GOBLET D'ALVIELLA, Eugène Félicien Albert, comte
GOLF
GORMOGONS
GOULD, Robert Freke
GRADE
GRAN REUNION AMERICANA
GRAND ARCHITECTE DE L'UNIVERS
GRAND CHAPITRE GÉNÉRAL
GRAND EMPIRE







GOBLET D'ALVIELLA, Eugène Félicien Albert, comte (Bruxelles, 1846 1925) Eugène Félicien Albert comte Goblet d'Alviella est le petit-fils du général Goblet, ministre de la guerre en 18301831, ambassadeur au Portugal en 1837, qui a reçu le titre portugais de comte d'Alviella. A son retour en Belgique*, ce titre est incorporé à l'armorial national en sa faveur. Sa mère, une demoiselle Packard, qui aurait eu un père franc-maçon américaine, lui donne la maîtrise de la .langue anglaise. Son père, dernier vénérable* maître* de la loge* des Amis Philanthropes à Bruxelles, décède avant l'initiation* de son fils dans la meme loge. Elle a lieu le 28 mai 1870 après qu'Eugène eut suivi des études au collège Saint-Louis à Paris et fut devenu docteur en sciences politiques (1868), puis docteur en droit en 1870 à l'Université libre de Bruxelles.

Il poursuit alors une triple carrière politique, universitaire et maçonnique. La franc-maçonnerie belge est à cette époque intensément mêlée aux querelles politiques qui divisent la nation, et cette implication motive toutes les activités de Goblet d'Alviella. Orateur adjoint de sa loge en 1872, il est second surveillant en 1873, orateur en 1876 et vénérable Maître en 1879. Élu député au Grand Orient* depuis 1874, il a été envoyé peu après à Londres pour rétablir les relations avec la Grande Loge Unie d'Angleterre*. Si cette mission ne rencontre pas un grand succès, une lettre du Grand Secrétaire à Londres propose que les relations soient maintenues au niveau des secrétariats.

Eugène Goblet est invité à assister à l'installation du prince de Galles (le futur Édouard VII) comme Grand Maître de la Grande Loge Unie d'Angleterre en 1875 et il établit d'excellentes relations dans la bonne société anglaise et parmi les francs-maçons anglais. C'est cependant au seul titre de journaliste qu'il est invité à accompagner le prince de Galles lors de son voyage aux Indes*.

En 1884, à l'âge de 38 ans, il est élu pour trois ans Grand Maître du Grand Orient de Belgique. A la fin de son mandat, il devient membre du Suprême Conseil pour la Belgique dont il devient le Souverain Grand Commandeur en 1900 et Souverain Grand Commandeur ad vitam en 1920. Il rétablit les rituels anciens, revoit ceux qui sont plus récents et rédige d'innombrables instructions de grades* et conférences maçonniques. Par ce dernier canal, il rejoint ses activités universitaires et, en pionnier, il crée la chaire d'histoire des religions à l'Université libre de Bruxelles.

Sa renommée s'étend à l'étranger: il participe à des congrès et est invité à donner en 1891 les célèbres Hilbert Lectures à Oxford. Élu député en 1878, il perd son siège lors de la victoire cléricale de 1884, mais est sénateur de 1894 à 1896, puis nommé ministre d'État en 1914. Il participe au gouvernement pendant la guerre de 1914-1918. Vénérable maître fondateur de la loge Les Amis Philanthropes n° 2, il est invité à devenir membre de la loge Quatuor Coronati* en 1909 et pro duit des articles pour les Ars Quatuor Coronatorum. Son ouvrage (récemment réédité), La Migration des symboles (1891), est une approche universelle des sentiments religieux.

Eugène Goblet meurt en 1925, renversé par une automobile à Bruxelles. En tant que président de la Société belge pour la crémation, alors interdite en Belgique, il avait exigé que son corps fût incinéré, ce qui, à l'époque, ne pouvait être fait qu'à Paris. Il a néanmoins droit à des funérailles nationales avec honneurs militaires.
M.B.


GOLF
C'est à partir du milieu du XVIIIe siècle que le golf, attire l'attention des francs-maçons d'Écosse*. A cette époque où la pratique du golf importe moins aux golfeurs que les banquets* qu'ils organisent, les francs-maçons y voient l'occasion de se divertir entre eux. On observe un phénomène similaire en France, lorsque les frères investissent les Nobles Jeux de l'Arc*. Mais le club de golf avec ses statuts et règlements, ses codes et son exclusivisme social n'existe pas encore. Les francs-maçons golfeurs écossais vont le mettre en place en transplantant les pratiques maçonniques: ainsi, les candidats sont blackboulés, doivent affronter des épreuves initiatiques, les officiers sont élus et tout excès et abus de langage est sanctionné. En outre, le secret* des délibérations est exigé des membres, les archives demeurent confidentielles. Des parades permettent à la communauté des pairs de faire la démonstration aux yeux de tous de la cohésion des élites, ce que la discrétion maçonnique interdit.

Le premier club l'Honourable Companv of Edinburgh Coifers, est fondé en 1744.
La première pierre en est posée par William St. Clair of Roslin Grand Maître héréditaire des francs-maçons d'Écosse, ès qualités. Le cas n'est pas isolé. Les célèbres Royal Burgess Colfing Society of Edinburgh et St. Andrew s Club sont également d'origine maçonnique. La pratique du golf se diffuse simultanément dans les colonies par l'intermédiaire des réseaux de loges*. Ainsi, David Deas, Grand Maître de la Grande Loge de la Caroline du Sud envisage dès 1743 de fonder un club à Charleston*, et commande aux francs maçons golfeurs de Leith, en Écosse, clubs et balles. Aujourd'hui l'Amicale Fraternelle Internationale de golf renoue avec cette tradition.
P.-Y. B


GORMOGONS
Cette société secrète fondée en 1724, sans doute par le duc de Wharton fut de courte durée. Certains historiens, comme Gould*, ont mis en cause son existence mais on trouve deux articles dans la presse anglaise de 1724 (dans le Weekly Journal and Saturday Post et dans le Plain Dealer) et on connaît un tableau de Hogarth* intitulé The Cormogons et datant de la même année. Il montre une procession menée par un certain « Chin Quan » et le sage Confucius dans laquelle figurent un singe revêtu d'un tablier* maçonnique et un maçon muni du sien et de ses gants*, sans doute James Anderson*. Hogarth, qui était Grand Officier de la Grande Loge d'Angleterre, n'aurait pas peint ce tableau s'il n'avait souhaité ridiculiser les Cormogons, qui devaient donc bien exister.

