GRAND ORIENT DE FRANCE
GRAND TOUR
GRANDE LOGE D'YORK
GRANDE LOGE DE CLERMONT
GRANDE LOGE DE FRANCE (PREMIÈRE)



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GRAND ORIENT DE FRANCE
I. Naissance
II. Panorama (1774-1999)



1. Naissance
Au lendemain de la mort du Grand Maître, on se préoccupe de sa succession; mais parce que, d'expérience, on sait qu'il règne sans gouverner c'est d'abord à son Substitut que l'on pense, puisque Chaillon de Jonville se trouve de fait déposé. Le choix se fixe sur Anne Charles Sigismond de Montmorency-Luxembourg* colonel du régiment de Hénaut-Infanterie, reçu maçon en 1762. Qui en a alors décidé ? Les documents conservés permettent de répondre: l'affaire s'est négociée entre Chaillon de Jonville, qui descendait de charge, Montmorency-Luxembourg et Savalette de Langes*, garde du Trésor royal et principal animateur de la loge* Les Amis Réunis* qui, à compter de ces années, va jouer un rôle majeur dans l'histoire de la maçonnerie française. Le 21 juin 1771, la Grande Loge* se réunit pour prendre acte de la vacance de la Grande Maîtrise mais ce jour fut celui de toutes les surprises, car les travaux avaient à peine commencé quand on frappa à la porte du temple*: c'étaient les frères bannis, ex-lacornards, devenus labadystes, qui demandaient l'entrée.

Le plus naturellement du monde Duret, tout en se ralliant à la structure qui se mettait en place, proposa que l'on choisisse le duc de Chartres (Orléans*) comme Grand Maître, et Montmorency-Luxembourg comme Administrateur Général. L'occasion était à saisir, même si elle n'allait pas sans arrière pensées. On remit la décision au 24 juin, jour de la fête de l'Ordre*, et c'est à cette date que le duc de Chartres accéda à la Grande Maîtrise et que Montmorency Luxembourg devint Administrateur Général. Cette situation d'Administrateur Général élu en même temps que le Grand Maître était nouvelle car, pour la première fois, il ne tirait pas sa légitimité du chef de l'Ordre, mais de l'assemblée des frères. Le duc saura en profiter; il placera aux postes stratégiques de la nouvelle adrninistration les membres de sa loge qui appartenaient aux meilleures familles de l'aristocratie libérale. Le premier chantier auquel il s'attachera sera de mettre un terme à l'inamovibilité des maîtres* de loge, qui rendait un vénérable* en quelque sorte propriétaire de son atelier. Ce coup d'État qui donnera au Grand Orient sa véritable personnalité fut lourd de conséquences puisque, dépossédés, bientôt, les maîtres parisiens firent sécession.

L'unité retrouvée n'était que de façade, et l'on constate que très rapidement les anciens dissidents occupent les postes les plus en vue de l'appareil maçonnique: Labady devient secrétaire au Département des Provinces, Guillot trésorier, et Brest de La Chaussée* est écarté.
Montmorency-Luxembourg, qui a suscité la candidature du duc de Chartres* à la Grande Maîtrise (5 avril 1772), précise que le Grand Maître est désormais tout à la fois premier dignitaire de l'Ordre et Souverain Grand Maître du Régime Écossais du Grand Globe français et Grand Maître du Souverain Conseil des Empereurs d ' Orient et d ' Occident , de sorte qu e le peuple maçonnique est alors placé sous une seule et même autorité.
Le 9 août 1772, en réunion de Grande Loge, il fut décidé de donner à cet ensemble le nom de Souveraine et Très Respectable Grande Loge de France.
Restait à lui donner des statuts, ce qui fut fait en 1773 avec l'appui massif de députés de la province qui, du coup, entérinèrent l'élection du nouveau Grand Maître, qui avait été différée faute de placet royal, et de l'Administrateur Général.
Les maîtres de loge parisiens qui jusque-là dirigeaient l'ordre tentèrent de se rassembler, mais finalement la Grande Loge devenue « Nationale » se constitua, le 7 avril 1773, en Grand Orient de France.
Ainsi est mis, en introduisant le principe de l'élection, un terme à l'inamovibilité des charges qui depuis ses origines avait caractérisé l'Ordre: « Le Grand Orient de France sera composé de la Grande Loge et de tous les vénérables en exercice, ou députés des loges tant de Paris que des provinces [...]. Le Grand Orient de France ne reconnaîtra désormais pour vénérable de loge que le Maître élevé à cette dignité par le choix libre des membres de sa loge »(art. 1). Nuit du 4 août, comme on l'a écrit? On remarquera surtout qu'elle a été conduite par l'aristocratie libérale et la haute bourgeoisie éclairée.

C. P.

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II. Panorama (1774-1999)
Impossible de décrire en quelques lignes les deux siècles d'histoire du Grand Orient de France. Une division séquentielle en trois temps est nécessaire. La première période s'ouvre en 1774 et s'achève au milieu des années 1860: elle se caractérise, derrière les apparences que le poids des chiffres peut parfois suggérer, par une « affirmation difficile ». Puis, avec le tournant libéral du Second Empire* commence une période d'épanouissement remarquable durant laquelle le Grand Orient et ses membres parviennent à occuper le rôle de choix dans la cité auquel ils aspirent et qui se prolonge, si l'on veut bien accepter les bomes proposées par le temps politique, jusqu'au Cartel des Gauches* (1924 1926). À ce moment-là, sans se désengager véritablement le mouvement d'ensemble incline en effet à percevoir à nouveau « l'espace loge » et la société maçonnique stricto sensu comme étant les lieux et les objets constitutifs privilégiés pour les nouveaux projets exprimés lors des Convents*.

