ROTTERDAM
ROUGE
ROUSSEAUISME
ROYAL ARCH
ROYER, Clémence
RUCART, Marc
RUSSIE






ROTTERDAM
(La Première Loge sur le continent) Le 30 novembre 1735, les États de Hollande et de Frise occidentale étaient les premiers au monde à interdire la franc-maçonnerie* et, le 10 janvier 1736, les bourgmestres de Rotterdam leur répondaient à ce sujet dans une lettre dont l'original et le brouillon existent encore. Malgré des différences les deux textes font communément référence à l'existence d'une société maçonnique vers 17201721 dans cette ville. Le passage le plus intéressant est le suivant:« Et après que nous avons été informés depuis ce temps-là [depuis la parution du placard] qu'une telle confrérie* aurait été créée il y a quelques années dans cette ville nous avons assigné ceux dont on nous a dit qu'ils restent encore. Ils. n'étant qu'au nombre de cinq, nous ont dit que depuis plus de quatorze ans [avant environ 1721-1722], il avait existé ici une telle confrérie de huit personnes, toutes de la nation anglaise et écossaise (dont ils étaient aussi), mais que celle ci ne s'était plus réunie depuis à peu près 12 mois [soit 1734-1735], et à cette époque il y avait bien sept ans [1727-1728] qu'il n y avait plus eu de réunion. Dans la société susdite on ne parlait que de négoce et de choses sans importance. "

La loge* concernée se composait d'un groupe d hommes d'affaires qui se connaissaient bien en raison de leurs relations commerciales. Quatre sont des Écossais: Adam Duncan, qui est né à Dundee en 1680 et s'est installé à Rotterdam en 1702 où il meurt en 1737 Robert Stirling, né à Édimbourg en 1690 et présent à Rotterdam de 1712 à 1781, année où il meurt; Alexander Naughton, né en Écosse*, marié en 1696 à Rotterdam où il décède en 1742; et Robert Story né à Rotterdam de parents écossais en 1699 et décédé dans cette ville en 1774. Le cinquième membre connu est un Irlandais: Patrick Harper, né à Wexford, marié en 1692 à Rotterdam où il décède en 1721. Tous ces hommes étaient francs-maçons et sans doute parmi les membres de la première loge de Rotterdam.

Il est probable que cette loge a existé dès 1720-1721 et même que Patrick Harper en a été membre avant sa mort, en avril 1721. Tous sont membres de l'Église Écossaise de Rotterdam. Cette présence maçonnique très précoce dans le port des Pays-Bas* n'est pas vraiment surprenante car, depuis les années 1600-1650 Rotterdam compte nombre d'Écossais et d'Anglais: ainsi, parmi les 3 900 hommes d'affaires qui demeurent dans cette ville entre 1711 et 1720, 1 000 sont Anglais ou Écossais.

J. S.


ROUGE
Le rouge est omniprésent dans l'écossisme, à tel point que « la maçonnerie rouge » est une expression parfois employée par opposition à la « maçonnerie bleue*» qui désigne la maçonnerie rattachée aux premiers grades*. Toutefois cette couleur*, essentielle notamment au grade de Rose-Croix*, est Présente dans les trois premiers degrés symboliques. C'est par exemple la couleur de la colonne B*.

Néanmoins c'est bien dans des hauts grades* que son importance s'affirme. Le rouge est la couleur du sautoir* de Secrétaire Intime (6°), de Prévôt et Juge (7°), d'lntendant des Bâtiment,s (8°), d'Élu des Douze (11°), de Grand Elu (14°), et de Chevalier du Serpent d'Airain (25°).

On le retrouve sur les tabliers* des 6° (bordure, doublure et cordons) 7°, 8° 11°, 13° (rouge cramoisi), 14° 16° 17° 22° (doublure), 26°, 27° et 32° (bordure et doublure) grades; mais aussi sur les tentures des ateliers des 7°, 8°, 9°,12° (les flammes), 14°, 15° (second appartement), 16° (second local), 17° (avec étoiles d'or), 22°, 25°, 27° 29° et 30° (quatrième appartement) grades de même que les cordons des officiers au 13°, les gants du Prince de Jérusalem* (16°), la ceinture des 24 Chevaliers d'Orient et d'Occident (17°) symbolisant les Vieillards de l'Apocalypse les cordons cramoisis, lisérés de blanc des Grands Pontifes (19°), la robe du maître* qui préside l'atelier au 28°, et la croix teutonique du Chevalier Kadosh*.

Le tablier de Maître Élu des Neuf est tacheté de rouge et porte un bras (ou une tête) ensanglanté(e). La symbolique du rouge sang chthonien se retrouve encore aux 10° (larmes pourpres et têtes ensanglantées) et 11 ° (cœur enflammé) grades. Le rouge ,( sacerdotal » est omniprésent au 23° (colonnes*, rideau, robe des officiers, écharpes à franges d'or des lévites chefs du Tabernacle) et au 26° (colonnes, flèche, dais et tuniques également de couleur verte et blanche) degré.

C'est l'aspect flamboyant qui explique le rouge du manteau doublé d'hermine, de la croix teutonique, des bordures des gants* et de l'écharpe du Grand Commandeur du Temple* (27°).

La croix teutonique rouge se retrouve également dans les deux derniers grades blancs de l'écossisme

Mais c'est au grade de Rose-Croix 4e Ordre du Rite Français* ou 18° dé l'écossisme que le rouge trouve sa plus complète expression maçonnique. On y rencontre mêlés le rouge sombre, nocturne, funéraire, initiatique et alchimique, et le rouge solaire, ardent, viril, vital, thérapeutique et passionnel, qui se conjuguent dans la rose, expression tout à la fois des plaies du Christ, de la rosée céleste de la Rédemption, de la renaissance mystique, de la pierre* au rouge, but du grand œuvre alchimiste, de l'Éros platonicien et plus encore de l'Amour pur.