On a soupçonné le duc de Wharton d'avoir créé cette société afin de parodier la Grande Loge d'Angleterre avec laquelle il s'était brouillé juste après en avoir en avoir été le Grand Maître (en 1723). Le facteur religieux et politique rend cette hypothèse plausible. En effet le duc de Wharton, qui devait se convertir au catholicisme en 1726, manifesta très tôt sa sympathie pour les Jacobites*. La Grande Loge d'Angleterre avait tout fait pour évincer cet encombrant Grand Maître, qui risquait de la rendre suspecte aux yeux des Hanovre. Les Gormogons parvinrent à faire temporairement un peu d'ombre à la Grande Loge d'Angleterre, en parodiant son rituel par l'accumulation de symboles orientaux plus fantaisistes les uns que les autres, et en obligeant les maçons qu'ils avaient dévoyés à renoncer à leurs grades* maçonniques afin d'être initiés chez eux. Hogarth sut donc bien retourner l'arme des Cormogons contre eux, en les caricaturant à leur tour.
C.R.


GOULD, Robert Freke
GOULD.JPG (72K) (Luccombe 1837-Woking, 1915) Gould est le fils d'un recteur de paroisse dans un petit village du sud-ouest de l'Angleterre. On ne sait rien de sa jeunesse; il s'engage en 1855 dans l'armée en acquérant un brevet de porte-drapeau dans le 86e régiment irlandais d'infanterie. Promu lieutenant dans le 31e régiment d'infanterie en garnison à Walmer, il est initié à la Royal Navy Lodge de Ramsgate (Kent) le 8 décembre 1855 et élevé au grade de maître* le 20 février 1856. Son régiment est envoyé à Malte où Gould reçoit les grades de Past Master et Royal Arch* (3 avril), de Knight Templar (10 avril) et de Knight of Malta (17 avril 1856) au Melita Chapter n° 349, puis à Gibraltar où, le 10 février 1858, Gould est installé vénérable* de l'lnhabitant Lodge qui ne s'était pas réunie depuis 17 ans. Après un bref séjour en Afrique du Sud, son régiment est transféré en 1859 aux Indes*, à Poona. Gould n'y reste que six mois pendant lesquels il s'affilie à deux loges*, crée au sein de son régiment la Meridian Lodge dont il est élu vénérable, participe à la création de deux camps (encampments) de Knight Templars et est nommé Député Grand Commandeur Provincial du Conclave. Son régiment repart pour Hong Kong le 7 juin 1860 et retournera trois ans plus tard en Angleterre sans lui, car il quitte l'armée et occupe pendant deux ans le poste de secrétaire du conseil Municipal de Shanghai. Gould revient à Londres où il s'affilie à la Moira Lodge no 92, fait ces études de droit et devient avocat le 6 juin 1868. Il n'exerce que deux ans et consacre le reste de sa vie à la franc-maçonnerie et à son histoire.

Gould est l'un des 10 membres de la commission nommée le 5 décembre 1877 par la Grande Loge Unie d'Angleterre* pour prendre en considération les décisions adoptées en septembre par le Convent* du Grand Orient de France*. Trois mois plus tard cette commission présente la résolution refusant de reconnaître « comme authentiques et véritables des frères qui ont été initiés dans des loges niant ou ignorant cette croyance »Adoptée à l'unanimité, cette résolution marque la rupture officielle de la Grande Loge Une d'Angleterre avec la francmaçonnerie française. Ces relations ne reprendront que lorsque la Grande Loue Nationale Indépendante et Régulière sera fondée à Paris en novembre 1913, mais la franc-maçonnerie britannique n'a plus jamais reconnu le Grand Orient de France comme puissance maçonnique régulière depuis 1878.

Gould fair partie du board of general purposes en 1876 et de 1878 à 1883. Il publie en 1879 The Four Old Lodges consacré aux quatre loges fondatrices de 1717 et The Atholl Lodges. De 1882 à 1887, à raison d'un volume par an, paraît son Histoire de la franc-maçonnerie dont le texte a été plusieurs fois réédité en 6 ou en 3 volumes. Une deuxième édition révisée par Dudley Wright, est publiée en 5 volumes en 1931. Une troisième édition, révisée par le révérend Herbert Poole, est publiée en 4 volumes en 1951

À partir de 1884, plusieurs éditions pirates sont imprimées aux États-Unis. Depuis 1896 elles comprennent une section supplémentaire de 400 pages consacrées à l'histoire de la maçonnerie américaine, The American Addenda, dont la version originale incluait trois excellentes études par Josiah H. Drummond, T. S. Parvin et Enoch T. Carson.

Cofondateur de la loge Quatuor Coronati* n° 2076 dont il est le second vénérable, installé le 8 septembre 1887, Gould est l'auteur de plus de 30 articles publiés dans Ars Quatuor Coronatorurn jusqu'ell 1903. La même année, il publie A Concise History of freemasonry. Publiée à Bruxelles en 1910, L'histoire abrégée de la franc maçonnerie a été rééditée à Paris en 1989.

