REVERE, Paul
RÉVOLUTION AMÉRICAINE
RÉVOLUTION DE 1848
RÉVOLUTION FRANÇAISE
RIANDEY, Charles
RICHE-GARDON, Luc-Pierre
RIQUET, Michel
RISORGIMENTO
RITE
RITE ÉCOSSAIS ANCIEN ET ACCEPTÉ
RITE ÉCOSSAIS RECTIFIÉ
RITE ÉMULATION






REVERE, Paul
(Boston, 1735-1818)
Paul Revere est considéré comme un véritable héros de la Révolution américaine* depuis que Longfellow lui a consacré un célèbre poème: The Midnight Ride of Paul Revere. Sa fameuse chevauchée nocturne, effectuée en 1775 à la demande de son frère Joseph Warren permit aux patriotes stationnés à Lexington de faire face à l'attaque de l'armée britannique. Ce n'est cependant pas la seule activité révolutionnaire de Paul Revere. Dès 1773, il participe à la Boston Tea Party* en compagnie de quelques autres membres de sa loge* St Andrews (de Boston), et d'une centaine d'autres personnes. En 1774 en tant que messager du comité de correspondance de Boston il porte à Philadelphie la nouvelle de la fermeture du port de Boston par les Anglais et appelle à la réunion d'un congrès des patriotes. En 1775 selon son propre récit il anime un comité d'une trentaine de personnes, essentiellement des travailleurs manuels, chargés de surveiller les agissements des soldats britanniques à Boston. Le comité se tient à la Green Dragon Tavern qui sert également de lieu de réunion à un autre groupe révolutionnaire, le North End Caucus, ainsi qu'à la loge St. Andrews.
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Revere issu d'un milieu modeste est orfèvre et graveur; il est l'auteur d'estampes satiriques contre la présence des Anglais en Nouvelle Angleterre. Il explique dans une lettre adressée au révérend Jeremy Belknap, en 1798, que tous les membres du comité de la taverne du Dragon Vert étaient astreints au plus grand secret* et que les seules personnes qu'ils pouvaient tenir au courant de leurs activités étaient John Hancock, Joseph Warren, tous deux francs-maçons, et trois ou quatre autres personnes.

Paul Revere ne fait état de son appartenance maçonnique dans aucun de ses écrits sans doute parce que les secrets militaire et maçonnique exigeaient la même discrétion. Cependant, il fut un franc-maçon très actif, dont on ne connaît pas précisément la date de l'initiation*. Élevé à la maîtrise le 24 septembre 1760 par la loge St. Andrews il devient secrétaire de la loge en 1769, vénérable* en 1770, et succède à Joseph Warren, autre patriote, mort au champ de bataille, à Bunker Hill, en 1775. Vénérable de la loge à plusieurs reprises de 1777 à 1779 puis de 1780 à 1782, il est premier surveillant de la Grande Loge Provinciale du Massachusetts*, créée en 1769 sous l'égide de la Grande Loge d'Écosse* qui prend le nom de Massachusetts Independent Grand Lodge en 1778. Lorsque la loge St Andrews, qui garde la double affiliation à la Grande Loge d'Écosse et à celle du Massachusetts, sommée de choisir entre les deux, reste fidèle à l'Écosse Paul Revere quitte St Andrews et crée là loge des Nouveaux États (Lodge of the Rising States) Il en devient le vénérable. En 1794, il est élu Grand Maître de la Grande Loge du Massachusetts, qui résulte de l`union de la Grande Loge St. John et de la Grande Loge Indépendante du Massachusetts. Il le demeure jusqu'en 1797. En outre. Revere a été initié au degré de l'Arche Royale par le chapitre* de l'Arche Royale de St Andrews le 11 décembre 1769.

Dans le cas de Revere, la loge maçonnique semble bien avoir représenté un lieu de sociabilité exceptionnei favorable à l'apprentissage de la démocratie dans le contexte difficile de la guerre d'Indépendance.
C. R.


RÉVOLUTION AMÉRICAINE
R-21.JPG (324K) On a souvent tenté de minimiser l' influence de la franc-maçonnerie* sur la Révolution d'Amérique, sans doute parce qu'on a craint de renforcer la thèse du complot maçonnique.
On a notamment invoqué l'interdit qui était fait aux francs-maçons dans les Constitutions d'Anderson* de se mêler de politique pour nier ce rôle.
Cette interprétation à la lettre des écrits d'Anderson semble bien naïve.
La francmaçonnerie a bien joué un rôle dans les événements qui ont conduit les colonies* à leur indépendance.
Grâce d'une part, à l`action individuelle de ses membres et, d`autre part aux principes qu'elle affirmait à l'intérieur des loges* et qu'elle diffusait dans la société de son époque.
La franc-maçonnerie américaine n'a ce pendant pas joué un rôle institutionnel.
Son manque d'homogénéité politique les Grandes Loges dépendant d'une Grande Loge anglaise écossaise ou irlandaise l'en aurait, de fait, empêchée.
Les francs-maçons se répartirent rapidement dans les deux camps.
Ainsi, sur les sept Grandes Loges américaines qui existaient au début de la Révolution, quatre avaient des Grands Maîtres loyalistes (John Rowe de Boston, Massachusetts, William Allen de Pennsylvanie, John Johnston de New York et Edgerton Leigh de Caroline du Nord).
John Rowe, Grand Maître de la ioge St John de Boston, eut des rapports trés difficiles avec la Grande Loge patriote de Boston la Massachusetts Grand Lodge; lors des funérailles de son Grand Maître, Joseph Warren, patriote fervent, mort lors de la bataille de Bunker Hill (1775), John Rowe dut quitter le cortège tant il fut conspue par la foule.
John Johnston s'enfuit au Canada afin de diriger les troupes du roi dans le secteur ouest de New York.
Quant à Edgerton Leigh, il se réfugia en Angleterre.
En face Joseph Warren ne fut pas le seul Grand Maître patriote.
Joseph Webb, qui lui succéda à la tête de la Grande Loge du Massachusetts*, fut colonel du régiment de Boston et participa aux comités de correspondance.
Paul Revere* Grand Maître à partir de 1794 de cette même Grande Loge, eut une dimension presque héroïque dans l'historiographie de la Révolution américaine.
Joseph Montfort Grand Maître de Caroline du Nord fut colonel de l'armée révolutionnaire et membre du Congrès provincial, une instance mise en place par les patriotes comme première forme de gouvernement local.
On voit donc les éminents représentants de la maçonnerie américaine prendre des options divergentes.

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Si on ne peut chiffrer la proportion de t loyalistes et de patriotes, on sait que la coexistence fut impossible, loyalistes et patriotes ayant leurs propres loges. Peu à peu, les loyalistes émigrèrent au Canada, souvent pour y fonder d'autres ateliers, mais les pertes subies en raison de cet exode furent largement compensées par la venue de patriotes pendant la guerre si l ' on en croit l' expansion de la francmaçonnerie durant la Révolution d'Amérique. Le nombre de loges doubla en effet, pendant la guerre d'indépendance puisqu'il passa de 100 à 200. Au terme du conflit, les ateliers regroupaient 3 000 maçons. Le phénomène est d'autant plus remarquable si on l'opposé à la régression de l'Ordre* maçonnique pendant la Révolution française*. Alors qu'en France les loges ne purent survivre à la rupture entre la bourgeoisie et l'aristocratie, pendant la Révolution américaine les loges proliférèrent, même si les loyalistes restèrent en retrait dans leurs propres ateliers. Le succès de la franc-maçonnerie américaine doit également beaucoup aux nombreuses loges militaires qui virent alors le jour, la plus célèbre d'entre elles étant celle à laquelle appartint George Washington*, l'American (Military) Union Lodge. Créée de façon significative en 1776 dans le Massachusetts, elle s'installa très vite près de New York. Le propre des loges militaires était de suivre les officiers et les simples soldats dans leurs déplacements et de leur permettre de garder leur affiliation maçonnique meme en temps de guerre. La loge suivit ainsi tous les mouvements de l'armée continentale (Connecticut Line); il y aurait eu l l ou 12 loges militaires pendant la guerre d'indépendance, qui détenaient leur charte d'une Grande Loge Provinciale elle même dépendant d'une Grande Loge britannique.

Dès la première heure, des francs-maçons s'engagérent dans la lutte pour l'indépendance. On trouve quelques maçons lors de la Boston Tea Party*, et on connalt l'action de P. Revere.

Les francs-maçons jouèrent un rôle déterminant à la fois dans l'armée continentale et dans la mise en place des nouvelles institutions de la future République.
De plus, malgré quelques réticences de Washington, lui-meme propriétaire de plus de 200 esclaves, les Noirs émancipés et l es esclaves obtinrent l'autorisation de s'engager dans l'armée continentale dès novembre 1775 sans doute grâce à l'intervention de Prince Hall* le fondateur de la première loge noire américaine, African Lodge, à Boston.
George Washington recruta, semble-t-il, un grand nombre d'officiers parmi ses « frères».
Selon Heaton, 33 des 75 généraux de l'armée continentale furent francs-maçons (le marquis de La Fayette*, Benjamin Lincoln, Richard Montgemery, Rufus Putnam. . . ) et peut être 16 autres au sujet desquels l'appartenance à une loge n'a cependant pas pu être prouvée.
L'affiliation à l'Ordre était très répandue parmi les officiers de haut rang.
Peu de temps avant la fin de la guerre d'indépendance (1783), Washington aurait d'ailleurs évité une mutinerie parmi les soldats de l'armée continentale qui craignaient d'être renvoyés dans leurs foyers sans solde en mobilisant tous les officiers maçons et tous les membres des loges militaires.
Le discours qu'il aurait donné au Temple de la Vertu à Newburgh, aurait eu un effet décisif.
Cependant la duplicité de l'un des généraux de Washington fit honte aux francs-maçons de l'époque: Benedict Arnold profita de ses liens familiaux avec les loyalistes pour tenter de livrer West Point à l'Anglais sir Henry Clinton.
Ses plans purent être déjoués, car son messager fut capturé avant d'avoir pu accomplir sa mission.
Arnold parvint à prendre la fuite et à se réfugier en Angleterre.
Plusieurs loges répudièrent ce mauvais « frère » en rayant ce nom de leurs listes de visiteurs afin d'effacer toute trace de cet individu dans leurs annales.
Les francs-maçons de l'époque firent grand cas des généraux de Washington, à l' exception d'Arnold , mais oublièrent John Paul Jones père de la marine américaine, qui avait fait flotter le drapeau de la jeune République sur le Bonhomme Richard.
Lorsqu'il mourut en France, il fut enterré au cimetière protestant de Paris et personne en Amérique ne réclama son corps.
John Paul Jones avait été initié en Écosse et avait fréquenté Les Neuf Sœurs* à Paris.