Y. H.M.


ROUSSEAUISME


R-48.JPG (305K) Jean-Jacques Rousseau ne fut pas franc-maçon mais beaucoup surtout depuis le bicentenaire de sa naissance en 1912 considèrent que sa doctrine, par son humanisme, sa foi en la liberté, l'égalité et la fraternité, par son souci du droit, était maçonnique.

La légende prend sa source dans Joseph Balsamo. d'Alexandre Dumas, où, pour les besoins de la fiction, I'auteur se réfère à Barruel*: Rousseau est conduit dans une loge de la rue de la Plâtrière (Barruel parlait d'Ermenonville...), ce qui, pour la postérité, scellerait son destin de maçon. Certes, il n'y a pas de contradiction entre rousseauisme et maçonnerie et, dès 1878, à l'occasion du centenaire de sa mort, nombreux furent les maçons qui érigèrent un monument à la mémoire du philosophe. C'est le cas de la respectable loge Jean-Jacques-Rousseau à Montmorency, mais c'est également vrai à Asnières, Ermenonville ou Paris. En 1912, c'est le Conseil de l'Ordre* du Grand Orient* qui s en mêle et, en mai, dans sa circulaire n° 7, il indique: « Si Jean-Jacques Rousseau ne reçut jamais la lumière* maçonnique dans nos temples*, du moins fut-il longtemps, au début meme de sa carrière philosophique, en relations étroites et suivies avec nos frères Diderot [sic] Helvétius, Voltaire*; avec eux, il collabora à l'Encyclopédie somme de la science indépendante et de la pensée libre de l'époque œuvre formidable vivifiée par l'esprit des premiers et glorieux francs-maçons français. Et, dès 1770, les idées de Rousseau apparaissent à certains de nos frères comme si parfaitement en harmonie avec les tendances de notre Ordre* qu'une loge à l'orient de Paris prenait pour titre distinctif celui de respectable loge Saint-Jean du Contrat Social. », Une quarantaine de loges, tant à Paris qu ' en province, répondirent à l' appel et l'Ordre célébra Rousseau en juillet 1912-ce qui fut l'occasion d'une vive réaction de la droite (mais il faut se souvenir que la « bande à Bonnot » venait à peine d'etre neutralisée et qu'un de ses membres avait dans ses papiers un extrait du Discours sur l'origine de l'inégalité...)

En réalité, Rousseau ne parait pas avoir pénétré en profondeur les milieux maçonniques: en 1912, on a affaire à un rousseauisme de manœuvre: progressiste en milieu républicain, il est déclaré anarchiste à droite par Jules Lemaitre alors que Granier de Cassagnac, à la fois peu suspect d'etre à gauche et détenteur d'un solide bon sens, déclare: « Faire de Rousseau un diable est aussi ridicule que de faire de lui un dieu: il est un grand écrivain, un point c est tout, et non pas: trois points c'est tout. » C'est qu'aprés avoir été un enjeu Rousseau devenait une culture dont la maçonnerie libérale avait peu ou prou accusé réception

Ch. P


ROYAL ARCH
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Officiellement dénommé « Ordre de la Sainte Arche royale de Jérusalem », le degré de l'Arche Royale est dans la franc-maçonnerie* anglo saxonne. comme le fut le MaRre* Secret* dans la maçonnerie française, la suite logique du grade* de maître maçon.

Le récipiendaire y est informé de ce que le mot sacré et mystérieux connu uniquement par les trois Grands Maîtres légendaires (le roi Salomon, Hiram*, roi de Tyr, et Hiram Abiff) a disparu suite au décès de ce dernier. Le thème de l'Arche royale repose sur la recherche et la découverte accidentelle de ce mot qui est le nom sacré et mystérieux de Dieu. L'apparition de ce grade, au milieu du XVIIIe siècle, correspond à l'émergence des grades « écossais » en Europe continentale. Son origine exacte est l'objet de multiples théories et spéculations: « addition anglaise » au 3' degré pour les uns, son apport est jugé d'origine continentale, voire française pour d autres. Selon ceux-ci, la similitude entre l'Arche Royale et l'actuel 13° du Rite Écossais Ancien et Accepté* en serait la preuve.
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La plus ancienne mention se trouve dans le livre d'architecture de la loge des Franc-maçons libres et acceptés de la loge de Fredericksburg en Virginie: elle est datée du 22 décembre 1753. Il s'agit du procès-verbal d une tenue* de la loge au courS de laquelle trois membres sont exaltés dans ce degré. Cependant, dès 1752, on trouve des références à l'Arche Royale dans les procès-verbaux des Anciens*. Laurence Dermott* aurait d'ailleurs été exalté à Dublin avant son arrivée en Angleterre. Le degré est alors conféré uniquement aux maîtres qui avaient été vénérables maîtres d'une loge et il se pratiquait au sein même de la loge. La pratique de l'Arche Royale persiste jusqu à l'Union de 1813 mais la Grande Loge Unie d'Angleterre* ne veut rien entendre de ce degré. Pourtant, en 1766, avait été fondé un Grand and Royal Chapter dont font partie les principaux Grands Officiers de la Grande Loge (et dont nous possédons les procès-verbaux depuis le 12 juin 1765). Ce Grand Chapitre* avait constitué des chapitres subordonnés mais, après 1813, les chapitres Anciens ont été absorbés dans le nouveau Suprême Grand Chapitre, où ils rejoignent les chapitres auparavant indépendants. Ces procès-verbaux sont pleins de détails sur les dépenses relativement somptuaires faites pour l'achat du matériel, y compris des robes pour les officiers. Ils ne nous permettent pas de connaître la nature des cérémonies et, pour cela, il faut attendre deux rituels datés de la fin des années 1780, sans doute d'origine « Moderne*». L'un provient d'Oslo (il est écrit en norvégien et traduit en anglais; il est fort similaire aux rituels actuels) et l'autre de Sheffield. Ce dernier possède nombre d'allusions très chrétiennes.
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L'Ordre de la Sainte Arche Royale de Jérusalem se compose de chapitres dont les membres sont désignés sous le nom de « compagnons* », terme qui fait allusion aux ordres de chevalerie. Les trois officiers sont appelés des « Principaux »et, dirigeant les travaux, ils sont dénommés « Excellents Compagnons ". Le premier principal est « Très Excellent». Les chapitres sont soumis à l'autorité d'un Grand Chapitre, dont les officiers portent les mêmes titres précédés de la mention « Grand ».

