SABLIER
SADE, DONATIEN, ALPHONSE, FRANÇOIS MARQUIS DE
SAGASTA PRAXEDES
SAINT-JEAN
SAINT-MARTIN
SAINT-SIÈGE






SABLIER
S-001.JPG (30K) Le sablier est offert à la méditation du candidat, dans le cabinet de réflexion*, avec d'autres symboles paradoxaux (le crâne*, la faux*, parfois la Bible*), dont l'interprétation est irréductible à un sens unique et préétabli.
Présenter la mort avec faux ou sablier est un thème banal dans la peinture.
Le sablier est également indissociable d'une conception circulaire du temps dont le cycle cosmique donne le principe et la mesure.
C'est par la circulation du temps que tout événement appartient tour à tour à l'avenir, au présent et bientôt au passé.
Le sablier est donc associé à l'illusion du temps qui passe et à la certitude de la brièveté de tout ce qui est soumis à la mesure.
Mais la vision du sable ou de l'eau qui s'écoulent ne constitue nulle ment une invitation à désespérer de tout au prétexte que tout est éphémère et promis à la mort.
Tout au contraire, son emploi signifie aussi que la volonté de bâtir le temple* intérieur, dans l'urgence mais sans hâte inutile, ne peut s'accomplir que dans le temps avec le temps qui permet l'œuvre et favorise la création.
La méditation sur la mort est solidaire d'une réflexion sur la vie et la conscience aiguë de la caducité de toutes choses renforce aussi la conviction que rien d'essentiel ne s'accomplit sans le temps.
La Melencolia de Durer est représentée par une femme* qui jette un regard fixe en direction du sol, en se soutenant la tête d'une main.
Le sablier au-dessus de sa tête marque la fuite du temps.
Nous contemplons ainsi une représentation pathétique de la mélancolie paralysante, de l'humeur noire, nommée par les Pères de l'Église acedia ou tristitia, qui inspire à celui qui en est affligé horreur et aversion pour ce qui vit.
Telle n'est pas la signification du sablier proposé à l'imaginaire maçonnique.
Dans celui ci le sablier est l'expression d'un vouloir, d'une liberté qui ne rêve pas de s'affranchir du temps mais qui cherche à s'accomplir dans l'avenir par un acte créateur.
En ce sens, le sablier n'est pas seulement le symbole du temps qui fuit; il est aussi celui du tempS gardé et conservé comme un fluide précieux à l'intérieur duquel prennent corps et sens les projets humains.

Vl. B. S-002.JPG (125K)


SADE, Donatien, Alphonse, François marquis de
S-003.JPG (79K)(Paris, 1740-charenton-Saint-Maurice, 1814) Si le père du « divin marquis», le comte Jean-Baptiste Joseph François de Sade (1702-1767).
departint incontestablement à la Fraternité (il avait été reçu le 12 mai 1730 à la loge* de la Horn Tavern de Westminster en meme temps que Montesquieu*), celle de son fils est demeurée problématique Passons sur les affirmations fantaisistes de ceux qui (L.Campion 1972) repéraient le nom de Sade sur les tableaux* de la loge Les Amis de la Liberté* à l'époque révolutionnaire, vérification faite (Maurice Lever 1991) le nom du marquis n'y figure pas.
Reste ce qu'écrit Jérôme de Lalande* en 1805 dans le Supplément du Dictionnaire des athées de Sylvain Maréchal: « Je voudrais bien parler de M.de Sade, il a bien assez d'esprit de raisonnement, d'érudition mais ses infâmes romans de Justine et de Juliette le font rejeter d'une secte où l'on ne parle que de vertu.» Le témoignage est tardif, mais sa signification est claire: on ne saurait accepter en maçonnerie quelqu'un qui a fait l'éloge du vice.
Sans doute mais, entre-temps, Sade est devenu Sade, ce qu'on ne pouvait pas nécessairement soupçonner dans les années 1780.
Le fait est que Sade a été affilié aux Neuf Sœurs* le 7 février 1780 comme le prouvent les notes autographes de Pastoret orateur de la loge, aujourd'hui conservées au Museum of our National Heritage de Lexington (Mass.) où son nom apparaît encadré par ceux de Chamfort et du prince Camille de Rohan.
Le marquis était donc franc-maçon, mais on ignore quelle fut sa loge mère*.
Toujours est-il que sa description de La Loge du Nord, qu'il donne au cinquième livre de Juliette, ou les références maçonniques, que les critiques n'avaient pas manqué de relever, qu'on trouve dans sa correspondance avec Gaufridy, prennent maintenant tout leur sens.
De fait, son activité pendant la Révolution* mériterait d'être reconsidérée car Mirabeau* appartenait à la même loge...

Ch. P.


