FRANQUISME
FRATERNITÉ
FRÉDÉRIC II HOHENZOLLERN
FREEMASON'S POCKET COMPANIONS
FREIRE DE ANDRADE, GOMES
FRÈRE SERVANT
FRÈRES INITIÉS D[E L]'ASIE
FRÈRES UNIS INSÉPARABLES (Les)
FRONT POPULAIRE
FUNÉRAILLES






FRANQUISME
L'une des caractéristiques les plus frappantes de la personnalité de Franco est la véritable phobie anti maçonnique qu'il développa. Pour expliquer cela, on a allégué des raisons psychologiques, idéologiques, militaires, politiques, morales et familiales. Quels que soient les motifs réels, il trouva en la franc-maçonnerie un bouc émissaire pour justifier les maux dont souffrit la société espagnole en raison de son régime totalitaire et pour légitimer son pouvoir.

Si l'inimitié de Franco et de son régime atteint un véritable paroxysme en ce qui concerne les francs-maçons, celle-ci s'insère dans une propagande plus globale contre l'anti-Espagne. Elle prolonge celle qui fut orchestrée sous la IIe République par les ecclésiastiques, par la presse traditionaliste et phalangiste et par la droite. La droite militaire notamment, qui conspira autour du général Mola pour renverser la République après le Frente Popular, a catalogué les macons parmi les adversaires qui devaient être éliminés.

Le premier décret anti maçonnique date du 15 septembre 1936 et émane du général Dalla y Lahoz, commandant en chef des nationalistes aux îles Canaries: il déclare que la maçonnerie est une association 1< opposée à la loi " et que tout maçon est capable de crime de rébellion. Il concrétise le rapport de la Junte de Défense nationale présidée par le général Cabanellas (un ancien maçon) qui avait rendu illégale la maçonnerie au même titre que les syndicats et les partis éloignés de la cause nationaliste. En pleine Guerre civile, le 21 décembre 19388 alors qu'il était chef d'Etat et généralissime des armées, Franco demande qu'on détruise dans tous les cimetières de la zone qu'il contrôle les inscriptions et symboles maçonniques jugés offensants pour l'Église catholique. Il inclut les loges dans les lois des Responsabilités politiques du 9 février 1939.

D'autre part, le généralissime crée le 29 mai 1937 un corps de police spécial dépendant du secrétariat général du chef de l'état dénommé Délégation des affaires spéciales et qui, par décret du 26 avril 1938, dépend du ministère de l'lntérieur sous la nouvelle appellation de Délégation de l'État pour la récupération des documents. Il s'agit « d'obtenir des renseignements sur les antécédents et sur les agissements des ennemis de l'État » et cette délégation se charge, entre autres de réquisitionner archives et effets des francs-maçons et des loges. La franc-maçonnerie se trouve dans une position très difficile qui aurait pu être encore plus dramatique. En effet, dans les derniers mois de la guerre, le nonce Cicognani les ministres Rodezno (Justice) et Sàinz Rodriguez (Éducation) et quelques autres évitent que le Caudillo ne promulgue une loi anti maçonnique dans laquelle est envisagée la peine capitale.

Les frères vivent cependant des temps d'angoisse et les centres de répression se consacrent à localiser et à ficher les francs-maçons. On voit se succéder dossiers, interrogatoires... notamment à l'encontre des militaires et des fonctionnaires initiés. Néanmoins, au commencement de la guerre, les maçons ne sont pas détenus ou fusillés en masse en raison de leur qualité. Les faits analysés par J. Ortiz en Andalousie, dans la province de Séville, peuvent sans doute être généralisés à l'ensemble du pays. Si la condition de maçon n'est pas cause d'emprisonnements ou d'exécutions, il semble qu'elle rende plus dures les condamnations de nombreux républicains attachés au Frente Popular arrêtés en raison de leur appartenance politique ou syndicale. En effet, nombre de maçons sont inculpés, et le fait d'appartenir à l'Ordre* semble avoir été un facteur aggravant.

A la fin de la Guerre civile, Franco adapte la législation aux circonstances nouvelles et, le 1er mars 1940, est promulguée la loi de Répression de la maçonnerie et du communisme*. La loi ne prévoit pas la peine capitale mais condamne rétroactivement la franc-maçonnerie et envisage à l'encontre des maçons des condamnations pouvant aller jusqu'à 30 ans de prison, l'inhabilité absolue et à vie pour des postes de direction d'entreprises et d'organismes publics et privés, la relégation et le bannissement ou encore l'expulsion de la fonction publique.

La loi prévoit aussi la constitution d'un Tribunal de répression de la maçonnerie et du communisme qui commence à fonctionner en 1941. À partir de fonds confisqués par la Délégation pour la récupération de documentation, 80 000 dossiers personnels sont constitués alors que la maçonnerie rassemblait à peine 5 000 frères sous la IIe République. La quasi-totalité des affiliés aux loges du XXe siècle furent condamnés ! Le zèle du tribunal est poussé au point qu'il condamne nombre de personnes déjà décédées. Cette loi reste en vigueur jusqu'à la création du Tribunal de l'ordre public, en 19631 puis est abrogée car, aux dires même de Franco, il ne reste plus de maçons à juger.

P. A.


FRATERNITÉ
FRATER.JPG (131K) La fraternité est le ciment qui unit les francs-maçons dispersés sur les deux hémisphères. On en éprouve symboliquement la force à la fin d'une tenue*, lorsque les «amis devenus frères », pour reprendre la titulature* d'une loge* provençale du XVIIIe siècle, forment la chaîne d'union*, et la secouent par trois fois. Cette fraternité est intimement liée aux mystères de l'initiation* partagée. C'est pour cela qu'elle est à peu près incompréhensible au commun des profanes. De l'incompréhension à l'hostilité, il n'y a parfois qu'un pas, aisément franchi. La fraternité universelle professée par les francs-maçons est dénoncée dans les discours anti maçonniques comme un crime d'indifférenciation. Elle nie les identités religieuses, confessionnelles, linguistiques, politiques et sociales, les sexes, en faisant de tous les initiés des semblables Elle crée le chaos.