La relation entre Grands Chapitres et Grandes Loges varie selon les pays. En Angleterre, le « Suprême Grand Chapitre » est lié à la Grande Loge Unie d'Angleterre et les principaux officiers de celle-ci remplissent des fonctions équivalentes dans le Grand Chapitre. Tous les chapitres sont attachés à une loge dont ils ne portent pas obligatoirement le nom, mais le numéro, quoique les dates de fondation de la loge et du chapitre puissent être différentes. Ce modèle est en usage en France mais, en Belgique*, aux Pays-Bas* en Écosse et en Irlande*, le Grand Chapitre de l'Arche Royale est un ordre maçonnique indépendant de la Grande Loge. Aux États-Unis*, l'arche Royale est intégrée au rite* d'York.

R-52.JPG (58K) On connaît deux types de rituels. L'un est anglais et situe le déroulement de la cérémonie au cours de laquelle le candidat découvre le mot mystérieux lors de la reconstruction du Temple* de Jérusalem* après le retour de la captivité d'Égypte des enfants d'lsraël. L'autre est pratiqué en Irlande et aux États-Unis et le thème se réfère à la réparation du temple. R-54.JPG (57K)C'est le modèle anglais qui est pratiqué en France, en Belgique, en Espagne*. Les rituels et les cérémonies proches du rituel irlandais sont différents. Les principaux portent les titres de king (Roi), high priest (Grand Prêtre) et scribe. Pour être admis et être exalté dans un chapitre de l'Arche Royale il suffit en principe d'être maître maçon depuis un temps variable selon les juridictions. Enfin l'Arche Royale est constituée d'un seul degré, même si celui qui désire accéder à une réelle connaissance du degré passe par une série de fonctions jusqu'à celle de Premier Principal. En Europe ces trois fonctions sont précédées d'une installation* à laquelle seuls les titulaires et anciens titulaires assistent. Elle comprend la communication de secrets* particuliers. R-53.JPG (113K)


























ROYER, Clémence
(Nantes, 1830 Neuilly, 1902) Augustine Clémence Audouard naît le 21 avril 1830. Le mariage de ses parents lui donne le nom de Royer. Plus tard la jeune fille décide de s'appeler Clémence Royer. Son père, officier catholique et légitimiste, emmène sa femme et sa fille jusqu'à Prague.

Clémence mène la vie aventureuse de ses parents. Elle fait néanmoins des études secondaires au Sacré-Cœur du Mans où elle traverse une ardente crise mystique. Ses parents doivent la retirer du • couvent ». La Révolution de 1848* et la mort de son père l'obligent à subvenir à ses besoins. Refusant un mariage de « résignation », elle reprend ses études, passe le brevet supérieur, et suit des cours au Conservatoire d es arts et métiers. Puis elle part, dans un pensionnat du Pays de Galles, pour enseigner le français et le piano.

De retour en France Clémence Royer rompt avec sa famille et se retire en Suise. Elle habite Praz Pérey, à 11 kilomètres de Lausanne. Elle étudie en autodidacte la religion, la philosophie la morale, la sociologie la littérature classique, les mathématiques la chimie et les sciences naturelles En 1858. à Lausanne. Elle rencontre un exilé politique Pascal Duprat, ancien député des Landes, professeur d'économie politique à l'académie de la ville, avec qui elle aura un fils, René, futur élève de l'école polytechnique.

Clémence Royer devient conférencière et enseignante pour des associations féminines. Sa leçon d'ouverture du cours de philosophie naturelle en 1859 s'intitute «Introduction à la philosophie des femmes». Elle participe à un concours portant sur la réforme fiscale ouvert par le Conseil d'État du canton de Vaud. Elle obtient le premier prix ex œquo avec un certain Joseph Proudhon*. Son travail est publié à Paris, en 1862, chez Guillaumin en deux volumes, sous le titre Théorie de l'impôt ou la dîme sociale.

Cette meme année, elle donne une traduction de De l'origine des espèces au moyen de la sélection naturelle de Charles Darwin. Dans la préface elle écrit: «Au fond, il n'est point d'inégalité de droit qui ne puisse trouver sa raison dans une inégalité de fait; point d'inégalité sociale qui ne doive avoir et n'ait à l'origine son point de départ dans une inégalité naturelle. » Clémence Royer s'en tient à l'inégalité sélective, mais veut casser l'évolution par une intervention étatico juridique progressiste.