1774: l'achèvement de la grande réforme qui donne naissance à la nouvelle obédience* ne met pas fin aux « désordres ". Plus que la dissidence de la Grande Loge de Clermont*, le Grand Orient souffre des retombées liées au tournant que rencontre le siècle de la Philosophie. La crise culturelle des années 1770-1789, en suscitant une « critique radicale» sortie des doutes sur l'idée de progrès, touche de plein fouet une obédience qui même modernisée sur le plan institutionnel, reproduit dans son fonctionnement pro fond les mécanismes de la société d'Ancien Régime. Les tendances centrifuges, montrées par le succès des réseaux mis en place par un Mathéus* pour la pratique de son système de hauts grades* à partir d'une loge pourtant régularisée par le Grand Orient, les véritables stratégies qui apparaissent dans les procédures de désignation des députés* ou la revendication sociale portée par l'émergence de nouveaux ateliers démocratisés en sont les manifestations les plus visibles.

On retiendra pour témoignage de cela «l'échec » du Grand Chapitre Général* (1782) dont la finalité première reposait sur l'ambition de chapeauter les pratiques écossaises et la floraison dans les années 1785 1789 de loges modestes en Provence et à Rouen. Malgré les rejets de l'obédience qui est aidée dans sa tâche par les vieux ateliers élitistes attachés à « leurs privilèges » d`antériorité, le Grand Orient est en situation délicate quand survient la Révolution française*. Celle-ci ne va qu'accélérer sa chute et la subvertir. Le nombre de loges à la fin du XVIIIe siècle (plus de 650) peut bien créer l'illusion de la prospérité la réalité est celle des scissions multiples et d'une descente sociale échappant au contrôle du Grand Orient: la croissance masque une crise profonde. Les loges auront beau « s'applaudir d'avoir contribué à écarter les nuages qui obscursissent la forêt » l'obédience qui reste cependant la seule à porter le flambeau maçonnique après 1791, vit des temps difficiles jusqu'à sa renaissance à la fin du Directoire.

L'instrumentalisation de la franc-maçonnerie des Bonaparte* malgré de nouveaux mirages proposés par de nouveaux chiffres, encore plus vertigineux (plus de 1000 loges et chapitres* en 1814), ne sort pas véritablement le Grand Orient de ses difficultés profondes. L'inféodation est largement artificielle comme le montre la formation de cercles libéraux lorsque l'édifice chancelle. 1815 aura tôt fait de le rappeler en ramenant rapidement l'obédience vers des chiffres (300 loges en 1822) et une sociologie qui montrent les limites de « son pouvoir » de séduction. La stagnation prévaut jusqu'en 1848 et le Grand Orient doit surmonter à la fois la désertion des élites, notamment à Paris et dans les orients touchés par l'industrialisation où le monde du petit commerce et l'aristocratie boutiquière domine la suspicion qui inquiète le pouvoir, notamment à partir de la réaction ultra (1820), et la récurrente incapacité de l'obédience à réunir tous les maçons. La création du Suprême Conseil de France en 1821 consacre une fois de plus l'échec du rêve unificateur.

Malgré un nouveau ralliement de surface autour du « parti maçonnisé » du Mouvement, la Monarchie de Juillet voit nombre de loges s'enliser dans une politisation stérile, peu suivie d'échos dans la société civile. A partir de 1840, deux symptômes montrent toutefois une évolution favorable. D'une part une presse active émerge: elle est bien représentée par la Revue maçonnique de Lyon et du Midi, une feuille d'inspiration fouriériste où l'on débat avec ardeur sur le sens à donner à la maçonnerie et où les échanges entre crypto-chrétiens et adeptes de la tolérance absolue montrent à la fois le désir de faire évoluer le Grand Orient et la réalité de l'effervescence qui secoue les loges provinciales. D'autre part, l'émergence des premiers Congrès régionaux (20 juin 1845) révèle que le Grand Orient peut s'appuyer (ou craindre) sur une base décidée à faire évoluer l'obédience pour la rendre plus en phase avec les aspirations de la société civile.
À l'occasion des Congrès on n'hésite pas en effet à porter atteinte aux pratiques existantes. En juin 1847, à Toulouse, des frères vont jusqu'à proposer l'abolition des hauts grades. Malgré les désillusions occasionnées par les débuts de la Seconde République le vent réformateur qui anime nombre de frères du Grand Orient ne retombera pas.

L'importante Assemblée Constituante de juin 1848, destinée à nouveau à unifier la maçonnerie montre même qu'il prend une force nouvelle.
C'est l'occasion pour beaucoup de prolonger la démocratisation des années 1771-1774 en luttant contre le centralisme et le pouvoir excessif du Grand Maître.
Néanmoins, la montagne accouche d'une souris et l'organisation reste centralisée malgré les désirs de la presse maçonnique. Quant à la Grande Maîtrise que certains regardaient comme un vestige de la monarchie, elle n'est pas abolie.
Le Grand Maître, auquel on fixe l'obligation d'avoir 33 ans et de posséder tous les grades* les plus élevés, reste bien l'homme fort du Grand Orient.
De son coté, l'article 3 des Constitutions rappelle l'obligation de croire et le texte indique que « la maçonnerie connaît et proclame comme point de départ de ses recherches philosophiques, et comme faits audessus de toute contestation, l'existence de Dieu ».
Cependant cette affirmation montre qu'un véritable débat a bien eu lieu et que le Grand Orient de France porte en son sein nombre de frères qui au moment où le parti républicain se renforce continuent à regarder les mutations de l obédience comme un préalable indispensable à une implication véritable dans la cité.
L'élection du Prince Président vient interrompre le processus.
Dans un contexte où l'antimaçonnisme* fait rage et fait craindre la suspension des travaux, le prince Murat, désigné, fait preuve d'un réel autoritarisme.
Il purifie les équipes en place et contribue par sa politique à rompre le dynamisme enclenché.
Le Grand Orient est ramené à de véritables étiages.
De 325 loges en 1853 on passe à 165 en 1856 ! L'achat de l'hôtel de la rue Cadet, le 10 juillet 1854, pour la somme de 450 000 francs, est loin de compenser les effets destructeurs d'une politique qui mène au Convent fratricide de 1861 lors duquel 98 des 152 représentants osent choisir le prince Jérôme Bonaparte contre son cousin Murat.
Les frères reprochent la politique cléricale d'un Grand Maître qui a accepté de voter au Sénat en faveur de la souveraineté temporelle du Saint-Siège sur Rome.
Ses pouvoirs s'achèvent le 30 octobre 1861 et, au moment où le maréchal Magnan est nommé à la tête de l'obédience, le II janvier 1362, on ne peut que constater que celle-ci n'a pas encore réussi pleinement à constituer la force apte à intervenir efficacement dans le champ politique et social.