Les francs-maçons furent très présents également parmi les signataires des Articles d'association, de la Déclaration d'indépendance et des Articles de la Confédération. Sur les 53 délégués qui siégèrent au premier Congrès Continental, du 5 septembre au 20 octobre 1774, 10 étaient francs-maçons; ils signèrent les Articles d'association qui demandaient à la Grande Bretagne d'annuler toutes les lois qu'ils jugeaient anticonstitutionnelles et de revenir au statu quo de 1763. 8 des 56 signataires de la célèbre Déclaration d'indépendance de 1776 étaient également francs-maçons dont Benjamin Franklin*, John Hancock, Robert Treat Paine... Il est probable qu'outre les 8, il y eut d'autres francs-maçons. En revanche Thomas Jefferson n'a sans doute jamais appartenu à l'ordre, bien que ceci ait parfois été affirmé 7 francs-maçons signèrent les Articles de la Confédération, et 13 des délégués qui signèrent la Constitution des États Unis étaient également francsmaçons.

Il est donc certain que la franc-maçonnerie tissa des liens entre les hommes, et donna à ses membres un cadre d'expression et des relais en Europe. Ainsi, à l'aube de la Révolution d'Amérique, la célèbre loge des Neuf Sœurs était parvenue à réunir Benjamin Franklin, La Fayette et John Paul Jones. Tous trois figurent sur le registre* de la loge, John Paul Jones en tant que « commodore des États-Unis de l'Amérique septentrionale ». Au sein des loges, les frères faisaient un apprentissage de la démocratie. Il existait peu d'institutions où les membres pouvaient tour à tour prendre la parole et procéder à l'élection démocratique des « officiers* ". Les loges militaires, qui suivaient les soldats et surtout les officiers dans leurs déplacements, resserraient en outre les liens entre les combattants et leur apportaient un soutien moral.
C. R.


RÉVOLUTION DE 1848
La maçonnerie, en tant qu'institution, ne joue aucun rôle dans les événements de février 1848. Cependant, certains maçons républicains ou orléanistes de gauche ont été parmi les organisateurs de la campagne des banquets qui aboutit à une révolution imprévisible.

Le gouvernement provisoire de la République comprend 5 maçons dont 3 en activité: Ferdinand Flocon vénérable* de L'Union des Peuples. Adolphe Crémieux et Garnier-Pagès* auxquels on peut adjoindre Pagnerre, qui en est le secrétaire général. Les deux autres, Armand Marrast et Dupont de l'Eure*, sont « en sommeil». Flocon au Commerce et Bethmont, aux Cuites, figurent dans la première équipe ministérielle qui comprend également quatre frères « en sommeil ». Trélat aux Travaux publics, Duclerc aux Finances Carnot à l'instruction publique et Schoeicher sous-secrétaire d'État à la Marine et aux Colonies. Parmi les commissaires de la République et au sein des nouvelles municipalités, la maçonnerie est bien représentée dans les départements où les loges* recrutent au sein du parti républicain.
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En outre, le gouvernement provisoire réalise une œuvre répondant aux vœux des plus avancées des loges. Le suffrage universel la liberté de la presse et de réunion, l'ouverture de la Garde Nationale à tous les citoyens, la suppression de la peine de mort pour raisons politiques. l'abolition de l'esclavage sont des thèmes défendus par les ateliers progressistes. La proclamation du droit au travail, la création des ateliers nationaux, la Commission pour les travailleurs, répondent aux souhaits exprimés dans le discours social en loge La maçonnerie, en tant qu'école où se sont formés de nouveaux dirigeants. a donc joué indirectement un rôle dans l'adoption de ses réformes. Elle a largement contribué à répandre cet «esprit de 1848» mélange de fraternité, de religiosité, d égalitarisme.

Le gouvernement provisoire reçoit, dès son installation, de nombreuses délégations et le Grand Orient* réagit rapidement Le Grand Maître Adjoint, Bertrand, convoque le sénat maçonnique pour le 4 mars. Les travaux s ouvrent par une batterie* de deuil à la mémoire des héros de la Révolution. Il organise une souscription pour aider les familles des victimes et décide l'envoi d'une délégation auprès du gouvernement provisoire pour lui présenter une adresse dont le texte est adopté à l'unanimité.

La délégation, accompagnée de nombreux frères. se rend le lundi 6 à 16 heures à l'Hôtel de Ville. Sur place, les maçons revêtent des cordons maçonniques et sont reçus par Crémieux, Carnier-Pagès, Armand Marrast et Pagnerre, également décorés. L obédience*, par la voix de Bertrand apporte son adhésion au gouvernement provisoire, se réjouit de retrouver sa devise dans le drapeau de la France et se félicite du triomphe de ses principes. Crémieux répond que la République, comme la maçonnerie, deviendra .un gage éclatant de l'union des peuples ».

Le Grand Orient par une planche adressée aux loges, officialise le mythe, répandu sous la Monarchie de Juillet, selon lequel la maçonnerie aurait reçu la devise de la République comme un dépôt des sociétés secrètes antiques pour la transmettre de générations en générations jusqu'au jour, enfin arrivé, où elle va être mise en application. Les loges sont invitées à ne pas introduire dans le temple* des .( discussions brûlantes », mais à traiter .( des hautes questions sociales inhérentes au bonheur de tous », avec ,( sagesse » et (( maturité », et « à travailler sans passion à la félicité commune ".

Cet appui apporté à la République se vérifie par les motions adressées au siège central par des loges de province par l'importance des dons versés et, pour Paris, par la forte présence maçonnique lors des funérailles des martyrs de la liberté. Au cœur du défilé. 3 frères, armés d'un maillet suivis par 9 autres entourant un drapeau tricolore sur lequel figure la devise républicaine, puis par 300 maçons, tous décorés, accompagnés des bannières de 40 loges. Ils ferment la marche.

Un club maçonnique se constitue alors à Paris. Il se prononce pour une République démocratique, avec une seule assemblée et un comité exécutif élu par l'Assemblée nationale. Le principe électif serait étendu aux chefs de la Garde Nationale, aux conseils généraux, d'arrondissement et municipaux. Le maire serait cependant choisi dans le conseil municipal par le pouvoir exécutif. L'État devrait continuer à diriger l'enseignement qui deviendrait obligatoire.

Les clubistes hésitent entre l'association des travailleurs, celle du capital et du travail ou l'union des deux moyens. Le Grand Orient n'a cependant pas dû apprécier cette initiative, car il répond le 24 mai à la loge d'Avignon que « ce serait la chose la plus dangereuse que d'établir un club politique au sein de votre loge » et que « d'appeler à prendre part aux réunions maçonniques, des personnes étrangères à l'institution ». En conclusion, il livre aux Avignonnais ce sage conseil: réservons pour nos ateliers « la politique philosophique les questions de morale, les seules qui n'engendrent point de passions haineuses ».

En province, de nombreuses loges vont saluer les nouvelles autorités. Ainsi Les Élus à Saint-Étienne offrent le 3 mars un banquet au frère Baune, commissaire du gouvernement. Une collecte est faite en faveur des blessés, puis a lieu un second banquet, le 16 mars, ouvert aux « profanes » « pour la conservation de la République »,. Les Amis Réunis*, à Lille, définissent le 15 mars, la maçonnerie co m me la démocratie . Ils lui fixent pou r objectifs immédiats « l'éducation morale et sociale du peuple ». Il ne nous reste plus, écrit la loge au Grand Orient, qu'à dresser sous les voûtes du Temple « la chaire de Vérité d'où la parole d'enseignement et de lumière descendra sur les populations attentives (sic) ». Les maçons croient dans les vertus de la démocratie dans la mission émancipatrice de la France, et sous la conduite d'un Grand Architecte de l'Univers*, ils veulent éduquer et moraliser le peuple, construire une société pacifique juste et fraternelle où disparaîtront la haine et la superstition.

À Paris, un Appel aux maçons est placardé les invitant à se réunir le 14 mars salle du Prado, pour former un Comité central maçonnique en vue des élections à la Constituante. Ce comité, présidé par Moutonnet, un vétérinaire vénérable aux Amis de la Pairie rédige une Déclaration de principes de la franc-maçonnerie adressée aux candidats. De tendance radicale, elle réclame de ceux-ci une authentique et ancienne ferveur républicaine et approfondit le programme du Club maçonnique. On peut cependant s'interroger sur l'objectif de ce groupe, car l'état-major est bonapartiste de gauche, proche du prince Jérome. Ce dernier entre, en 1848, en maçonnerie, dans la loge de Moutonnet. Les élections constituantes des 23 et 24 avril voient affluer de nombreux frères à l'Assemblée constituante. Parmi les élus de la capitale, on relève les noms de Babaud-Laribière, Berryer, Bethmont Dav d d'Angers Flocon Lagrange, Pagnerre, Perdiguier, Proudhon*, et en banlieue ceux de Berville et de Remilly. Tous ces élus se disent républicains. Le nombre de représentants du peuple maçons devrait avoisiner la centaine.

Après les élections, les députés élisent une Commission exécutive provisoire de cinq membres (Arago, Garnier-Pagès, Marie, Lamartine* et Ledru-Rollin) et un nouveau gouvernement est formé comprenant encore plusieurs maçons (Crémieux à la Justice, Flocon au Commerce Bethmont aux Cultes).

Face aux Journées de Juin, le commentaire du Bulletin officiel du Grand Orient est pondéré: il n'est question que de jour « cruel et néfaste ». Les vaincus ne sont pas accablés. Il relate la mort tragique de François-Alphonse Zano de la loge Les Cœurs Unis. Capitaine adjudant-major de la 8e légion de la Garde Nationale, il est tombé le 24 juin, place des Vosges en criant: « Vive la liberté ! Vive la France ! » La revue Le Franc-Maçon signale qu'un frère tombé entre les mains des insurgés a été sauvé en se faisant reconnaître comme maçon par le signe* de détresse ce qui sous-entend qu'il y avait des maçons des deux cotés de la barricade.