En 1864, elle publie son premier roman philosophique, Les Jumeaux d'Hellas. Elle y exprime un féminisme individuel et individualiste et y réclame la liberté affective et sexuelle. Elle collabore régulièrement au Journal des économistes (Paris) de 1861 à 1887 à La Philosophie poussive d'Émile Littré* et Georges Wyrouboff, de 1868 à 1883, et tient assidûment une «Chronique scientifique » dans La Société nouvelle (Bruxelles) de 1891 à 1899 puis à L'Humanité nouvelle de 1897 à 1901. Elle publie périodiquement des articles dans diverses revues, comme La Pensée nouvelle (Paris) ou la Revue internationale (Rome), dans des dictionnaires ou des encyclopédies, et dans des journaux, notamment La Petite République. Ses divers textes révèlent une bourgeoise athée, favorable à la libre pensée* matérialiste anti socialiste libre-échangiste anti-utopiste et féministe.

Entre 1864 et 1880, elle écrit six brochures, notamment L'Avvenire di Tonno Clurin, 1864). En 1869, elle publie un ouvrage darwiniste, volumineux et documenté: Origine de l'homme et de l'humanité. En 1870 elle est admise à la Société d'anthropologie de Paris. En 30 ans, elle y fait 130 interventions, qui sont reproduites dans les comptes rendus de séance.

En 1881 paraît chez Guillaumin ce que d 'aucuns considèrent comme son œuvre capitale: Le Bien et la Loi morale . éthique et téléologie. Une formule lapidaire la résume ml La loi morale telle que nous la résumons est la~loi du progrès vers le bonheur. l) Cette même année Clémence Royer fonde la Société d'études philosophiques et sociales. Elle en est la secrétaire générale jusqu'en octobre 1885.

Entre-temps, son ami Duprat, devenu ministre plénipotentiaire au Chili, meurt d'une maladie mystérieuse. Peu à peu Clémence Royer glisse vers la misère Grâce aux démarches de quelques admiratrices, en particulier Mary-Léopold Lacour, elle est admise comme pensionnaire valide à la maison de retraite Galignani, à Neuilly sur-Seine en février 1891. En 1892, deux groupes féministes décident de la porter candidate à l'Académie des sciences morales et politiques. C'est dans sa retrait,e que Maria Deraismes* et quelques amies avec lesquelles elle avait partagé des combats féministes, viennent la solliciter pour cofonder l'obédience* mixte Le Droit Humain*. Elle est reçue apprentie* lors de la première tenue* de l'obédience, le 14 mars 1893. Bien qu'absente et excusée à la tenue constitutive du Droit Humain Clémence Royer est nommée vénérable* d'honneur. La patente constitutive de l'obédience mixte porte cependant sa signature. Elle participe à la création de son bulletin et y donne une chronique, « La question religieuse "» de décembre 1897 à juin 1899.

L'âge n'a pas altéré ses engagements féministes. En 1893, pour le prix Cousin mis au concours par l'Académie des sciences morales et politiques, elle rédige en quatre mois un mémoire toujours inédit, en sept cahiers, intitulé « Histoire des doctrines atomiques».

Sous le pseudonyme de Lux Clémence Royer publie un texte polémique La Vérité sur Madagascar (1896). Elle participe dès le premier numéro au quotidien La Fronde (9 décembre 1897), fondé par Marguerite Durand, avec un article sur l'affaire Dreyfus*. Elle y publie ensuite régulièrement des articles. En 1899 elle est l'une des fondatrices du Bulletin de l'Union universelle des femmes.

Le 16 novembre 1900 elle reçoit la croix de la Légion d'honneur des mains de Georges Leygues, alors ministre de l'Instruction publique. Cette même année est publié, chez Schleicher frères, son volumineux Natura rerum, La Constitution du monde, dynamique des atomes, nouveaux principes de philosophie naturelle. Le livre a pour objet l'application de sa théorie des atomes à toutes les branches du savoir scientifique. L'année suivante paraît, toujours chez Schleicher frères, son Histoire du ciel. Son dernier article une lettre adressée à Charles Ange Laisant à propos de la critique d'Alfred Naquet de la Constitution du monde, est inséré dans L'Enseignement mathématique du 15 janvier 1902. Elle meurt dans sa maison de retraite de Neuilly, le 5 février 1902. Bien que privées ses obsèques rassemblent plusieurs centaines de personnes, dont Frédéric Desmons*, vice-président du Sénat, Président du Conseil de l'Ordre* du Grand Orient de France* Marguerite Durand directrice de La Fronde, sa vieillie amie Mary-Léopold Lacour, et Marie-Georges Martin, Grande Maîtresse de l'obédience mixte Le Droit Humain.

Y. H.M.


RUCART, Marc
(Coulommiers, 1893 Paris, 1964) Journaliste radical à La Lanterne, au Progrès et à La Tribune, Marc Rucart devient ensuite rédacteur en chef de La République des Vosges. Parallèlement, il s'implante dans le département des Vosges où il est élu conseiller général puis député « rad.-soc. » (1928 1940).11 se situe dans la mouvance « jeune-turc». Il est membre de la commission d'enquête du 6 février 1934, demande, en 1935, la dissolution des ligues factieuses. Léon Blum le nomme ministre de la Justice (1936-1937 et 1938), puis Chautemps* et Daladier lui confient la Santé publique On retient de son action ministérielle l'assouplissement de la procédure du divorce, la diminution de l'autorité paternelle et la fondation d'un Conseil supérieur de protection de l'enfance. Militant de la Ligue des Droits de l'Homme*, responsable départemental, il accède, en 1935, à son conseil national.