SAGASTA PRAXEDES,
Mateo (Torrecilla de Cameros, 1825-Madrid, 1903) Ingénieur de formation Sagasta adhère dès sa jeunesse au Parti progressiste et fustige pendant plus de 20 ans le régime isabélin dans ses brillants discours parlementaires, dans de cinglants articles écrits pour La Iberia ou en attisant et tramant soulèvements et conspirations. L'échec du putsch de San Gil (1866) l'oblige à fuir d'Espagne et à se réfugier à Pans avec Castelar Ruiz Zorilla et d'autres révolutionnaires. En 1868, il débarque à Cadix en organisateur de « la Gloriosa » et met un terme à cette première période agitée de sa vie politique.

Durant les Six Années démocratiques Sagasta met un frein à son ardeur révolutionnaire et mûrit sa personnalité de gouvernant pour qui le maintien de l'ordre est une condition nécessaire à la liberté. Pendant le gouvernement provisoire de Serrano, il est ministre de l'lntérieur puis, dans le cabinet de Prim, il reçoit les ministères de l'intérieur et de l'État. Lorsque Amédée de Savoie occupe le trône, il est à nouveau chargé du ministère de l'lntérieur et, en janvier 1872, après sa rupture définitive avec Ruiz Zorrilla, il est chargé de former un cabinet.

Il ne reste Premier ministre que quelques mois: ses efforts pour mettre de l'ordre au sein des progressistes sont vains et il doit démissionner en mai 1872. Lorsque la Première République est proclamée il reste dans i opposition jusqu'à ce qu'il devienne, après le coup d'État de Pavie, successivement ministre d'Etat, ministre de l'lntérieur et président du Conseil des ministres dans le nouveau gouvernement provisoire, il parvient à son apogée politique au moment de la Restauration alphonsine. Il est alors à la tête des principaux partis (constitutionnel, fusionniste et libéral) formant la gauche dynastique qui alterne alu pouvoir avec les conservateurs, et occupe le poste de Premier ministre de 1881 à 1883, de 1885 à 1890 de 1892 à 1895, (de 1898 à 1899, puis de 1901 à 1902. Lors (du premier de ses mandats, il restitue le,urs chaires aux professeurs krausistes lors de la IIe Question universitaire et, pendant le deuxième, il parvient à promulguer les lois importantes du suffrage universel. sur les jurés, sur les associations et sur la réforme du Code civil.

Son déclin politique se produit à la fin du siècle, lorsqu s'il est obligé de signer la paix de Paris. La perte des derniers restes de l'Empire espagnol ruine sa carrière. Le 3 mars 1899, en plein désarroi national, il abandonne l'exécutif, convaincu d'avoir fait son temps. Il revient présider le Conseil des ministres en 1901 mais, après un vote défavorable. Sagasta abandonne définitivement le pouvoir le 3 décembre 1902 puis meurt un mois plus tard.

On ne connaît pas le moment de son initiation* mais il est possible que comme pour Morayta* et d'autres jeunes révolutionnaires, elle ait eu lieu dans une loge clandestine à la fin de la monarchie d'Isabelle. On sait qu'en 1874 il a le grade de Rose Croix* et, d'après des sources maçonniques, qu'il sauve, à la demande de plusieurs loges la vie d'un jeune clairon fils d'un maçon de Ciudad Real qui avait été condamné à mort, et qu'il obtient aussi la grâce pour un soldat carabinier. Enfin, président du Conseil il parvient à faire libérer le frère Juan Carrero, incarcéré pour des raisons politiques.

Le grand homme de la Rioja est élu Souverain Grand Commandeur et Grand Maître du Grand Orient d'Espagne respectivement les 5 janvier et 7 mars 1876. Mais, comme il le reconnaît lui-même dans son discours d'investiture, il n'a jamais prêté de services particuliers à l'Ordre et n'a même pas connaissance de la doctrine maçonnique. Son élévation aux postes d'Excellence de l'obédience*, comme c'était la pratique au Grand Orient d'Espagne répond à des intérêts liés au désir de prosélytisme et non à des considérations maçonniques. De son côté, Sagasta trouve intérêt à accepter ces charges pour affirmer son autorité dans les sphères libérales espagnoles et raffermir sa position dans le tout nouveau système de la Restauration. Pendant ses cinq années de mandat, le frère « Paz » (Paix) remplit mieux que ses prédécesseurs les devoirs liés à sa charge. Sous son autorité, le Grand Orient d'Espagne tire des bénéfices. Comme le pense Ollero, sa gestion apporte le renforcement interne à l'obédience qui, dès 1876, installe et affilie un nombre important d'ateliers et se dote d'une nouvelle constitution (1880). D'autre part, le Grand Orient d'Espagne élargit son réseau de relations internationales* et tisse des liens féconds d'amitié avec d'autres organisations maçonniques américaines et européennes. En 1881, lorsque Alphonse Xll fait appel à lui pour former un gouvernement, Sagasta se voit obligé de démissionner de ses fonctions de direction du Grand Orient et est remplacé par son coreligionnaire et intime collaborateur Antonio Romero Ortiz. Dès lors, il se montre attentif aux pétitions des loges et des frères, mais son rôle se borne à une présence honorifique dans la vie et les activités maçonniques.

