EMPIRE OTTOMAN
EMPIRE (Premier}
EMPIRE (Second)
ÉMULATION
ÉMULATION LODGE OF IMPROVEMENT
ENCAUSSE
ENCYCLOPÉDIQUE (Toulouse)
ENFANT DE LA VEUVE
ENTRESOL
EMPIRE OTTOMAN
On ne sait pas exactement à quelles obédiences* sont liées les premières loges* de francs-maçons qui apparaissent. dès 1738, dans l`Ernpire ottoman, à Smyrne (ou Izmir} et à Alep {aujourd'hui en Syrie}. En 1748, en revanche, on trouve à Alep une loge dépendant de la Grande Luge d`Écosse* qui était dirigée par le consul britannique e n poste. À partir de 1762, des loges liées à la Grande Loge d'Angleterre et à la Mère Loge* Écossaise de Marseille sont établies dans les principales villes de l`Empire (Smyrne, Istambul et Salonique) Le plus ancien tableau* concerne d'ailleurs l'obédience marseillaise et le Grand Orient de France*. On y trouve négociants et diplomates appartenant à neuf pays mais pas un seul Turc musulman. Cette franc-maçonnerie* recrute, en majorité, chez les chrétiens d'Orient (Grecs, Arméniens) et les Juifs*, mais peu chez les musulmans qui ne sont pas reçus dans les loges avant 1860. En Égypte*, la franc-maçonnerie accompagne, en 1798, les armées napoléoniennes; mais l'essor est notable à partir de 1838 avec l'arrivée des révolutionnaires italiens. La franc-maçonnerie italienne, bien représentée dans l'ensemble de l'Empire, a constitué, avec la franc-maçonnerie française, un pôle de transmission des idées libérales, plus efficace que les obédiences britannique, allemande et suisse également présentes dans le pays.
Quelques événements permettent de suivre le développement et les démêlés de cette première franc-maçonnerie dans l'Empire ottoman. En 1745, la bulle En Eminenti* est appliquée d'une manière brutale à Smyrne et à Istambul* où les prélats exercent des pressions sur leurs ouailles. Les catholiques sont imités par les patriarcats grec et arménien. Les ecclésiastiques vont jusqu'à demander au sultan Mahmoud 1er (1730-1754) d`agir contre cette «société séditieuse ». C'est ce qui se produit en 1748 avec une descente de police dans une loge d'istanbul, déjà désertée par des frères bien informés. Cet événement dont le pape Benoît XIV (pontife de 1740 à 1758) s'est félicité et auquel il se référera en l'appelant un esempio di Constantinopoli met un coup d`arrêt au déveLoppement de la franc-maçonnerie; celle-ci est proscrite et disparaît de l'Empire pendant une dizaine d'années. Le retour de la maçonnerie ne signifie pas qu'elle est tolérée puis qu'un musulman traducteur au patriarcat grec et membre de l Ordre est exécuté en 1785 pour hérésie.
Il est certain que les musulmans ne sont pas bien disposés à l'égard de cette organisation que beaucoup considèrent comme une « confrérie* chrétienne » aux objectifs missionnaires. II faut attendre le milieu du XIXe siècle pour découvrir comment se manifeste cette idéologie chez les chrétiens et les Juifs de l'Empire. mais surtout chez les élites musulmanes qui, pressées de faire adopter des réformes d'ordre libéral dans l'Empire, n'ignoraient pas l'histoire de l'Occident et le rôle que la franc-maçonnerie avait joué dans l'Europe des Lumières*.
La franc-maçonnerie accuse un développement nouveau à Istambul, au milieu du XIXe siècle, au moment où sont signées des réformes révolutionnaires (Hatt-i Hümayun, 1856) qui limitent le pouvoir de la loi islamique, la charia, dans l'Empire. La première loge fondée, Oriental, est liée à la Grande Loge Unie d'Angleterre* et ne disparaîtra qu'en 1949. Elle est suivie par de nombreuses autres loges allemandes, françaises, italiennes, représentant les intérêts des différentes communautés étrangères établies à Istambul. Aucune ne recrute encore des musulmans, sinon en nombre minime. Les loges les plus actives sont celles du Grand Orient de France et du Grand Orient d'ltalie. Les loges françaises provoquent une révolution dans le monde maçonnique ottoman en amorçant le passage d'une franc-maçonnerie d'Européens et de minoritaires à une franc-maçonnerie de musulmans. La loge française L'Union d'Orient, dont la période d'activité correspond à la période la plus libérale de l'histoire politique et sociale de l'Empire (1863-1874}, est. avec la loge Proodos, à la tête de ce mouvement, en particulier après l'arrivée à la tête de L'Union d'Orient en 1865, de Louis Amiable. Ce dernier, en résidence pour quelques années en Turquie*, décide de recevoir des musulmans en francmaçonnerie et de faire traduire, pour la première fois, les rituels et la constitution de l'Ordre en langue turque. Les musulmans se présentent aussitôt en grand nombre aux portes des temples maçonniques d'istanbul. Ainsi, alors que l'on comptait, en 1865, seulement 3 maçons musulmans dans la loge L'Union d'Orient on en compte 53 en 1869 (sur 143 membres). Ces maçons musulmans étaient, en grande majorité, des intellectuels, des proches du sultan, des hauts fonctionnaires dont des ministres, et presque tous des hommes impliqués dans l'introduction du libéralisme dans l' Empire La loge Proodos (du grec « Progrès ») recrute dans ces milieux. Elle initie l'un des chefs de file des libéraux, Namik Kemal*, et le sultan Mehmed Mourad V qui ne régnera que quelques mois en 1876. Quant à la franc-maçonnerie italienne, représentée surtout par la loge d'istanbul ltalia risorta, elle a exporté en Turquie les idées de Mazzini* et de Garibaldi*, très populaire chez les maçons italiens de Turquie Nombre de ses membres, dont certains étaient carbonari, avaient fui l'ltalie* après les émeutes des années 1820-1821 et la révolution avortée de 1848. Une loge italienne de Smyrne nommée Orhanie a également accueilli les musulmans et adopté la langue turque dès 1868. Certes, la franc-maçonnerie anglaise proposait aussi son modèle du libéralisme à Istambul, mais elle n'avait pas, semble-t-il, l'enthousiasme des francs-maçons français.