C'est en fait avec le tournant libéral du milieu des années 1860 que le Grand Orient par la conjonction d'une mutation interne et de sa capacité à rayonner véritablement sur la société environnante (chose que montrent parfaitement l'histoire et l'évolution de la loge aixoise Les Arts et l'Amitié*), y parvient. La période s'ouvre pourtant par le retour de difficultés maintes fois rencontrées. Le maréchal Magnan doit affronter une situation difficile. La politique de réunification des obédiences échoue à nouveau et sa Grande Maîtrise est ponctuée de débats internes violents qui prolongent les tensions perçues depuis 1848. Le déroulement du Convent de 1864 en témoigne: il fait apparaître sans retenue un vif débat autour du Grand Architecte de l'Univers*: tolérants rationnels et massoliens, qui bénéficent avec La Chaîne d'Union d'un relais efficace, s'affrontent ouvertement et la victoire reste du côté des premiers (avec 99 voix sur 136).

Ces débats se développent pourtant dans un contexte nouveau marqué par la croissance régulière des effectifs: de 190 ateliers en 1862, on est passé à 314 loges en 1870. En outre, la large ventilation sociale du recrutement du Grand Orient montre que l'obédience est devenue apte à exercer un pouvoir d'attraction sur l'ensemble du corps social, excepté les plus humbles. Dans ce contexte, l'épisode de la Commune* et l'arrivée de l'Ordre moral n'apparaissent que comme des moments passagers de difficultés ne remettant pas en cause un mouvement d'ensemble qui s'amplifie, au début des années 1880, lorsque les aspirations du régime républicain consolidé par les victoires électorales de 1877 et de 1881 se trouvent en phase avec celles d'une obédience qui a su inscrire son action dans le champ social par des pratiques philanthropiques novatrices et sur le plan religieux, franchir le pas en 1877 en adhérant aux thèses qui furent développées par Massol*. La rupture graduelle avec les obédiences anglo saxonnes, qui inclinent au conservatisme social (l'lrlande* en octobre, puis l'Ecosse* en novembre puis enfin la Grande Loge Unie d'Angleterre* en mars 1878), accompagne un engagement politique et religieux plus affirmé. Le cheminement de loges emblématiques comme L'Alsace-Lorraine*, La Clémente Amitié* ou L 'École Mutuelle montre que les ateliers du Grand Orient peuvent s'ériger comme des promoteurs des idéaux de la République.

GROF3.JPG (84K) L'initiation* de Ferry* au sein de La Clémente l'action plus profonde de maçons comme Santallier* en province et, peut-être plus encore, le retour stratégique en maçonnerie d'un politicien comme Félix Faure* (1884) montrent également que les contemporains ont parfaitement conscience de l'influence et du rôle du Grand Orient.
La République ferryste et, surtout, la République radicale, qui correspond au temps du long mandat de Desmons*, voient l'obédience parvenir au paroxysme de son engagement.

Dans les années 1895-1898, pour reprendre la juste j expression d'André Combes, le Grand Orient devient réellement « un laboratoire législatif ». Disposant des moyens de mener à bien sa politique (le ministère Bourgeois* compte rien moins que 7 maçons) le Grand Orient, tenté par l'irréligion, épouse résolument la cause défendue par Emile Combes*. Pourtant, malgré la réalité de cette évolution structurelle les membres de l'obédience restent dans les profondeurs du pays sujets à la diversité des positionnements. Le boulangisme* et l'affaire Dreyfus* révèlent la chose: les clivages qui traversent l' Ordre perdurent et, des engagements malheureux que l'on peut percevoir s'agissant de la crise boulangiste aux nombreux silences qui accompagnent l'Affaire les affidés sont loin de montrer une quelconque unanimité.
Si le Grand Orient exerce donc bien une fonction initiatrice sur le plan politique, le quotidien des maçons montre que l'attitude de ceux-ci continue à refléter la diversité des comportements culturels caractérisant l'ensemble de la société française.

Avec la Grande Guerre et la montée du fascisme* s'ouvre une période nouvelle marquée par une relative décroissance de l'influence maçonnique sur les affaires de l'état: le Cartel des Gauches est l'ultime moment où le programme de l'obédience est directement lié à celui que défendent les hommes portés au pouvoir. La guerre approche et malgré le rôle réel joué par de nombreux frères dans la Résistance*, avec 232 loges et 8 000 membres (1945), le Grand Orient qui renaît en 1945 sort considérablement affaibli.

Faut-il mettre cependant le relatif retrait de la scène politique du Grand Orient, période mendésiste exceptée, sur le seul compte de la succession du malheur des temps ? L'obédience s'est plus d'une fois remise à flot à partir de situations tout aussi délicates. En fait une conjoncture politique d'assez longue durée joue en défaveur de l'obédience dont l'action est largement dominée par la figure de Francis Viaud Grand Maître entre 1945 et 1956. Au fascisme et à l'Occupation succède en effet la Guerre froide qui constitue un contexte très peu favorable pour le Grand Orient. En effet, l'obédience recrute assez peu dans les sphères gaulliste et communiste qui dominent alors la scène politique française. La multiplication des « tentatives intemationalistes " à vocation externe (un projet de gouvernement mondial en 1948 ou l'approbation nette l'année suivante en faveur de l'Europe) ou la fondation du CLIPSAS dans une perspective maçonnique peuvent être considérées comme des tentatives visant à réactiver le rayonnement de l'obédience, mais également comme les symptômes d'une nécessité et d'une difficulté à s'affirmer dans un contexte où la défense des intérêts nationaux prime et où la maçonnerie anglo saxonne, à la différence de la maçonnerie libérale que représente le Grand Orient, peut s'insérer dans le camp atlantiste.