Le fait que la Grande Loge Le Soleil de Jalapa, au Mexique, l'élise représentant au congrès international de la Libre Pensée* célébré à Madrid en 1892 ou que le Grand Orient Espagnol le nomme Grand Commandeur honoraire en 1893 donne une idée de l'image de marque qu'il imposa sa vie durant dans le concert maçonnique latino américain et espagnol.
P. A.


SAINT-JEAN,
S-004.JPG (102K) Antoine, de (Villefranche-sur-Saône, 1809-Paris, 1882)

Docteur en médecine, né le 17 janvier 1809 à Villefranche-sur-Saone, il est initié le 17 juillet 1834 à la loge} Saint-Pierre des Vrais Amis et accède au vénéralat en 1837. Réélu 11 fois à cette charge, il est fidèle à cet atelier, au recrutement populaire, tout au long de sa carrière maçonnique. Celle-ci commence vraiment en 1840 quand il est accepté comme député au sénat maçonnique. En 1842, il est élu expert à la Chambre du Suprême Conseil, puis orateur de ladite chambre en 1845. Il est également membre, en 1843 de la commission permanente des intérêts généraux de l'Ordre* et présente, en 1844, un rapport sur les initiations*. Il anime également la commission de révision des statuts généraux. En 1852 il appartient à la Chambre de Correspondance. Il poursuit donc une paisible et active carrière au sein des instances législatives où il apparaît comme raisonnablement conservateur. Il est hostile à Bègue-Clavel quand éclate, en 1844,l'affaire du procès de la Clémente Amitié*.

Républicain modéré il refuse de prêter le serment à l'Empire* et se met en retrait au début de l' Empire autoritaire. Il revient en 1857, quand il est élu au Conseil du Grand Maître. Régulièrement réélu à ce conseil puis au Conseil de l'Ordre jusqu'à sa mort il combat discrètement le prince Murat* et fait partie du groupe de ceux qui s'opposent aux Grands Conservateurs désignés par le prince. Sous l'ère Magnan, il préside la Commission des Finances.

Une nouvelle constitution est à l'étude du Conseil en 1864. Bien que Chevalier Kadosh*, il se prononce contre les hauts grades*. Magnan étant décédé, le Convent* de 1864 doit élire un nouveau Grand Maître. Il présente la candidature du général Mellinet qui est aisément élu. Il a su mettre en avant l'ancienneté de son appartenance maçonnique et le présenter comme étant « d'une position libre et indépendante ». Il devient alors Président du Conseil de l'Ordre, ce qui en fait officiellement le quatrième personnage de l'obédience* après le Grand Maître et ses deux Adjoints. En fait, il inspire toutes les décisions. Il doit faire face à une opposition « laïque » de gauche conduite par Massol*. Quand, en 1867 André Rousselle propose de rendre facultative l'inscription « A la gloire du Grand Architecte de l'Univers* » sur les planches officielles des loges il répond sans polémiquer, que la loi ne saurait être subordonnée à la volonté individuelle.

Observant en 1867 la tiédeur avec laquelle est accueilli un projet d'Œuvre maçonnique de l'enseignement qui aurait donné un statut officiel au Grand Orient*, il écarte un vote négatif du Convent qui aurait humilié le Grand Maître en renvoyant la question à l'étude des loges. En 1869, il s'oppose à Massol qui aurait voulu que l'obédience organisât un anticoncile définissant les principes du Droit humain.

Il est dans la capitale quand éclate la guerre. Ne prenant aucune responsabilité profane, malgré l'avènement de la République, il se consacre exclusivement au Grand Orient. Il dirige, en tant que médecin, l'ambulance installée rue Cadet et préside la commission chargée de la distribution des secours.

Pendant la Commune*, il appuie au nom du Conseil de l' Ordre, I' initiative prise par tes Disciples du Progrès* de jeter un pont sur des bases humanitaires entre Versailles et les insurgés. Après l'échec de la rencontre avec Jules Simon il apprOuve I envoi d'une seconde délégation. car la majorité de ses membres est toujours composée de « conciliateurs ». Toutefois, il s'oppose à la manifestation du 29 avril, comprenant que le ralliement à la Commune risque de provoquer de graves ennuis ultérieurs au Grand Orient.

Le Conseil de I Ordre qu il préside, réuni le 29 mai, soit après la chute de la Commune, dénonce les manifestations de macons « ou soi-disant tels » qui se sont compromis avec l'insurrection afin de freiner une campagne anti maçonnique conduite par les monarchistes. Le Convent réuni le 4 octobre 1871 se prononce pour la suppression de la Grande Maîtrise et le Conseil est entièrement renouvelé, Saint Jean, favorable à son maintien n'est qu'en l le position. Ce sera son plus mauvais résultat car, étant donné la conjoncture politique, il va être le mieux placé pour protéger le Grand Orient. Babaud Laribière n'étant plus Grand Maître est élu à la présidence du Conseil de l'Ordre et Saint-Jean rétrograde provisoirement à la vice-présidence. Il est l'organisateur des cours commerciaux du Grand Orient qui sont donnés gratuitement rue Cadet à partir de 1871.