Les livres d'architecture des loges parisiennes sont silencieux, soit par souci d'apolitisme soit pour ne pas faire apparaître des divergences internes.
Auguste Humbert, de la Grande Loge Nationale de France, devait regretter cette absence de la maçonnerie au cours des combats alors que Mgr Affre était tué en tentant de les arrêter. Il aurait voulu que les frères s'interposent entre les combattants, ce qu'ils feront en 1871.
Après les émeutes de Juin les tenues* sont suspendues.
La presse démocratique est frappée et l'Assemblée débat d'une nouvelle loi sur le droit de réunion pour contrôler les clubs d'où s'était répandu l'esprit révolutionnaire qui avait « contaminé» les ouvriers. Le nouveau gouvernement sous la férule du général Cavaignac ne comprend plus qu'un maçon en activité: Bethmont à la Justice.

La répression frappe l'extrême gauche Les sociétés secrètes sont interdites, mais il ressort du débat à l'Assemblée que les loges ne sont pas concernées. La maçonnerie est considérée comme une société de bienfaisance et pourtant le décret du 28 juillet sur les clubs fait peser sur chaque loge une menace. Le Grand Orient explique qu'il fera une déclaration à l'autorité tant pour lui que pour les ateliers sous sa juridiction. Il leur faudra donc, si les autorités locales leur font des difficultés s'abstenir de toute démarche individuelle. L'obédience invite, dans son bulletin, les maçons à .. ne quitter jamais le jardin paisible qu'ils doivent cultiver pour le bien de l'humanité, pour se lancer dans les champs plus vastes, il est vrai, mais aussi plus épineux, des discussions politiques et gouvernementales" L'heure est à la prudence. Et déjà la loge de Pontoise Les Amis du Peuple, que vient de fonder le sous-commissaire du gouvernement provisoire Alfred-Charles Peigné secrétaire de Ledru-Rollin fait savoir qu'elle subit les tracasseries du clérical procureur de la République.

Le groupe Moutonnet adressera aux loges un appel, de tonalité progressiste, appelant à voter, aux élections présidentielles, pour le prince Louis-Napoléon Bonaparte. Cet appel soulève des protestations et on peut supposer que les voix maçonniques se sont surtout portées sur Cavaignac et sur Ledru-Rollin. Bien que l'obédience ait déjà essuyé un refus sous la Monarchie de Juillet avec Louis-Philippe, une délégation du Grand Orient conduite par Desanlis, va demander au nouveau chef de l'État s'il souhaite devenir maçon. La réponse sera polie mais négative. Après les élections, de nombreux maçons signent un Appel à l'amnistie en faveur des vaincus de Juin, propagé à 4 000 exemplaires par la revue Le Franc Maçon. Les signatures sont adressées au prince-président qui accuse aimablement réception .

Du coté du Rite Écossais*, la Révolution de 1848 provoque une rupture. L'aile gauche fonde une Grande Loge Nationale de France qui veut unifier la maçonnerie sur des fondements démocratiques ses principes sont définis dans un texte élaboré, en mars par une commission comprenant notamment Jules Barbier, le général Jorry, le marquis du Planty, maire de Saint Euen, et un socialiste chrétien, le Dr Desrivières. Elle convoque les maçons, le 10 mars, place de la Bourse, afin qu'ils se rendent, à I Hôtel de Ville, drapeaux tricolores en tete. 300 frères environ répondent à I appel. 7 d'entre eux, revêtus du simple tablier* d'apprenti*, sont reçus par une délégation du gouvernement provisoire dont on Ignore la composition,

Lamartine répond à l'allocution de Jules Barbier par un message de sympathie

Six loges parisiennes seulement passent à la dissidence et la nouvelle obédience sera, comme de nombreuses loges du Grand Orient et du Suprême Conseil, en butte à l'hostilité des préfets et des maires après les élections législatives de mars 1849. Elles sont accusées de conspirer et d'être peuplées de démagogues. La Grande Loge Nationale sera mise à mort en janvier 1851 alors que des dizaines de loges des deux autres obédiences sont autoritairement mises en sommeil ou soumises à des enquêtes.
A.C.


RÉVOLUTION FRANÇAISE
Abrasive, fortement chargée d'affects tant du côté de maçons longtemps désireux de s'approprier le legs révolutionnaire que des tenants de l'antimaçonnisme* qui, à l'image de Mgr Fava, aimait à voir en la franc-maçonnerie* « La mère de toutes les révolutions », les relations entre la francmaçonnerie et la Révolution française constituent un pan majeur de l'historiographie révolutionnaire: on ne saurait aborder le sujet sans rappeler les principaux attendus de celle-ci.
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Dés 1790 1791, I'abbé Baissie et l'eudiste Lefranc posent les jalons de la célèbre thèse du complot révolutionnaire que Barruel* .. synthétise " sous le Directoire (Mémoire pour servir a l 'histoire du jacobinisme, 1796-1797). L~idée est simple: les francs-maçons auraient joué un rôle direct et conscient dans l'accomplissement de l'événement révolutionnaire sous la forme d'un complot ourdi dans les loges*. L'acte d'accusation repose sur quatre arguments
1) la franc-maçonnerie par des constitutions* originelles consacrant le latitudinarisme religieux, est par essence irréligieuse et subversive;
2) réunie autour du « frère Voltaire* " et de la loge* Les Neuf Sœurs* elle participe consciemment au travail de sape de la monarchie;
3) venue d'Angleterre, elle est à la fois cromwellienne et pervertie par le newtonianisme;
4) reposant sur la pratique du secret*, elle sert de funestes projets au rang desquels figure le désir de renverser concrètement les trones.

Cette thèse est exportée avec succès vers les mondes anglo-saxon par John Robison (Proots of the Conspiracy, 1798) et germanique par Starck (Der Triumph der Philosophie im 18. Jahrhundert, 1803), le barruélisme stricto sensu ayant eu le mérite d'affiner l'argumentaire en lui agrégeant la thèse sulfuruese des « arrière-loges » que le jésuite résume par la célèbre apostrophe: .. Il n'était pas impossible d'organiser en franc-maçonnerie des loges de brigands et de distribuer les rôles de soldats et même de bourreaux de la révolution. » 11 est vrai que, en province (Les Bons Amis*) ou au plus haut niveau (lors du Convent* des « Philalèthes* ») des frères ont pu utiliser les ateliers maçonniques à des fins politiques. Pour un siècle et demi, voire un peu plus, la francmaçonnerie sera donc jugée porteuse d'un projet politique révolutionnaire dont les bénéficiaires seraient majoritairement deux maçons: le prince d'Orléans* et La Fayette*. « Vision épique et satanique » selon Albert Soboul la thèse de l'influence des francs-maçons méritait d'etre rappelée car ses prolongements contemporains restent vivaces. Les enjeux liés à l'histoire révolutionnaire l'ont en effet fait resurgir à travers l'analyse plus complexe issue de la relecture d'Augustin Cochin proposée par François Furet et ses émules.
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Tout en renonçant à l'idée d'un rôle conscient des maçons, ces auteurs posent le postulat d'une franc-maçonnerie subversive en raison de son aptitude à fabriquer une culture nouvelle en conformité avec les pratiques révolutionnaires. Ce ne sont plus ici les hommes qui portent le projet révolutionnaire mais la loge, érigée en .( machine », en raison de sa modernité. Mise en place de principes démocratiques entre 1771 et 1774 lors d'une « révolution du Grand Orient* » que Pierre Chevallier qualifia peut-être abusivement de « nuit du 4 août » fonctionnement d'une cellule privée porteuse de nouvelles formes de relations sociales égalitaires dans une société marquée par la barrière des Ordres* et laissant la place à l'épanouissement de la libre discussion dans un cadre échappant à la tutelle de l'État absolutiste, la franc-maçonnerie serait le vecteur de diffusion de comportements annonciateurs des pratiques révolutionnaires. Elle s'intégrerait dans une praxis sociale novatrice transformant radicalement l'absolutisme en une culture de contestation que les pratiques épuratoires jacobines ne feront que porter à leur paroxysme. Les canons des études maçonniques restent donc peu modifiés: le rapport entre franc-maçonnerie et Révolution se joue de manière univoque autour de l'influence de la première sur la seconde et toute analyse devrait donc se faire sous l'angle quasi religieux du politique. Voire.

Le décalage entre le succès de ces thèses accordant la préférence à la fonction motrice et la mise en lumière de réalités factuelles bien différentes invite à repenser la chose en d'autres termes au risque d'inverser la démarche communément admise. Partant du constat de la destruction de la sociabilité maçonnique durant la période et, passé la parenthèse napoléonienne du poids bien réel de la maçonnerie dans le développement de la culture libérale sous les monarchies censitaires, nous sommes amené à analyser la relation entre franc-maçonnerie et Révolution à travers ce que nous appellerons une « position reflet ».

Le lent écroulement de l'édifice maçonnique durant la période est un fait majeur qui aurait dû surprendre. La trame institutionnelle est connue: passé le temps des marques dé sympathie envers le nouveau régime exprimée par des dons patriotiques ou l'aptitude à se réjouir du triomphe dés valeurs d'Égalité et de Fraternité*, la nuit tombe au début de 1793. Reniée par un Grand Maître, le duc d'Orléans, démissionnaire de fait depuis le. 5 janvier le Grand Orient survit flanqué d'une encombrante réputation de société peupLée d'aristocrates. À Paris, malgré la détermination de Roëttiers de Montaleau*, L'histoire douloureuse du Centre des Amis* montre les obstacles posés à la pratique maçonnique entre la Terreur et la crise fructidorienne. De son coté la Grande Loge de Clermont* semble avoir cessé l'essentiel de ses activités à partir de 1791.