D'autre part, l'évolution des pratiques culturelles des Français va parfois à l'encontre des attitudes profondes de l'obédience comme le montrent les difficultés à répondre à la question de l'initiation des femmes*. Si nombre de maçons du Grand Orient y sont acquis celle-ci reste refusée et meme si l'un des points délicats qu'elle soulève reste plus la question des relations avec Le Droit Humain* qu'un rejet de fond, cela pose un frein évident au projet de rayonner sur l'ensemble du corps social dans le monde contemporain. Reste que la volonté de participer aux affaires de la cité perdure: de la mise en place des colloques à partir des années 1960 en passant par la volonté de transparence actuelle, dans un contexte où le Grand Orient est parfois mis sur la sellette à l'occasion ,( d'affaires» où l'on n'hésite pas à porter à la connaissance du public l'affiliation supposée ou établie, mais sans très ample recherche sur le degré d'investissement réel de la personne dans l'obédience force est de constater que l'action du Grand Orient qui rassemble aujourd'hui près de 40 000 frères et constitue la première puissance maçonnique française, æ caractérise toujours par le projet de développer ses idéaux de la loge vers la cité, même si, à l'image des évolutions qui marquent la France contemporaine celle-ci ne passe plus nécessairement par l'action politique.
E. S.


GRAND TOUR
Le « Grand Tour » désigne le voyage de formation à travers l'Europe par lequel se terminait l'apprentissage des règles et codes de la bonne société européenne sous la conduite d'un précepteur-gouverneur. Ce périple faisait alterner les séjours dans les grandes villes universitaires européennes (Göttingen, Leyde ou Strasbourg) avec la visite des lieux où s'épanouit le .. royaume de la civilité et du bon goût »: Paris, Genève* Florence Naples Spa prestigieuse ville d'eau Nice... sans oublier les indispensables visites de courtoisie à rendre aux figures des Lumières*. Le Grand Tour tient à la fois du voyage d'agrément, ancêtre du tourisme contemporain, et de la peregrinatio academica des étudiants de l'âge classique. Sous ces deux aspects, il commence à être relativement bien connu. Cependant, il se double fréquemment d'un véritable tour initiatique dans la République universelle des francs maçons. Casanova* lui même ne suggère t il pas dans ses Mémoires que« tout jeune qui voyage, veut connaître le grand monde, ne pas se trouver inférieur à un autre et exclu de la compagnie de ses égaux, doit se faire initier dans ce qu'on appelle la maçonnerie, pour savoir au moins superficiellement ce que c'est» ? Les récits de voyage sont souvent très discrets sur le sujet, mais certains sont particulièrement éclairants, comme le Tour through Sicily and ,Malta de Patrick Brydone dont la publication à Londres en 1773 marque selon H. Tuzet« une date dans le récit de voyage, en tant que genre littéraire ». Dument muni de certificats maçonniques, Brydone part pour l'ltalie comme traveling preceptor du jeune lord Fullarton âgé de 17 ans. Ils s'embarquent pour Naples en compagnie de l'ambassadeur anglais, sir William Hamilton, qui est un franc maçon notoire. Brydone raconte ensuite sa rencontre avec des francs-maçons d'Agrigente.

Mais c'est l'étude des archives des loges* cosmopolites et des correspondances que les précepteurs échangeaient avec les parents de leurs élèves qui révèle l'ampleur du phénomène. Le Strasbourgeois Frédéric-Rodolphe Saltzmann, futur pilier de la maçonnerie templière, confie à la mère du jeune baron Karl von Stein - futur ministre prussien - qu'il accompagne à la fameuse université de Göttingen, l'attraction que l'initiation* maçonnique exerce sur son élève et ses amis: « Monsieur votre fils a une si grande envie d'être des nôtres qu'il me persécute jour et nuit pour se faire agréer. » Dans d'autres cas, ce sont les précepteurs ou les professeurs d'université-à une époque où la plupart des cours avaient lieu au domicile de l'enseignant-qui prennent l'initiative de présenter la candidature de leur élève à l' initiation. Le Saxon Friedrich von Tiemann a guidé des dizaines de jeunes aristocrates baltes et russes dans un véritable périple initiatique parallèlement au tour de formation à travers les loges européennes. On peut également citer le futur révolutionnaire Gilbert Romme, précepteur du fils du comte russe Alexandre Stroganov, Grand Officier du Grand Orient de France* .

D'autre part, des loges se sont « spécialisées » dans l'accueil de ces jeunes étudiants. La puissante et aristocratique loge La Candeur (Strasbourg) est l'archétype de ces loges brillantes qui devinrent de véritables pépinières pour la jeunesse cosmopolite des universités européennes. Son essor est en effet clairement lié à la réputation internationale de l'université luthérienne de la capitale alsacienne. 7 des 13 fondateurs de l'atelier figurent sur le matricule universitaire et au cours de la période 1763-1788, la loge reçoit près de 70 étudiants. Ils sont jeunes (on entre alors à l'université dès l'âge de 16 ans), étrangers, luthériens, nobles, et en majorité originaires d'Allemagne et des provinces baltes de culture allemande. Les Illuminaten* ont bien compris l'ampleur du phénomène, qui multiplient les initiatives pour recruter dans les villes universitaires, enseignants, précepteurs et jeunes aristocrates destinés à occuper des charges importantes, et pour les gagner aux Lumières radicales. Lorsque les précepteurs hésitent à laisser leur élève recevoir la lumière de l' initiation, on leur propose fréquemment d'etre initié afin de voir par eux-mêmes l' innocence de l' initiation maçonnique. Parfois c'est l'élève lui-même qui guide les premiers pas du précepteur de quelques années son aîné, dans le temple*. L'initiation partagée modifiait les relations entre les deux individus et éclaire d'un jour nouveau l'éducation des élites européennes, alors qu'on insiste souvent sur le fait que le précepteur-gouverneur est un véritable domestique au service de la famille qui l'emploie.