Jusqu'en 1879, il préside chaque Convent et, Babaud-Laribière étant malade, il reprend la présidence qu'il conserve jusqu'à sa mort.

Il est donc conduit à prendre parti dans les conflits internes. Il appuie la décision prise en 1874, de maintenir les ateliers supérieurs mais de les priver de leur participation au convent. Devenu Grand Commandeur du Grand Collège, au début de la Troisième République quand l'honorariat est conféré au général Mellinet il a pour devoir de les défendre tout en combattant ceux qui veulent les soumettre à une autorité indépendante du Conseil de l'Ordre. ll collabore dès 1873 avec Massol et Caubet, ses anciens adversaires maintenant promus aux vice-présidences du Conseil de l'Ordre.

Il bénéficie d'une autorité suffisante pour imposer sous menace de démission son point de vue au Convent. Ainsi, en 1875, il s'oppose à ce qu'un vénérable* ou un orateur, frappé de suspension provisoire par le Conseil de l'Ordre, puisse être jugé par la Chambre d'Appel, car il craint que le Conseil ne soit plus suffisamment armé pour la défense des intérêts de l'Ordre.

En 1877, le Convent vote la suppression de l'obligation de la croyance en Dieu et à l'immortalité de l'âme. Saint-Jean, qui craint la montée d'un courant antireligieux, rassure les croyants en faisant inclure dans le nouvel article I définissant la maçonnerie cette phrase: « Elle n'exclut personne pour ses croyances.» Bien qu'en désaccord avec la suppression des références métaphysiques, il se plie à la loi de la majorité.

Sa modération et le respect qui l'entoure rendent de grands services à ! obédience Il obtient en particulier que l,es sanctions prises contre les loges pendant la campagne électorale de 1877 ne soient pas étendues à la maçonnerie et, après les élections, la réouverture de celles qui ont été fermées

Le Convent International de Lausanne organisé par le Suprême Conseil de France décide qu'il n'y aura désormais plus qu'un seul Suprême Conseil régulier par pays, ce qui est un coup porté au Grand Collège des Rites*. Saint-Jean réagit par une rupture des relations officielles Cependant, quand l'aile gauche de cette obédience fait scission et forme la Grande Loge Symbolique Écossaise*, il fait ajourner toute décision de reconnaissance, ne voulant pas prendre parti dans une querelle interne au Rite Écossais.

Quand Saint-Jean rejoint l'Orient éternel le 31 décembre 1882, une phase de l'histoire maçonnique se termine. Spiritualiste mais détaché des religions, il avait demandé des obsèques civile`5: elles furent, paradoxalement, l'occasion de retrouvailles avec le Suprême Conseil de France .
A. C.


SAINT-MARTIN,
Louis-Claude de (Amboise, 1743-1803) ., Le plus instruit, le plus sage et le plus élégant des théosophes modernes » comment échapper à Joseph de Maistre* ? On serait tenté d'ajouter aux qualités éminentes prêtées à Saint-Martin la simplicité. Saint-Martin fut aussi le plus secret des théosophes modernes.

Les circonstances de sa vie ne font point d'ombre, dans « le moule du temps » qui nous tient prisonniers. Né de petite noblesse, ni comte ni marquis mais tout juste écuyer, à Amboise, dont son père, qui avait été un temps militaire, fut par deux fois le premier magistrat; orphelin de mère à trois ans, et, à six, le bonheur d'une marâtre; un précepteur, puis le collège mauriste de Pontlevoy; son droit à Paris; avocat du roi au présidial de Tours pendant six mois (1764-1765); sous-lieutenant en 1765, puis lieutenant au Foix-lnfanterie; quitte le service en 1771, « afin de pouvoir mieux suivre la carrière ». C'est qu'aprés avoir choisi celle ci dès son enfance, il y est entré selon les formes, qui l'instruiront avant de l'embarrasser quand l'Ordre théurgique des Élus coëns* en partie revêtu de maçonnerie, l'a initié (août 1765) aux grades bleus*, s'il ne les avait déjà acquis, à la Concorde de Tours, par exemple, puis aux trois grades du porche..., enfin ordonné réau-croix (mi-avril 1772). « A beaucoup de sagesse », avait noté l'un de ses inspecteurs militaires en 1770. Les voies de cette sagesse déroutent parfois le sens commun.