L'observation de la vie des loges provinciales.
où la maçonnerie est victime d'un mouvement d extinction et de rejet de régularisation qui a anticipé la crise de 89, confirme la donne.
Les loges se contentent d activités informelles, voire de gestes fraternels de désespoir comme le confirme I histoire originale de cette loge carcérale fondée par d anciens maçons havrais sous la Terreur.
Tous ces faits montrent à l'évidence qu'on ne saurait mettre I extinction progressive sur le seul compte de la « déperdition inévitable »durant une période de troubles politiques.
La Révolution se radicalisant, l'incapacité récurrente et accentuée des anciens maçons à s'adapter à la culture jacobine invite à dépasser le simple constat du décalage entre la sociologie élitiste des loges défuntes et celle des sociétés populaires épurées, démarche qui, finalement a le mérite de sauver la thèse de la « machine »..
Ainsi, quand les groupes sont, sociologiquement parlant, en concordance, les transferts entre les sociétés populaires et les anciens ateliers sont réduits à la portion congrue (Rouen) et, de l'atelier « censé » initier aux pratiques jacobines, on se rapproche de la loge porteuse de la culture anti -jacobine.
On se souviendra qu'elle fut, dans son fonctionnement quotidien, un espace de socialisation très large, celui où les Lumières* descendirent le plus bas mais aux antipodes de la culture centralisatrice véhiculée par le gouvernement révolutionnaire.
Les conflits entre les instances parisiennes et les loges provinciales soucieuses d'obtenir leur émancipation à la fin de l'Ancien Régime et une propension naturelle à la cooptation bien servie par l`efficacité des réseaux familiaux et professionnels ont façonné une culture facilitant le rejet de la démocratie telle que les jacobins la conçoivent.
Le test opéré dans un département stratégique (I'Eure), concernant le comportement adopté par les maçons des années 1785-1789 durant la période dite fédéraliste, mérite que l`on s'y arrête.
Les anciens maçons des districts séditieux sont en effet massivement représentés et même investis au plus haut niveau alors que, dans les districtS jacobins, les ex-frères, qui appartiennent pourtant aux mêmes sphères sociologiques, brillent par leur absence.
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Les propos du duc d'Orléans à l'occasion de son apostasie, même s'il faut les resituer dans le contexte dramatique dans lequel parle l'intéressé qui l'a conduit à vouloir adopter un profil bas face au gouvernement révolutionnaire, en disent d'ailleurs peut-être plus long qu'il n'y paraît. Accompagnant sa désertion d'un conseil (peu fraternel) aux hommes qui pouvaient combattre la maçonnerie, ses paroles correspondent à une représentation de la maçonnerie conforme à ce que celle-ci fut concrètement et qui la rend incompatible avec les pratiques du moment. C'est d'ailleurs ce que l'on entend dans les sociétés populaires régénérées où l'on qualifie volontiers les loges de « sociétés dans lesquelles on mêle les finesses de la politique et les rêveries mystiques ». Le temps où les premières sociétés patriotiques, fascinées par l'égalité mythique, captaient à peu de frais la symbolique maçonnique est révolu et le reproche fait à la maçonnerie repose nettement sur l'idée que celle-ci est chargée de valeurs culturel les défendu es par l es élites attachées à l'Ancien Régime.

Dans ce contexte, on est alors en droit de se demander les raisons du décalage qui existe entre la situation décrite et l'investissement profond des ateliers maçonniques dans le développement du libéralisme* politique dès les monarchies censitaires. La plasticité de la sociabilité maçonnique, que Fred Schrader qualifie justement de sociabilité « sans finalité extérieure » et sa perméabilité envers toutes les influences extérieures sont I es clés qui permettent de comprendre la formidable subversion qui traverse la franc maçonnerie et qui constitue le fait majeur survenu durant la période. Celle ci s'opère autour de trois axes. Le premier touche à la finalité originelle de la franc-maçonnerie: le geste philanthropique. Laïcisée depuis les années 1780 à Paris mais encore fortement arrimée à la culture chrétienne en province (les appartenances communes aux loges et aux confréries* en témoignent) la franc-maçonnerie voit, durant la période révolutionnaire, ses anciens adeptes s'initier massivement à la nouvelle conception de la pauvreté portée par la Révolution à travers les bureaux de charité et les comités provisoires. Le fait suscite d'autant plus de transformations qu'il concerne les frères qui participent à la reconstruction de la maçonnerie sous le Directoire et le Consulat.

Ces hommes introduisent progressivement en loge, avec l'aide d'une nouvelle génération de frères engagés dans les œuvres les plus novatrices, comme les comités de vaccination ou les caisses d'épargne, des pratiques nouvelles qui placeront la francmaçonnerie en concurrente de l'Église tout au long du XIXe siècle. Parallèlement, la Révolution induit une inflexion des comportements religieux. Tolérantes dans leurs fondements, on sait que les loges n'hésitaient pas sous l'Ancien Régime, à taire dans la pratique la confession protestante d'un frère et, surtout, à s'ouvrir massivement à des clercs qui constituaient bien souvent les cadres des ateliers. Plus que la déchristianisation, c'est la culture portée par les théophilanthropes, dont la figure de proue Chemin-Dupontès t appartint à la maçonnerie, qui semble avoir rencontré un franc succès auprès des maçons du Directoire au Premier Empire et, par là, infléchi les mentalités. Cette mutation du rapport au religieux se perçoit par les progrès quotidiens avérés du syncrétisme et du déisme. Les loges n'hésitent plus en effet à exprimer ouvertement la neutralisation religieuse de la sphère maçonnique. Ainsi dans les cahiers d'architecture de Saint Jean du Désert, à l'orient de Valenciennes, on lit, à l'occasion de cérémonies initiatiques, que l'on reçoit un juge « professant la religion de l'honnête homme et un commissaire du gouvernement attaché à la religion dominante ».

Enfin, la période fait émerger un nouveau rapport au politique. L'activité des rares ateliers qui survivent en pleine Terreur loin de montrer le bienfondé d'une continuité évolutive entre les loges maçonniques et les nouvelles sociétés politiques, constitue « la facture pro forma » du pouvoir transformateur lié à l'événement révolutionnaire. Les formes gue la subversion peut revêtir sont variées. A Toulouse, la culture révolutionnaire investit de vieux ateliers comme le montre l'histoire des « loges républicaines » alors qu'au Havre les radicaux préfèrent fonder une loge ouvertement parajacobine, Les Trois Haches*, dont la titulature (la hache brisant les chaînes) évoque à elle seule le pouvoir transformateur de la culture révolutionnaire. À partir de ce moment-là, la subversion devient la norme et, des instituts philanthropiques royalistes aux groupes de néojacobins, comme le montre l'histoire des Vrais Amis Réunis en pays niçois la « structure loge » est régulièrement utilisée comme couverture ou réceptacle au débat politique. Malgré le retour à l'ordre opéré par le 18 brumaire, la mutation est opérée et toute l'histoire de la maçonnerie au XIXe siècle ne peut se comprendre qu'avec, en filigrane, la compréhension des mécanismes décrits qui, si l'on veut bien les confronter avec les fondements initiaux posés par l'historiographie, implique à l'évidence la nécessité d'un retour aux sources.
E. S.


RIANDEY, Charles
(1892-1976) L a vie de Charles Riandev est inséparable de l'histoire de la franc-maçonneries en France et de celle du Rite Écossais Ancien et Accepté* dans Le monde.
Initié le 21 octobre 1917 à la loges parisienne Union et Bienfaisance qui l élit comme vénérable* le 15 novembre 1922, Riandey devient conseiller fédéral et Grand Secrétaire Général de la Grande Loge de France* de 1924 à 1927, puis de 1928 à 1931. Il fonde La Tradition Écossaise en 1930 avec Antonio Coen, puis Les Apprentis avec Marcel Cauwel. Parallèlement, il monte les degrés de la hiérarchie écossaise: 4° en 1920, 30° en 1924, 33° en 1929. L'année suivante, il est coopté au Suprême Conseil de France dont il devient le Grand Chancelier en 1934. Fonctionnaire-ou, comme il se définit lui-meme dans ses mémoires, « demi-haut fonctionnaire »-autodidacte il occupe les fonctions de secrétaire général du Xlle arrondissement de Paris avant la guerre.

Rétrogradé après la publication de la loi du 11 août 1941 il est nommé aux mêmes fonctions dans le XVIIIé arrondissement le 15 décembre 1941 grâce à Mgr Beaussart, évêque auxiliaire de Paris, et au provincial des jésuites qui sont intervenus en sa faveur. Quelques jours plus tard, une perquisition a lieu à son domicile. « L'inspecteur me remit... l'ordre de me présenter en personne au square Rapp, huit jours plus tard, porteur d'un résumé de mon activité maçonnique », écrit Riandey dans ses mémoires. Reçu personnellement par le directeur du Service des Associations Dissoutes, l'inspecteur de police français S. Moerschel, il lui remet ce résumé daté du 29 janvier 1942 dans lequel on peut lire: « J'ai combattu avec beaucoup d'autres au prix de pénibles épreuves, l'envahissement de la maçonnerie par les juifs. » Dans une lettre qu'il adresse au R. P. Berteloot le 19 mars 1943, son antisémitisme s'exprime plus nettement encore. Engagé dans la Résistance* en avril 1943, il est arrêté par la Gestapo le 14 juin 1944 et déporté le 21 août à Buchenwald. Il rentre en France en avril 1945, reprend son poste à la mairie du XVIIIe le 10 novembre suivant, devient chef de cabinet de son ami, le ministre André Le Troquer, puis directeur du Service du logement de la préfecture de la Seine le 1er janvier 1947. Le 30 septembre 1951, il prend sa retraite et sera désormais appointé par les Laboratoires Roger Bellon dont le propriétaire avait été déporté avec lui à Buchenwald. Grand Orateur du Suprême Conseil de France depuis 1950, Riandey est à nouveau élu conseiller fédéral de la Grande Loge de France dont il devient Grand Chancelier (chargé des affaires extérieures) le 17 septembre 1953, jour où son Convent* vote l'obligation de prêter serment* sur les Trois Grandes Lumières*.

Cette décision permet au Grand Maître Louis Doignon, le 16 mai 1954, de poser la candidature de la Grande Loge à la Convention de Luxembourg. En octobre, avec l'accord de Louis Doignon, Riandey entame des négociations confidentielles avec Pierre Chéret Grand Maître de la Grande Loge Nationale Française*. Elles donnent lieu à la rédaction de protocoles préparatoires, à la suite desquels des conversations officielles bilatérales (26 mai 13 septembre 1955) aboutissent à un projet de fusion entre les deux obédiences*. L'ampleur des sacrifices exigés de la Grande Loge de France est telle que, lors de la réunion du Conseil Fédéral du 26 novembre 1955, ce projet est retiré de l'ordre du jour du Convent, prévu les 14 et 15 janvier 1956, décision prise à l'unanimité des présents dont Riandey. Le 8 septembre 1956, la Grande Loge de France est admise comme membre de la Convention de Luxembourg. Le dernier rapport que Riandey, Grand Chancelier et conseiller fédéral sortant après trois ans d'exercice, présente au Convent de la Grande Loge de France le 20 septembre 1956 recommande aux 204 présents de ratifier cette adhésion par un vote unanime.