Les archives* maçonniques montrent également clairement la valeur qu'accordaient les jeunes visiteurs et leurs chaperons au certificat maçonnique. Si les routes du Grand Tour étaient bien balisées et de plus en plus fréquentées au fur et à mesure que la pratique du voyage de formation se diffusait de la noblesse* vers ]a bonne bourgeoisie les aléas du voyage n'en restaient pas moins nombreux. À une époque où l'inflation des lettres de recommandation en circulation en a\~ait considérablement diminué la valeur, les précepteurs et leurs élèves étaient nombreux à convoiter le précieux certificat maçonnique qui pouvait se transformer en viatique, gage d'assistance et de secours, ou en sésame permettant d'ouvrir les portes étroites des cercles mondains.
P.-Y. B.


GRANDE LOGE D'YORK
Cette Grande Loge ne fut jamais une rivale pour la Grande Loge des Modernes*, contrairement à celle des Anciens*, essentiellement en raison de la faiblesse de ses effectifs. Elle existait avant 1717 et allait se transformer en Grande Loge autonome en 1725. Elle aurait une supériorité par rapport aux quatre loges de 1717 parce qu'elle n'aurait jamais rompu avec la tradition opérative*. En effet, la loge d'York, exclusivement composée de maçons de métier au XVIIe siècle ne renia nullement son caractère opératif au XVIIIe siècle, -out en attirant la petite noblesse, comme en atteste la liste des premiers Grands Maîtres. On y trouve sir George Tempest. baronnet, en 1705, l'honorable Robert Benson, lord-maire de York, en 1707: sir William Robinson, baronnet, en 1708: sir Walter Hawkesworth, baronnet, er 1711 .. Il est possible que plusieurs loges* de maçons se soient réunies lors de la construction de la cathédrale*. Cependant, seule l'existence d'une loge au XVIIe siècle est prouvée. Les annales de cette loge ne remontent malheureusement que jusqu'en 1712, peu de temps avant l'arrivée des spéculatifs*. Opératifs et spéculatifs, maçons de métier et maçons amateurs coexistent tout au long du XVIIIe siècle.

La maçonnerie d'York utilise une terminologie spécifique: ainsi, le vénérable* se nomme « président » jusqu'en 1725 Lorsque se constitue la Grande Loge, le président prend le titre de Grand Maître et la loge celui de Grande Loge. Il faut attendre quelques années pour que la Grande Loge crée quelques autres ateliers, et les effectifs resteront toujours très réduits: entre 1725 et 1792 date de sa disparition la Grande Loge d'York constitue 13 loges et une Grande Loge. Il s'agit de la Grande Loge éphémère créée par William Preston, la Grand Lodge South of the River Trent, lorsque ce dernier se brouilla temporairement avec les Modernes. Pourtant la Grande Loge d'York se faisait appeler « Grande Loge de toute l'Angleterre ».

L'histoire de la Grande Loge d'York se divise en trois périodes: de 1725 à 1730, elle connut une certaine prospérité puis de 1730 à 1760 elle interrompit vraisemblablement ses activités, comme le laisse supposer l'absence totale d'annales pour la période 1740-1760, avant de vivre un regain de 1761 à 1774. À partir de 1774 la Grande Loge décline de nouveau puis disparaît en 1792. Nous pouvons cependant émettre une hypothèse pour expliquer l'interruption entre 1740 et 1760: cette période correspond exactement à l'essor des Anciens, qui eurent de bonnes relations avec la Grande Loge d'York. Les maçons de la Grande Loge d'York et les Anciens semblent en effet s'être retrouvés dans les mêmes chapitres de l'Arche Royale, meme si la Grande Loge d'York ne reconnaissait pas officiellement ce degré. Il est possible que les maçons d'York aient un peu délaissé leurs loges à cette époque au profit des chapitres de l'Arche Royale dirigés par les Anciens. La guerre de Sept Ans a pu également avoir une incidence plus forte sur les activités des maçons d'York que sur celles des autres Grandes Loges, simplement en raison de leur petit effectif.

L'historien Francis Drake, élu fellow des prestigieuses Society of Antiquarians ( 1735) et Royal Society (1736), auteur d'un ouvrage sur la cité d'York et sa cathédrale (The City and Cathedral Church of York, 1736), est le plus célèbre des maçons de la « Grande Loge de toute l'Angleterre ». Initié en 1725 il devient Second Grand Surveillant (Junior Grand Warden) la même année. Il prononce peu de temps après un discours célèbre sur l'apprenti*, le compagnon* et le maître*. Il est élu Grand Maître en 1761 et redonne vigueur à la Grande Loge d'York qui accorde même quelques patentes à des loges extérieures à la cité.

Si le rayonnement géographique de la Grande Loge d'York fut bien moindre que celui des Anciens et des Modernes, son histoire, et aussi ses légendes, celle du prince Edwin, petit-fils du roi Alfred, alimentèrent le rituel maçonnique de plusieurs autres Grandes Loges celui des « Anciens » et de nos jours encore, celui des francs-maçons américains.
C.R.