Il vit à Amboise, son « enfer »; à Paris son « purgatoire »; à Lyon*, notamment pour des leçons aux Élus coëns (1774-1776) et sur l'appel d'un agent (1785-1788), avec des interruptions ici et là. Deux voyages en Italie (1774 et 1787-1788); séjour à Londres (1787) et à Strasbourg (1788 1791), son « paradis ». Il hante, sans joie, sans honte, les palais, les châteaux, les salons. Ni évêque ni médecin, à son regret, il donne la becquée aux petits poulets, il observe et il réfléchit, en publiant comme de besoin. Le Robinson de la spiritualité joue d'obligation le « cicerone des régions divines et des curiosités éternelles ». Sous la Révolution*, l'ex-noble se déclarera « homme de lettres ». Au cours de cette miniature du jugement dernier le citoyen Saint-Martin ne manque ni de civisme ni de lucidité; il n'est jamais inquiet ni, à aucun moment, inquiété. Un spleen de sa façon le rend, en ses dernières années, « tout couleur de rose ». Martines de Pasqually l'avait averti: à 60 ans, « le terme » ce serait bien. Il mourut, à terme, d'un ictus, le 14 octobre 1803, au hameau d'Auinay près de Paris. Son premier livre des erreurs et de la vérité (1775), est une somme voilée de l'enseignement coën, appliqué à l'état contemporain des arts et des sciences. Suivent le Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l'homme et l'univers (1782), de la même veine, mais plus radical et plus direct; L'Homme de désir (1790), un chef-d'œuvre de la poésie en prose dont la clef doit naître du désir de l'homme; Ecce homo (1792) contre les prestiges et, la même année, Le Nouvel Homme, un breviarium, mieux l'itinerarium d'une mystique sophianique à mimot (ces deux derniers ouvrages au Cercle social*); De l'Esprit des choses (1800) ou que le monde est transparent; mais aussi l'homme, qui est homme-Dieu par définition, attend sa divinisation, de meme que le monde sa transfiguration par une meme parole constructrice, et tel est le double Ministère de l'homme esprit (1802). Pour mémoire, de nombreux écrits de circonstance, du genre philosophique ou du genre politique, que la théosophie inspire; des poésies à haut sens et des babioles en vers.

«Philosophe inconnu » sert à l'auteur de pseudonyme littéraire, c'est-à-dire vrai philosophe, plein de prudence et de discrétion, au contraire de sa « bête noire », les spectateurs de ces soi-disant Lumières* qui obscurcissent. Le Dieu de son cœur illumine sa raison qu'il cultive.

Le Crocodile (1799), cependant, est signé d'« Un amateur des choses cachées » et sous-titré poème épico-magique en 102 chants, Le Crocodile, ou la Guerre du bien et du ma/... pour amorcer le titre complet de cette apocalypse.

Le Crocodile constitue l'encyclopédie du martinisme*, au sens strictement saint-martinien du terme. Tout y est dit, allégué suggéré, souvent pour l'unique fois dans une œuvre abondante, de l'homme et de sa gnose. Après 200 ans, il était temps de s'en aviser.

Une authentique biographie de Saint-Martin ne peut consister qu'à en répertorier et déchiffrer les signes*: signes perçus par les sens, ou messages portés par les événements, que leur explication soit matière de psychologie, de philosophie occulte ou de Providence. Les trois concourent, suivant la pente de Saint-Martin, mais outre les approches du spiritualisme, seul peut les comprendre un « diviniste». Un exemple entre tant, un gros exemple, le régiment signifiait Foi-X et conduisit le jeune sous-lieutenant à Bordeaux chez Martines de Pasqually.

Passons au déluge. Saint-Martin attribue. en effet, au châtiment par les eaux une valeur catastrophique méconnue, oblitérée par le thème obvie de la prévarication: de très graves dommages affectent depuis lors les lois du retour que la miséricorde de l'éternel avait accordées a l'homme déchu.

Secret de Saint-Martin que l'éternel féminin, permanent et initiatique, tout au long de son chemin. Devant Marie-Anne la belle-mère, mère très belle et très bonne. il jouit, à Chanson, dans la chaumière maternelle, de la « grande circoncision intérieure »; sa « charisme » Charlotte de Boecklin, auprès de laquelle il découvrira le théosophe saxon Jacob Boehme. second « chérissime » avec l'amitié amoureuse et la fraternité d'esprit.

À Boehme, Saint-Martin rendra en gratitude plus que le philosophe teutonique ne lui aura donné; la projection a joué là sans grand partage, mais en avançant l'intelligence.

Sous la Terreur, Suzette Labrousse, prophétesse incertaine, et Catherine Théot « la Mère de Dieu », l'intéressent, croit-il en fait, elles le fascinent, mais il échappe au piège de I astral qu il dénonce et refusera la « sophie » de contrebande que la secte lui procurerait, au souhait de Pontard.

En retrait, la cousine-est-ce « l'Amour » autrement innommé ? Louis-Claude n'articulera pas, en elle, l'éternel féminin sur le pendant du masculin incarné, non plus qu'avec plusieurs autres partis envisagés: Mme Vve de Pasqually, mais là, une image paternelle, souillée de « gouines » et de « poux », l'arrête; à Toulouse où d'Hauterive l'avait envoyé, en 1776, remonter un temple coën, la « grande fleur aux beaux yeux noirs »; Mlle Rian... Des apprentis sorciers, du coup, analisent (dans un double sens pseudo-freudien) le chaste adulte et sans vice ! Tantôt « man » en puissance, dans l'ordre spirituel, et tantôt « grande fille », sa sublimation réussit par la méthode et par grâce. Il obtint les faveurs de Sophia, la Sagesse en personne: un homme achevé.