On saisit clairement la confusion entre fraternité et égalité. Certains discours peuvent d'ailleurs semer le doute dès lors que l'on se méprend sur le sens de l'egalité entre frères. Ainsi liton dans le Secret des francs-maçons (1744) de Joseph Uriot*: «Lorsque nous sommes rassemblés, nous devenons tous frères, le reste de l'univers nous est étranger, le prince et le sujet, le gentilhomme et l'artisan, le riche et le pauvre y sont confondus, rien ne les distingue, rien ne les sépare, la vertu les rend égaux. » En fait, les bornes de la fraternité universelle sont soigneusement délimitées par les francs-maçons. Il s'agit d'un cosmos borné, non d'un univers en expansion. Juifs* sur le continent européen, à l'exception notable des Provinces-Unies* et de quelques ateliers plus tolérants, « sang-mêlé » et Noirs* dans les colonies* françaises, musulmans de manière moins systématique sont maintenus à bonne distance. Ramsay* envisageait déjà « l'instauration d'un lien respectable pour unir tous les chrétiens de toutes les nations dans une même confraternité ». La même discrimination préalable frappe les handicapés et les castrats italiens, bref tous ceux dont l'altérité irréductible est incompatible avec la fraternité qui unit les élus. Cotthold Ephraïm Lessing reproche d'ailleurs avec véhémence et lucidité à ses frères, dans Dialogues pour des francs-maçons (1780), de n'admettre comme frères que des hommes qu'ils reconnaissent préalablement comme pairs hors du temple*, dans le monde profane. Comment dès lors concilier cette fraternité élective et sélective avec le projet des Constitutions* de 1723: permettre à des hommes qui sans cela seraient restés à une perpétuelle distance de se connaître, de s'apprécier et de se découvrir comme frères?

On remarquera d'ailleurs que l'usage du mot « fraternité » est fortement concurrencé par celui d'« amitié» ou d'«amour», même qualifiés de «fraternels»-«ils doivent cultiver une amitié fraternelle entre eux, la base et la gloire de cette ancienne et respectable fraternité» (1735). La loge réunit avant tout des « amis choisis », soudés par l'initiation partagée. Elle s'insère dans la République universelle des francs-maçons par ce sentiment de «fraternité » qui unit l'ensemble des maillons de la chaîne d'union. À l'emboîtement des échelles correspond l'emboîtement des sentiments.

La fraternité est également fréquemment circonscrite à la sphère maçonnique, puisqu'elle tient fondamentalement à l'initiation. Si tous les hommes sont des frères, l'initiation sépare le franc-maçon du profane. Dès lors, la Fraternité et la solidarité que tout frère éprouve en tant qu'homme pour ses semblables (sic) prennent la forme de la bienfaisance, pierre angulaire du discours des Lumières*, profanes et maçonniques. La pratique de la bienfaisance au profit des profanes en détresse est en effet une composante essentielle de la sociabilité maçonnique - elle s'exerce d'ailleurs également au profit d es francs-maçons nécessiteux. Marcel David souligne que (l de la vieille charité/fraternité rapportée à l'amour de Dieu, ils [les francs-maçons] ont fait la bienfaisance, en lui assignant d'ailleurs un champ d'application des plus vastes, marier les filles, libérer les prisonniers pour dettes, octroyer des bourses d'études [...] aider les veuves, soulager les victimes des cataclysmes naturels [...].

En somme, toute cette vaste zone que de nos jours [...], nous plaçons sous l'égide du "social" ». Mais la bienfaisance connaît de profondes transformations à partir de la tombée des Lumières: elle se laïcise, pour se muer progressivement en philanthropie*. Cette mutation décisive est bien connue depuis les travaux de C. Duprat notamment, et l'on sait quelle part les francs-maçons y ont joué... jusqu'à nos jours: le « Samu social » belge est, par exemple, une initiative de la loge des Amis Philanthropes (sic) de Bruxelles. Mais avec la philanthropie, les francs-maçons entrent en politique, au sens où ils transgressent le dogme de leur non-intervention ès qualités dans la sphère profane. Une prise de conscience s'opère. La fraternité a désormais vocation à être vraiment universelle, à englober l'humanité dans sa totalité, et la fraternité proprement maçonnique née de l'initiation a vocation à faire de tout être humain initié en puissance, un frère. Cet éveil à la philanthropie est d'ailleurs associé à l'émergence d'un universalisme maçonnique militant, qui se démarque du cosmopolitisme du XVIIIe siècle, politiquement neutre, pour afficher sa sensibilité à l'éveil des nationalités, et exprimer sa solidarité active aux peuples en lutte pour leur émancipation en Europe orientale et balkanique, ou en Amérique latine. Il s'agit donc d'une véritable rupture, à l'origine de la plupart des incompréhensions entre les obédiences* dites latines qui ont procédé à cette transformation, et les obédiences soi-disant régulières qui privilégient encore une fraternité confinée à la sphère maçonnique et une charité à destination des profanes nécessiteux.

P.-Y. B.


FRÉDÉRIC II HOHENZOLLERN
FRED.JPG (84K) {Berlin, 1712-Potsdam, 1786) Frédéric est initié dans une auberge de Brunswick au cours de la nuit du 14 au 15 août 1738. Il ne s'est jamais vraiment expliqué sur ses motivations profondes. Son père, le « roi sergent » avec qui il entretint longtemps des relations détestables, était un anti maçon résolu.

Toutefois, un proche de Frédéric, le comte Albrecht Wolfgang zu Schaumburg-Lippe, joua un rôle décisif dans son initiation*.
Cet humaniste avait été reçu maçon en Angleterre en 1723-1724, et il défendit la fraternité face au père de Frédéric.