GRANDE LOGE DE CLERMONT
Elle rassemblera, après la constitution du Grand Orient*, les maîtres parisiens dissidents et quelques loges de province; mais rien n'est bien assuré Le 14 juin 1773 la Grande Loge Nationale avait annoncé qu'elle maintiendrait sans faiblesse l'inamovibilité des maîtres*; le 30 août, c'est au tour de la Grande Loge de France* (futur Grand Orient) de déclarer que « la prétendue Grande Loge Nationale » est « illégale, subreptice et irrégulière ». Celle ci rassemblait, pour l'essentiel, les exclus de 1766. Cette Très Respectable Grande Loge de France qui se qualifiait parfois Grand Orient de Clermont, ou « seul grand et unique Grand Orient de France », tentera pendant près de 26 ans de se maintenir, face à un Grand Orient triomphant. Peut-être a-t elle regroupé une cinquantaine de loges au total. Son personnel, que permet de mieux connaître la publication récente de son livre d'architecture (9 février 1789-5 juin 1798), appartient essentiellement à la roture: ce sont des négociants, des commerçants, des artisans qui pour l'essentiel, la composent.

Idéologiquement, elle est plus conservatrice que sa rivale le Grand Orient, plus traditionaliste, plus franchement catholique. Il semblerait qu'à partir de 1791 son activité ait fléchi: c'est ce qu'indique le livre d'architecture, mais les travaux reprennent en 1795 significativement sous les auspices de la « liberté, l'egalité, la fraternité » (f° 80). La Grande Loge se préoccupe alors de se doter de nouveaux règlements (1798), mais des relations sont nouées avec le Grand Orient qui avait repris ses travaux en 1796. Le 23 mai 1799, un acte d'union est signé: l'inamovibilité des vénérables* est supprimée, mais on les maintient à leur poste pour neuf ans... L'honneur était sauf ! Le 22 juin 1799, une tenue* solennelle du Grand Orient, présidée par Roëttiers de Montaleau* consacre l'union. Les membra disjecta de la maçonnerie avaient été rassemblés pour un temps, car personne n'avait alors prévu la déferlante que représenterait bientôt le Rite Écossais Ancien Accepté* .. .
Ch. P


GRANDE LOGE DE FRANCE (PREMIÈRE)
1. Panorama historique
I l . Textes réglementaires


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I. Panorama historique
Résumons cette histoire à gros traits. Importée du Royaume-Uni, la maçonnerie arrive à Paris dans les années 1720. La première loge* française qui figure sur les tableaux* de la Grande Loge d'Angleterre porte le titre distinctif de King's Head in the Butcher Row le n° 90 et la date tardive du 3 avril 1732; mais le tableau général dressé par Brest de La Chaussée* en avril 1769 signale une loge Saint-Thomas*, constituée à Paris le 12 juin 1726. L'expression Grande Loge de France est plus tardive, puisqu'elle n'apparaît que sur un document du 25 novembre 1737 délivré par Charles Radclyffe, comte de Darwentwater. Il semble que jusqu'à cette date deux maçonneries aient coexisté sur le sol français: l'une catholique, stuardiste, gallicane, et l'autre hanovrienne, respectueuse de la religion du Prince mais latitudinaire. La première se veut autonome la seconde dépend de la Grande Loge de Londres. Cette situation explique la position du pouvoir à son égard puisque Louis XV développant jusqu'en 1740 une politique extérieure pro-anglaise, la présence de Jacobites* sur le sol français, leur organisation en loges, les Grandes Maîtrises successives de Darwentwater et de Mac Lean-Jacobites outrés-, ne pouvaient qu'inquiéter le cardinal de Fleury*. La surveillance des loges l'interdiction et la condamnation de quelques cabaretiers qui les recevaient, s'expliquent dans ce contexte, comme s'explique l'attitude de Ramsay*. En 1738 l'ordre* a son premier Grand Maître français, le duc d'Antin. On ne sait toujours pas s'il a été élu ou choisi par le pouvoir grâce à l'appui de Saint-Florentin ou du duc de Richelieu, mais l'Ordre se centralise et son expansion est relativement contrôlée.

A la mort du duc d'Antin, trois candidats se disputent la Grande Maîtrise et c'est Louis de Bourbon-Condé qui l'obtient contre le prince de Conti et le maréchal de Saxe. Il est Grand Maître jusqu'en 1771, date de sa mort. La maçonnerie s'implante alors un peu partout et les grands centres urbains sont fortement latomisés: Paris, évidemment, Bordeaux*, Lyon*, Toulouse, Marseille; en vérité il n'est point de ville de quelque importance qui n'ait sa loge. La maçonnerie connaît alors son âge d'or dans une France qui reste très provinciale.

Les velléités de centralisme demeurent sans effet et les loges mères* (Marseille Bordeaux, en particulier) prennent le pas sur la capitale. Au reste, Louis de Bourbon-Condé a délégué la gestion de l'Ordre à des « Substituts Généraux » dont le banquier Christophe-Jean Baur, «l'une des figures les plus curieuses de la banque parisienne au XVIIIe siècle " (Herbert Luthy), qui disparaît du milieu maçonnique en 1756, ou le « maître à danser » Lacorne, sur lequel on reste mal renseigné, et, surtout, Chaillon de Jonville, magistrat qui devra en découdre avec l'Ordre.