Toutefois le succès de la franc-maçonnerie française fut de courte durée.
La venue au pouvoir, en 1878, du sultan autoritaire Abdoul hamid II (règne: 1876-1909), qui déposa le sultan franc-maçon Mourad V et abolit les lois libérales votées quelques années auparavant, ainsi que la nouvelle Constitution, vieille d'une année seulement, provoqua la fuite des libéraux ottomans ou leur exil. Les loges se vidèrent de leurs musulmans éclairés et devinrent, lorsqu'elle ne fermaient pas, ce qu'elles avaient été auparavant, c'est-à-dire des sociétés de rencontre et de bienfaisance qui ne devaient leur existence qu'à leur totale neutralité.
Il faut attendre le début du XXe siècle pour assister à un retour en force de la francmaçonnerie en même temps qu'à une politisation extrême des loges. La francmaçonnerie française du Grand Orient de France deviendra même le modèle d'organisation du comité Union et Progrès, le mouvement politique des Jeunes Turcs dirigé contre le despotisme du sultan Abdoulhamid II, et dont l'objectif était le rétablissement de la Constitution. Toutefois, ce comité prit appui essentiellement sur les loges italiennes de Salonique* (en particulier la loge Macedonia risorta, fondée en 1901), dans une Grèce conquise depuis plusieurs siècles déjà par les Ottomans, mais dont l'éloignement d'istanbul favorisait les complots. À Paris, les Jeunes-Turcs bénéficiaient aussi du soutien du Grand Orient de France. Si les premiers francs-maçons musulmans de la loge française L 'Union d 'Orient, pour la plupart des Jeunes-Ottomans, étaient très attachés aux valeurs religieuses, au Coran, et essayaient de composer avec le libéralisme*, les Jeunes-Turcs du comité Union et Progrès étaient plus enclins au positivisme et parfois même à I'athéisme. Les loges italiennes de Salonique abritaient les principaux acteurs du complot jeune-turc. Ce sont eux que l'on retrouve de 1908 à 1918 à la tête du nouveau pouvoir ottoman—« deuxième régime constitutionnel ottoman » (Ikindji Mechrorltiyet) —, et qui réhabilitent la Constitution abolie par le sultan vingt ans auparavant. Un an plus tard, en 1909, sous l'impulsion des Jeunes-Turcs au pouvoir l'Empire se dote de sa première obédience maçonnique nationale, le Grand Orient Ottoman. À Istambul et dans le reste de l'Empire, toutes les obédiences européennes rouvrirent leurs temples*.
De 1908 à 1918, le pouvoir est occupé par certains membres du Grand Orient Ottoman et il s'appuie sur la franc-maçonnerie. La situation est semblable à celle de la Troisième République en France. En Turquie, à cette époque, il était de bon ton d'être franc-maçon, et les trois hommes forts du pays l'étaient. La conséquence fut une multiplication des loges du Grand Orient Ottoman, de la Grèce aux provinces arabes: leur mission était politique. Cependant, sans nier que la franc-maçonnerie a rempli un rôle essentiel et positif entre 1878 et 1908, au temps de l'opposition au régime autoritaire du sultan, il n'en a pas été de même de 1908 à 1918. Au moment où les Jeunes-Turcs du comité Union et Progrès alors au pouvoir, se divisent entre une aile droite religieuse et une aile gauche démocrate, où le nationalisme gagne du terrain l'antimaçonnisme* se développe en Turquie. L'état jeune-turc se transforme en un nouveau despotisme et recourt aux manipulations électorales, à l'intimidation, à l'assassinat politique. Le libéralisme des premières années de la révolution de 1908-1909 est loin et cela explique la virulence des critiques qui ont pris pour cible la franc-maçonnerie accusée de gouverner de manière occulte derrière le comité Union et Progrès. Les obédiences européennes avaient d'ailleurs depuis longtemps déjà condamné le gouvernement jeune-turc. Cet « état maçonnique » disparaît avec la défaite de la Turquie à l'issue de la Première Guerre mondiale et avec la fuite de ses dirigeants à l'étranger. La venue au pouvoir d'une nouvelle équipe de Jeunes-Turcs modérés dans un Empire ottoman occupé par les armées européennes donne à la franc-maçonne rie ottomane un nouveau visage, mais celle-ci ne réapparaît plus sur la scène politique avant la guerre d'indépendance, en 1923. Elle apporte son soutien à Mustafa Kemal, désireux de libérer son pays de l'occupation étrangère et qui pose les fondements de la Turquie actuelle.
En rapport avec l'interprétation et l'adaptation que La franc-maçonnerie a connues au Levant, il importe de s'intéresser
à la question de la traduction des rituels français, anglais ou italiens en langue turque.