Á Lyon*, depuis 1785, un Agent inconnu dictait à Mme de Vallière ou était Mme de Vallière, mais c'est la chanoinesse qui compte, et elle a exercé sur Saint-Martin une influence sous-estimée. Loves Law, ces mots de l'Agent érigés en Mne fommule clé et transcrits par Saintart!n ont eux et leur train, catalysé auSsx~ et peut-être davantage, l'accord du théosophe à la théurgie du cœurl au culte central, sans abandonner la réintégration des êtres. (À rédiger en définitive le Traité de ce nom, Saint-Martin aidera Son premier maître, en 1771-1772.) Pour preuve un renseignement inédit. Saint-Martin est admis, selon son vœu fervent dans la « loge élue et chérie ", quasi messianique, fondée par les frères Lyonnais que l' Agent y avait appelés, pour l'étude de ses cahiers extraordinaires. Cela, le 4 juillet 1785, on le savait de reste. On savait aussi que le récent « frère », «ami », « enfant » de l'amour, c'était leurs noms intimes, avait travaillé sur les révélations et l'on possède ses nombreuses pages autographes sur le sujet. Mais voici le chiffre inattendu de ses présences aux réunions. En 1785, pour le reste de l'année, 24 tenues*; en 1786, de mai à octobre, 26 tenues; en 1787, août et septembre 5 tenues; en avril 1788, deux tenues. Qui eût cru à pareille assiduité ? Elle donne la mesure de l'importance qu'il dénie: Saint Martin est réconcilié avec lui-même.

Chez les Elus coëns, le Réau-Croix qui avait été si exact aux rites décèle du « mixte » et s'attache à n'en garder que le spirituel pur, c'est-à-dire le divin où seule mène la voie du dedans. En retour, d'autres moyens, plus efficaces, perfectionneront la doctrine, surtout en l'explicitant et Boehme y aidera, catalyseur majeur et petit facteur.

Dans la franc-maçonnerie (à part les singuliers Elus coëns), Saint-Martin assure n'avoir Jamais été inscrit que de nom, mais la confrérie marqua son langage et ses accointances. La Stricte Observance* où Willermoz* avait voulu l'attirer, aurait usurpe son nom à léna et il aurait posé en vain sa candidature à la 12e classe des Philalèthes. Il exerça peu de temps le mesmérisme* à la Société de l'Harmonie (1784), mais, avant comme après la Révolution*, la Société Philanthropique dont il était l'un des fondateurs (1780) bénéficia de son dévouement. Pour entrer dans la compagnie invisible de l'Agent inconnu, il fallait être Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte du Régime Écossais Rectifié. Saint-Martin l'avait toujours refusé à Willermoz, il se plia à l'exigence de l'Agent et accédera même à la profession et à la grande profession du même Saint Ordre, le 24 octobre 1785.

Nouveau côté du secret prismatique. Pour son blason dans l'Ordre, l'Eques a Leone Sidero (pour sidereo !) remploya le blason familial. Mais les armes manquées ! La fasce ondée d'argent disparaît et le lion « naissant » devient « passant », dans le langage du blason, mais avec un corps si démesurément allongé qu'il a l'air rampant, en un sens inverse de celui des héraldistes, au point de symboliser les « rapports serpentiques », dont Saint-Martin peina sans cesse à s'affranchir; une étoile ajoutée domine le monstre et elle symbolise d'habitude chez Saint-Martin tant le Guide suprême que les mauvais guides sur tous les plans, c'est-à dire les circonstances. La devise les relègue: Terrena reliquit (I1 a laissé les choses terrestres). La place du meilleur guide après la cause active et intelligente, dont il est l'envoyé accueille 1'« esprit bon compagnon » de chaque homme. Comme auxiliaire après avoir passé pour intermédiaire nécessaire, sa proximité auprès de Saint-Martin est si constante et il en use si constamment que « ce bon ami » hante le domaine du secret. Le secret des secrets de Saint-Martin renferme sa mission. L'idée qu'il avait de lui même, en tant qu'homme de Dieu, intervenant dans l'histoire de l'humanité, dépasse de très loin ce qu'on en dit et de loin tout ce qu'on peut en imaginer. Ladessus un article anonyme qu'il n'hésite pas à publier en réclame du Crocodile et mainte confidence de Mon portrait historique et philosophique (1961) se complètent: la vie cachée de Saint-Martin s'enracine dans le secret* mais l'oblige à s'exprimer en public; le Philosophe inconnu an nonce la vérité universel le parce qu'il est l'Élu coën sublimé dans sa fonction comme dans sa personne.