Dans les faits, l'autorité de la Grande Loge est inexistante et à Paris, les vénérables*, propriétaires de leur « charge », sont de facto indépendants. Parallèlement, une maçonnerie « supérieure » se développe et s'impose: l'écossisme, dans les années 1755-1760, devient le rendez vous de tous les bateleurs et aventuriers du supra sensible. Le chevalier Beauchaîne vend des diplômes à la suite des armées, et on propose des listes tarifées de grades*, comme à Hesdin, dans le nord de la France, où le livre d'architecture en donne pondere mettalli le détail. En 1758, la Grande Loge se scinde entre « lacornards " et « anti lacornards » L'opposition doit s'analyser en termes politiques car, au XVIIIe siècle, la maçonnerie est une coquille vide, donc passible de tous les investissements. Lacorne, dont on ne sait que peu de choses, sauf ce qu'en dit Gustave Bord, « maître à danser » de son état, est le Second Substitut du comte de Clermont qu'il pourvut, peut-être, en jeunes personnes du sexe; selon Thory*, il se serait emparé de la direction de l'ordre et aurait placé ses partisans aux postes importants, tout en délivrant des patentes à des ateliers. D'où les anti lacornards, plutôt aristocrates de leur état, qui voient d'un mauvais oeil la bourgeoisie des faubourgs diriger l'Ordre Lorsque Lacorne passe à l'orient éternel. en 1762 c'est le vénérable de la loge Saint-Antoine, Augustin Chaillon de Jonville, qui le remplace. Cette période de l'histoire maçonnique reste trouble Voici ce qu'on en croit pouvoir dire sous bénéfice d'inventaire. Le choix de Chaillon de Jonville n'est pas le fait du hasard, et on peut supposer que sa fonction aura consisté à trouver un équilibre entre les deux systèmes de hauts grades* qui se partageaient la place alors, celui des Chevaliers d'Orient et d'Occident, fondé en 1756 et celui des Empereurs d'Orient et d'Occident de 1758.

Un rite composite de hauts grades était né en 1762 de l'alliance des Empereurs avec les Princes du Royal Secret. Les chevaliers tiraient leur clientèle de la bourgeoisie plumassière et robine, quand les empereurs recrutaient chez les aristocrates. On peut supposer que Chaillon de Jonville catholique qui entretenait d'excellentes relations avec Rome (qui pourtant avait excommunié les maçons... en 1738 et 1754-par les constitutions apostoliques In Eminenti* et Providas), représentait dans cette nouvelle donne le parti des Empereurs d'Orient et d'Occident bref la haute aristocratie éclairée qui ne nourrissait pas de souci avec la papauté.

Reste que les deux « factions » paraissent s'entendre, malgré des exclusions qui interviennent en 1766. Sont écartés, les frères Labady, Duret, Pény et Pirlet. Ne revenons pas sur Labady: Pény est plumassier Pirlet tailleur d'habits et Duret perruquier. Tous hommes d'anti-chambre et en mal de reconnaissance sociale. C'est à cette époque que Pirlet, qui avait été un des fondateurs du Conseil des Empereurs d'Orient et d'Occident met sur pied le Souverain Conseil des Chevaliers d'Orient et d'Occident (juillet 1762), dont le rituel est franchement catholique. On a ainsi l'impression qu'à côté du Conseil des Empereurs qui recrute dans l'aristocratie la bourgeoisie met en place son système de hauts grades, et que, finalement, l'exclusion des uns, en 1766, et les troubles qui s'ensuivirent, anticipent la Révolution à venir. Car les frères exclus n'entendaient pas rester sur le parvis du temple*.

La fête de la Saint-Jean d'hiver du 27 décembre 1766 leur en fournit le prétexte. Demandant l'entrée du temple qui leur fut refusée par les frères gardiens, ils en vinrent à des voies de fait ce qui conduisit le lieutenant de police M. de Sartine à suspendre la Grande Loge. Une période de troubles s'ensuivit qui dura quatre ans; on rapporte que Labady aurait été emprisonné à Fort-L'Evêque; on dit que Duret, Léveillé et Pény firent savoir aux loges de province qu'ils représentaient toujours la Grande Loge et prirent même langue avec la Grande Loge d'Angleterre, pendant que Chaillon de Jonville et Brest de La Chaussée* continuaient de leur côté à délivrer des patentes antidatées à de nouvelles loges. Pour plus de détails concernant ces moments troublés, on se reportera au Mémoire justificatif (1773) de Brest de La Chaussée et au Précis historique de la maçonnerie française (1780), récemment publié par P. Chevallier. Toujours est-il que c'est la mort du Grand Maître de Clermont, survenue le 16 juin 1771, qui permet à la crise de se dénouer; elle conduit à la fondation du Grand Orient*, de 1771 à 1773.

Ch P.

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II.Textes réglementaires
Le plus ancien ensemble de textes réglementaires dont se dotèrent les loges de France comprend « Les Devoirs Enjoints aux maçons libres Extraits des anciens registres des Loges*, a l'usage de celles de France, qui doivent être lus a la réception d'un frère, et lorsque le maître de la loge le jugera a propos; des « Règlements Generaux» modelés sur ceux donnés par le très haut et très puissant Prince Philipe Duc de Warthon Grand Maître des loges du royaume de France avec les changemens qui ont êté faits par le present Grand Maître Jacques hector Macleane cheval. Baronet d'Écosse, et qui ont êté donnés avec l'agrément de la grande loge, a la grande assemblée tenue le 27 Xbre 1735 jour de S' Jean l'Evangeliste pour servir de règles a toutes les loges du dit Royaume », suivis d'une « Aprobation » qui dit:« Donné a Paris et scellé des Sceaux de la grande loge le 27. Xbre jour de S' Jean l'Evangeliste 1735. Signé Macleane et plus bas par ordre du T.R.G.M. l'abbé More-grand Secrétaire [...] »; et de la« Manière de constituer une nouvelle loge-ainsi qu'il a été toujours pratiqué conformement aux anciens usages des maçons ». Ces textes français, traductions modifiées de ceux qui furent publiés dans The Constitutions of the Free-Masons en 1723 par Anderson*. ne sont connus que par une copie manuscrite non datée portant au verso « Réglements tirés des archives* de 1(1 Grande Loge centrale, Bibliothèque de M. Astier, manuscrits », acquise par la Bibliothèque nationale en 1956. Étienne Fournial l'a transcrite, commentée et publiée dans les Annales du Grand Orient de France (novembre-décembre 1964).