En 1981 -John Cooper avait présenté l'année précédente une communication sur la vie et l'oeuvre de Gould devant la loge Quatuor Coronati-, John Hamill découvre dans les archives de la bibliothèque de la Grande Loge Unie d'Angleterre deux manuscrits de la main de '- George William Speth, fondateur et premier secrétaire de la loge Quatuor Coronati jusqu'à sa mort en avril 1901. Il constate que le texte de ces deux manuscrits dont l'un est intitulé: « Chapter IV. The Craft Guilds [Corps d'état] of France », est identique à deux chapitres de l'Histoire de Gould. Sa découverte amène Hamill à poser deux questions: d'autres auteurs pourraient-ils avoir écrit des chapitres de l'oeuvre que Gould avait signée seul ? Le fait d'avoir signé un livre qu'il n'avait pas entièrement écrit expliquerait-il pourquoi Gould ne fut pas lauréat du prix Peeters Baertsoen, créé par le Grand Orient de Belgique* en mars 1879 ? Décerné pour la première fois en 1889, ce prix fut alors partagé entre six lauréats dont Gould ne faisait pas partie, alors que la loge Quatuor Coronati avait officiellement posé sa candidature. Vingt ans plus tard, en 1909 le prix fut décerné à Gould pour sa Concise History. « Par une heureuse coïncidence », écrit Cooper, le comte Goblet d'Alviella*, ancien Grand Maître du Grand Orient de Belgique, avait été élu membre actif de la loge Quatuor Coronati le 5 mars précédent. A.B.


GRADE
Le terme de grade ou de degré est l'un des plus employés lorsqu'on parle de l'organisation hiérarchique de la maçonnerie.

La franc-maçonnerie est organisée en trois grades « symboliques » ou grades « bleus »: apprenti*, compagnon* et maître*. On parle également de grades de « métier » ou craft, parce que ces trois grades puisent aux sources des opératifs*. Cependant, dans les premières Constitutions* d'Anderson* (1723), il est question d'un système en seulement deux grades: « apprenti entré » et «compagnon du métier ». C'est dans celles de 1738 qu'apparaît le grade de maître qui a dû se constituer et se formaliser durant cette période. Avec l'Acte d'Union de 1813 entre la Grande Loge des Modernes* et la Grande Loge des Anciens* apparaît un quatrième grade: la Sainte Arche Royale de Jérusalem*, apparu dans les années 1760 et non pratiqué par les Modernes.

Le terme de grade se généralise dès que les rituels se stabilisent et sont reconnus par une Grande Loge en tant que rituels officiels. Le Grand Orient de France* rédige ainsi ses rituels des trois premiers grades en 1785. Il sont publiés en 1801 sous le nom de Régulateur du maçon. On peut lire au début de celui-ci: « Le Grand Orient de France s'occupe de la rédaction des trois premiers grades ou grades symboliques... » Au-delà du grade de maître viennent les différents hauts grades* parmi lesquels on distingue sommairement les grades dits de vengeance faisant référence au récit d'Hiram* (grades d'Élus), les grades chevaleresques comme le Rose-Croix* (180), les grades dits de Perfection (du 4° au 14° du Rite Écossais Ancien et Accepté*) et les grades administratifs (du 31° au 33°).
J.-Fr. B.


GRAN REUNION AMERICANA
Comme le souligne Berruezo Léon, Miranda* a exercé un grand ascendant sur les Hispano-Américains arrivés en Europe. Sa personnalité, sa vaste culture intellectuelle et le rôle joué dans la mise en place des relations politiques avec le gouvernement britannique pour obtenir la participation anglaise à la cause de la lutte émancipatrice lui assurent une place d'honneur parmi les révolutionnaires sud-américains (Empire espagnol*) arrivés dans le Vieux Continent. Un groupe de compatriotes finit même par le nommer, lors de son séjour a Paris, principal agent de l'insurrection en Europe. Il est vrai qu'il mit sous son commandement une force militaire organisée en Angleterre pour « libérer les Américains du joug de la péninsule », qu'il fut expressément chargé de présenter le plan au premier ministre Pitt et qu'il finit par le convaincre d'appuyer le projet indépendantiste. Déjà à Londres, au début 1798, il présenta des projets unitaires et eut l'idée de mettre en place une société qui serait le catalyseur des décisions politiques et l'organe de propagande de l'idéologie émancipatrice.

Ces réflexions donnèrent lieu à la fondation de la loge Los Caballeros Racionales ou Cran Reunion Americana, qui s'étendit par la suite en Espagne, à Cadix. Néanmoins, contrairement aux affirmations de Berruezo Léon, il ne semble pas que cette société secrète fondée par Miranda ait eu « d'enracinement maçonnique ». Il existe des similitudes formelles et liturgiques mais cela ne doit pas inciter à adhérer à une « théorie du complot » ou à soupçonner la main de la maçonnerie derrière cette société. Il est certain, en revanche, que Miranda, devenu Grand Maître ou vénérable* de sa loge, transmit à ses membres ses objectifs et sa stratégie politico-idéologique. Il s'identifia tellement au projet conspiratif que lorsqu'on fait référence au groupement londonien, on indique « la loge »ou « société mirandine de Londres ». La Cran Reunion Americana était installée dans le domicile personnel de Miranda à Crafton Street et, d'après les historiens, elle fut rapidement le lieu d'intégration et de cohésion des insurgés hispano-américains avec la volonté de vivifier le projet sécessionniste. Il s'agissait de proposer aux révolutionnaires débarqués en Europe un corps unificateur et discipliné et des propositions pour entreprendre sérieusement les plans de Miranda. Les objectifs primordiaux du Précursor étaient au nombre de deux: l'indépendance de l'Amérique espagnole et l' instauration d'un régime républicain.

Pour les atteindre, Miranda a naturellement essayé d'étendre des ramifications de son organisation mère en différents points en Europe et en Amérique. Apparemment, la première de ses antennes fut créée à Cadix sur le modèle londonien. D'importantes personnalités de l'émancipation tels Bernardo O'Higgins (1778-1842), le libérateur du Chili et, d'après le biographe de Miranda, W. S. Robertson, le disciple préféré du Precursor, prirent part aux liaisons entre les deux. L'invasion française en Espagne et les jalons posés par Miranda permirent de réunir les conditions pour qu'en 1810 la Cran Reunion Americana devînt de fait un centre de réunion de la diplomatie des insurgés à l'arrivée à Londres des premiers délégués révolutionnaires.