Les traducteurs ottomans, pour rendre avec précision certains termes maçonniques, ont puisé dans la langue de la mystique islamique (soufisme), des ordres mystiques et du corporatisme musulman, assurés de se trouver en face du modèle occidental de leur forme de sociabilité confrérique. Une autre innovation ottomane est la présence sur l'autel des serments* de certaines loges étrangères ou ottomanes du Coran à côté des autres livres saints. Le débat autour du Grand Architecte de l'Univers* a fortement agité les maçonneries latines d'istanbul dès 1866 à l'image de ce qui se passait en Europe. Les loges se sont vidées de leurs membres à la suite du recrutement de candidats athées mais les départs des frères de plusieurs loges d'istanbul dès cette époque, et surtout après la suppression de l'invocation au Grand Architecte de l'Univers, ne concernaient que des frères chrétiens, arméniens et grecs. Les élites musulmanes stambouliotes ne semblent guère avoir été touchées par ce phénomène; ce qui ne fut pas le cas toutefois dans d'autres régions de l'Empire. On notera aussi qu'au début du XXe siècle, alors que le Grand Orient de France, avec lequel le Grand Orient Ottoman entretenait de bonnes relations était devenu une association nettement laque, anticléricale et souvent antireligieuse, que ce Grand Orient Ottoman reconnaissait toujours que la croyance en Dieu était un principe essentiel de l'obédience et qu'il se réunissait à la gloire du Grand Architecte de l'Univers. L'écrivain et penseur ottoman Riza Tevfnlk, qui fut l'un des Grands Maîtres de cette obédience, affirmait, après 1918, que « celui qui ne croit pas en une puissance créatrice [Dieu] ne peut être franc-maçon »
La franc-maçonnerie fut bien sûr l'objet de vives attaques et il faut parler de la première « révélation » concernant l'Ordre dans l'Empire. Elle est le fait d'un homme de lettres, Pertev Pacha, initié franc-maçon dans une loge du Grand Orient de France au milieu du XIXe siècle et qui, sans doute déçu, révéla ce qu'il avait vu et entendu au cours de son initiation*. Le texte publié se présente sous la forme d'un petit opuscule d'une quinzaine de pages censé rapporter un rêve; Le titre du livre est d'ailleurs Khâb-näme (Texte d'un rêve). Pertev Pacha dénonçait la franc-maçonnerie dans laquelle il voyait un cheval de Troie du christianisme et une continuation de l'esprit de croisade pour libérer Jérusalem* des mains des Turcs. Il ne croyait pas, en outre, que des hommes de religions différentes pussent se reconnaître comme frères et ouvrer ensemble dans une association.
Mais l'opposition la plus solide, la plus recevable sur le plan philosophique, que les musulmans ont formulée à l'égard de la franc-maçonnerie apparaît au début du XXe siècle. Elle est relative à l'indifférence en matière de religion dont l'Ordre s'enorgueillissait. Cette indifférence était vue par les musulmans comme un manque de déférence à l'égard de leur religion. Elle résultait pouvant, pour les francs-maçons, de la plus pure tolérance, et c'est ainsi qu'elle avait été interprétée sans doute par les penseurs éclairés, comme les Jeunes-Ottomans. On lit dans la revue religieuse Beyân ül-Haq en 1909, une vive attaque de la franc-maçonnerie qui va dans ce sens. Ce texte tranche avec les pamphlets anti maçonniques et anti sionistes habituels. Il indique nettement que la franc-maçonnerie menace l'islam en lui demandant, au nom de la tolérance, d'être ouvert aux autres confessions religieuses, donc d'être indifférent à la supériorité de la religion du Prophète. Quant aux critiques émanant des milieux nationalistes turcs, qui étaient très influents au début du siècle, elles se ramenaient à un rejet de l'idéal internationaliste de la franc-maçonnerie, jugé dangereux pour l'idée de patrie. L'un des partisans de cette thèse, Ziya Gokalp, devint plus tard le principal idéologue de la Turquie d'Ataturk.
Th. Z.
EMPIRE (Premier}
1804-1812 La maçonnerie a la solide réputation d'avoir été utilisée par le pouvoir napoléonien pour maintenir les cadres d'une société sortie de quinze années de crise révolutionnaire .
Lorsque Bonaparte* s'empare du pouvoir la maçonnerie est en train de renaître de ses cendres. Le Grand Orient* a repris ses travaux pendant le Directoire à l'initiative de quelques macons parisiens, sous l'impulsion de Roëttiers de Montaleau* qui reçoit le titre de Grand Vénérable* au printemps 1796. De son côté, La Grande Loge de Clermont* reprend les siens le 19 juin 1796. Néanmoins, le sort de la maçonnerie reste précaire: les loges* ne sont que tolérées par le pouvoir politique, car la police les tient en étroite surveillance. Le ministre de la Police note: 1(11 convient que les loges déclarent au magistrat de la police le lieu de leur réunion, qu'elles soient constamment sous sa surveillance, qu'il puisse pénétrer dans leur enceinte quand il le juge à propos, et les faire fermer lorsqu'il croira nécessaire sauf à en référer à l'autorité supérieure... » Depuis plusieurs mois, la presse elle-meme commence à parler de cette résurgence: « Les sociétés de francs maçons se reproduisent et se multiplient de manière à inquiéter de bons citoyens qui, lors des révolutions, en redoutent tous les instruments... » Le réveil est donc timide et lent et, en 1798, Paris ne compte que trois loges actives ! Cependant, en 1800, Le. Miroir de la Vérité, journal maçonnique, indique que 74 loges travaillent, dont 23 à Paris. Cinq étaient de création récente. Les dirigeants du Grand Orient s'installent dans la maison des Dames de la Miséricorde, 450, rue du Vieux-Colombier.