Le prince héritier aimait les sociétés d'hommes et les ordres de chevalerie - il avait ranimé l'Ordre Bayard dans son château de Rheinsberg en 1736, où il installa la même année sa Kronprinzenloge (loge du prince héritier}. Le baron Oberg qui avait initié le prince héritier en tint le maillet, avant d'être remplacé par Frédéric lui-meme en novembre 1739. La fondation d'une loge* privée est caractéristique de la sociabilité aristocratique et princière du XVIIIe siècle. Le duc de Richmond battait maillet en son château d'Auoigny-sur Nère, tandis que les rois de Suède et de nombreux princes allemands avaient également leur loge royale ou princière. Frédéric installe ensuite sa Hofloge (loge de cour) au château de Charlottenbourg. où il initie son propre frère, Guillaume. le duc von Holstein-Beck et son beau-frère, le margrave Friedrich von Brandenburg Bayreuth qui deviendra ensuite « maître perpétuel» de la loge Zur Sonne fondée le 21 janvier 1741 au château de Bayreuth. Toute sa vie, Frédéric ne cesse d'affirmer sa foi dans les principes maçonniques, et notamment dans l'amitié entre les hommes fondée sur le respect mutuel et la compréhension réciproque, à laquelle il rendait un véritable culte.

Cependant, cet homme pétri de contradictions troque rapidement son Antimachiavel (1739), pour la raison d'État, lorsqu'il monte sur le trône en 1740. Il cesse toute participation active aux travaux maçonniques, dont il dénonce le formalisme, préférant ses «tables rondes » informelles du château de Sans-Souci, probablement à partir de 1742-1743. Pour autant, il faut souligner que les critiques qu'il adresse à l'Ordre datent pour la plupart des années 1770, et visent la Stricte Observance*, saisie du « mal des titres ». Dotzauer évoque la « réserve sympathisante » de Frédéric II à l'égard de l'Ordre. En fait, monarque conscient de ce que la franc-maçonnerie peut se révéler une véritable « masse de granite » avant la lettre pour l'État des Hohenzollern*, Frédéric II s'est employé tout au long de son règne à la protéger dans ses États. Grâce à luit elle devient hoffähig, c'est-à-dire qu'elle bénéficie d'une sorte de « capacité de Cour » qui attire nombre d'aristocrates et de Junker. Frédéric II encourage notamment la fondation de la loge Zu den drei Weitkugeln (Aux Trois Globes) le 13 septembre 1740, à la tête de laquelle il place son ami Charles Etienne Jordan.

Cette mère loge* ne fonda pas moins de quinze ateliers dans ses six premières années d'existence et donna naissance par la suite à l'une des principales obédiences* allemandes. D'ailleurs, le Journal de Berlin souligne, dès l'accession de Frédéric au trône, que l'Ordre dispose désormais d'un protecteur puissant: « Une société infortunée, à laquelle il semble qu'on prépare le même sort qu'aux anciens templiers peut aussi se promettre un asile dans la généreuse protection de Sa Majesté. Je parle des francs-maçons. «Logiquement, la réputation de Frédéric II protecteur des francs-maçons se répandit rapidement hors de Prusse et hors d'Allemagne. Les frères français lui rendirent hommage et recurent des loges prussiennes le portrait du roi, tandis que les francs-maçons en détresse suppliaient le prince éclairé de voler à leur secours.

Ce fut le cas notamment lors de l'affaire d'Aix-la-Chapelle, qui fit grand bruit en 1779. Le 26 mars 1779, le magistrat de Sa ville avait interdit toute réunion de francs-maçons et encouragé la délation; puis, à l'occasion du carême, plusieurs prédicateurs catholiques stigmatisèrent les francs-maçons « précurseurs de l'Antéchrist». Des membres de la loge La Constance furent insultés et molestés par la population. Le Courrier du Bas-Rhin, véritable organe de propagande de Frédéric II au dire de Louis Trénard, publia à Clèves, ville sous autorité prussienne, une protestation de la loge incriminée et un vibrant appel à l'aide de frères qui craignaient pour leur sécurité. Ils obtinrent «la protection du roi de Prusse, du roi de Suède, du duc de Brunswick, du duc de Sudermanie (frère du roi de Suède), du prince de Saxe-Meiningen, et de plusieurs grands d'Europe N. Frédéric II exprimait sa solidarité envers des frères persécutés et s'affichait comme E?rince éclairé, ennemi de la superstition.

A la fin de son règne, la protection que Frédéric 11 accorde à la franc-maçonnerie prussienne, dès lors qu'elle participe à la consolidation de l'édifice monarchique, ne se dément pas. La Grande Loge Provinciale des francs-maçons d'Allemagne à Berlin en bénéficie en 1774 et, peu avant sa mort, le souverain assure encore à la loge Royale York de L'Amitié que tout franc-maçon vertueux, dévoué à l'État, peut compter sur sa protection. Cette relation construite par Frédéric II avec la franc-maçonnerie prussienne tient moins à l'influence des Lumières qu'à son attachement aux valeurs « purement maçonniques » et surtout à sa clairvoyance d'homme d'État pragmatique. En fortifiant et en soudant les strates dirigeantes de la société et de l'état, le lien maçonnique sert la Prusse des Hohenzollern. D'ailleurs, son successeur, Frédéric-Guillaume III, considéré comme l'homme de l'Ordre - réactionnaire - des Rose-Croix d'Or*, intégra la franc-maçonnerie dans « l'ordre social existant » , alors qu'il interdit toutes les sociétés secrètes par l'édit du 20 octobre 1798. Il loua même, en 1833? les francs-maçons comme « les meilleurs de ses sujets ». P.-Y. B.


FREEMASON'S POCKET COMPANIONS
FPC.JPG (87K) Le prix dissuasif et le format d'un usage peu pratique du volume des Constitutions* d'Anderson* constituèrent un obstacle à leur diffusion parmi les maçons. Aussi, au début de 1735, William Smith, un libraire de Dublin d'origine écossaise publia à Londres un petit ouvrage in-octavo de 122 pages, le Pocket Companion, où se retrouvaient l'histoire du métier, les règlements généraux régissant la confrérie, mais également des éléments nouveaux comme la construction par Hérode du 3e Temple suivie de sa destruction mais surtout « L'Exhortation délivrée au frère nouvellement admis »

Dès février, la Grande Loge, devant les récriminations d'Anderson à l'encontre de ce «soi-disant maçon», ordonna à «tous les maîtres et surveillants présents d'empêcher l'achat des ouvrages dudit Smith par les membres de leurs loges* respectives ». Ces condamnations n'empêchèrent pas la publication, dès le 17 mai à Dublin, d'une seconde version, dédiée au (Grand Maître, le vicomte Kingsland. En 1736, un imprimeur de Newcastle, Leonard Umfreville, appartenant à la loge de Gateshead, reprit, sous le titre Book «M», l'ouvrage initial en l'enrichissant de conférences complémentaires portant notamment sur la vérité et l'amour fraternel, le symbolisme maçonnique, ainsi que trois prières chrétiennes en introduction. Des versions actualisées parurent ensuite en 1738 à Francfort, chez Andres, qui y adjoignit la traduction de larges extraits de la bulle d'excommunication de Clément XII, en 1740 à Haarlem, puis en 1752 en Écosse*.