Au début de juillet 1810, quand arrivent les représentants du Venezuela, l'association mirandine peut compter sur l'appui de la Junte de Caracas, même si les délégués étaient prévenus contre le Precursor à cause de ses idéaux jacobins. Néanmoins des liens d'amitié et des intérêts communs permirent à Bolivar* Bello*, Lopez Mendez et Miranda de s'entendre. Luis Lopez Mendez communiqua ainsi au secrétaire d'État à Caracas que Miranda était la personne indiquée pour s'informer de contacts préliminaires et entreprendre des démarches de sa délégation. Il émit sur le Precursor un jugement pondéré et assez flatteur en faveur de ce « général expérimenté », de cet « homme politique convaincu ».

Pendant quelques mois, les deux dirigeants réalisèrent une campagne dans la presse londonienne pour susciter dans les sphères gouvernementales britanniques la sympathie envers les provinces américaines éprouvées. Cette campagne mettait en évidence une situation qui lésait non seulement la population locale mais aussi les ambitions commerciales et diplomatiques anglaises. La tache développée par Miranda à Londres se poursuivit après son départ définitif en octobre 1810 lorsqu'il se rendit au Venezuela avec l'espoir de voir réaliser ses idéaux de liberté et d'indépendance. Il semble que la loge de Londres dura encore quelque temps: des indices amènent en effet à considérer que l'Argentin Carlos de Alvear fut chargé de maintenir son existence. Peu après, lorsqu'il revint au Rio de la Plata, il fonda, à Buenos Aires, avec le grand José de San Martin, la loge Lautaro*, plus ou moins inspirée de celle du Precursor. Il aurait aussi existé préalablement à Buenos Aires une délégation de l'association mirandine de Londres, La table à celle de Cadix. Au même moment, d'autres patriotes américains, comme Manuel Moreno, poursuivirent à Londres le travail de liaison, de conspiration et d'organisation révolutionnaire que Miranda avait entrepris des années auparavant lorsque l'idéologie de l'émancipation américaine n'était qu'une belle idée dans son esprit.
M. de P. S.


GRAND ARCHITECTE DE L'UNIVERS
GRANDAU.JPG (228K)
Contrairement à une opinion répandue , l ' expression « Grand Architecte de l'Univers » n'est, en maçonnerie, qu'une expression rapportée; elle paraît d'un usage sinon courant, du moins fréquent au XVIe siècle puisqu'on la trouve dans le premier tome de L'Architecture (1567) de Philibert de L'Orme et que Kepler l' utilise encore dans son Astronomia noua (1609); dans tous les cas, elle désigne Dieu, le Dieu tout-puissant ordonnateur du Ciel et de la Terre. Ce sont les Constitutions* d'Anderson* (1723) qui consacrent son usage maçonnique puisqu'elles sont placées sous les auspices du Grand Architecte de l'Univers. L'expression n'y figure cependant qu'une fois: « Adam, notre premier ancêtre, créé à l'image de Dieu, le Grand Architecte de l'Univers, dut avoir les sciences libérales, particulièrement la géométrie, inscrites dans son coeur, car depuis la chute même, nous en trouvons les principes inscrits dans le coeur de ses descendants. » Cependant, dans les procès-verbaux de la Grande Loge de Londres où l'on eût pu s'attendre à la rencontrer, l'invocation brille par son absence. Il faut attendre la Masonry Dissected de Prichard (1730) pour que le Grand Architecte de l'Univers soit nommé en toutes lettres:
« Quand vous etes entré dans [la chambre* du] Milieu, qu'avez-vous vu ?
-La représentation de la lettre G*.
-Que dénote ce G ?
-Quelqu'un de plus grand que vous.
- Qui est ce plus grand que moi, qui suis un maçon franc et accepté, le maître* d'une loge* ?
- Le Grand Architecte et Artisan de l'Univers ou Celui qui fut transporté au somment le plus haut du Temple* sacré. »


Que dire de cette maigre provende ? D'abord, que la référence au Grand Architecte est un emprunt; ensuite que son utilisation s'inscrit dans une tradition qui doit moins au judéo-christianisme qu'au néoplatonisme renaissant puisque Dieu n'est plus appréhendé comme le Dieu personnel de la Bible* mais comme un principe architectonique ordonnant un « chaos » préexistant selon les lois de la géométrie. Ce qui autorise une pareille conjecture est la reprise par Dermott* de l'article 1er des Constitutions d'Anderson. Le texte date de 1756 et l'on sait qu'il procède de la volonté des maçons de la Grande Loge des Anciens*-pour l'essentiel catholiques irlandais-de corriger le laxisme des Modernes*; rappelons le texte d'Anderson: « Un maçon est obligé de par sa tenue d'obéir à la loi morale; et s'il comprend bien l'art il ne sera jamais athée stupide ou libertin irréligieux. Mais quoique dans les temps anciens les maçons fussent tenus dans chaque pays d'être de la religion quelle qu'elle fût de ce pays ou de cette nation, il est néanmoins considéré maintenant comme plus convenable de les astreindre seulement à cette religion sur laquelle tous les hommes sont d'accord laissant à chacun ses propres opinions, c'est-à dire d'etre des hommes de bien et loyaux ou hommes d'honneur et de probité quelles que soient les dénominations ou les confessions qui puissent les distinguer »; voici maintenant la version qu'en donne Dermott dans son Livre des constitutions de la très ancienne et honorable fraternité des maçons libres et acceptés: « Un maçon est obligé de par sa tenue de croire fermement et d'adorer fidèlement le Dieu éternel aussi bien que les enseignements sacrés que les dignitaires et Pères de l'église ont rédigés et publiés pour l'usage des hommes sages; de telle sorte qu'aucun de ceux qui comprennent bien l'Art puisse possiblement marcher sur le sentier irréligieux du malheureux libertin ou être induit à suivre les arrogants professeurs d'athéisme ou de déisme; ni à être souillé par les erreurs grossières de l'aveugle superstition; mais qu'il puisse avoir la liberté d'embrasser la foi qu'il jugera convenable pourvu qu'en tous instants il témoigne du respect dû à son Créateur et agisse dans le monde avec honneur et honnêteté prenant pour règle permanente de ses actes le précepte d'or qui engage chacun à faire à autrui ce qu'il voudrait qu'on lui fît » si la référence à la catholicité est ici obvie on observera que le « libertin irréligieux » d'Anderson s'est mué en « malheureux libertin » et « l'athée stupide » devient un arrogant professeur d'athéisme ou de déisme-signe que l'indifférentisme en matière religieuse du « malheureux » libertin s'est transformé, en 1756, en athéisme ou déisme militants. Notons en passant que la réaction des Anciens fut pratiquement sans effet puisque dans les éditions de 1756 et 1784 des Constitutions, la Grande Loge des Modernes rétablit l'article 1er dans sa première rédaction. Édition de 1723: « Adam notre premier père créé à l'image de Dieu le Grand Architecte de l'Univers dut avoir les sciences libérales gravées dans le coeur...» édition de 1738: « Le Tout-Puissant Architecte et Grand Maître de l'Univers ayant créé toutes choses en accord avec la Géométrie... »; édition de 1784: (, Quand du point de vue philosophique nous contemplons les merveilles de l'Univers nous découvrons que les corps célestes, la terre que nous habitons et nous mêmes avec tous les autres animaux et produits naturels sommes constitués et régis dans nos diverses opérations par des lois naturelles sages et invariables dans leurs tendances à l'harmonie et à la conservation de tout l'ensemble... »

