre 1791 les deux Grandes Loges de la Caroline du Sud sont incorporated, c'est à dire admises au bénéfice du droit public. Une vive animosité règne entre elles, fondée sur des différences rituelles, et sur des raisons politiques: l'une demeure attachée à l'ancienne puissance coloniale, alors que les membres de la Grande Loge AYM ont en majorité combattu pour l'indépendance.
Réfugié de Saint-Domingue le comte Alexandre de Grasse-Tilly* arrive le 14 août 1793 à Charleston. Avec son beau-père, Jean Baptiste Marie Delahogue, il y fonde une loge sauvage, La Candeur, le 24 juillet 1796. Quatre mois plus tard, ces deux frères et cinq autres membres de la loge reçoivent des patentes de Député Inspecteur Général ainsi que les rituels de l'Ordre du Royal Secret, crée par Estienne Morin* d'un médecin de la Jamaïque, Hyman Isaac Long, arrivé à Charleston quelques semaines plus tôt, ruiné et mourant. Ils établissent le 13 janvier 1797 un Conseil de Kadosh* (24°) puis un Sublime Grand Conseil des Princes du Royal Secret (25°}. Le 2 janvier 1798, La Candeur demande son affiliation à la Grande Loge F&AM et y reçoit le n° 12. DeLahogue, qui venait d'être réélu vénérable en décembre, démissionne. Grasse-Tilly lui succède, puis quitte La Candeur le 4 août 1799, change d'obédience*, et fonde La Réunion Française, laquelle est installée six jours plus tard par la grande loge AYM avec le n° 45.
Le Suprême Conseil des Etats Unis est ouvert à Charleston le 31 mai 1801 par le Grand Commandeur John Mitchell et son lieutenant, Frédérick Dalcho*. L'un et l'autre sont membres de l'Union lodge n° 8 de la Grande Loge AYM dont Mitchell était Député Grand Maître en 1799 et en 1800. Tous les membres cooptés au Suprême Conseil en 1801 et en 1802 appartiennent à cette Grande Loge, quatre font partie de la congrégation Beth Elohim.
En 1808, après des manœuvres auxquelles Mitchell et Dalcho prennent une part active, l'union des deux Grandes Loges est réalisée le 17 décembre et donne naissance à la « Grand Lodge of South Carolina » où Dalcho, qui était le Grand Secrétaire de la Grande Loge AYM, conserve le même poste. A peine achevée, cette union est refusée par la majorité des loges rurales qui reconstituent l'ancienne Grande Loge AYM le 15 mai 1809 et parviennent, au moyen de circulaires adressées aux Grandes Loges américaines, à ce que celles-ci condamnent comme irrégulière la création de la Grand Lodge of South Carolina. En juin 1810, cette dernière intente à la Grande Loge AYM un procès civil et le perd en novembre 1813
Les dépositions faites au cours du procès semblent à l'origine du changement de profession de Dalcho et du séjour effectué par La Motta à New York et à Philadelphie d'avril 1813 à
avril 1815. La Motta fonde un Suprême Conseil dès son arrivée à New York et s'y livre à une polémique publique avec Joseph Cerneau *, Grand Commandeur du Suprême Conseil qu'il à fonde en mai 1812. Par mesure de rétorsion, Cerneau crée des ateliers de hauts grades à Charleston ou Dalcho succède au Grand Commandeur John Mitchell, décédé au debout de 1816.
Apres de nouveaux pourparlers, l'union des Grandes Loges de Caroline du Sud, réalisée le 27 décembre 1817, donne naissance à l'actuelle « Grand Lodge of Ancient Free-Masons of South Carolina » dont le Grand Commandeur Dalcho devient Chaplain . Sa situation demeure délicate: de 1808 à 1817, tous les membres du Suprême Conseil appartenaient à une grande loge irrégulière. Or ils sont maintenant membres d'une Grande Loge dont le Grand Maître et le Premier Grand Surveillant, Thomas Wright Bacot et John Cogdell, sont l'ancien et l'actuel président du Grand Conseil des Princes du Royal Secret (32°) fondé à Charleston par Joseph Cerneau. Cette situation amène la démission de Dalcho de ses fonctions au sein du Suprême Conseil et de la Grande Loge le 7 novembre 1823. Le même jour, le South Carolina Encampment n°1 (Knight Templar) dont le Dr Moses Holbrook est Grand Commandeur, reçoit une patente du "General Grand Encampment " des Etats Unis. Holbrook devient Grand Commandeur du Suprême Conseil le 27 octobre 1826 peu avant qu'éclate l'affaire Morgan. Jusqu'en 1832, la majeure partie de son activité se bornera à échanger une centaine de lettres avec Joseph Gourgas, Grand Secrétaire puis Grand Commandeur du Suprême Conseil fondé par La Motta à New York en 1813. Holbrook quitte Charleston en avril 1843 et meurt un an et demi plus tard en Floride Son Suprême Conseil, qui ne semble pas s'être réuni depuis le 14 mars 1830, se réveille en 1844 et reprend une véritable activité lorsque Albert Pike* en est élu Grand Commandeur en janvier 1859;
A.B.