En 1754, Jonathan Scott, libraire londonien et maître de la loge At the Bell, le refondit en un ouvrage de 366 pages dédié au Grand Maître le baron Carysfort-un frontispice représentait Hiram* remettant les Constitutions au roi Salomon. Le principal apport, outre le sermon donné à Boston en 1749 par le révérend Charles Brockwell, restait le récit de l'histoire légendaire de la franc-maçonnerie, oeuvre du révérend Entick, il fut repris in extenso en 1756 dans le nouveau livre des Constitutions. Ce texte servit désormais de canevas aux éditions écossaises et irlandaises ultérieures qui se succédèrent jusqu'à la fin du siècle où elles furent supplantées par les illustrations of Masonry de Preston.

Fr.D








FREIRE DE ANDRADE, GOMES
(Vienne, 1757-San Julião da Barra, Portugal, 1817) Gomes Pereira Freire de Andrade e Castro est le fils d'Ambrosio Pereira Freire de Andrade e Castro, représentant du Portugal à la cour de Vienne et de la comtesse autrichienne Élisabeth von Schaffgotsch 11 est élevé à Vienne où il habite jusqu'en 1780. Il part alors pour le Portugal {1781} où il fait carrière dans la marine, puis dans l'armée.

Gomes Freire est initié franc-maçon avant 1785, probablement à Vienne, dans la loge L'Espérance Couronnée à laquelle il appartient encore en 1790 (tout comme Mozart*). Il a alors le grade* de maître*. Au Portugal*, il fait partie de la loge Regeneração (Régénération) dont il est le vénérable*. Il combat comme volontaire dans l'armée russe {1788-1792} et prussienne? se distingue au cours de plusieurs campagnes contre la Turquie, la Suède et la France, et obtient le grade de colonel qu'il détient également au Portugal. Il part ensuite pour la Catalogne où il prend part à la guerre contre la France (1793 1795). De retour au Portugal, à Lisbonne il est promu au rang de maréchal dé camp et participe à la guerre de 1801 contre l'Espagne, où il se distingue.

La même année, il accueille chez lui une Grande assemblée à l'origine de l'organisation définitive de la franc-maçonnerie portugaise. Lorsque est créé le Grand Orient Lusitanien en 1802, Gomes Freire est élu dignitaire. Parallèlement, entre 1801 et 1807, il joue un rôle politique et militaire important, adhérant au parti dit « anglais » qui est en lutte contre l'influence de la France. En 1803, il est jugé instigateur d'émeutes et incarcéré puis en 1808, après l'occupation du Portugal par les Français, il est nommé avec le marquis de Alorna, à la tête d'une « légion portugaise ». Il combat dans les rangs de l'armée napoléonienne en Espagne, en Allemagne en Suisse, en Autriche, en Pologne, et en Russie (1803-1813) Entre 1808 et 1813,il fait partie de la loge militaire portugaise Chevaliers de la Croix, installée à Grenoble, et est nommé gouverneur militaire à Dantzig (1812), à Dresde et à Léna (1813). Cette annee-là, il devient docteur honoris causa de l'université d'léna. Peu de temps après, il est fait prisonnier, part pour la France puis l'Angleterre, et revient finalement au Portugal en mai 1815 où, après un nouveau séjour en prison, on le déclare innocent. L'armée ne le réintègre pas dans ses rangs pour autant. À la fin de cette année, il est élu Grand Maître du Grand Orient Lusitanien, et il dirige, durant les deux années qui suivent, l'expansion fulgurante de la franc-maçonnerie portugaise. C'est ce qui inquiète le pouvoir absolutiste et le mène à la prison puis à la potence.

Fort d'un prestige considérable, partisan des idées libérales, c'est tout naturellement qu'il devient chef du mouvement à la fois contre l'influence anglaise qui s'exerce en politique et dans les forces armées, fortement et mal ressentie depuis la libération du Portugal de l'occupation française, et contre le pouvoir absolu et despotique de la Régence. On ne lui connaît pas de participation active dans une quelconque conspiration mais, en mai 1817, on l'incarcère de nouveau. On ne lui accorde qu'un simulacre de procès à l'issue duquel il est condamné à mort. Il est pendu près du château de San Julião da Barra, à 10 kilomètres de Lisbonne. Onze autres conspirateurs ou pseudo-conspirateurs, franc,-maçons pour la plupart, sont également exécutés à Lisbonne. Gomes Freire est l'un de ces maçons qui ont laissé leur nom dans l'histoire en tant que personnalité symbolique des martyrs pour la Liberté.

Aujourd'hui encore, il est considéré comme l'un des grands noms de la francmaçonnerie. Il a donné son nom à de nombreuses loges et un grand nombre de nouveaux initiés choisissent « Gomes Freire » comme nom symbolique. Pendant une centaine d'années, le 18 octobre, jour de son martyre, lut un jour de deuil pour les francs-maçons.

J. J. A. D. et A. H. de O. M.


FRÈRE SERVANT
Le frère servant est le « citoyen passif » de la République universel]e des francs-maçons Les tableaux* de membres que les loges adressent annuellement à leur obédience* et aux loges de leur correspondance les placent clairement à l'écart ce la communauté des frères. Traditionnellement, les servants, qui assurent les fonctions de concierge et l'entretien du temple, sont choisis parmi les domestiques des notables de la loge, ou dans ces catégories professionnelles dévalorisées, comme certains métiers de l'alimentation ou du bois. Ils sont salariés par l'atelier. À Loches, par exemple, la loge leur verse 40 livres par an, ce qui représente l'équivalent de 40 journées de travail d'un ouvrier non qualifié du bâtiment. pans le même temps, le concierge d'Amitié et Fraternité, orient de Dunkerque, tailleur d'habits de son état, reçoit 120 livres par an, et le logement gratuit.