À la mort du Grand Commandeur Jacques Maréchal le Suprême Conseil élit Charles Riandey pour son successeur le 26 mai 1961. Au cours de la Conférence des Grands Commandeurs européens, réunie à Francfort en juin 1962 Riandey fait la connaissance de Willem Hofman qui vient d'etre élu à la tête du Suprême Conseil des Pays-Bas* trois semaines plus tôt.

Entre-temps, des conversations, dont le but est la création d'une Grande Loge Unie de France, se sont engagées en février 1959 entre le Grand Orient* de France la Grande Loge de France et la Grande Loge Nationale Française. Elles se terminent quatre mois plus tard par un échec. En septembre 1959, le Convent de la Grande Loge de France décide de suspendre ses relations avec le Grand Orient de France et avec le Grand Orient de Belgique*. Deux ans plus tard, il mandate son Conseil Fédéral pour reprendre les conversations tripartites mais les conditions mises par la Grande Loge Nationale Française à cette reprise la rendent impossible. Lu Suisse* suspend ses relations avec la Grande Loge de France en octobre 1913; es Grandes Loges Unies d'Allemagne ont rompu avec elle depuis 1960; la Grande Loge de Belgique, fondée en décembre 1959 fait de même en février 1964. Face à cet isolement progressif, la Grande Loge de France décide de reprendre contact avec le Grand Orient de France. Une réunion a lieu le 15 avril 1964 11 en résulte un traité d'alliance fraternelle, adopté à l'unanimité le 7 septembre par l'Assemblée Générale du Grand Orient de France, ratifié le 17 septembre 1964 par le Convent de la Grande Loge de France par 140 voix contre 82.

Au mois de février 1964, Riandey a rencontré secrètement le Grand Maître de la Grande Loge Nationale Française, Ernest Van Hecke et en informe Hofman. Mis au courant des pourparlers avec le Grand Orient de France, Riandey tente de les faire échouer et n'y parvient pas. La veille de la ratification du traité, Riandey est réélu Grand Commandeur. Le traité ratifié il favorise la création d'une nouvelle Grande Loge où il imagine pouvoir réunir 3 000 à 4 000 maçons qui quitteraient la Grande Loge de France. Au mois d'octobre 1964, Riandey rencontre à nouveau, toujours secrètement, les dirigeants de la Grande Loge Nationale Française, alors que Hofman va à Londres expliquer la situation française telle qu'il la perçoit au Grand Secrétaire de la Grande Loge Unie* sir James Stubbs, et au Grand Commandeur R. L. Loyd. Le 27 novembre, Riandey adresse un message à tous les membres du Suprême Conseil de France leur enjoignant de démissionner de la Grande Loge de France avant le 31 janvier 1965 sous peine de destitution. Le 18 décembre, les membres du Suprême Conseil réunis en séance, apprenant les contacts secrets de leur Grand Commandeur avec les autorités de la Grande Loge Nationale Française, exigent que Riandey démissionne de sa charge d'autant qu'il leur affirmait depuis trois mois qu'il n'était pas question de refondre la Grande Loge Nationale Française.

Trois jours plus tard, le Grand Commandeur Hofman arrive à Paris, rencontre Riandey et Van Hecke et fixe avec ce dernier un plan en sept points auquel Riandey donne son accord le 22. Par lettre du 24 décembre, Hofman informe le Grand Commandeur de la Juridiction Sud des États-Unis, Luther Smith, du résultat de ses voyages à Londres et à Paris et lui propose de reconstituer et de « reconsacrer » le Suprême Conseil de France. Le 18 janvier 1965, Hofman écrit à Riandey: « Ce qui est absolument nécessaire. c'est... que vous vous faites [sic] ré-initier chez Van Hecke. » Riandey accepte, et sa « ré-initiation » par le Grand Maître de la Grande Loge Nationale Française a lieu le 9 février. Le 13 février à Amsterdam, Riandey et plusieurs autres membres de la Grande Loge de France, entre-temps régularisés par la Grande Loge Nationale Française sont initiés ou ré-initiés à tous les grades* du Rite* jusqu'au 33°. Riandey devient membre actif du Suprême Conseil des Pays-Bas, chargé au nom des Grands Commandeurs des deux juridictions américaines et de celles du Canada et des Pays-Bas « de reconstituer en France... un Suprême Conseil régulier » ce qu'il accomplit aussitôt. Ce Suprême Conseil « pour la France » est « consacré » le 24 avril 1965 à Paris par une délégation du Suprême Conseil des Pays-Bas.

En 1968, Corneloup* écrira à propos de Riandey: «1l portera devant l'histoire une lourde responsabilité et la honte de s'être laissé soumettre à une humiliante régularisation qui permettrait de conclure -faussement-qu'elle est l'aveu que les initiations* et les investitures, que le très illustre frère Riandey, Souverain Grand Commandeur, avait reçues avant la guerre, à une époque où personne au monde ne mettait en doute l'orthodoxie écossaise du Suprême Conseil de France. n'étaient que de vains simulacres. »
A.B.


RICHE-GARDON, Luc-Pierre
(Lyon, 1811-Paris, 1885) Luc-Pierre Riche dit Gardon naît dans une famille de négociants en soieries catholique et conservatrice. Il reprend la tradition familiale, et fonde la société Riche et Reymond. Vers 1830, il abandonne famille, fortune et patrie pour le Proche-Orient où il devient correspondant de presse. Il se fixe à Athènes où il exerce des fonctions juridico-consulaires et publie un journal de défense des populations chrétiennes de l'Empire ottoman*, L'Observateur hellénique (1840 1841).

Luc-Pierre revient en France en 1846 et se mêle aux fouriériste et saint-simoniens* parisiens. En 1854, il fonde une petite société philosophico-littéraire néo-philanthropique, les Amis de la Société. Elle cherche à développer le providentialisme, doctrine définie dans une brochure publiée I année précédente. Riche Gardon crée également une maison d'édition et, durant toute sa vie, il sera gérant, rédacteur, éditeur, animateur, éditorialiste et propagandiste de diverses revues: La Vie humaine, c'est la vie à réaliser (1855-1859) avec trois suppléments, L'initiation ancienne et moderne (1860-1861). Le Journal des initiés aux lois de la vie et de l'ordre universel (1861-1863), Le Déiste rationnel (1864), devenu La Renaissance, puis La Renaissance de I éducation publique (1865-1867), et enfin La Bonne Nouvelle du XIX. Renaissance de l'initiation à I ordre moral (1868-1870; 1872-1875).

Maçon très jeune, il aurait appartenu à l'obédience* misraïmide. A-t-il été régularisé ou réinitié au Suprême Conseil de France ? Il apparaît alors comme apprenti*, le 2 décembre 1853, à la loge* écossaise n° 133 Saint-Vincent-de-Paul, puis maître* en mai 1855, à La Ligne Droite. Avec quelques frères comme Jean Marie Caubet, Louis Napoléon Dediot, Léopold Haymann et Charles Pernet-Vallier, ils réveillent le 21 mai 1858 un atelier moribond du Grand Orient de France* sous le titre distinctif La Renaissance par les Émules d 'Hiram* . Le 6 août de la même année l'atelier affilie Charles Fauvety* et initie Henri Carle.
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Riche Gardon devient vénérable* en 1859-1860 et veut faire de sa loge un prototype d'une néomaçonnerie déiste et ouverte aux sœurs. L'affaire échoue. Le 15 avril 1860, Il frères se réunissent,sans doute au domicile parisien de Riche-Gardon, 5, rue de la Banque, pour constituer une loge provisoire dite Religion Naturelle Universelle, qui, finalement, se nommera Le Temple des Familles. L'atelier est installé le 14 novembre 1860, et Riche Gardon en est le vénérable durant les trois années de son existence.

En 1861, Riche Gardon fait partie de l'opposition au Grand Maître Murat*. Il sera même suspendu mais le prince quittera la direction du Grand Orient Le Temple des Familles reprendra ses travaux où, à côté des traditionnelles tenues* masculines l'atelier organise des réunions dites, au choix, de « comité général», « de famille et de préparation »«d'adoption* », ou de « maçonnerie blanche » ouvertes aux sœurs et/ou aux familles. La loge féminine souchée sur Le Temple des Familles est composée principalement d'aristocrates, de bourgeoises cultivées et féministes, d'intellectuelles ou d'artistes, comme la journaliste socialiste, romancière et critique d'art Angélique Arnaud Bassin la romancière, conteuse, grammairienne et moraliste Marie Guerrier de Haupt, l'écrivain féministe Jenny d'Hericourt, la baronne Albine Hélène Le Vassal-Roger, la pédagogue J. de Marchef Girard ou Mme Charles Fauvety, dite Maxime, du Théâtre-Français. Cet atelier, ni vraiment d'adoption, ni totalement mixte, disparut sous cette forme originale en 1864 pour devenir une loge de libre pensée* laïque et socialisante au nom moins prosaïque: Travail.

Riche-Gardon participa encore à la vie de l'obédience* comme le montre son voeu au Convent* de 1867 (n° V) sur le respect de la tradition initiatique, puis tomba dans l'oubli maçonnique au cours de la décennie suivante.

Chrétien rationaliste, romantique orientalisant, influencé par Willermoz*, le mesmérisme*, l'hermétisme*, le néoplatonisme les idéaux de la Révolution française* et les socialistes utopistes spiritualistes, Luc-Pierre Riche-Gardon cherchera toute sa vie à trouver une synthèse entre le Christ et la raison, l'action socialiste et la quête spiritualiste. Sous la République des ducs, Riche Gardon se retire progressivement de la vie profane et maçonnique.

En 1881, il trouve cependant l'énergie de lancer Le Manifeste de la religion chrétienne et humaine et tente, sans succès d'obtenir des pouvoirs publics le droit de tenir des conférer ces pour développer ses idées. Il partage ses derniers mois avec une petite soeur de la Charité Civile. Luc-Pierre Riche-Gardon meurt le 3 août 1885. Esprit-Eugène Hubert*, directeur de La Chaîne d'Union. se chargea de ses obsèques.
Y. H.M.