Un ensemble de textes, voisin du précédent, est inclus dans 1'« Expedition des Règles generales de la Maçonnerie pour la Loge constituee à Stokolm par Notre Cher et Digne Frère Mr Le Baron de Scheffer Etc. dont il a fait Maître Notre Cher et Digne Frère Mr le Comte de Sparre Etc. ayant été pour cet effet muni d'un Pouvoir en forme du Très Vénérable Grand Maître du Royaume de France l' an 1737 ». Les manuscrits originaux de cette «Expedition » et du« Pouvoir » qui l'accompagne se trouvent dans la bibliothèque du Schwedischen Freimaurerordens. Ils sont reproduits en fac-similé et transcrits par Arthur Groussier* (1932) et par Klaus C.F. Feddersen (1989). C'est dans le • Pouvoir " remis à Scheffer, signé à Paris le 25 novembre 1737 par« Le Comte de Darwentwater », que se trouve la plus ancienne mention connue de l'expression « Grande Loge de France »:« Nous lui conferons Nôtre plein Pouvoir de Constituer une ou plusieurs Loges dans le Royaume de Suède; de faire des Maîtres Maçons et de nommer les Maîtres et Surveillants des Loges qu'il constituera, les quelles seront subordonnées à la Grande Loge de France ».

Une traduction allemande des « Reglemens Généraux Extraits des anciens Registres des loges à l'usage de celles de france avec les changements faits à la Grande Loge assemblée tenue le onzième décembre mil sept cent quarante trois pour servir de Règles à toutes les loges du dit Royaume », publiée en 1836 à Altenburg est retrouvée d'après les indications de Kloss*, résumée et commentée en 1969 par Alain Bernheim. Le texte français, transcrit d'après une copie manuscrite effectuée en 1745 portant la mention terminale« collationné et signé La Cour D.G.M. (Député Grand Maître)» qui se trouve à la bibliothèque du Grand Orient des Pays Bas, est publié en 1974. Le Suprême Conseil d'Angleterre possède un manuscrit intitulé « Règlements de la Maçonnerie Par délibération de la Grande Loge tenue le 11 Décembre 1743. Réglements généraux Concernans la Grande Loge de l'Ordre éminent de la Maçonnerie et des Loges particulières qui en émanent, extraits des anciens Registres des Loges à l'usage de celles de france avec les changements faits à la grande assemblée tenue le 11 Xbre 1743 pour servir de règle à toutes les Loges du Royaume ».

Trois textes inédits importants furent découverts par Pierre Chevallier. Le premier est intitulé « Les Obligations d'un Franc Maçon qu'on doit lire quand on fait un nouveau Frère ou quand le Maître le juge à propos». Ses articles correspondent à ceux des « Devoirs», de 1735 et 1737, dans une formulation différente. Le deuxième est intitulé « Nouveaux Statuts ou Reglemens Generaux de la Confraternité des Francs-Maçons». Il reproduit, également de manière différente, 28 articles des « Reglemens Generaux » de 1735-1737. Il est suivi de « Manière de construire une nouvelle Loge Conformément aux usages des Francs-Maçons de la Grande-Bretagne », version différente du dernier texte de 1735 Ces trois documents ne portent ni date ni certification permettant de déterminer leur origine. Le premier est inclus dans un Almanach année 1757, les deux autres dans un Almanach de 1757 (Bibl. de l'Arsenal) .

Citons encore les « Statuts et Reglemens de la Grande Loges [sic] des Maîtres de Lorient à Paris ditte de france, présentés a L'assemblée générale des Maîtres par le V.f. Peny Me de la loge de Saint Martin Le 19 may mil sept cent soixante » qui se trouvent au début du « Registre du Président De La Grande Loge des Maîtres de L'orient de Paris ditte De France Du 19 May 1760 » (Bibliothèque nationale de France). Leur texte inédit fut transcrit en 1973 par Alain Le Bihan.

Dans le même ouvrage se trouvent les « Statuts et Réglements arrêtés par les quatorze Commissaires nommés par la Grande L... de france en conséquence de la délibération du 3e jour de la 3e Semaine du 2e mois de l'an maçonnique 5763 [...] », en 33 articles, et les 41 articles des « Statuts arrêtés en la Grande Loge de France pour le Gouvernement des Loges régulières de france, concernant la relation des Loges particulières avec la Grande Loge » deux textes que Groussier avait transcrits et publiés pour la première fois dans le « Compte Rendu des Travaux du Grand Orient de France » de juillet 1929 où ils sont suivis d'un Supplément en 12 articles, daté du « troisième jour du quatrième mois de la G.. L.. 5765 », concernant les loges mères. Ce dernier document avait été transcrit et publié par Sitwell (1930}.

Un exemplaire des « Statuts et Reglemens de la Très-Respectable Grand-Loge de France, Tant pour son Gouvernement-, que pour celui des Loges Régulières, concernant leur relation avec elle, arrêtés par Délibération de la dite Grand-Loge du 14 Août 1771, pour être exécutés & observés à compter dudit jour, suivis du Supplément aux Reglemens de la T. R. Grand-Loge de France, Arrêtés le 17 Décembre 1771 u, imprimé aux Pays Bas en 1773 « Suivant la Copie de Paris. M. DCCL XXI », se trouve à la Bibliothèque nationale de France. Une copie de « Nouveaux Règlements de la Très Respectable grande loge de France faits le premier jour du sixième Mois de L'an 5772» (1er août 1772), en 24 articles, se trouve au musée Calvet d'Avignon.

Les 35 pages imprimées des « Statuts de l'Ordre Royal de la Franc-Maçonnerie en France », dont les 4 chapitres furent « arrêtés » par la Grande Loge Nationale de France entre le 24 mai et le 26 juin 1773, sont joints à la circulaire de la Grande Loge Nationale de France, adressée « Par Mandement de la Grande-Loge Nationale [et] Par Mandement du Grand Orient de France » à toutes les loges du royaume. Ils sont transcrits dans Constitution du Grand Orient de France pur La Grande Loge Nationale (1773; Introduction par Arthur Groussier, 1931).
A Ei.