Après le coup d'État de Brumaire, la maçonnerie tant française qu'écossaise est assujettie au gouvernement de Bonaparte. Elle s'institutionnalise d'abord séparément, puis d'une façon commune. Le Consulat cherche alors à créer des corps sociaux intermédiaires, qu'il s'attache soit par l'intérêt, soit par les honneurs. À ce titre, la maçonnerie trouve opportunément sa place et participe à cette volonté. Bonaparte comprend alors toute l'importance qu'occupe l'espace maçonnique et l'intérêt qu'il peut retirer de l'ordre pour asseoir son pouvoir. Grâce à Roëttiers ou Cambacérès*, elle devient l'un des piliers du régime et s'intègre dans 1( les masses de granit ". Le Premier Consul puis l'empereur laisse également subsister l'Ordre, car il ne veut pas contrarier une société affermie par les ans et qui comptait tant d'influentes personnalités. En 1804, le ministre des Cultes le frère Portalis, résume bien la situation: « Il a été infiniment sage de diriger les sociétés maçonniques, puisqu'on ne pouvait les prescrire. Le vrai moyen de les empêcher de dégénérer en assemblées illicites et funestes a été de leur accorder une protection tacite, en les laissant présider par les premiers dignitaires de l'état. »
Une ère nouvelle commence. En effet, jusqu'à la Révolution*, on ne vit jamais le gouvernement les associer à sa politique. D'une façon générale, on s'abstenait en loge de parler de politique et de religion. Il en est autrement dès que Napoléon comprend l'importance que peut avoir la maçonnerie et Le parti qu'il peut en tirer en France comme à l'extérieur La francmaçonnerie offre l'exemple, assez rare à l'époque, d'un vaste réseau de groupements répartis dans tous les départements. Placée sous tutelle, à la fois consentante et surveillée, elle va devenir au fil des ans une sorte de parti officiel. Elle peut bien conserver ses rites* multiples et ses organisations souvent rivales, mais composées dans toutes les provinces de notables, de fonctionnaires, de magistrats, elle va permettre de contrôler l'opinion publique et, dans les territoires annexés et les États vassaux, d'obtenir les collaborations utiles.
Néanmoins, pour cela, la franc-maçonnerie se doit de passer sous les fourches caudines de l'unification.
À la fin du Consulat, les loges sont en effet rattachées à deux organisations: le Grand Orient et la Grande Loge Générale Écossaise. Celle-ci a réussi à unifier, depuis peu, un certain nombre d'établissements qui souhaitaient rester indépendants. Les deux organisations se disputent le patronage des plus hautes personnalités du régime. Le Grand Orient avait espéré que le Premier Consul lui-meme accepterait la Grande Maîtrise mais, à défaut, après le sacre, il jette son dévolu sur Joseph. Quant à la Grande Loge Écossaise, elle se flatte d'avoir obtenu la protection du prince Louis*. Qu'importe . Napoléon ne peut supporter deux obédiences*. Les macons furent donc informés qu'il était temps d'en finir avec leurs querelles. Un concordat entre les deux groupes mit fin, au moins temporairement, à deux ans de querelles. Le prince Joseph devenait Grand Maître et son frère, le prince Louis, Grand Maître Adjoint, puis venaient deux Administrateurs Généraux, Cambacérès et Lebrun, et, ensuite, les autres dignitaires et les Grands Officiers. On y trouve onze maréchaux*, cinq ministres, le Président du Sénat, le Premier Président de la Cour de cassation... Dans cette « alliance du Triangle et de l'Abeille », chacun y trouve son compte. Napoléon réduit au silence une potentielle opposition jacobine et se sert de la maçonnerie pour faire l'unité sociale et morale de son Empire. La maçonnerie, quant à elle, comme sous l'Ancien Régime, retrouve un puissant protecteur. Désormais, Grand Orient et Suprême Conseil Écossais se retrouvent pour encenser leur protecteur Ce que La maçonnerie perd en indépendance, elle le gagne en importance numérique. Le Grand Orient compte 300 ateliers en 1804, 664 en 1806, 1161 en 1810 (878 loges auxquelles il faut ajouter 283 chapitres} et 1219 en 1814.
La maçonnerie impériale se caractérise par son aspect mondain. Il est en effet de bon ton pour l'aristocratie militaire et les notables provinciaux de l' Empire d'appartenir à la maçonnerie. Elle se recrute en grande partie dans, les grands corps civils et militaires de l'état et l'ancienne noblesse ralliée à l'Empire retrouve aussi le chemin des loges. La présence de Cambacérès à la tête des deux obédiences maçonniques françaises vaut à l'Ordre une considération qui attire les profanes, voire les dames haut titrées qu'accueillent les loges d'adoption* ressuscitées. Maintes illustrations garnissent les « colonnes* ». Napoléon laisse ses généraux occuper les principaux postes du Grand Orient, alors que l'ancienne noblesse ralliée apparaît dans l'annuaire des dignitaires du Rite Écossais. Les loges deviennent tant à Paris que dans les départements un cercle mondain où l'on pratique la bienfaisance. La maçonnerie impériale est brillante mais creuse et vide de toutes réflexions philosophiques. Les loges apparaissent comme un microcosme de la société en place. Dans les villes chefs-lieux, on retrouve généralement au sein d'un meme atelier le général commandant la division, le général commandant d'armes de la ville, le préfet* et le maire de la ville, le receveur général des Finances. Très souvent, après les fonctionnaires civils et militaires, négociants et propriétaires forment le gros des effectifs des loges. Les ateliers deviennent le symbole vivant de l'honorabilité locale et de la réussite sociale, mais le prestige social et la reconnaissance du pouvoir masquent la superficialité du dynamisme. Dès 1810, le désenchantement se manifeste en effet et la maçonnerie entre dans une période de remise en cause à l'issue de laquelle elle s'insère de plainpied dans des combats en laveur du libéralisme* politique.