RIQUET, Michel
(Paris, 1898-1993)
Michel Riquet est une figure majeure du dialogue entre l'église catholique romaine et la franc-maçonnerie* au XXe siècle. Pourtant, rien ne l'y prédisposait. Il grandit dans un milieu catholique, marqué par l'Action Française (son parrain est Louis Dimier) pour lequel la franc-maçonnerie est une société subversive dirigée contre l'Église. Toutefois, son passage au petit séminaire de Versailles, dont l'évêque est Mgr Gibier, l'amène à des positions plus libérales. C'est là aussi qu'il rencontre Jacques Maritain auquel le lie vite une amitié indéfectible.
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En 1916, il entre dans la Compagnie de Jésus. En 1918, il reprend son noviciat interrompu par la guerre. Pendant ses premières années d'études il élabore une théorie du droit de résistance aux lois injustes (Sa Majesté la Loi, 1925). Il collabore ensuite aux revues jésuites Études et L'Action populaire 'cette dernière créée dans le sillage de l'encyclique Rerum novarum du pape Leon XIII). Il prend fermement position con:re l'Action Française dans la querelle qui oppose celle-ci au Saint-Siège*, et incite Jacques Maritain à faire de même. Ordonné prêtre en 1928, il anime la Conférence Laënnec à partir de 1930 et en devient le directeur en 1936. C'est alors la première rencontre de Michel Riquet avec la franc-maçonnerie: il entretient, de 1936 à la guerre, des liens avec des francs-maçons des cabinets de Henry Sellier et Marc Rucart* ministres de la Santé publique et des Assurances sociales. En 1939, il fonde le Secours catholique. Dès septembre 1940, il rejoint la Résistance* où il renoue des relations avec la franc-maçonnerie.

Arrêté le 17 janvier 1944 déporté, puis libéré le 29 avril 1945, il s'oppose à une épuration sans discernement des milieux ecclésiastiques. Il collabore régulièrement au Figaro et à la Revue des Deux Mondes. De 1952 à 1967, il est aumônier national de la Société médicale Saint-Luc-Saint Côme et-Saint-Damien. Il est encore vice-président de l'Association française des amis des Nations unies, de la Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes, de la Ligue contre le racisme (à laquelle il avait adhéré dès 1938), aumônier des écrivains catholiques, cofondateur et animateur de la Fraternité d'Abraham (qui entend travailler à la réconciliation des trois monothéismes abrahamiques)... Farouche partisan de l'état d'lsraël, il s'intéresse activement aux problèmes du Moyen-Orient, allant jusqu'à former un projet d'États-Unis du Levant. Durant toutes ces années les relations tissées pendant la guerre se conjuguent avec la rencontre du père Joseph Berteloot (1881-1955), autre jésuite artisan du dialogue avec la franc-maçonnerie. pour lui faire reconsidérer son hostilité originelle à I égard de la francmaÇonnerie L amitié du commandant Gamas. ancien déporté, membre du Suprême Conseil du Rite Écossais et catholique fervent, contribue aussi à rapprocher Michel Riquet de la maçonnerie

Le 18 mars 1961, avec l'accord de ses supérieurs de la Compagnie et de l'évêque du lieu, Mgr Rousseau, et accompagné d'Alec Miellor, il donne une conférence sur l'athéisme à la loge* Voiney de Laval, loge du Grand Orient de France* présidée par Marius Lepage*. Cette conférence provoque des remous au Grand Orient de France, des membres de cette obédience* y voyant une tentative de récupération de la franc-maçonnerie par l'Église catholique. Marius Lepage est suspendu par le Conseil de l'Ordre* qui lui reproche de ne pas avoir respecté les règles delatenue* blanche fermée en autorisant la présence de deux profanes (A. Mellor n'était pas encore maçon). Lepage s'agrège à la Grande Loge Nationale Française*. À partir de ce moment, M. Riquet entretient des relations quasi exclusives avec cette dernière obédience.

Dans la ligne de J. Berteloot M. Riquet distingue un courant maçonnique anticlérical et politique d'un courant maçonnique religieux et apolitique qu'il juge seul authentique et digne d'intérêt. ll s'appuie sur les travaux d'Alec Mellor pour montrer que la « franc-maçonnerie libérale » est une déviation de cette maçonnerie moderne qu'Anderson* et Desaguliers* avaient établie dans la continuité directe des corporations chrétiennes de bâtisseurs et dans la fidélité à leurs landmarks*. M. Riquet ne craint pas de se référer à Barruel* auquel il consacre notamment un ouvrage (Augustin de Barnuel: un jésuite face aux jacobins francs maçons, 1989-il pense d'abord intituler ce livre « Le Père Barruel et le complot maçonnique »). Dans cette perspective, les francs maçons irréguliers d'aujourd'hui sont les héritiers plus ou moins directs des Illuminaten* et méritent assez largement les condamnations romaines. En revanche, les francsmaçons réguliers croyants et apolitiques, ne devraient pas subir les foudres des excommunications pontifical es. En effet, loin d'éloigner du Christ et de l'église, ce type de maçonnerie s'en rapproche par ses rituels et sa fraternité. C' est la thèse qu' i l expose avec Jean Baylot*, de la Grande Loge Nationale Française, dans Les Francs-Maçons dialogue entre Michel Riquet et Jean Baylot (1968).
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Concrètement M. Riquet met en œuvre cette appréciation positive de la franc-maçonnerie régulière en intervenant auprès de Mgr Etchegaray alors secrétaire de la Conférence des évêques de France puis en servant d'intermédiaire entre la Grande Loge Nationale Française et le Saint-Siège. Finalement, en 1970 officieusement et en 1972 officiellement, il obtient de la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la foi, alors présidée par le cardinal Seper, qu'elle avalise l'interprétation restrictive du canon 2335 du Code de droit canonique de 1917: seuils sont excommuniés les membres de loges maçonniques qui complotent contre l'église et les pouvoirs civils légitimes. Plus encore lorsque la nouvelle rédaction du Code de droit canonique (1983) supprime toute référence à la franc-maçonnerie, M. Riquet y voit un aboutissement de son travail. Lorsque, le 26 novembre 1983, la même Congrégation déclare que l'appartenance d'un catholique à la franc-maçonnerie demeure toujours interdite, il s'en désole, s'en inquiète et écrit à Rome, mais considère que cette déclaration ne concerne pas les maçons de la Grande Loge Nationale Française, l'appartenance de catholiques à cette obédience ayant été autorisée auparavant.

Les distinctions de Riquet entre maçonnerie régulière et maçonnerie irrégulière posent, en fonction de l'orthodoxie catholique, des normes d'orthodoxie maçonnique (l'obligation de la croyance en un Dieu personnel). Ceci est contesté tant par des maçons libéraux (Marcel Ravel et Jacques Mitterrand* lors du Convent* de 1962 du Grand Orient de France) que par des commentateurs catholiques (Jean-Pierre Manigne dans les Informations catholiques internationales, n°490, 1961). Les uns comme les autres lui reprochent de prendre parti dans des querelles intra-maçonniques. On ne peut toutefois nier que M. Riquet a contribué à rapprocher catholiques et francs-maçons. Il meurt à Paris le 5 mars 1993, quelques mois avant de fêter ses 95 ans.
J. R.-L.



























RISORGIMENTO:
voir Unité italienne


RITE
Si le mot, dans son sens religieux, renvoie à des liturgies distinctes, il singularise aussi le style de cérémonie des diverses obédiences*. Parmi les plus connus ou les plus exercés, on peut retenir le Rite Français*, issu du Rite Français de 1783, dit également Croussier* (le plus pratiqué au Grand Orient* de France où se pratiquent aussi le Rite Français Moderne de 1840, le Rite Français Ancien de 1801; peu de loges* mettent en application le Rite originel de 1783) le Rite Écossais Ancien et Accepté* (le plus répandu dans le monde), le Rite Écossais Rectifié*, le Rite Émulation* (anglo-saxon), le Rite de Memphis et Misraïm, le Rite d'York ou Maçonnerie du Royal Arch*, essentiellement en vigueur aux États-Unis*, le Rite Écossais Rectifié d,e 1778 (également nommé Régime Écossais Rectifié). Certains rites ont disparu tels le Rite d'Avignon de 1772, le Rite Primitif de Narbonne ou le Rite des Philalèthes. D'autres, comme le Rite Martiniste, le Rite Adhoniramite ou les Rites forestiers (Charbonnerie*) sont d'un usage plus rare.

Le rite désigne aussi l'un des moments forts d'une cérémonie: rite d'ouverture et de fermeture des travaux, rite de tenue* d'initiation*, de tenue funèbre ou encore d'adoption*. On peut considérer comme rituels l'ensemble des textes qui organisent les travaux de loge. Le sens ici varie en fonction du R. majuscule ou minuscule. Le mot provient du sanscrit rita qui signifie « ordre »; suivre un rite, c'est donc sortir du chaos, adopter un ordre qui permet d'agir selon des règles communes (acception que prolonge le latin ritus: usage, coutume, cérémonie). Si le rite constitue le moment fort et formalisé d'une cérémonie, il est diversement interprété par ceux qui l'accomplissent. Parfois contesté pour sa rigidité il peut être sacralisé par ceux qui lui confèrent une dimension mystique voire magique. Nous serions, ici, non dans une tradition vivante mais dans une survivance archaïque, tout juste bonne à éveiller la curiosité. Dans les sociétés dites archaïques l'accomplissement du rite, scrupuleusement observé, favorise le contact avec forces ou entités auprès desquelles l'initié recherche une tutelle bienveillante et une puissance agissante.

Il est clair qu'à la différence de rites de puberté, de circoncision ou de consécration d'un monarque, les rites maçonniques entraînent des modifications invisibles de l'extérieur, sans effets sur le plan social. L'initié vit sur un mode absolument personnel une relation originale au sacré. Le rite, toujours mystérieux, se révèle dans le mouvement propre d'une cérémonie mais il convient de comprendre ce mystère non comme un redoutable et impénétrable secret*, mais comme une expérience si intime qu'en révéler le contenu reviendrait à présenter un décor, une forme sans vie. Incompréhensible pour le simple curieux, le rite est secret car il est symbole mis en œuvre formalisation d'un mythe. Il appartient aussi, par l'univers des formes qu'il compose, à une dimension esthétique qu'il convient de souligner. Le souci de beauté, solidaire d'un art de la dramatisation et de la mise en scène, est en effet constant dans l'accomplissement des rites maçonniques.
Vl. B.