11 est initié le 6 février 1916, à Orléans, à la loge* L'Indépendance 398 relevant de la Grande Loge de France*, promu compagnon* et maître* le 2 juillet 1916. Puis il accède aux ateliers supérieurs du Suprême Conseil: à la loge de Perfection Le Parvis Philosophique en 1919 et au chapitre* Spes 483 le 4 mai 1920. Il entre au Grand Orient* quand celui ci s'implante dans les Vosges.

Affilié à La Fraternité Vosgienne d'Epinal, le 29 mars 1925, il y devient orateur en 1927.11 s'inscrit ensuite au chapitre de cette loge puis à son conseil philosophique dont il démissionne en 1947. Il appartient également, avant la guerre, à la loge du Grand Orient Les Frères du Mont-Laonnois

L'essentiel de son activité maçonnique se situe cependant au Droit Humain*. ll s'affilie à la loge et au chapitre Georges-Martin° 40, en 1929, et au Comte-de-Saint Germain loge théosophique fondée en 1927. Il est ensuite élu au Conseil National de l'obédience* en 1933 et de 1934 à 1937. Il est reçu, au cours du Convent* international de 1934 au sein du Suprême Conseil de l'Ordre* Mixte et International où il exerce la fonction de Grand Chancelier.

Il prononce de nombreuses conférences dans les ateliers sur des thèmes théosophiques. philosophiques ou politiques, notamment pour dénoncer le fascisme*. Pendant la guerre, il est démis d'office, en tant que maçon, de sa fonction de conseiller général d'Épinal, arrêté sur ordre de Vichy* et emprisonné quelque temps à Fresnes. Libéré, il s'engage dans la Résistance* dans le réseau Liberté-Égalité-Fraternité créé par des frères du Grand Orient. Il est l'un des fondateurs du Comité d'Action Maçonnique constitué pour faire entendre à Londres la voix de la maçonnerie. C'est par l'intermédiaire du réseau Patriam Recuperare qu'il est mis en relation avec Jean Moulin: il représente le Parti radical, pour la zone Nord, au Conseil National de la Résistance.

Puis il rejoint l'Algérie où il entre à l'Assemblée consultative et y préside la commisSion des Affaires étrangères. Rucart reste un maçon très actif. Il se montre très critique à l'égard de Groussier* auquel il reproche d'avoir écrit à Pétain pour lui annoncer la dissolution du Grand Orient. En septembre 1943, il est à Londres, où, mandaté par le Grand Maître International du Droit Humain, Henri Petit, il est reçu à la loge Saint-Alban il renoue les relations officielles du Suprême Conseil Mixte avec la Fédération britannique.

En 1949, alors qu'il a repris ses activités au Droit Humain et au Grand Orient (Loge Patriam Recuperare) il est reçu par le pape, en vue d'un rapprochement entre catholiques et maçons, ce qui lui vaut quelques critiques. Ancien conseiller de la République de la Côte-d'lvoire, il représente la Haute-Volta de 1948 à 1958.

Rucart, en 1952, renonce à son titre de Grand Maître Adjoint du Droit Humain et de membre du Suprême Conseil Mixte. L'obédience lui rend un vibrant hommage pour son esprit de probité maçonnique et les services rendus à l'Ordre* en général et au Droit Humain en particulier.

A.C.


RUSSIE
I. XVllle siècle
II. XIXe siècle
III. L'année 1922



I. XVllle siècle
R-56.JPG (28K) L'histoire de la franc-maçonnerie* en Russie s'est très tôt inscrite dans la querelle entre slavophiles et occidentalistes qui marque de son empreinte la culture russe à partir du XIXe siècle. Aux yeux des slavophiles, toute innovation venue d'Occident est condamnable car elle remet en cause la Russie millénaire, sa spécificité irréductible. Pour les occidentalistes au contraire les Lumières* sont à quérir à l'Ouest si l'on veut acculturer le peuple russe, et amarrer la Russie à l'Europe. Comme l'exprime le Russe à Paris (Voltaire): « Je viens m'éclairer m'instruire auprès de vous.» Appliquée à la francmaçonnerie, ces approches diamétralement opposées des influences occidentales donnent le tableau d'une maçonnerie importée pour le plus grand profit de l'aristocratie russe, ou, au contraire, d'une maçonnerie dont le caractère proprement russe s'affirme très vite aux dépens du greffon étranger. La légende de l'introduction par Pierre le Grand, figure emblématique de l'occidentalisme, de la franc-maçonnerie en Russie, à son retour d'Angleterre, où il aurait été initié en 1698 par l'architecte* Christopher Wren* témoigne combien la perception du fait maçonnique russe est biaisée par le prisme slavophile-occidentaliste.

La part jouée par les francs-maçons occidentaux dans la diffusion de l'Art royal* est avérée. En 1731, le capitaine John Phillips est nommé Grand Maître Provincial anglais pour la Russie mais rien ne prouve qu'il ait pu assumer cette charge. C'est son successeur, James Keith (1696 1758), un noble jacobite*, passé au service de l'Espagne, puis de Russie en 1728 qui donne l'impulsion décisive. Il est nommé Grand Maître Provincial anglais en 1740. S'il quitte la Russie pour la Prusse dès 1747, la greffe a incontestablement pris. En effet, très tôt, les élites aristocratiques russes ont été attirées par l'Art royal, se sont fait initier et ont diffusé la mode de s'assembler entre soi. C'est le cas de K. G. Razumovskii, futur président de l'Académie des sciences, reçu dans une loge berlinoise en 1743-1744, au cours de ses études à l'étranger de Z. G. Chernyschev, interprète de l'ambassade de Russie à Vienne ou encore de S. K. Naryshkin, ambassadeur à Londres au début des années 1740 et initié à Paris dès ]737. Trente ans après leur réception en Occident, Razumovskii et Chernyschev sont d'actifs membres de la loge* des Neuf Muses, orient de Saint-Pétersbourg. On voit ici le rôle joué par les voyages effectués par les représentants des grandes familles russes en Occident.