EMPIRE {Second}
(1852-1870) Sous l'Empire autoritaire (1852-1860) les loges* de toutes obédiences* sont étroitement surveillées. Le Grand Orient* est sous la coupe du prince Murat*, élu Grand Maître pour sept ans, en 1854. Il se rend insupportable par ses excès d'autoritarisme et les effectifs de l'obédience diminuent. En votant un amendement au Sénat en faveur de la souveraineté temporelle du pape à Rome, Murat provoque de vives réactions de maçons français et italiens et suscite la candidature rivale à la Grande Maîtrise du prince Jérôme. Les sanctions prises contre divers opposants ne font que renforcer ses adversaires.
Le Convent* qui s'ouvre le 20 mai 1861 reprend d'emblée le droit, usurpé par le Grand Maître, de vérifier les pouvoirs des députés. Murat, pour l'intimider, reporte les séances plénières; mais les bureaux peuvent se réunir et ils procèdent, le soir même, à l'élection du prince Jérôme. Bien que confirmée le lendemain, elle n'est cependant pas validée. Murat, dépité, renvoie le convent à une date ultérieure et démissionne au terme de son mandat. Il nomme trois Grands Conservateurs pour assurer l'intérim. Le Conseil du Grand Maître ne reconnaît pas leur autorité et, pour dénouer la crise, L'empereur nomme, le 11 janvier 1862, pour une durée de trois ans, le maréchal Magnan, Grand Maître de l'Ordre maçonnique de France. Ce militaire, un des artisans du coup d'État, est un « profane ». Les Grands Conservateurs se hâtent de lui conférer les 33 degrés du Rite Écossais*. Bien renseigné sur le rapport des forces, il s'entoure d'hommes représentatifs, tels Alfred Blanche, le sénateur de Sauley et Desanlis, qui sont nommés grands dignitaires.
Magnan explique aux loges que l'Empereur, en le nommant, n'a pas voulu diminuer l'indépendance de l'Ordre* mais lui manifester son estime 11 va pourtant subir trois échecs. Le premier est du à sa tentative de regrouper les trois obédiences sous son autorité. L'académicien Guillaume Viennet, Grand Commandeur du Suprême Conseil, obtient de l'Empereur l'assurance qu'aucune mesure autoritaire ne sera prise contre les Écossais. Misraïm résiste également, même si Marconis de Nègre accepte de faire entrer les loges du Rite Égyptien* de Memphis (alors interdit) au sein du Grand Orient. Son deuxième échec est de n'avoir pu empêcher, en 1862, que le Conseil du Grand Maître ne devienne un Conseil de l'Ordre, ce qui lui assure une plus large autonomie. Sa troisième déception est le refus par le Convent, en 1863, de reconnaître le Grand Orient comme établissement d'utilité publique, ce qui lui aurait facilité le règlement de ses dettes mais aurait réduit son indépendance. Magnan pendant le Convent de 1864, fait savoir que I*Empereur a rendu à l'obédience le droit d'élire son Grand Maître. Il est quasi unanimement maintenu dans sa charge jusqu'à l'expiration de son mandat puisque ses pouvoirs prennent fin le 15 janvier 1865.
Le Convent décide de rédiger une nouvelle constitution adaptée à l'ère du libéralisme. Trois courants s'opposent: les conservateurs veulent maintenir les principes religieux, les libéraux envisagent l'introduction de la liberté de conscience tout en maintenant l'obligation de la croyance en Dieu, les libres penseurs veulent bâtir une maçonnerie agnostique autour d'une morale indépendante des religions. Un second débat oppose les partisans et les adversaires des hauts grades*, jugés inutiles et superfétatoires. Magnan meurt avant la réunion du Convent de 1865, qui va donc devoir élire son successeur.
Ce Convent débat d'abord de l'article 1e et finit par décider d'un texte médian. La franc-maçonnerie redevient « essentiellement philanthropique, philosophique et progressive », comme en 1849, et maintient la croyance en Dieu et à l'immortalité de l'âme. Elle considère la liberté de conscience comme un droit propre à chaque homme et n'exclut personne pour ses croyances. Elle retrouve sa de vise: Liberté, Égalité, Fraternité. Les ateliers supérieurs sont maintenus à une courte majorité. Le nouveau Grand Maître élu est le général Mellinet, initié en 1814, mais qui n'avait jamais pratiqué. Sénateur commandant supérieur des gardes nationales de la Seine, il est susceptible de protéger efficacement la maçonnerie.
L'offensive reprend contre les principes religieux, avec l'appui de deux revues républicaines de qualité, Le Monde maçonnique et La Chaine d'union. Cette dernière est fondée par des anciens proscrits restés à Londres puis reprise à Paris par Esprit-Eugène Hubert*. Les événements d'ltalie conduisent l'Église à relancer une offensive contre la maçonnerie accusée de paganisme et de prêcher une morale naturelle.