RITE ÉCOSSAIS ANCIEN ET ACCEPTÉ
I. Panorama historique
II. Les Constitutions du Rite Écossais Ancien et Accepte



I. Panorama historique
R-30.JPG (304K) L'origine* du Rite Écossais Ancien et Accepté est liée à la floraison au XVIIIe siècle de hauts grades* et à la nécessité de fixer une série de grades* ordonnés constituant un parcours maçonnique Par « empilement » des grades, se met en place une maçonnerie de Perfection à 10, puis 14 degrés. Au milieu du siècle, la première Grande Loge de France* et son cercle intérieur et dirigeant. le Grand Conseil des Grands Inspecteurs Grands Elus, pratiquent, un système (Petits Grades, Elus, Écossais, Grades Chevaleresques) dont la clef de voûte est le degré de Chevalier Kadosh*. Ce rite. transmis au négociant Morin* en 1761, est propagé aux Antilles, complété et couronné par le grade de Prince de Royal Secret. Selon le petit texte qui précède le cahier de Chevalier d'Orient ou de I Épée du Rite de Perfection, ledit système a été « établi» par Morin et « ranimé » par Francken* qui fait apparaître le Rite de Perfection dans sa forme terminale en 25 grades.

En s'inspirant de divers systèmes écossais français, l'écossisme se développe dans les îles et sur le continent nord-américain notamment en Caroline du Sud, et s'organise à Charleston* entre 1796 et 1801. Puis, le 4 décembre 1802, une lettre circulaire dite le « Manifeste » annonce I'« ouverture ", le 31 mai 1801, du premier Suprême Conseil du 33° pour les États Unis* constitué par l'officier d' intendance, John Mitchell et Frédérick Dalcho*, qui cooptèrent ensuite Emmanuel de La Motta, Abraham Alexander, Bartholomew Bowen, Israêl de Lieben, Isaac Auid, Moses C. Levy, James Moultrie. La présence d'Alexandre de Grasse-Tilly* est plus hypothétique. Pour légitimer leur création, les maçons de Charleston limitent les degrés au nombre symbolique de 33 et s'autorisent d'un nouveau texte créateur les Grandes Constitutions de 1786, supposées avoir été édictées par Frédéric 11.

Ainsi, dès sa naissance, le Rite Écossais An ci en et Accepté est parfaitement structuré. C'est une obédience* centralisée dirigée par un Suprême Conseil coopté, même si les 33 degrés ne sont pas encore tout à fait fixés. Le nouveau rite se présente comme un système uniquement de hauts grades divisé en trois sections: une loge de Perfection pour les grades du 4° au 14°, un conseil de Princes de Jérusalem* (15° et 16°) un Suprême Conseil de Grands Inspecteurs Généraux (17° au 33°). Grasse-Tilly l'introduit en France, le complète et constitue en 1804 un Suprême Conseil et une Grande Loge Générale Écossaise partie contractante d'un « concordat » avec le Grand Orient*. Le nouveau système écossais se dote de loges bleues qui ont d'abord pratiqué le Rite Écossais Philosophique (rite de type Moderne). La rivalité avec le Grand Orient conduit les maçons « écossais » à créer des grades « bleus » en les inscrivant dans la tradition des Anciens*. Ainsi est publié le Guide des maçons écossais (vers 1805) réplique au Régulateur de 1801. Il s'inspire largement des Three Distinct Knochs de 1760, mais intègre de nombreux élements « Modernes* » présents dans la maçonnerie française. Devant cette rivalité, les autorités civiles imposent un compromis. Cambacérès* déjà Grand Maître Adjoint du Grand Orient devient le 13 août 1806 Grand Commandeur du Suprême Conseil.

A partir des années 1820, le Régime Français et le Rite Écossais Ancien et Accepté demeurent les deux seuils systèmes couramment pratiqués en France. Entre 1805 (Italie*, sis à Milan) et 1874 (Canada), 27 Suprêmes Conseils sont constitués dans 24 nouveaux pays d'Europe et d 'Amérique, sans oublier la Turquie* et l'Égypte. Les Suprêmes Conseils organisent des rencontres internationales et, en septembre 1875, le Convent* universel de Lausanne adopte un « traité d'union d'alliance et de confédération» et un « Manifeste » qui n'empêche pas de nombreuses divergences. C'est seulement en 1907 qu'une réunion de 20 Suprêmes Conseils se tient à Bruxelles sous le nom de « première conférence internationale des Suprêmes Conseils du Rite Écossais Ancien et Accepté ».
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Aujourd'hui, le Suprême Conseil de Charleston dit de la Juridiction Sud des États Unis Mother Suprême Council of the World, « reconnaît » une cinquantaine de Suprêmes Conseils. Ces derniers se réunissent tous les cinq ans en conférence internationale. À celle de Baranquilla (Colombie, février 1970), ils ont rejeté les dispositions de Lausanne (1875). A côté de cette« internationale écossaise », on trouve plusieurs dizaines d'autres Suprêmes Conseils (au moins cinq pour la France sans compter le cas particulier du Suprême Conseil Mixte et International Le Droit Humain*).

Aujourd'hui, le Rite Écossais Ancien et Accepté est le système de hauts grades le plus pratiqué dans le monde. Aux États Unis, il est dit Ancient Accepted Scottish Rite (Juridiction Nord) et Ancient and Accepted Scottish Rite (Juridiction Sud). En Angleterre, depuis 1877, il est nommé Ancient Accepted Rite (l'adjectif Scottish ayant été supprimé) et désigné de manière usuelle sous la forme française de Rose-Croix*. En Europe continentale, il demeure le plus souvent un système en 33 grades. A l'image de la situation française, la gestion des trois premiers degrés est assurée par une Grande Loge (ou un Grand Orient). Les 30 grades suivants sont gouvernés par un Suprême Conseil « souché » sur une « obédience bleue* ". Un système hiérarchisé d'ateliers gère les 30 grades supérieurs. Pour la loge de Perfection (4° au 14°): Maître Secret; Maître Parfait; Secrétaire Intime ou Maître (Anglais) par curiosité; Prévôt et Juge ou Maître Irlandais; Intendant des Bâtiments ou Maître en Israël Maître Élu des Neuf; illustre Élu des Quinze Sublime Chevalier Élu Grand Maître Architecte*

Royale Arche* du Chevalier (de) Royal Arche; Grand Écossais de la Voûte sacrée dit de Jacques Vl, Grand Élu, Élu Parfait (ancien Maître Parfait) Sublime Maçon. Pour les chapitres* (du 15° au 18°): Chevalier d'Orient ou de l'Épée ou Chevalier Maçon Libre; Prince de Jérusalem, Grand Conseil, Chef des Loges Régulières; Chevalier d'Orient et d'Occident: Souverain Prince Rose-Croix pour les Aréopages (du 19° au 306): Grand Pontife ou Sublime Écossais dit de la Jérusalem Céleste; Vénérable* Grand Maître de toutes les Loges Régulières, Souverain Prince de la Maçonnerie ou Maître ad ultam; Noachite ou Chevalier Prussien

Chevalier Royal Hache (Chevalier de Royale Hache) ou Prince du Liban Chef du Tabernacle; Prince du Tabernacle; Chevalier du Serpent d'Airain; Écossais Trinitaire ou Prince de Merci(y); Grand Commandeur du Temple* ou Souverain Commandeur du Temple de Jérusalem; Chevalier du Soleil* ou Prince Adepte; Grand Écossais de Saint-André d'Écosse dit le Patriarche des Croisades et Chevalier du Soleil, Grand Maître de la Lumière, Grand Inquisiteur (Inspecteur) Grand Élu. Chevalier Kadosh, Chevalier de l'Aigle Blanc et Noir. Au sommet de la hiérarchie. on trouve le tribunal pour le degré de Grand Inspecteur Inquisiteur Commandeur, le Consistoire pour le grade de Sublime Prince du Royal Secret ou Chevalier de Saint-André Gardien Fidèle du Trésor Caché et le Conseil Suprême pour le degré ultime de Souverain Grand Inspecteur Général.

Les noms des grades du Rite Écossais Ancien et Accepté sont différents selon les juridictions et la Juridiction Sud procède actuellement à une modification de leur ordre. Depuis deux décennies, avec de nombreuses variantes dans le rituel, le Rite Écossais Ancien et Accepté est majoritaire au sein de la maçonnerie française « bleue ». Il est le système presque exclusif de la Grande Loge de France et de la fédération française du Droit Humain. Les quatre cinquièmes des loges de la Grande Loge Féminine de France* ainsi qu'une petite moitié de celles de la Grande Loge Nationale Française* et de la Grande Loge Mixte de France le pratiquent. Il est également le Régime d'une grosse centaine de loges du Grand Orient (11 % du total) et de quelques loges de la Grande Loge Mixte Universelle, de la GLISRU-Humanitas et de diverses micro obédiences.
Y. H.M.


II. Les Constitutions du Rite Écossais Ancien et Accepte
R-32.JPG (85K) Il convient de ne pas confondre la liste des 33 grades énumérés dans la Circular throughout the two Hemispheres approuvée le 4 décembre 1802 à Charleston par le Suprême Conseil des États-Unis qui 'n'utilisa jamais l 'expression Ancient and Accepted Scottish Rite, et l'expression « Rite Écossais Ancien et Accepté ». Celle-ci apparaît dans le concordat ratifié le 5 décembre 1804 dont le texte est reproduit dans le Recueil des actes du Suprême Conseil de France (1832), mais y est utilisée une fois seulement à l'article 5 des Dispositions générales où six frères sont décrit,s comme « membres de l'ancien Rite Écossais Ancien et Accepté ". En revanche, son utilisation est constante dans les décrets du Suprême Conseil de France à partir du 27 novembre 1806 et Pyron intitule son ouvrage anonyme paru en 1814 Abrégé historique de l'organisation en France [..] des trente-trois degrés du Rite Écossais Ancien et Accepté.

Comme l'avait relevé Ray Baker Harris en 1964, l'expression anglaise Ancient and Accepted Scottish Rite ne fait sa première apparition que dans le traité d'union signé le 5 avril 1832 à New York entre le Suprême Conseil fondé par Joseph Cerneau*, présidé depuis novembre 1827 par Elias Hicks, et le Suprême Conseil [des Dominions espagnols] de Terre ferme, Amérique du Sud, îles Canaries, Porto Rico, etc., dont le Grand Commandeur est le comte de Saint-Laurent. Ce traité donne naissance au Suprême Conseil Uni pour l'Hémisphère Occidental séant à New York, qui est partie au « Traité d'Union, d'Alliance, et de Confédération Maçonnique »conclu à Paris le 23 février 1834 avec le Suprême Conseil de France et le Suprême Conseil du Brésil. Dans la version imprimée à Paris en 1836 par J.-A. Boudon, l'expression et la graphie utilisées sont: Rite Écossais-Ancien-Accepté et Ancient-Accepted-Scottish-Rite.