À Strasbourg, qui assure la formation des futurs médecins russes, et à Montpellier, l'affiliation maçonnique des Russes est massive. À leur retour en Russie ils fondent des ateliers où les pratiques rapportées de France sont acculturées. De véritables syncrétismes maçonniques s'opèrent, d'autant que les Russes ramènent souvent avec eux en Russie des précepteurs, maîtres d'armes..., qui les suivent dans le temple* de la fraternité. On retrouve plusieurs maîtres d'escrime montpelliérains sur les colonnes d'un temple de Saint-Pétersbourg. En Russie, la maçonnerie apparaît très tôt, comme dans les pays germaniques d'ailleurs, associée à l'éducation et à la diffusion des idées nouvelles: professeurs d'université, libraires-éditeurs, précepteurs, écrivains se pressent dans les loges. La loge russe est une école de vertu et de patriotisme où les francs-maçons apprennent la maîtrise de soi, la civilité, et jettent les fondements d'une société policée. Ce mouvement sera encore accentué par le martyr de la maçonnerie russe, Nicolaï 1. Novikov, au cours des années 1780. Ces liens sont démultipliés par les tours de formation qu'effectuent les fils de l'aristocratie russe à travers l'Europe sous la conduite de précepteurs-gouverneurs qui les conduisent fréquemment jusque dans le temple. L'exemple du Saxon Tiemann, initiateur de tant de jeunes Russes et Baltes est caractéristique. On pense également aux relations qu'entretient Gilbert Romme avec le jeune Pavel, fils du comte Stroganov, par ailleurs Grand Officier du Grand Orient de France*.

Cette expansion de la franc-maçonnerie russe devait attirer l'attention des autorités. La première enquête officielle a lieu en 1756, sous le tsar Pierre 111, mais elle conclut au caractère inoffensif de l'Ordre*. Dès lors, son succès ne se démentit pas. On relève plus d'une centaine de fondations entre 1770 et 1790 et malgré l'espérance de vie moyenne plutôt brève des loges russes, 90 sont en activité en 1790 contre 14 à la fin des années 1760. On retient surtout l'action du nouveau Grand Maître Provincial anglais un Russe désormais, Ivan P. Yelaguin (1726 1793). poète, dramaturge et secrétaire particulier de Catherine 11, nommé le 28 février 1772, après que La Parfaite Union de Saint-Pétersbourg a été enregistrée sur la matricule de la Grande Loge d'Angleterre (Modernes*). En 1774, 5 nouvelles loges sont enregistrées, parmi lesquelles, Les Neuf Muses, Uranie à Pétersbourg, ou Clio à Moscou. Les loges de Yelaguin totalisent plusieurs centaines de membres issus en majorité de la noblesse* de service (civile et militaire) russe, qui relaie activement le flambeau maçonnique dans les capitales provinciales et les places de garnison où elle est affectée. On estime que, toutes mouvances confondues, 1100 maçons sont des officiers de l'armée et de la marine. Le rôle d'entrainement de l'aristocratie est également décisif, car elle attire en loge l'ensemble de sa clientèle. Plus de 60 francs-maçons appartiennent aux 3 premières classes de la table des rangs, ce qui les place à la tête de la vie sociale et politique de l'Empire russe.

La Russie est alors un creuset où tous les régimes maçonniques tentent de s'implanter. Les ambitions politiques et stratégiques voisinent avec les visées maçonniques. Les Suédois traditionnels rivaux de la puissance russe en Baltique. sont représentés par un chapitre* de Rite Suédois*, puis une Grande Loge Provinciale russe de Rite Suédois créés en 1778 1780 les Prussiens par le système de Zinnendorf* très présent en Russie, où le prince Gagarin en est le puissant promoteur. Le développement rapide de cercles hermétistes et occultistes dont les liens avec la franc-maçonnerie sont difficiles à préciser mais évidents, complique encore les choses. Elle fait de la Russie un extraordinaire terreau où s'épanouit l'irrationnel. comme l'atteste le journal du diplomate français Bourrée de Corberon, qui en est à la fois le protagoniste et le spectateur. Mais dans le même temps l'essor de la franc-maçonnerie s'inscrit en Russie comme en Occident dans le cadre européen de I émergence d une sphère publique avec des formes de sociabilité re-nouvelées qui s épanouissent dans les interstices de la société d Ordres. Des travaux récents ont clairement mis en valeur I explosion concomitante en Russie du nombre de loges, de sociétés de lecture et scientifiques, des clubs à la mode anglaise et des salons, qu unissent de fréquentes affiliations multiples.