À sa mort, la loge prend le deuil et fait célébrer un service funèbre. Mais si les servants sont bien traités, il est assuré qu'ils ne sauraient accéder à la maîtrise. Ils sont en deçà de cette liberté matérielle, de cette indépendance exigées des postulants. C'est pourquoi, on se borne à les recevoir aux grades d'apprenti* et de compagnon*, pour ne pas profaner le temple. Les Statuts du Grand Orient de France* (art. 43) posent clairement qu' « ils ne pourront sous aucun prétexte parvenir à la maîtrise mais on leur fera prêter leur obligation à tous les autres grades qui seront donnés dans la loge (apprenti et compagnon), puisque leur fonction y est nécessaire ». En outre, on constate que les quelques tentatives menées peu avant la Révolution* par des frères servants pour contribuer à l'érection d'ateliers concurrents (Vernon} s'accompagnent d'un ferme rejet qui provient aussi bien des représentants du Grand Orient que des ateliers locaux déjà reconnus et à travers lequel s'expriment de forts préjugés sociaux. Le refus de reconnaître le frère servant comme un pair a la vie dure. Si, sous la Convention, Amitié et Fraternité fait, à contrecoeur, une concession au temps en envisageant l'élévation des servants à la maîtrise, elle s'empresse de réaffirmer, dès la stabilisation du Directoire, qu'« on ne pourra jamais recevoir un frère servant au grade de maître bleu » (Statuts de 1798).

P.-Y. B.


FRÈRES INITIÉS D[E L]'ASIE
Les Frères Initiés de l'Asie constituent l'une des branches les plus importantes de la fraternité de la Rose-Croix d'Or*: ils sont fondés en 1782 par Ecker von Eschoffen, un exclu de la famille rosicrucienne. Outre la mise en place d'un rite spécifique à cinq degrés sous l'autorité d'un aréopage de 72 membres (Petit et Constant Synédrion de l'Europe) et leur goût pour l'ésotérisme*, l'originalité profonde des Frères Initiés de l'Asie est de vouloir s'ouvrir aux Juifs* au moment même où les loges* allemandes se montrent promptes à les exclure des temples*.

C'est avec un juif converti, le baron Thomas von Schönfeld, qui mourra guillotiné le même jour que Danton après avoir adhéré avec enthousiasme aux idées révolutionnaires, et avec un katabaliste, Ephraïm Josef Hirschfeld, qu'Ecker structure le mouvement. Les préoccupations de Schönfeld et de Hirschfeld montrent bien les liens qui peuvent unir les Frères Initiés de l'Asie à la mouvance dite sabbataïste. Celle-ci, rejetant le formalisme des règles talmudiques, prête en effet un sens ésotérique aux textes et autorise le syncrétisme religieux entre les trois grandes religions monothéistes. La sensibilité des sabbataïstes envers l'ésotérisme et le syncrétisme pouvant transcender les préjugés antireligieux expliquent donc aisément les affinités entre sabbataïsme et l'Ordre des Frères Initiés de l'Asie. En effet, outre l'absence de préjugés religieux, la recherche ésotérique est l'élément principal des adeptes d'un mouvement qui rayonne essentiellement dans les contrées austro-allemandes (Vienne, Berlin, Hambourg, Francfort)... où l'école du Nord* et la Stricte Observance Templiére* connaissent d'ailleurs de beaux jours. Les Frères Initiés de l'Asie parviennent même à capter le duc de Brunswick* et le prince Karl von Hessen-Kassel qui accueil e le siège de l'Ordre à sa cour en 1787. L'Ordre se répand également en Bohême et à Venise.

Si les orientations ésotériques des Frères Initiés de l'Asie se développent avec succès, il n'en va pas de même du projet originel d'ouverture aux Juifs. En avance sur leur temps, les Frères Initiés de l'Asie rencontrent en effet bien des résistances qui tiennent aux préjugés de la société allemande et que reflète parfaitement le rejet quotidien des loges maçonniques. Cette situation conduit les Frères Initiés de l'Asie à se retrouver rapidement «prisonniers » des exigences imposées à leurs adeptes. Ayant opté pour l'obligation d'une initiation* préalable aux trois grades de la maçonnerie bleue*, les Frères Initiés de l'Asie se trouvent confrontés au refus des loges traditionnelles et doivent créer leurs propres loges pour introduire les Juifs. Seules les loges de Melchisédech permettent ainsi de sauter l'obstacle. D'autres difficultés viennent s'ajouter, notamment les dissensions entre les dirigeants. Ainsi, Hirscheld est exclu en 1790, année au cours de laquelle Ecker meurt !

L'Ordre semble alors péricliter. Cependant Hirscheld continue de tenir le flambeau des Frères Initiés de l'Asie jusqu en 1820. Il a été initié en 1808 dans la loge Saint-Jean de l'Aurore Naissante, une des rares loges allemandes à accepter les Juifs, mais cet atelier situé à Francfort abandonne peu à peu l'orientation ésotérique qui caractérisait les Frères Initiés de l'Asie.

E. S.


FRÈRES UNIS INSÉPARABLES (Les)
FRERE.JPG (126K) Fondée en 1775, cette loge* versaillaise constitue un témoignage précieux de l'histoire de la franc-maçonnerie française.

A l'origine, elle s'appelle Les Trois Frères Unis et comprend des frères issus de l'entourage du roi, de ses frères et de la cour. Ce sont des gardes du corps, des militaires de tous grades appartenant à la petite noblesse? des commis à la guerre et des chefs de bureaux qui avaient souhaité que la loge fût « royale ». Comme toutes les loges militaires, les travaux des Trois Frères Unis sont interrompus en 1788, et la loge ne reprend ses activités qu'en 1795. Les frères manifestent alors le désir suivant une circulaire envoyée en décembre par Roëttiers de Montaleau *, d'intituler leur nouvel atelier Les Frères Unis. En 1803, la reprise des travaux est effective et la loge se trouve à Paris.

Les maçons accueillent favorablement le régime napoléonien: le banquet pour la naissance du roi de Rome (1811) prouve d'ailleurs que tout ce qui touche à l'Empereur, même dans le domaine privé, devient un objet de culte.