Élevé au 33° le 25 avril 1857 par Claude Pierre Samory à La Nouvelle-Orléans et choisi comme Grand Commandeur du Grand Consistoire 32° de la Louisiane*, Albert Pike* prononce quatre jours plus tard un discours de remerciements dans lequel il fait mention à plusieurs reprises de l'Ancient and Accepte d'Rite. Réélu à la tête du Grand Consistoire le 16 décembre suivant, il y prononce une seconde allocution dans laquelle il fait maintenant usage de l'expression précédente et de Ancient and Accepted Scottish Rite, car dans le courant de l'année Samory lui a communiqué un exemplaire de l'imprimé de 1836.

La Juridiction Sud emploiera la seconde expression de manière constante après avoir élu Pike comme Grand Commandeur en janvier 1859. La Juridiction Nord n'en fera usage qu'à partir du 17 mai 1867, jour de l'union du Suprême Conseil fondé en 1813 à New York (Charleston) avec le Suprême Conseil Uni pour l'Hémisphère Occidental.

Le texte constitutionnel fondamental sur lequel l'existence des Suprêmes Conseils du monde entier est fondée est générale ment désigné par l'expression « Grandes Constitutions de 1786 ». L'existence de ce texte est mentionnée pour la première fois dans la circulaire du 4 décembre 1802 (Dalcho) où il est résumé comme suit: « Le l er mai 1786, la grande constitution du 33e grade, appelé le Suprême Conseil des Souverains Grands Inspecteurs Généraux, a été finalement ratifiée par sa Majesté le roi de Prusse qui, en tant que Grand Commandeur de l'ordre de Prince du Royal Secret possédait le pouvoir maçonnique souverain sur toute la maçonnerie (Craft). Dans la constitution nouvelle, ce pouvoir supérieur était conféré à un Suprême Conseil de neuf frères dans chaque nation, qui possèdent sur leur propre territoire l'ensemble des prérogatives maçonniques que sa Majesté possédait à titre individuel, et sont souverains de la maçonnerie. »

La version intégrale des 18 articles de cette constitution est pour la première fois publiée dans le Recueil des actes de 1832 en français. Il en existe également une version rédigée en latin, dont certains articles incluent des stipulations différentes, imprimée à la suite du traité de 1834 mentionné ci-dessus. Cette seconde version, intitulée Noua Instituta Secreta et Fundamenta, est encadrée par deux textes jusqu'alors inédits, signés « Fredericus ». Le premier expose les raisons de la création du Ritus-Scotici-Antiqui-Accepti le second décrit l'étendard de l'Ordre, les insignes des Grands Inspecteurs Généraux et le Grand Sceau de l'Ordre.

Ces deux versions ont en commun de reconnaître, sauf les modifications qu'elles leur apportent, l'existence et la validité des constitutions et règlements faits par les 9 commissaires nommés par le Grand Conseil des Princes du Royal Secret en 5762 qui sont reproduits dans le Recueil des actes de 1832 sous l'intitulé <« faits... le 20 septembre 1762, au grand orient de Bordeaux* ».

Thory* avait affirmé qu'un Conseil des Princes du Royal Secret avait été fondé à Bordeaux par le Conseil des Empereurs d'Orient et d'Occident résidant à Paris, ce qui était une invention pure et simple. Or, le brigadier A.C.F. Jackson a publié en 1980 dans son livre Rose Croix la plus ancienne version connue de ces Constitutions de 1762, recopiée dans le manuscrit Francken de 1771. Cette publication nous a permis en 1984 de faire deux constatations: la version des Constitutions de 1762 publiée à Paris en 1832, contenait de nombreuses interpolations (l'introduction et les articles 1, 2 et 35); la version manuscrite de 1771 était quasiment identique aux Statuts et Réglements de la Grande Loge de France de 1763. Nous en avons tiré la conclusion qu'entre 1763 et 1771, « à la Jama'ique ou à Saint Domingue, les Statuts de 1763 furent réécrits pour servir de base réglementaire à l'essor de la maçonnerie écossaise dans cette région et en Amérique ».

Si de fortes présomptions permettent d'attribuer à Estienne Morin* la réécriture des Constitutions de 1762, au comte de Saint-Laurent celle de la version latine de la Grande Constitution de 1786, l'auteur de la version française n'a pu être identifié.

Alors que la grande majorité des Suprêmes Conseils du monde entier ont choisi d'adopter la version latine le Suprême Conseil de la Juridiction Nord des États Unis d'Amérique lui a préféré la version française. Ce Suprême Conseil est également le seul à avoir adopté les Constitutions secrètes de 1761, dont le texte est pratiquement inconnu en France, comme l'une des lois fondamentales régissant le Rite Écossais Ancien Accepté dans sa juridiction (article 104 des Constitutions de la Juridiction Nord, où ce texte est publié en appendice).
A.B.


RITE ÉCOSSAIS RECTIFIÉ
En 1772, à Lyon*, Willermoz* apprend l'existence du système de la Stricte Observance* par des maçons strasbourgeois et sollicite Son admission dans ce nouveau système qui «< réveille >) peu après les provinces templières qui se partagent le territoire français et quelques pays voisins (la 5e dite de Bourgogne, à Strasbourg, la 2e dite d Auvergne, à Lyon et la 3é dite d'Occitanie à Montpellier) qui signent le 13 février 1776 un traité d'alliance avec le Grand Orient*.

C'est en novembre décembre 1778, lors du Convent* national des Gaules réuni à Lyon. que Willermoz et Jean de Turckheim font adopter une réforme qui métamorphose la Stricte Observance en Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte. Les francs-maçons théosophes Iyonnais décident d'introduire dans le SyStème les enseignements de Martinès de Pasqually*. De plus, les risques politiques qu'aurait entraînés le fait de vouloir conserver en France la notion de restauration de l'Ordre des Templiers entraîne l'abandon par le régime de ce projet. Quatre ans plus tard, du 15 juillet au I" septembre 1782, la réforme est adoptée, non sans difficultés par un Convent général tenu à Wilhemsbad.

De cette assemblée et des directives adoptées, naît définitivement le Régime Écossais Rectifié grandement ébauché au Convent des Gaules. Le Régime Écossais Rectifié présente désormais une structure hiérarchique originale avec le niveau des 4 grades* dits symboliques (apprenti*, compagnon*, maRre*, Maître Écossais de Saint-André), un niveau chevaleresque formant l'Ordre Intérieur (Novice Chevalier de la Cité Sainte) et une double classe secrète « qui ne sera connue que de ceux-là meme qui la composeront »(Profès, Grand Profès).

La Révolution* passée, quelques loges* rectifiées maçonnent sous l'Empire*. Cambacérès* est placé à la tête des « Directoires français » (juin 1808, mars et mai 1809). Le traité de 1776 est modifié le 14 juin 1811 une section « rectifiée »étant créée au sein du Grand Directoire des Rites. A la chute de l'Empire, quelques foyers subsistent tant bien que mal jUsqu'au milieu du siècle, notamment à Besançon.

Le Régime se maintient également en Suisse* sous l'autorité du Grand Prieuré « Indépendant » (1779) d'Helvétie. En 1828, le Chapitre* Provincial de la 5e Province annonce au dit Grand Prieuré la cessation de ses travaux et lui remet ses pouvoirs et ses archives Le Grand Prieuré devient ainsi de jure et de facto la seule autorité du Régime Rectifié, mais la création de la Grande Loge suisse Alpina* (1844) lui fait céder l'autorité sur les loges « bleues*». Il la conserve sur les loges de Saint-André et sur l'Ordre Intérieur.

Les étapes de la lente réintroduction du Régime Écossais Rectifié en France sont la création à Paris, sous l'égide du Grand Orient, d'une loge rectifiée Le Centre des Amis par divers frères français dont Édouard de Ribaucourt* et Camille Savoire*; le traité entre le Grand Prieuré d'Helvétie et le Grand Orient de France (avril 1911, dénoncé en 1913 remis en vigueur en 1924, dénoncé à nouveau en avril 1955 par l'obédience* suisse); la fondation en 1935 par Camille Savoire, du Grand Prieuré des Gaules et, l'année suivante d'une Grande Loge Rectifiée

l'autorisation accordée en 1937 par le Grand Orient à des loges à pratiquer le Rite Écossais Rectifié (6 en 1939) puis la création en 1938 au sein du Grand Conseil des Rites d'un Grand Directoire rectifié; la « réactivation » en 1954 de la Grande Loge du Rite Rectifié sous la présidence d'Albert Rybinski, puis après sa mort intégration de ladite obédience à la Grande Loge Nationale Française*, après accord du Grand Prieuré des Gaules.

Des frères acceptent mal cette décision et fondent le Grand Prieuré de France, ouvert à tout frère d'une loge rectifiée bleue dans la juridiction d'une obédience française. En 1967 des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte fondent un troisième Grand Prieuré, dit Indépendant des Gaules. En 1974, à la suite de divergences sur l'orientation du rite sont créés deux nouveaux Grands Prieurés (Neustrie à Paris, Aquitaine à Bordeaux). En 1988, les trois organisations forment une fédération dite Grands Prieurés Unis des trois provinces.

A coté de ces trois organismes, on doit citer, au sein du Grand Collège des Rites, la <( section » (ex-régence) du Rite Écossais Rectifié administrée par un Directoire Écossais. Aujourd'hui le Rite Écossais Rectifié est pratiqué en France par environ un dixième des loges bleues françaises. ll est largement majoritaire au sein de la Grande Loge Symbolique et Traditionnelle Opéra* et très présent à la Loge Nationale Française. La Grande Loge Nationale Française compte un tiers de loges rectifiées. Alors qu'une quarantaine d'ateliers du Grand Orient de France (4 % de l'effectif) pratiquel1t également ce rite, la Grande Loge de France*, la GLISRUHumanitas, la Grande Loge Féminine de France*, la Grande Loge mixte de France et quelques micro obédiences possèdent chacune de un à une demi-douzaine d'ateliers rectifiés. Y. H.M.


RITE ÉMULATION:
voir Émulation Lodge of Improvement