Par une exception très remarquable, Saint-Martin a imprimé, à la fin de son premier livre, un mot en lettres capitales et au début, puis au milieu du dernier paru de son vivant, deux autres mots de même: C-H-R (de crainte d'effaroucher avec Christ), SOPHIE TOUJOURS. Saint-Martin dépend de son secret et le secret de Saint-Martin tient, en dernière instance, aux deux premiers mots qui verbent et font verber. Le « TOUJOURS » caractérise celui qui est au lieu que ses titres peignent le fruit de son existence. Nous ne sommes rien et nous tombons dans l'anéantissement si le mouvement divin et l'action divine, le « magisme» divin, ne sont pas constants et universels en nous.

Le martinisme de ce « fou à délier» de ce " professeur de chinois » de ce « balai des philosophes et des capucins »-comme il se qualifiait-a traversé le XIXe et le XXe siècle; il continue à rappeler le XXle à l'unique nécessaire.
R.A.


SAINT-SIÈGE
S-005.JPG (86K) De 1738, date de la première condamnation pontificale de la franc-maçonnerie*, à la Declaratio de associahonibus massonicis de 1983, le Saint Siège a, avec constance, interdit aux catholiques d'appartenir à l'Ordre* maçonnique. Parmi la trentaine de documents pontificaux qui portent cette interdiction, cinq prédominent nettement: In Eminenti* (Clément Xll, 1738), Providas (Benoît XIV, 1751), Ecclesiam a Iesu Christo (Pie Vll, 1821) Quo Crasiora (Léon Xll 1825) Set Humanum Cenus (Léon Xlil, 1884). Les quatre premiers furent les références privilégiées des textes postérieurs jusqu'à ce que paraisse Humanum Cenus qui, en les parachevant s'y substitua de manière quasiment exclusive.

Dans un premier temps, de 1738 à la Révolution* française, seules deux condamnations de la maçonnerie sont fulminées par les papes et elles ne visent qu'un phénomène ponctuel. Il faut attendre 1821 pour que Rome se prononce à nouveau, à un rythme qui va en s'accélérant et qui culmine sous Pie IX et Léon XIII. L' anti maçonnisme* romain se radicalise alors et se renforce de la contestation des pouvoirs temporels de la papauté où les maçons jouent un rôle souvent prépondérant. Enfin, après la Première Guerre, un dialogue, difficile et controversé, s'amorce entre des catholiques et des maçons. Il aboutit, avec le Code de droit canonique de 1983 à la levée de l'excommunication des maçons, mais sans que la question de la double appartenance soit pour autant totalement résolue.

C'est le 28 avril 1738 que Rome se prononce pour la première fois sur la francmaçonnerie, pour la condamner et frapper d'une excommunication latae sententiae réservée au siège apostolique ceux qui s'inscrivent à une loge*, sanction qui demeurera jusqu'à la promulgation du code de 1983. La bulle In Eminenti de Clément Xll étant restée à peu près ignorée et sans effet, sinon à Rome même, en Espagne* et au Portugal*, Benoît XIV la reprend et la développe le 18 mai 1751 dans la constitution Providas.

S-006.JPG (33K) 11 y a, à ces deux condamnations, des motifs politiques: conflit dynastique en Angleterre entre Hanovre et Stuart relayé sur le Continent par les loges maçonniques passage de la Toscane des mains des Médicis. alliés et soutien du pape, à celles de François de Lorraine, maçon, qui cherche à limiter l'emprise pontificale sur Florence Toutefois si ces luttes d'influence en sont les soubassements, il n'est pas possible d'y réduire les condamnations romaineS de la franc-maçonnerie, car Clément Xll et Benoît XIV étayent leur réprobation de l'Ordre maçonnique de raisons d'ordres juridique, moral et religieux. Sur un plan juridique, les papes rappellent que les législations anciennes et plusieurs gouvernements contemporains interdisent les sociétés secrètes, par conséquent. La franc-maçonnerie est une association illégale. En lien avec ce motif juridique. I immoralité du serment* maçonnique du secret* est soulignée. Ce n'est pas que le secret soit, comme tel condamné par l'église*. Mais, ce droit naturel a des limites, dont les principales sont la protection du bien public et des particuliers. et l'obligation faite au catholique de confesser tous ses péchés sans en cacher aucun. Le serment du secret absolu exigé des maçons paraît les enfreindre, et cela le rend suspect de couvrir les agissements les plus répréhensibles. Enfin. sur un plan plus spécifiquement religieux encore, les papes dénoncent la présence dans les loges d'« hommes de toute religion et de toute secte [...]; d'où l'on voit assez quel grand mal il peut en résulter pour la pureté de la religion catholique» (Providas).

A peser ces griefs doctrinaux les principaux, au moins quantitativement son t ceux de l'immoralité du serment du secret et de l'illégalité des associations secrètes. Ces, motifs sont d'autant plus graves que l'église catholique ne distingue pas nettement à cette époque le spirituel du temporel et, moins encore ne les sépare. Cette conception de l'Église sacralisatrice et garante des liens sociaux explique la violence de l'antimaçonnisme catholique post-révolutionnaire.

La virulence de l'anticléricalisme révolutionnaire à partir de 1791 frappe de plein fouet l'église catholique. Il ne peut s'expliquer que par une volonté proprement démoniaque. La Révolution est perçue comme une étape, particulièrement dramatique, de la lutte entre les forces du bien et les forces du mal, au nombre desquelles la franc-maçonnerie.