Le Grand Orient vit quelques années relativement paisibles. Mellinet ne peut faire aboutir son projet d'oeuvre de enseignement gérée par l'obédience, initiative louable mais susceptible de porter atteinte à son indépendance. En 1869 année électorale, Massol* et*Colfavru* présentent un voeu de Convent extraordinaire qui face au concile du Vatican, poserait les principes du Droit Humain. Mellinet réussit à écarter le danger mais, lassé, il préfère ne pas se représenter en 1870, au terme de son mandat de sept ans. Le Convent élit un nouveau Grand Maître mais pour un an seulement, dans l'attente d'une révision de la constitution qui décidera si ce titre « monarchique » doit être maintenu. Un ancien représentant du peuple, le Charentais , Babaud - Laribière, l'emporte aisément face a Hippolyte Carnot, partisan du maintien de la Grande Maîtrise.
Le Suprême Conseil de France. va également vivre des heures agitées. Après une phase languissante sous l'Empire autoritaire, il retrouve toute sa vigueur, pour résister à Magnan autour du successeur de Decazes, l'académicien Viennet. Puis, à partir de 1865, l'obédience traverse la même passe difficile que le Grand Orient. Les maçons républicains ne supportent plus d'etre sous la dépendance des gérontes du Suprême Conseil qui se refusent à toute réforme pour ne pas se couper des autres Suprêmes Conseils. La crise éclate en 1868 quand i s apprennent que l'obédience risque d'être mise à la rue, si le bail de son local n'est pas renouvelé. Six loges, autour du Dr Goupil ,font sécession et fondent un comité central du Rite Écossais Réformé, pour préparer la formation d'une nouvelle obédience sur les bases du suffrage universel, de rituels et de règlements nouveaux.
C'est dans cette atmosphère survoltée que se réunit, le 27 juin 1868, la Grande Loge Centrale. A l'encontre des usages, ]a séance est réservée aux députes des ateliers sans présence de visiteurs. Le banquier Allegri, Lieutenant Grand Commandeur, préside et La Jonquière présente le rapport financier. Il annonce que le nouveau bail a été conclu, puis il répond aux critiques le Suprême Conseil ne peut, dit-il, sans se suicider, sans s'isoler, accepter le suffrage universel. Pendant ce temps, les visiteurs, auxquels l'entrée a été refusée, frappent violemment à la porte qu'ils finissent par « arracher " et font irruption. La séance es levée.
La situation évolue avec la mort de Viennet le 10 juillet 1968. Bénédict Allegri, par circulaire du 16 juillet, fait savoir qu'il est son successeur légitimer et il nomme Adolphe Crémeux Lieutenant Grand Commandeur. Ce brillant avocat est le seuil républicain membre de l'exécutif. Il appelle à une réconciliation . Goupil, qu n'a pu obtenir l'autorisation de créer une nouvelle obédience, répond favorablement. Peu après, Allegri démissionne et Crémieux est élu (et non plis désigné) à la direction de l'écossisme Des commissions des loges. des chapitres* et des hauts grades élaborent des projets de réforme qui n'aboutiront pas du fait de divergences, les loges voulant supprimer la référence au Grand Architecte de l'Univers*, et de la guerre.
C'est sous l'Empire libéral que les loges deviennent d'authentiques sociétés de pensée. Les limites légales du croit de réunion et d'association, tout comme le prestige d'une institution majoritairement républicaine et anticléricale expliquent l'afflux des candidatures. Les loges de viennent des clubs où l'on débat de tout. Les thèmes les plus fréquemment abordés concernent l'éducalion et l'école, la morale (indépendante), la religion, l'émancipation féminine, les questions sociales (notamment le mouvement coopératif et les mutueLles), la paix. Les incursions directes dans le domaine politique sort rares.
Le recrutement est très diversifié. Il est plus populaire à Paris qu'en province avec respectivement 29 % et 21 % d'ouvriers et d'artisans, mais la mendicité maçonnique, un fléau sous la Restauration,a disparu Les commerçants, les négociants, les petits fabricants, les employés forment le gros des effectifs. Les vénérables sont parfois des notables républicains.
Le Grand Orient regroupe 190 loges en 1869 et 314 en 1870. Cela représente de 13 000 à 15 300 membres, avec un constant renouvellement. Le Suprême Conseil comprend environ 83 loges et 4 000 membres. Les deux ateliers les plus remarqués en province sont alors Le Parfait Silence à Lyon, avec ses avocats radicaux (Le Royer, Ducarre, .Andrieux, Dubost), et La Réforme à Marseille qui compte dans ses rangs, en 1869, Rouvier, Gaston Crémieux, Naquet et Gambetta*. À Paris, ce sont La Renaissance par les Émules d'Hiram*, pour le Grand Orient, et L'Écossaise 133*, au Rite Écossais, qui réunissent des radicaux, voire des révolutionnaires.
A. C.
ÉMULATlON
voir Emulation Lodge of improuvement
EMULATION LODGE OF IMPROVEMENT
Cette loge occupe une place particulière dans l'histoire des rituels maçonniques, car elle est à l'origine, dans le contexte de la réunion des pratiques accompagnant l'union des « Anciens » et des « Modernes* », de la diffusion et de la préservation de l'un des rites les plus répandus de la Grande Loge Unie d'Angleterre pour les trais grades* symboliques, le Rite Émulation.
L'Union de 1813 fut accompagnée en premier lieu par la mise en place, en décembre 1813, de la Lodge of Réconciliation chargée d'harmoniser les pratiques en vigueur. Dès que le nouveau rituel, comprenant la description pointilleuse des cérémonies et les conférences explicatives, eut reçu l' approbation de la Gran de Loge Unie d'Angleterre en juin 1816, des Loges d'lnstrucion furent constituées pour diffuser les nouveaux usages parmiles frères.