Mais, comme la plupart des loges, Les Frères Unis acceptent sans états d'âme la première Restauration et adhèrent au projet de rétablissement de la statue d'Henri IV, figure emblématique choisie par Louis XVIII comme représentation d'un pouvoir royal populaire. En 1816, elle inaugure le buste de ce dernier en rendant hommage à la bravoure des héros vendéens Louis et Henri de La Roche-jacquelein Les oeuvres écrites sur des musiques de Taskin* témoignent de ce ralliement royaliste.

Les activités de la loge sont al ors culturelles et philanthropiques et on évite la réflexion collective sur les suJets de société qui émergent dans d'autres loges. La loge ne compte plus qu'une vingtaine de membres sous la Monarchie de Juillet: elle porte alors le titre de Frères Unis Inséparables sans que l'on puisse dater véritablement le moment où cette nouvelle désignation est choisie. À partir de 1840 l'atelier retrouve du dynamisme. En 1844 le nombre de frères s'élève à 75. Cet essor doit beaucoup à l'initiation* de musiciens de renom, professeurs du Conservatoire, artistes lyriques* et compositeurs. La loge est reconnue pour la qualité de ses membres et les musiciens des Frères Unis Inséparables sont sollicités par le Grand Orient* pour ses fêtes d'apparat et de bienfaisance, notamment celles qui sont organisées en faveur de la Maison de secours mutuel. Taskin oriente les choix idéologiques de la loge: il facilite le maintien d'une nostalgie pour la royauté et tente de restaurer des pratiques artistiques élitistes. La sensibilité musicale et philanthropique qu'il suscite lui survit et, sous le vénéralat d'Arronsohn, un concert (1859) est organisé au profit de la Maison de secours maçonnique. Un document de 1862 atteste la régularité des séances musicales données en soutien aux orphelins.

Depuis 1850, l'adoption des orphelins est l'action sociale prioritaire pour la loge. Un rapport de 1870 atteste que l'orphelinat* financé par la loge a accueilli 69 enfants depuis sa fondation. La renommée artistique et philanthropique de l'atelier atteint le Tout-Paris maçonnique et se traduit par l'accession à des fonctions de responsabilité de certains membres: les frères Bertrand (1847) et Heullant (1856 1857, 1863 et 1864) deviennent Grand Maître Adjoint, et Magnan, le Grand Maître en personne, demande son affiliation aux Frères Unis Inséparables en 1862. La loge ne manque d'ailleurs pas de se garantir une fois de plus l'appui du pouvoir en affirmant sa loyauté envers Napoléon III. Après 1870 et la Commune*, la loge n'a de cesse de se trouver des héros. comme Centomani, un officier de Garibaldi* (communard). En 1898, elle apporte d'ailleurs sa participation pour l'élévation d'une statue en faveur de ce dernier.

La sensibilité dominante reste pourtant conservatrice: on souscrit à l'Ordre moral .

C'est la décision obédientielle de supprimer la référence au Grand Architecte de l'Univers* qui déstabilise la loge: une vive polémique s'engage en son sein et la scission menace lorsqu'une minorité opposée au Grand Orient, décide de proclamer son indépendance. Elle craint que la décision du Grand Orient ne devienne « moyen de propagande électorale ». En 1875, la rupture est consommée: le Suprême Conseil reconnaît la fondation d'une loge dissidente, Les Vrais Frères Unis Inséparables.

La loge ressort très affaiblie du conflit: elle compte 11 membres en 1885. Les difficultés financières semblent insurmontables et la loge déménage pour un local maçonnique moins onéreux que l'hôtel du Grand Orient. C'est le travail de recrutement du frère Centomani qui la sauve: en deux ans (1894-1895), le redressement est assuré et les finances florissantes. Cet ancien officier garibaldien exerce également une influence idéologique. En 1897, soutenu par d'autres frères, il déplore que la loge ne s'engage pas plus dans des débats politiques, philosophiques et humanistes. La même année, le frère Durand soumet aux Frères Unis Inséporables un exposé contre l'Église: il est unanimement acclamé. Une réflexion collective sur l'enseignement laïque est entamée. L'affaire Dreyfus* conduit les frères de cette loge à s'engager contre l'antisémitisme. En 1902, la loge rend hommage à la mémoire du « grand citoyen Emile Zola».

Les années 1900-1920 voient la vie de la loge très affectée: on pose la question du nationalisme et du pacifisme mais les frères s'intéressent surtout, après 1910, à la Révolution russe. En 1917, un frère explique que, pour lui et les membres de la loge, l'expérience soviétique est « pleine d'intérêt et nous devons attendre qu'elle ait porté ses fruits ». La loge adhère aux idées du Convent de 1922 qui préconise « les nationalisations industrielles » et elle est désignée par ses détracteurs comme une organisation conspiratrice qui vise à la création clandestine du Cartel des Gauches*.

L'atelier est très touché par la Seconde Guerre mondiale et la politique de Vichy*. Les frères Mabileau, Quennoy ou Renucci démissionnent de leur fonction

Cahn, Lévy, Weill ou Remaisi sont arrêtés en raison de leurs activités syndicales. En 1945, pour la troisième fois dans son histoire, la loge doit travailler à son redressement. En octobre, une première tenue* solennelle est présidée par le frère Bouaziz, puis la loge commence à organiser de nouvelles conférences sur la décolonisation ou la mixité dans l'institution. La loge porte aussi un regard sur son histoire qui la pousse à mettre en cause les comportements de certains frères pendant la guerre. Dans les années 1950, les sujets des conférences montrent une diversification des préoccupations: on parle de sujets de société (la morale sexuelle et l'avortement), philosophiques (le rationalisme) et politiques (la politique extérieure du Vatican, la Palestine, l'effondrement de l'empire colonial français). Mais, parallèlement, la démarche introspective connaît un regain: on revient à des sujets symbolistes, à la réflexion sur l'institution maçonnique et sur son histoire retracée lors de son bicentenaire

Chr. N.