On voit que le Dieu Architecte a été maintenu avec, in fine, une référence à la physicothéologie dont la philosophie naturelle de Newton avait révélé l'extrême fécondité avec le Psalmiste les maçons pouvaient dire: Coeli ennarant gloriam Dei (Les Cieux racontent la gloire de Dieu). Mais dès lors que Dieu-Grand Architecte, en « accord avec la Géométrie », avait donné au monde ses lois ne pouvait on pas redouter que ces lois se substituassent maintenant à lui, et que la natura naturans, pour reprendre la terminologie de Spinoza ne l'emporte sur la natura naturata ? C'est ce que l'évolution de la notion de Grand Architecte de l'Univers en territoire maçonnique paraît confirmer.

Dieu est en maçonnerie un Grand Architecte, ou, plutôt, le Grand Architecte est Dieu. Dans le premier cas, on part de Dieu alors que, dans le second, après avoir évoqué le Grand Architecte on s'empresse de préciser qu'il est Dieu. Ce chiasme définit l'ambiguïté du rapport que les maçons entretiennent avec le divin à l'aube des Lumières*. Il est clair que pour les meilleurs esprits, après la révolution galiléenne, Dieu n'est plus Dieu: le Dieu d'Abraham, d'lsaac et de Jacob: le Dieu du coeur d'Augustin il devient un principe abstrait, architectonique, qui, s'aidant de la géométrie, construit le monde selon un plan ordonné; quintessencié, il s'est perdu dans les espaces infinis, laissant à ses enfants la « géométrie dans le coeur », le soin d'en découvrir les lois; mais ce Grand Architecte (Fontenelle parlera de « Grand Géomètre » et Voltaire*, de « Grand Horloger ») reste Dieu, et l'on sent dans la reprise quasi compulsive de la formule « le Grand Architecte qui est Dieu » comme la nostalgie d'un Père dont la mort paraît inéluctable-« mort » dont la sécularisation du sacré atteste depuis trois siècles. En témoigne en amont la nouvelle version que l'on donne de l'article 1er, en 1815 lors de la réunion des Anciens et des Modernes: « Par obligation d'état un maçon est tenu d'obéir à la Loi morale et s'il comprend bien l'Art il ne sera jamais athée stupide ou libertin irréligieux. De tous les hommes il doit le mieux comprendre que Dieu voit autrement que l'homme car l'homme voit l'apparence extérieure alors que Dieu voit le coeur. Par conséquent un maçon est astreint en particulier à ne jamais agir à l'encontre des commandements de sa conscience. Quelle que soit la religion d'un homme ou sa manière d'adorer il ne sera pas exclu de l'Ordre* pourvu qu'il croie au Glorieux Architecte de l'Univers du Ciel et de la Terre et qu'il pratique les devoirs sacrés de la morale... » Le laxisme andersonien a été évacué puisque « chacun n'est plus libre de ses opinions » croire devient une obligation. Le texte de 1815 représente à l'évidence une régression dogmatique qui prouve que la maçonnerie est fille de son temps et s'adapte sans états d'âmes aux exigences du moment.

La querelle à propos du Grand Architecte a été un phénomène uniquement français, même si la Belgique* l'a précédée. Si le laxisme andersonien ne souffre pas de discussion (il est bien question de la « religion sur laquelle tous les hommes sont d'accord », chacun restant libre de ses « propres opinions »), nous sommes toujours en régime de civilisation chrétienne même si la sécession anglicane se démarque de Rome: en d'autres termes le christianisme et, plus généralement, toutes les religions monothéistes demeurent les références obligées du maçon. Cette situation singulière fait que la maçonnerie ne saurait se penser en dehors du monde chrétien. Pourtant elle n'était pas une contre-Église-on imagine mal le pasteur Anderson défaisant en loge ce qui a été prêché au temple ! Mais, comme les rituels l'indiquent clairement, un fil continu relie dans cette Angleterre du début du siècle les pratiques religieuses et les pratiques rituelles. La situation ne sera guère différente en France quand, dans les années 1735-1740, la maçonnerie s'y implantera: à ceci près qu'à la différence de l'Angleterre, la France n'a pas fait sa « révolution »; elle vit en régime de révocation, et la religion du prince est celle des sujets. La maçonnerie se fera donc catholique comme en attestent les rituels et surtout les différents régimes dits de hauts grades* qui proliféreront dans les années 1760. Que d'innombrables membres du clergé* aient alors maçonné prouve que la maçonnerie n'était pas alors perçue comme une religion de substitution-ce qu'elle deviendra dans la première moitié du XIXe siècle-mais qu'elle répondait aux aspirations du « Peuple de Dieu » qui entendait maintenant s'associer en dehors des a priori dogmatiques et donc confessionnaux.