Catherine II qui n a pas la bienveillance de son époux exécré Pierre III, pour l'Ordre, commence par se moquer d'une société d hommes qui écartent les femmes* de leurs assemblées et se livrent à des jeux puérils Elle aura toujours du mal à distinguer la franc-maçonnerie du martinisme*. dont on connaît l'influence en Russie. et des « illuminés », sans qu'on sache si elle vise les Illuminaten* ou les illuministes. Mais c est surtout l'idée que les loges pourraient accueillir ses opposants et être sous I influence des puissances voisines et rivales (Suède et Prusse de son vieil ennemi Frédéric 11*), qui l'amène à intervenir de manière répressive à l'encontre de l'Ordre. En 1782, les sociétés secrètes sont proscrites mais la franc-maçonnerie ne figure pas sur la liste. Le tournant survient lorsque Catherine décide de s'en prendre à la figure emblématique des Lumières et de la franc-maçonnerie russes de ces années là , Nicolaï 1. Novikov (1744-1818). Initié en 1775, mais rapidement déçu par le « système de Yelaguin», Novikov élabore le projet d'un Ordre chrétien à distance des écueils rationaliste et occultiste, et philanthropique. A partir des presses moribondes de l'université de Moscou dont il prend le contrôle il développe une activité éditoriale considérable crée une bibliothèque, un fonds d'assurance pour répondre aux crises frumentaires, qui fait merveille. Il développe les liens entre franc-maçonnerie et système éducatif et gagne un nombre croissant d'étudiants a ses vues. Il utilise la presse pour s'en prendre à Catherine II, aux « vices» du gouvernement, dénonce les jésuites (1784) que la tsarine favorise. En retour Catherine II publie, en 1785-1786, trois pieces satiriques (dont Le Shaman sibérien), où elle stigmatise «l'une des plus étranges aberrations à laquelle la race humaine ait jamais succombé ».

Les ouvrages de Novikov sont soumis à la censure, mais sans grand succès pour le pouvoir, La Révolution française* achève de détourner Catherine II des Lumières françaises et de la convaincre de l'urgence de sévir une nouvelle fois contre Novikov, dont la gazette de l'université atteint désormais un tirage de 4 000 exemplaires. Parallèlement, elle suspecte la francmaçonnerie, qui attire de plus en plus les intellectuels russes, de relations coupables avec son propre fils et opposant politique, le Grand-Duc Paul. La maçonnerie est dénoncée comme un nouveau « Raskol» dans la société russe, par référence aux vieux croyants, accusation suprême dans l'Ancien Régime russe, où ceux ci sont tout à la fois boucs émissaires et victimes expiatoires. En avril 1792, de nouvelles perquisitions eurent lieu au domicile de Novikov afin de trouver les preuves de ses relations avec la secte des vieux-croyants et de sa collusion avec le Grand-Duc Paul. On ne trouva que des ouvrages et documents maçonniques qui « firent l'affaire ». Novikov fut arrêté, interrogé et condamné. L'historien américain Douglas Smith estime que la décision d'arrêter Novikov revient au gouverneur général de Moscou, particulièrement détesté, le prince A. A. Prozorovskii; il dédouane ainsi partiellement Catherine II, mais c'est l'impératrice qui condamne en août 1792 Novikov à quinze ans de détention dans la forteresse de Schlusselburg. Le prince Nicolaï N. Troubetskoï (dont la demeure avait été un lieu célèbre de rencontre entre hommes de lettres, artistes et voyageurs étrangers), et deux anciens généraux francs-maçons de premier plan furent bannis de la capitale. Les attaques visèrent également un autre frère, le comte Alexandre Radischev, auteur d'un ouvrage hostile au pouvoir, Un voyage de Saint-Petersbourg à Moscou; condamné à mort, il fut déporté en Sibérie avant d'être libéré comme Novikov par Paul 1er

P.Y.B.


II. XIXe siècle
R-57.JPG (83K) Paul 1er, en 1797, interdit la franc-maçonnerie et il faut attendre le très mystique Alexandre 1er pour assister au réveil des loges. Mais Alexandre III, par son ministre de l'lntérieur Kotchubey interdit de nouveau la franc-maçonnerie en 1821 l'année même de l'initiation* d'Alexandre Pouchkine à la loge Ovide. Mais même interdite, la franc-maçonnerie se répandit dans la noblesse russe jusqu'au complot des décembristes (décabristes) découvert en décembre 1824. Les francs-maçons sont alors hors la loi et pourchassés car la plupart des comploteurs appartiennent à cette organisation. L'interdiction n'empêche pas la diffusion des idéaux maçonniques dans les sphères les plus élevées de la société russe qui exigent une réforme agraire, un code du travail l'alphabétisation du peuple et une plus grande importance accordée aux députés de la Douma. On sait que le père de Léon Tolstoî fut franc-maçon et on peut lire dans Guerre et Paix la cérémonie d'initiation de Pierre Bezoukov. Dans la seconde moitié du xlxe siècle et au début du xxe siècle, en dépit des persécutions, de nombreux francs-maçons russes tentent d'infléchir le devenir de leur pays dans un sens toujours plus libéral. lls font partie du monde artistique (le peintre Marc Chagall fut franc-maçon en 1912) du monde juridique, du corps diplomatique, de l'armée et de la noblesse. De hauts dignitaires de l'Empire nusse comme les neveux de Nicolas ler les Grands-Ducs Nicolas Nicolaîevitch et Piotr Nicolaîevitch, rejoignent la maçonnerie martiniste, et Maxime Kovalevsky professeur de droit constitutionnel à l'université de Moscou adhère au Grand Orient* de France. Au retour d'un long séjour en France, il va activer l'implantation des loges. Dès 1906, il crée deux loges, une à Moscou, l'autre à Saint-Pétersbourg et, deux ans Dlus tard, on compte près de 20 loges réparties de Kiev à Irkoutsk