FRONT POPULAIRE
Depuis le Cartel des Gauches*, les associations maçonniques n'interviennent plus publiquement et en corps dans le combat politique.
Au premier semestre de 1936, les loges parisiennes discutent plus du conflit italo-éthiopien que des élections législatives du printemps. Cependant, les préoccupations du moment se retrouvent dans de nombreuses conférences à caractère économique ou social, à l'image des tenues* blanches organisées par Les Zélés Philanthropes (Grand Orient de France*) et appelées « Français, connais tes maîtres N. Le gouvernement de Front populaire est relativement maçonnisé; on y note la présence des frères ministres C. Chautemps*, P. Ramadier*, M. Rucart*, R. Salengro, M. Viollette* et J. Zay*, et sous-secrétaires d'État R. Aubaud et F. Blancho. La vie politique est aussi plus présente en loge après la victoire électorale.

Ainsi la loge parisienne Agni (Grand Orient de France) se demande: «Comment développer la victoire du Front populaire ? » (18 mai).

Le lendemain, La Justice (Grand Orient de France} se pose une interrogation voisine:
« Le rôle de la F..-M.. eu égard à la récente consultation populaire. » Le 2 juin, Le Progrès Civique (Grande Loge de France*) s'interroge: « Le Front populaire au pouvoir! Que pouvons-nous en attendre? » , tandis que La Semence (Grande Loge de France) met en garde: « Si le Front populaire n'abat pas les trusts, ce sont les trusts, qui l'abattront.» Le 11 juin, 47 loges de la Seine organisent une réunion commune consacrée au fI programme du Front populaire ". Le 14, Louis Doignon futur (Grand Maître de la (Grande Loge, commente avec une bienveillante modération les accords Matignon: « L'expérience qui commence s'inspire des sentiments et d'un idéal qui sont les nôtres.

Il convient qu'elle se fasse dans le calmes dans l'ordre d'une grande démocratie qui a déjà donné la mesure de son esprit politique. »



Le lendemain, 14 loges parisiennes, sous la présidence de Michel Dumesnil de Gramont*, Grand Maître de la &rande Loge, écoutent 12 frères, dont les députés G. Allemane, E. Bloncourt, L. Bossoutrot, M. Dubois, E Frot, A. Paulin, C. Planche et le ministre de l'lntérieur Roger Salengro. L'engouement dure jusqu'à l'automne de 1936.

Le Front populaire pénètre de manière indirecte dans les obédiences maçonniques. Ainsi, lors du Convent* de septembre 1936 du Grand Orient de France, des voeux en faveur de l'application des lois sociales ou de la stricte lutte contre les ligues factieuses récemment dissoutes sont émis. Une des deux questions générales retenues pour l'année 1936-1937 porte sur les « principes de la nouvelle économie sociale à base distributive » .

À partir de l'automne, ce sont les débats relatifs à la guerre d'Espagne qui occupent loges et maçons qui se divisent sur l'intervention (ou non) en faveur de la République espagnole. Le suicide de Salengro refait l'union sacrée. Les interrogations sur l'avenir du Front populaire apparaissent. En avril 1937, une tenue colLective de loges parisiennes dite «Grande controverse fraternelle » tente de faire «le bilan de dix mois de Front populaire».

Quelques loges y croient encore, à l'image des Amis de Humanité (Grand Orient):«Le Front populaire continue »(mars 1937). D'autres sont dubitatives: La Fidélité (Grande Loge) propose un débat au programme révélateur: « Après 18 mois, de Front populaire, faisons le point.» A partir de 1938, les agressions de Hitler et la guerre civile espagnole deviennent les sujets dominants dans les loges, d'autant que les maçons français doivent assumer une solidarité grandissante envers leurs soeurs et frères allemands, autrichiens, tchécoslovaques et espagnols, en exil. Très majoritairement engagés dans le camp du mouvement, mais en tant que citoyens, les disciples d'Hiram* ont donc partagé les espoirs, les craintes et les regrets des gauches à l'égard du Front populaire.

Y. H.M.


FUNÉRAILLES
FUNERE.JPG (103K) C'est durant le XIXe siècle qu'apparut l'impossibilité pour les francs-maçons de demander des obsèques catholiques. La plupart des incidents semblent se situer sous le Second Empire*. Avant cette époque, les prêtres n'opposaient pas de fin de non-recevoir à un cortège funèbre maçonnique et une cohabitation de bon aloi prévalait entre le clergé et les députations des loges. Le Rituel maçonnique pour tous les rites rédigé par le frère Riebesthal, édité à Strasbourg-qui paraît dater de la première moitié, voire du premier quart du XIXe siècle-, décrit longuement la cérémonie qui doit être célébrée après le décès d'un frère. Dans le temple, la place du défunt était occupée par une draperie noire parsemée de larmes, portant u n écusson surmonté d'une tête de mort; les poignées des glaives et les bijoux* des dignitaires étaient voilés; les colonnes* J* et B* étaient entourées de crêpe; a tête du cénotaphe portant les attributs et les décorations du défunt était tournée soit vers l'est soit vers l'ouest suivant le grade du disparu. Un cérémonial assez long et complexe s'étant déroulé, le vénérable* invoquait le «souverain arbitre des mondes », « l'Être éternel et immuable » pour que «le frère chéri que la mort nous a ravi repose en paix » et que « son âme immortelle jouisse de toute la félicité que ses vertus lui ont méritée ». La cérémonie achevée, le cortège se rendait à la maison du défunt et de là à l'église « ou directement au champ du repos ». Sans que l'on sache si une telle cérémonie s'était préalablement déroulée Le Franc-Maçon de 1849 relate une inhumation au cimetière du Père-Lachaise le jeudi 8 tamuz: un prêtre ayant béni 1e tombe du frère Zano, immédiatement une délégation maçonnique s'avança; le frère Pillot, chef du secrétariat du Grand Orient* de France prononça l'éloge du défunt .