Ch. P


GRAND CHAPITRE GÉNÉRAL
GOF.JPG (132K) Quelques mois après sa formation en ]773, le Grand Orient de France* décide de limiter sa souveraineté aux trois premiers grades* et d'ignorer les hauts grades*. Les querelles entre systèmes écossais* avaient en effet été la cause directe de la disparition de la première Grande Loge de France*. Mais cette position fragilisant l'autorité du nouveau corps central de la maçonnerie française, en 1782, la nécessité d'une doctrine propre sur les hauts grades pressant, le Grand Orient crée une quatrième chambre consacrée aux hauts grades: la « Chambre des Grades ». Jusqu'en 1784 cette nouvelle chambre effectue un réel travail sur les hauts grades, mais son activité ne débouche pas sur une solution concrète. À partir de 1784, celle-ci connaît un net ralentissement. Parallèlement, le 2 février de la même année, ses principaux animateurs créent, en dehors du Grand Orient, le Grand Chapitre Général de France. Ce nouveau Grand Chapitre se présente comme le corps fédérateur pour la maçonnerie de hauts grades en France. Il est constitué au grade de Rose Croix* qui partageait avec le Kadosh* le statut de grade terminal à cette époque. L'une des premières tâches du nouveau Grand Chapitre est de procéder à .. une rédaction plus simple de tous et chacun les hauts et sublimes grades. Afin d'établir une entière uniformité soit dans la pratique soit dans la collation d'iceux, non seulement dans son sein mais encore dans tous les souverains chapitres qu'il affiliera, il ordonne que les cahiers des grades seront scrupuleusement révisés et réduits en un seul même et unique point de forme ».

Le résultat de ce travail est la fixation de ce que l'on appelle, à partir du début du XIXe siècle, le Rite Français* ou Moderne. Il comprend 4 Ordres* pratiquant chacun un grade: Élu, Écossais, Chevalier d'Orient, Souverain Prince de Rose-Croix, auquel vient s'ajouter un 5e Ordre consacré à l'administration et à la recherche maçonnique. En 1786, le Grand Chapitre Général de France et le Grand Orient signent un traité d'alliance qui fait du système en 5 Ordres le rite officiel de hauts grades du Grand Orient de France. Jusqu'en 1789, plus de 50 chapitres rejoignent ou sont constitués par le Grand Orient « en son Grand Chapitre Général». Considérer le Grand Chapitre comme 1'« auteur » du Rite Français serait une erreur car il n'a fait que fixer l'usage en retenant les hauts grades les plus traditionnels dans leurs versions les plus sobres. Plus de vingt ans avant la création du Grand Chapitre, un système très proche de ce qui deviendra le Rite Français était déjà pratiqué. Dans les années 1760, la Mère Loge Écossaise* de Marseille confère les grades de Maître Parfait Élu Écossais Chevalier d'Orient et à Lyon* on reçoit successivement, les Frères Élus, Maistre Parfait Irlandais, Écossais et Chevalier d'Orient. Le texte de référence du Rite Français est Le Régulateur des chevaliers maçons élaboré entre 1784 et 1786 par le Grand Chapitre Général de France et imprimé en 1801.

Le Rite du Grand Chapitre Général s'épanouit pleinement sous l'Empire*. Il devient en France et dans toute la zone d'influence française le système de hauts grades standard. L'arrivée en 1804 du Rite Écossais Ancien et Accepté* ne trouble pas, dans un premier temps, son essor. Après le grade de maître*, les frères rejoignent un chapitre où sous l'autorité du Grand Chapitre Général leur sont conférés les hauts grades jusqu'à celui de Rose Croix. La petite minorité de maçons passionnés de haute maçonnerie peut prolonger son parcours initiatique en rejoignant quelques conseils de Chevaliers Kadosh qui cette fois sous l'autorité du Suprême Conseil du Rite Écossais Ancien Accepté, leur confèrent les 220, 280 et 30° de ce rite. Mais dans le deuxième tiers du XIXe siècle, les frères passent directement du grade de maître à celui de Rose-Croix dont on ne sait plus très bien s'il est le 4e Ordre du Rite Français ou le 18° du Rite Écossais Ancien et Accepté !

Dans la mesure où la pratique du grade de Chevalier Kadosh, 30° du Rite Écossais Ancien et Accepté, se développe, on en vient à considérer que les chapitres -qui, jusqu'en 1850, sont dans leur immense majorité constitués au Rite Français-relèvent du 18° du Rite Écossais Ancien et Accepté. Insensiblement le Grand Chapitre Général se transforme donc en Grand Chapitre du Rite Écossais Ancien et Accepté. La spécificité du Rite Français disparut sans que rien ne changeât dans la vie quotidienne des ateliers, à part une étiquette, et cela avec d'autant plus de discrétion qu'à partir du Second Empire* les maçons français deviennent tout à fait indifférents aux questions rituelles.

En 1963, quelques maçons parisiens, tous titulaires du grade de Rose-Croix, réunis autour de René Guilly* (qu,i avait reçu ce grade dans le chapitre L'étoile Polaire constitué en 1839 au Rite Français) désirent réveiller les hauts grades du Rite Français. Le Souverain Chapitre Français Jean-Théophile-Désaguliers est constitué avec une patente et une filiation traditionnelle du Chapitre hollandais De Roos (La Rose). En effet le Grand Chapitre des hauts grades des Pays-Bas*, créé à l'époque de la domination française, a continué à pratiquer jusque-là, et jusqu'à nos jours le Rite Français. À partir du chapitre Jean-Théophile-Desaguliers d'autres chapitres sont créés en France durant les 30 dernières années. En 1996, 17 de ces chapitres qui regroupent des frères du Grand Orient de France réveillent avec l'appui du Grand Collège des Rites le Grand Chapitre Général de France. Parallèlement, dès 1989, des frères appartenant à la Grande Loge Nationale Française* ont constitué de leur côté un Grand Chapitre Général pour le Rite Français. Enfin le chapitre Jean-Théophile Désaguliers continue à assurer la fonction de Souverain Chapitre Métropolitain pour la France. P.M.