Ainsi, la Stability Lodge of Instruction, fondée en octobre 1817 par trois membres éminents de la Lodge of Reconciliation (James Mc Cann, Philipp Broadfoot et Thomas Satterly), oeuvra auprès des Anciens. Pour sa part, la Burlington Lodge of Instruction, créée dès 1810 par les Modernes, s'attacha essentiellement sous la houlette de James Mivart, membre par ailleurs de la Lodge of Promulgation, à répandre les enseignements de Preston*.
Toutefois, l'absence de Loge d'lnstrucion spécifiquement réservée aux maîtres* maçons fut résolue avec la fondation, le 22 octobre 1823, de l'Emulation Lodge of Improvement. Celle-ci se réunit d'abord avec l'assentiment d'un petit atelier, la Lodge of Hope n° 7, puis transféra son allégeance, en avril 1830, à la Lodge of Unions n° 318 Parmi les 23 pétitionnaires formés à l'exigeante pratique rituelle des loges de Grands Stewards, s'affirmèrent rapidement, outre le vénérable* John Dennis quatre membres issus de la Burlington Lodge of Instruction: James Mivart, Edward Wittington, John Smyth et John Henry Wilson.
Jusqu'en 1830, l atelier travailla à l'aide de conférences explicatives définies par son principal inspirateur Peter William Gilkes, attaché à la transmission des textes fondateurs.
Le principal apport de son disciple et successeur, Stephen Barton Wilson qui domina l'atelier durant une trentaine d'années, fut la mise au point, à l'intention des trois grades, des tableaux* de loge dont la réalisation, à l'issue d'un concours, fut confiée en 1845 au peintre John Harris.
Durant la seconde moitié du XIXe siècle, les principales innovations furent l'oeuvre de Thomas Fenn et de Robert Clay Sudlow. En 1870, le premier imposa la présence, lors de chaque démonstration hebdomadaire, d'un membre du Comité de la loge pour occuper l'office de Passé Maître. Son condisciple introduisit, en 1897, l'usage d'offrir une petite boite en argent aux officiants exceptionnels.
Fr. D.
ENCAUSSE
voir Papus
ENCYCLOPÉDIQUE
(Toulouse) Le 10 mai 1787, trois « maçons libres » toulousains, qui s'étaient éloignés de leurs ateliers respectifs pour « s'adonner à l'étude des sciences et des arts libéraux », décidèrent de fonder, sous le titre distinctif de L'Encyclopédique, une loge qui joindrait « aux travaux de l'art maçonnique ceux des différents arts et sciences ». Jugé « tout opposé à celui que dicte la vraie maçonnerie ». leur projet se heurta d'abord à l'hostilité de la plupart des autres ateliers de la ville et fit par deux fois l'objet de rapports défavorables à la Chambre des Provinces du Grand Orient*. Mais des constitutions leur furent accordées le 3 avril 1788 et l'installation de L'Encyclopédique se déroula le I l janvier 1789 en présence de toutes les loges régulières de l'orient.
Son organisation et ses activités la rapprochent pourtant davantage des sociétés académiques que des loges ordinaires. Ses membres, dont le nombre est limité et qui ne peuvent être remplacés « que par mort ou par démission », sont affectés à « différentes parties des sciences et arts » et invités à donner, le jour de leur réception, « un discours ou un ouvrage relatif à la partie qu'ils devront occuper ». Ils sont distribués entre six « comités particuliers N. siégeant chacun un jour de la semaine du lundi au samedi, dont les « opérations consacrées respectivement à l'agriculture, à la philanthropie, aux questions civiques et économiques, aux arts mécaniques, aux beaux-arts et aux sciences sont rapportées devant un comité général qui se réunit le dimanche. Ils y rencontrent des maçons appartenant à d'autres ateliers, des profanes et même des femmes* (au comité philanthropique notamment), mais participent seuils aux
tenues* rituelles, le premier dimanche du mois. Les statuts adoptés le 1er janvier 1788 établissent en effet une rigoureuse séparation entre la loge proprement dite, vouée aux occupations spécifiquement maçonniques, et la « société », laquelle poursuit des objectifs scientifiques et charitables Dans la pratique, les choses sont moins claires et une certaine confusion règne entre les deux entités, qui ont le même président et qui utilisent le meme registre de délibérations où les séances de la société sont souvent mal distinguées de celles de la loge.
Dirigée de 1787 à 1792 par un « bourgeois » dont le père avait été anobli par le capitoulat, Guillaume-Marguerite Delherm, L'Encyclopédique n'est pas exactement la loge d'artisans que l'on évoque parfois: ces derniers ne représentent que 44 'h, de ses effectifs et sont donc moins nombreux que les membres de la petite noblesse et de la bourgeoisie d'affaires de robe et de plume. Faisant largement appel aux talents intellectuels, médicaux, scientifiques et artistiques et à l'artisanat qualifié, son recrutement se caractérise cependant par sa dominante « technicienne».
Le comité philanthropique déploya beaucoup d'énergie pour mobiliser « la bienfaisance publique » et « concourir au soulagement des malheureux » multipliés par la crise économique, en collectant des fonds pour les redistribuer aux indigents sous forme de secours en argent et de cartes de pain. Dans les autres comités, les « maçons encyclopédistes " firent porter leurs réflexions sur l'agriculture (6%) des sujets traités), les beaux-arts (6 %), les sciences (18 %), les arts mécaniques (30 %) et surtout les questions civiques et économiques (40 %). Privilégiant les applications concrètes des sciences et des techniques dans un souci d'efficacité immédiate, ils soumirent aux autorités locales de nombreuses propositions destinées à venir en aide à leurs concitoyens les plus défavorisés (par exemple en établissant un bureau de charité propre à « détruire la mendicité » et à améliorer le fonctionnement des services publics (tels que l'éclairage des rues, la lutte contre les incendies ou l'alimentation en eau potable).