L'origine de l'incompatibilité entre obsèques catholiques et obsèques maçonniques-qui ne fait que refléter l'hostilité qui caractérisait les relations de l'Église et de la franc-maçonnerie, notamment depuis le pontificat de Pie IX-est en fait double. L'attitude de l'église* envers la franc-maçonnerie se radicalisa; des prêtres se mirent à refuser l'entrée des églises aux cercueils sur lesquels étaient posés des insignes maçonniques ou à des assistants qui portaient leurs décors voire une simple immortelle. Ainsi, au mois d'octobre 1865, le jour des obsèques d'un membre de la loge L'Union Maçonnique, le curé de Notre-Dame-de-Nazareth (Paris ) interdit à 200 francs-maçons de pénétrer dans l'église s'ils ne retiraient pas l'immortelle qui fleurissait leur boutonnière: refusant d'obtempérer, les maçons attendirent tous sur la place la sortie du cercueil. Le secrétaire adjoint de la loge écrivit au ministre des Cultes pour signaler le fait et demander que des ordres fussent donnés pour que cela ne se reproduisît pas. Mais, de leur côté, certains francs maçons désiraient donner un caractère civil à leurs funérailles.

En 1866, au sein de la loge L'Avenir*-elle-même installée en 1863 et à laquelle appartenaient Fribourg, Paul Lafargue et Charles Longuet-fut créé un comité des libres penseurs pour les enterrements civils qui publia un rapport sur «les moyens les plus pratiques de propager les enterrements civils ». La loge resta fidèle à ses orientations puisque, en 1892, elle édita encore une brochure consacrée aux funérailles civiles. Peu avant cette date, en 1887! avait été votée une loi sur la liberté des funérailles qui reconnaissait à chacun le droit de fixer, dans un testament olographe, le mode de ses funérailles (inhumation ou crémation, cette dernière étant alors interdite par l'Église) et de leur donner un caractère religieux ou civil.

Se fondant sur cette loi, un membre de la loge L'Homme Libre du Grand Orient France demanda que chaque membre de son atelier eût la possibilité de déposer son testament aux archives* de la loge comme cela se pratiquait d'ailleurs dans de nombreuses sociétés de Libre Pensée*. Certains maçons du Grand Orient de France ne se contentèrent pas de la faculté que la nouvelle loi accordait et voulurent obliger tous leurs frères à demander des obsèques civiles. Cette position radicale ne fut pas adoptée et l'obligation ne pesa que sur les défunts lui avaient appartenu au Conseil de l'Ordre.

FUNER2.JPG (75K) Enfin, il convient de signaler les cérémonies d'anniversaire célébrées en l'honneur des défunts, qui pouvaient se dérouler au cimetière ou au temple. Le 15 mars 1887, le vénérable de la loge Le Libre Examen invita les membres de la loge à venir, le 20 mars, « à l'anniversaire de sa mort »,« jeter une branche d'acacia » sur la tombe du F.'. Montagu. La lettre circulaire précisait: « Ne pas oublier vos décors maçonniques.» Certaines tenues* funèbres, devenant de ce fait des tenues blanches, étaient ouvertes aux parents et parfois aux amis des défunts. Ainsi, le 29 octobre 1890.

La loge Théléme organisa une tenue blanche destinée à « célébrer le souvenir de [nos] FF.'. qui ne sont plus » et invita tous ses membres à assister à cette cérémonie avec leur famille et à y amener des profanes. Il existe quelques rituels pour tenue funèbre qui fournissent aux loges les indications nécessaires. En 1886, L. Bonnet, franc-maçon et imprimeur-éditeur à Clermont-Ferrand, publia un Rituel de cérémonie funèbre pour tenue blanche, composé par le vénérable de la loge, Antoine Blatin*, ancien maire de Clermont-Ferrand, député du Puy-de-Dôme et membre du Conseil de l'Ordre du Grand Orient.

Estimant que le symbolisme est « un des besoins les plus impérieux de la nature » que bien peu d hommes peuvent s'en passer et que les cérémonies civiles étaient trop souvent empreintes d'« une glaciale austérité », Blatin avait proposé, dans la séance de clôture du Convent de 1883, de créer des rituels de maçonnerie blanche propres à~ gagner les masses populaires et à faire pénétrer les profanes dans nos temples »; le rituel funèbre publié en 1886 appartient donc à un ensemble plus vaste.

Les indications qu'il fournit recoupent largement celles qui sont recueillies dans d'autres rituels, dont l'auteur et la date d'édition sont inconnus. Les murs du temple doivent être tendus de draps noirs avec des franges d'argent; un catafalque, couvert d'un drap noir et blanc, occupe le centre du temple; à la tête de ce catafalque se dresse une colonne surmontée d'une urne antique, de l'encens fume dans une cassolette, etc. Durant la cérémonie, le grand expert constate qu'il manque plusieurs anneaux à la chaîne d'union*, mais le vénérable donne l'assurance que l'oeuvre des frères morts-les anneaux manquants-est restée bien vivante et que les disparus ont bien servi l'humanité. D'après l'un des rituels, désignant des rameaux verdoyants, il dit: , Ces rameaux symbolisent la vie qui se continue en puisant sa substance sous la pierre des tombeaux et la Pensée, noble étincelle, qui persiste à éclairer nos esprits, alors que les cerveaux d'où elle a jailli ne sont plus que poussière.

O Vén.'. M.'., vous ne travaillerez plus au milieu de nous, votre journée est à jamais terminée; mais si vous dormez dans la paix éternelle, les actes méritoires que vous avez accomplis, plus forts que le destin, vous survivent. La vie et la mort ne sont que des moments de l'évolution universelle; elles se succèdent tour à tour, et c'est pour continuer votre oeuvre, en nous appuyant sur votre exemple, Vén.'. disparus, que nous allons ressouder la chaîne, un instant brisée par votre trépas. " La cérémonie, qui avait été ouverte par une triple batterie* de deuil (Gémissons!) se ferme sur une triple batterie d'espérance (Espérons !). Mais tous les francs-maçons n'étaient pas favorables à de telles cérémonies. En 1923, les frères Paraf-Javal, Lagrifoul et Legros, membres de la loge La Montagne (n° 391 Grande Loge de France) publièrent un texte virulent contre les rituels; celui des pompes funèbres y était particulièrement malmené: « Est-il besoin, quand il s'agit de rappeler affectueusement le souvenir ému d'une amitié passée, d'entourer ce souvenir d'une pareille guignolade ? »

Il semble qu'actuellement certaines loges sont devenues totalement indifférentes, voire hostiles, à ce «culte des morts» tandis que d'autres continuent d'honorer la mémoire de leurs défunts.

J. L