GE.JPG (83K) GRAND EMPIRE
1. Panorama général
Il. Le. cas espagnol









1. Panorama général
Bonaparte* rêvait de faire une pax napoleonica. Au début de 1811, l'empire connaît sa plus grande étendue avec 130 départements, dont, 16 créés en 1810 par l'annexion des États de l'église, du royaume de Hollande, d'Oldenbourg, du Hanovre, des villes de la Hanse et enfin du Valais. L'autorité de Napoléon s'étend aussi par l'intermédiaire de ses parents et alliés sur une nébuleuse de pays vassaux: Confédération du Rhin, Suisse* royaumes d'ltalie* et de Naples Dalmatie et Illyrie, Espagne* et Portugal*. Il faut encore ajouter le grand-duché de Varsovie, le Danemark et la Suède*.

L'Europe est contrainte et forcée de fonctionner pendant l'Empire à l'heure française. Illusoire ou réel, le Grand Empire offre pendant une dizaine d'années l'image d'une masse de granit et la volonté d'assimilation pose le problème de la création d'un possible Grand Empire maçonnique. En effet, conquêtes et victoires amènent les soldats de l'an 11 puis de la Grande Armée napoléonienne à fréquenter de nombreuses loges* régimentaires où des autochtones francophiles adhèrent. La pacification assurée, des loges civiles se constituèrent. On assiste alors à un amalgame des élites locales et des fonctionnaires civils et militaires français. Les francs-maçons appelés à exercer des fonctions administratives ou judiciaires à l'étranger éprouvaient le besoin de se retrouver entre eux là où ils étaient en poste. Ils fréquentaient des loges existantes, en créaient de nouvelles le plus souvent en faisant sur place des adeptes qui finalement, dépassaient en nombre les Français qui les avaient initiés. Ce recrutement parmi les notables et dans certains milieux intellectuels et politiques étrangers facilitait la collaboration souhaitée entre l 'administration et les populations soumises à l'autorité impériale.

La pénétration maçonnique française suit donc les armées* de la République puis de l'Empire. De son côté, le Grand Orient de Paris favorise l'esprit cosmopolite de l'époque et affirme sa volonté d'être le centre de l'union. Cette influence des loges pour une meilleure acceptation de la présence française n'a pas partout les mêmes prolongements. Si elle est sensible en Rhénanie annexée, en Italie, en Belgique, au Luxembourg, dans les cantons suisses et dans la Confédération du Rhin il n'en fut pas de même au Portugal, en Espagne et aux Pays-Bas*. Mais, partout où pénétrèrent les armées impériales, il y eut des loges dépendant directement du Grand Orient de Paris ou bien rattachées à des organisations autonomes en rapports très étroits avec lui. En Belgique, en 1814, 27 loges relèvent du Grand Orient. Dans le royaume de Hollande, pendant les trois ans que dure l'occupation française, 9 loges sont créées. De son côté, le Grand Orient de Hollande compte 71 loges. À La Haye, la loge Saint-Napoléon rassemble 450 membres à l'époque où s'exerce l'autorité française. En 1815, elle se trouve réduite à quelques adeptes.

Au Luxembourg, avec la présence française, les loges ont une grande activité alors que, avant 1789 sous domination autrichienne la franc-maçonnerie* fut pratiquement interdite. En Italie au Piémont, la première loge française doit sa création au préfet de Turin, le Piémontais Ferdinand Di Villa. À Asti, dans le département du Tanaro, la loge a pour fondateur le préfet, le général commandant la place et l'ensemble des fonctionnaires des Finances. En Ligurie, transformée en 3 départements français, 4 loges existent, animées par le procureur impérial, le payeur du Trésor public et le receveur général des Finances.

Dans le royaume d'ltalie, modèle des États vassaux plus qu'ailleurs, Napoléon y a joui du prestige du conquérant. Les loges d ' inspiration française se multiplièrent en attirant à elles des personnalités de premier plan. C'est à l'initiative des maçons français du Rite Écossais qu'est constitué le Grand Orient d'ltalie. Le vice roi, le prince Eugène, a le titre de Grand Maître du royaume. Cette maçonnerie officielle compte 27 ateliers dans 24 villes. Le grand-duché de Toscane, divisé en 3 départements est naturellement accueillant aux initiatives des maçons français. De brillantes cérémonies maçonniques sont organisées dans ses départements et les Toscans sont nombreux à demander leur admission et à l'obtenir. Dans le département de l'Arno la loge Napoléon est forte de 225 membres. Au total, 7 loges fonctionnent en Toscane.

Rome, qui n'est pas réellement une terre maçonnique, compte 2 loges, La Vertu Triomphante, qui travail le en italien, et Marie-Louise, où l'on parle le français La première se donne pour vénérable* le général Camille Borgia qui commande la gendarmerie. Il y a le général Radet (celui qui enlève le pape pour le conduire à Savone) et le colonel Jubé est vénérable d'honneur avec le général Miollis qui est gouverneur militaire de Rome. Il y a aussi 4 autres loges de moindre importance.

Dans le royaume de Naples, il y avait eu des loges régimentaires attachées aux régiments français jusqu'en 1806. Avec la création d'un royaume vassal il y a un Grand Orient de Naples dont les Grands Maîtres sont successivement Joseph Bonaparte et Murat*.

Dans les provinces illyriennes, 7 loges se constituent de 1806 à 1813, principalement à l'instigation de militaires et de fonctionnaires français.