Le Grand Orient de France apporte sa contribution à la diffusion de la franc-maçonnerie en Russie puisque deux vénérables* français, Georges Boulay et Bertrand Sincholle, font le voyage de Paris à Moscou pour y installer un temple* selon les rites* et initier de nouveaux maçons En 1916, la loge de la Douma compremi jusqu'à 40 membres. Dans l'Empire tsariste frappé de déliquescence, les francsmaçons complotent pour renverser le tsar, supprimer Raspoutine et installer une régence. Le prince Pavel Doigoroukov, le prince Gueorguii Lvov, le prince Dimitrii Shakhovskoy (qui fut, de mai à juillet 1917, un éphémère ministre des Affaires sociales) étaient francs-maçons. En 1917, les idéaux maçonniques semblent triompher par l'instauration du tout aussi provisoire gouvernement dirigé par Kerenski, entre mars et avril. 10 ministres sur Il sont francs-maçons, tout comme Kerenski. Ce dernier, d'abord ministre de la Justice puis de la Guerre, devient président du Conseil des ministres. Initié en 1912, à la loge Petite Ourse, il est en même temps que Terechtchenko (ministre des Finances puis des Affaires étrangères en 1917) et Nekrassov (ministre des Transports en 1917) secrétaire au Conseil Supérieur Maçonnique des peuples de Russie. En juin 1917, le franc-maçon Vladimir Lebedev remplace Kerenski comme Premier ministre. Nina Berberova indique que, lors de chaque changement de ministre Kerenski accordait beaucoup d'importance à l'appartenance ou non à la franc-maçonnerie du ministre en question. Le dernier gouvernement provisoire, de septembre à octobre 1917, est également composé de francs-maçons, emprisonnés pour la plupart d'entre eux, dans la forteresse Pierre et-Paul au lendemain de la révolution boichevique. Au début de l'année 1917, la Russie comptait donc une trentaine de loges maçonniques comprenant des membres issus des corps les plus actifs de la société. Certains francs-maçons étaient proches des boicheviks, comme le Dr Ivan Manoukhine qui cacha Lénine dans son appartement en juillet 1917. L'oncle de l'écrivain Vladimir Nabokov diplomate de haut rang et ambassadeur de Russie à Londres, fut aussi franc-maçon. Mais, dès son avènement, le nouveau pouvoir soviétique afficha une hostilité sans réserves à l'égard de la franc-maçonnerie, coupable à ses yeux de propager un humanisme petit-bourgeois marqué par un universalisme et un cosmopolitisme étrangers aux réalités de la lutte des classes.


III. L'année 1922
En juin 1922, un décret signé Kalinine et Enoukidze signifie l'interdiction des sociétés groupes, unions et associations (« scientifiques, religieux, académiques ou autres», précise ce décret) qui n'auraient pas reçu du gouvernement l'autorisation d'exister. Les 3 et 12 août de cette même année, les décrets 622, 623, 624 sont publiés. Ils légalisent la liquidation de la franc-maçonnerie russe. À la suite de l'interdiction de la franc-maçonnerie en Union soviétique, de nombreux maçons réussissent à échapper à la persécution « implacable » et à l'exécution en trouvant asile en France en Angleterre et aux États-Unis*. En France, le Grand Orient* tout comme la Grande Loge de France* accueillent des frères russes, et de nombreuses loges russes (Étoile du Nord, Russie Libre, Astrée, Hermès, Toison d'Or, Prométhée, Aurore Boréale, Jupiter, etc.) sont implantées sur tout le territoire. Cette implantation fut facilitée et favorisée par l'ambassadeur de Russie en France, de 1917 à 1924 (date de la reconnaissance de l'Union soviétique par la France), Vassilii Maklakov, qui était franc-maçon. Il aurait fourni au prince Youri soupov le poison destiné à assassiner Raspoutine. C'est ce même Maklakov qui se rendit le 12 février 1945 à l'ambassade soviétique à Paris, avec un groupe d'émigrés russes. Accueillis par l'ambassadeur Bogomolov, ils burent à la santé de Staline. Maklakov, dans son discours, souhaita l'établissement de relations étroites entre l'émigration russe et la mère patrie. Quelques très rares francsmaçons choisirent de travailler avec le nouveau régime soviétique. Parmi eux, il y eut le général Lomonossov qui occupa un poste élevé dans l'organisation de l'économie soviétique et qui contribua à reconstruire les transports dans le pays dévasté. Alexandre Manouilov ministre de l'Éducation en 1917, travailla jusqu'à sa mort (1929) avec le nouveau régime. Le général Alexis Polivanov, ministre de la Guerre en 1915, servit ensuite dans l'Armée rouge toujours à un grade élevé. Sergueï Tretiakov, fils du célèbre propriétaire de la galerie de peinture moscovite, fut exécuté par les Allemands comme agent soviétique. Certains historiens prétendent que Lénine aurait été initié, lors de son séjour parisien à la loge L'union de Belleville ! Ces quelques faits très isolés ne peuvent masquer l'essentiel: la liquidation de la franc-maçonnerie russe dès les premières années du pouvoir soviétique.

De son côté en décembre 1922 au IVe congrès du Komintern, Trotski, dans un long discours, dénonce l'idéologie de la maçonnerie française, coupable de réunir les ennemis de classe et de vouloir substituer la tolérance à la lutte armée: .(11 est de fait qu'en France la bourgeoisie radicalisante, qui a des chefs bien médiocres et une presse bien pauvre, se sert des institutions secrètes, de la franc-maçonnerie surtout pour masquer son entreprise réactionnaire sa mesquinerie, la perfidie dans les idées, l'esprit, le programme. La franc-maçonnerie est une de ses institutions, un de ses instruments. Il faut donc affirmer l'incompatibilité complète et absolue implacable, entre l'esprit révolutionnaire et l'esprit de la petite bourgeoisie maçonnique, instrument de la grande bourgeoisie ! "

Vl. B.