Interrompus le 6 mai 1792, les travaux de L'Encyclopédique reprirent dès le 20 décembre 1797, mais amputés de leur dimension académique; depuis lors cette loge, toujours active à Toulouse aujourd'hui, ne se singularise plus par rapport à la maçonnerie du Grand Orient. Mais l'originalité de l'expérience tentée par ses fondateurs à la veille de la Révolution* mérite d'être soulignée, car la province n'offre guère d'autre exemple de société à la fois maçonnique, philanthropique et savante, inscrite comme Les Neuf Soeurs* dans un courant visant à développer au sein de la franc-maçonnerie La recherche intellectuelle et l'engagement civique.
M . T.
ENFANT DE LA VEUVE
L'expression « Enfants (fils} de la Veuve » désigne les francs-maçons. Elle est liée à la légende d'Hiram*, ou plus exactement à son substrat biblique: « Le roi Salomon demanda de pouvoir engager Hiram de Tyr qui était fils d'une veuve de la tribu de Nephtali et d'un père tyrien » (I Rois 7, 13-14}.
Le bronzier que le deuxième Livre des Chroniques nomme Hiram Abif (Houram Abi), « fils d'une femme danite et d'un père tyrien», ne doit pas être confondu avec le roi de Tyr, Hiram Les variations généalogiques n'ont pas échappé à Anderson* qui consacre une longue note à ce sujet dans les Constitutions*.
On peut également rapprocher la résurrection du fils de la veuve par Élie le Tishbite (I Rois, 17-24) de la mort-renaissance de l'Hiram maçonnique. Quoi qu'il en soit, la référence filiale à la veuve est définitive ment admise à la fin du XVIIIe siècle. L'école qui considère Osiris comme le modèle de l'Hiram maçonnique a bien sûr identifié la veuve à 1'« inconsolable Isis ».
À côté de ces deux interprétations dominantes, la genèse et le contenu du mythe de la Veuve maçonne varient en fonction de ceux d'Hiram. Ceux qui rattachent le mythe d'Hiram à la fin tragique de Charles 1 er Stuart, roi d'Angleterre (J.-S. Boubée, Papus, voire A. Lantoine}, voient dans la Veuve la reine Henriette-Marie, fille du roi Henri IV de France. I}'autres y voient la franc-maçonnerie*, veuve de Jacques de Molay Quelques-uns cherchent la Veuve du côté de la Rose Croix*, par l'intermédiaire de la Kabbale* {Ferdinand Katsch). Jules Boucher insiste sur le rapprochement Veuve-Nature, naturée-Héra-Khérn (veuve). Plus près de nous, Bernard Guillemain, se référant aux Documenti d''Amore de Francesco da Barberino, à La Divine Comédie et à la Bible*, pense que « la Veuve [Marie ou la veuve des Proverbes 15, 25] symbolise la transmutation de la Sagesse en Amour et de l'Amour en Sagesse ».
Demeure une vraie question anthropologique, la Veuve des maçons ne s'inscritelle pas dans un archétype plus vaste, peut-être la Grande Mère. une des entités psychoreligieuses les plus universelles ?
Y. H.M.
ENTRESOL
Le Club de l'Entresol, ainsi dénommé parce qu'il se réunissait dans l'appartement en entresol qu'occupait son fondateur, l'abbé Alary, dans l'hôtel du président Hénault, place Vendôme, fait souvent figure de société pré maçonnique. De fait, son existence (1721-1734) est contemporaine de l'installation des premières loges* parisiennes. D'autre part, véritable académie des sciences morales et politiques avant la lettre, le Club de l'Entresol partage avec les loges maçonniques le fait d'exister en marge de la sociabilité patentée par l'Église ou par l'État. Deux de ses membres ont, en outre, été francs-maçons: le chevalier Ramsay* qui lut à l'Entresol son Cyrus, ainsi qu'un parlementaire janséniste, La Fautrière, membre de la loge Saint-Thomas II au Louis d'Argent* en 1 737.
Le Club offre à ses membres la possibilité d'échanger librement leurs points de vue sur l'actualité sociale et politique. Ce sont d'ailleurs ces activités qui inquiètent Le cardinal Fleury*: « Je vois, Monsieur. écrit-il à d'Argenson, que vous vous proposiez dans vos assemblées de traiter des ouvrages de politique. Comme ces sortes de matière conduisent ordinairement plus loin qu'on ne voudrait, il ne convient pas qu'elles en fassent le sujet. » La volonté d'Argenson d'obtenir du principal ministre de Louis XV une autre garantie que la simple approbation orale accordée au Club à ses débuts annonce le désir exprimé par Ramsay en 1737 d'une reconnaissance,officielle de la franc-maçonnerie par l'état. En attendant, l'un et l'autre recommandent à leurs collègues et frères « modération et discrétion, sur le nom même de notre société ». Mais, audelà d'une situation similaire aux marges de la sociabilité patentée et reconnue l'Entresol diffère fondamentalement des loges par l'intérêt qu'il porte aux questions politiques, bannies du temple* maçonnique. D'autre part, toute démarche initiatique est absente. À l'automne de 1731, le cardinal Fleury exige de d'Argenson la promesse formelle que le Club ne se réunira plus. Mais à cette date, ni le pouvoir ni l'opinion publique n'avaient encore entendu parler de la société des francs-maçons.
P.-Y. B.