En Allemagne sur la rive gauche du Rhin, qui, depuis 1797, forme 4 départements et avec laquelle le Grand Orient de France* échangeait d'excellentes relations depuis l'Ancien Régime, d'autres loges sont agrégées au Grand Orient de Paris Les loges sont composées en parties égales entre les frères originaires de France et ceux des pays allemands. Quand Jérôme Bonaparte devient roi de Westphalie, un Grand Maître est désigné en la personne de Joseph Siméon, ancien Garde des Sceaux du Grand Orient de France. De nombreux dignitaires de la maison du roi Jérôme jusqu'aux fonctionnaires d'un rang modeste fréquentent les loges. Grâce au Grand Maître Siméon la maçonnerie est un instrument précieux pour faciliter l'acceptation de la présence française.

Enfin, dans la Confédération helvétique, c'est surtout à Genève* et dans les cantons helvétiques que le Grand Orient, par l'entremise des préfets, a ouvert une dizaine de loges.

Ce rapide survol de l'Europe maçonnique pendant la période napoléonienne montre donc que la pax napoléonica, tant dans le Grand Empire que dans les États vassaux a permis le développement des loges françaises. Grâce à la maçonnerie, une collaboration plus confiante des notables locaux avec les militaires, les magistrats et les fonctionnaires envoyés en pays conquis se développe. Cette heureuse harmonie ne doit pas cacher cependant de réelles dissensions. Malgré les guerres et la montée des nationalismes, Napoléon est justement réputé pour avoir propagé en Europe les idées de la Révolution* et la franc-maçonnerie française a largement contribué à cette propagation. Les maçons français pendant cette période restent convaincus que l'implantation de loges en territoires d'occupation constitue un mode adroit de pacification en créant une sorte de terrain neutre sur lequel viendraient se retrouver occupants et occupés.

P. Fr. P.


Il. Le. cas espagnol
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L'arrivée des troupes napoléoniennes en Espagne est le moment qui donne naissance à une maçonnerie organisée. Après la fondation de La Double Alliance à Cadix en 1807 par l'agent comptable Gabriel Bougrain (elle est domiciliée sur la frégate La Comélie), c'est en 1809, à l'instigation de Joseph Bonaparte*, que des loges militaires sont créées dans les villes où les troupes françaises stationnent. Trois loges furent ainsi installées: Les Frères Unis (Saint-Sébastien) Les Amis Fidèles de Napoléon (Barcelone) et Sainte-Joséphine des Amis Réunis (Talavera de la Reina). D'autres fondations succèdent à Vitoria (1810) à Gérone à Madrid, à Santander et à nouveau à Barcelone (1811), à Figueras et à Séville (1812), à Saragosse (1813) et à Santona (1813). Ces ateliers forment un réseau dépendant du Grand Orient de France. Étatisée officielle, cette franc-maçonnerie recrute surtout parmi des officiers et du personnel auxiliaire de campagne qui sont un instrument idéologique aux mains des Français.

Cependant a la même époque, un petit groupe d'Espagnols gagnés à la cause de l'Empire* et quelques Français entourant le roi décident de créer une maçonnerie autochtone dépourvue d'esprit militaire. À cet effet sont fondées à Madrid les loges San José, Santa Julia Beneficencia Josefina San Juan de Escocia de la Estrella de Napoléon, Napoléon el Grande, Los Philadelfos et La Edad de Oro. Les trois premières de ces loges, par délégation de Joseph Bonaparte se constituent en Gran Logia Nacional de Espana le 27 novembre 1809. C'est une situation originale puisque le Grand Orient de France continue à travailler dans un pays où existe un autre Grand Orient reconnu, ce que ses statuts lui interdisent.

Les effectifs de la Grande Loge Nationale d'Espagne ne sont pas très élevés et le recrutement ne concerne que les élites économiques. Ce sont des fonctionnaires de l'administration et de l'armée, des prêtres, de grands propriétaires, des professeurs, des médecins, des artistes... parmi lesquels se trouvent le président de la Haute Cour de justice, le président de la cour d'appel, le directeur des Postes, le directeur du canal de Castilie et Aragon, 3 secrétaires d'État, 8 commissaires des guerres, 2 préfets* et 2 corregidores. Le groupe des ecclésiastiques est particulièrement représenté avec 20 membres, dont 3 chapelains royaux. Elle compte aussi des personnalités connues comme Andres Muriel, le biographe de Charles IV, le professeur de minéralogie Ergen, Juan de Andujar, ancien professeur du séminaire de San Fulgericio et directeur de la Caceta... et José Narganes de Posada, pédagogue confirmé.

La franc-maçonnerie bonapartiste devient le pôle de diffusion des idées des Lumières*. Ainsi, le général et gouverneur Thovenot, dans son discours d'installation* des Amis Réunis de Saint-Joseph (Vitoria), impute le retard espagnol à (l la superstition et au fanatisme, ces deux monstres, fléaux de l'humanité » qui « ont arrêté pendant deux siècles les progrès des arts et des sciences en Espagne 1). Et l'orateur de la loge Santa Julia, lors d'une réception en 1811, acclame (. l'empereur philosophe qui a voulu nous donner un roi éclairé, sous les auspices duquel les Espagnols redeviendront des hommes et, une fois détruits les funestes monuments à la superstition, s'élèveront sur leurs ruines les véritables monuments de la raison, les loges de francs-maçons ".

Des personnalités, tels Andujar et Narganes de Posada, sont les figures de proue des milieux libéraux éclairés. Manuel José Narganes de Posada était un partisan convaincu de l'abolition du régime féodal, de la liberté d'enseignement et du régime constitutionnel. Auteur d'un plan de réforme de l'instruction publique en 1809, il est l'afrancesado type de l'épo que, car ses préoccupations, exprimées dans ses projets concernant l'enseignement secondaire, répondent aux désirs de la bourgeoisie étatiste, nationaliste, libérale, et séduite par les Lumières et pétrie de culture classique.

En 1811, la franc-maçonnerie bonapartiste crée un Suprême Conseil du Rite Écossais Ancien et Accepté* dont le Souverain Grand Commandeur est Grasse Tilly* .

P. A.