S-007.JPG (53K) C'est ainsi que Pie Vll la décrit en 1821 dans Ecclesiam a lesu Christo. Pour lui, la franc-maçonnerie, telle qu'il la vise à travers les carbonari, est une « secte » (c'est la première fois que le mot est utilisé par un pape dans ce contexte),dont l'objectif premier est de renverser l'église et de lui arracher ses fidèles. Il réprouve: son indifférentisme religieux, « le plus pernicieux de tous les systèmes » son interconfessionalité, signe indubitable de sa malignité; et l'immortalité de son serment sanglant du secret qui autorise tous les complots contre les autorités religieuses et civiles légitimes. Il relève aussi - l'accusation est rare, sinon unique dans les documents pontificaux-le caractère blasphématoire et sacrilège des rites* et cérémonies maçonniques.

Directement visé dans ses possessions territoriales, le Saint-Siège s'inquiète également du mouvement pour l'unité de l'ltalie* qui aboutit en 1870 à l'annexion de Rome au royaume d'ltalie. Bien des maçons y participent et promeuvent, l'unification faite, toute une série de mesures anticléricales. Parallèlement, en France, l'anticléricalisme gagne les loges, se renforçant de chaque nouvelle condamnation romaine, et conduit lui aussi aux mesures anticléricales de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle que parachève la, loi de séparation des Églises et de l'état. Les papes y décèlent, encore une fois, la main des maçons et leur volonté d'édifier une « société retournée » (contraria societas, l'expression est de Léon XIII dans Annum ingressi, 19 mars 1902), c'est à-dire une société anti chrétienne où l'ordre temporel n'est plus ordonné à l'ordre spirituel et dont tous les liens authentiques sont fragilisés parce qu'ils ne sont plus garantis par la sacralité que leur conférait l'église. En bref, c'est une société laïciste et libérale que veulent construire les maçons. Dans sa lettre du 8 décembre 1892, Custodi di quella, Léon XIII en tire l'inéluctable conséquence: « Que l'on se rappelle que christianisme et franc-maçonnerie sont essentiellement inconciliables, si bien que s'agréger à celle ci, c'est divorcer de celui-là. »

Cette conclusion, entérinée et développée par Humanum Genus (1884), synthétise toutes les condamnations antérieures et se retrouve encore dans la Declaratio de associationibus massonicis de 1983 de la Sacrée Congrégation pour la Doctrine ,de la foi. Pourtant, au XXe siècle, dans une Eglise encore fortement marquée par les problématiques du siècle précédent, et notamment par la lutte contre le libéralisme dont la maçonnerie semble le paradigme, un dialogue s'est amorcé entre catholiques et maçons.

Avec le deuxième concile du Vatican le dialogue devient une valeur fondamentale de l'ecclésiologie et de la théologie catholiques. Une plus grande autonomie est reconnue à l'ordre temporel, et l'œcuménisme est promu. Le dialogue et la collaboration avec la maçonnerie apparaissent à beaucoup possibles, souhaitables, voire nécessaires. Mais avant d'en arriver là, le chemin fut long.

Après la Première Guerre, quelques ecclésiastiques, souvent jésuites, comme les pères Gruber (en Allemagne) et Berteloot (en France), tentent d'engager un dialogue avec la maçonnerie, mais reçoivent de part et d'autre, un accueil plutôt mitigé. Ils se situent dans le cadre de l'article 2335 du Code de droit canonique qui frappe d'excommunication « ceux qui donnent leur nom à une secte maçonnique ou à toute autre association du même genre qui complotent contre l'Eglise ou les pouvoirs civils légitimes ». Les artisans du dialogue en concluent donc que le catholique qui s'inscrit à une loge qui ne complote pas n'est pas excommunié. Après bien des controverses cette interprétation restrictive est adoptée officiellement en 1974 par la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la foi. Mais les acteurs du dialogue veulent plus. Le père Riquet* passe du terrain canonique au terrain doctrinal. Il ne s'agit plus de distinguer entre maçonnerie subversive et maçonnerie inoffensive, mais entre maçonnerie régulière (théiste) et maçonnerie irrégulière, la première seule étant authentique et compatible avec la foi catholique.

Le Magistère romain ne le suit pas dans cette voie. Toutefois, prenant acte de l'amélioration des rapports entre maçons et catholiques les rédacteurs du Code de droit canonique de 1983 suppriment délibérément toute mention de la maçonnerie. Mais, le 26 novembre 1983, à quelques jours de l'entrée en vigueur du nouveau code, la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la foi, renouant avec l'enseignement des papes du XIXe siècle, tout en entendant faire abstraction des conflits passés, affirme que les catholiques ne peuvent, sous peine de péché grave, s'inscrire dans les associations maçonniques car " leurs principes ont toujours été jugés inconciliables avec la doctrine de l'Église ».

Cette déclaration reçoit des interprétations variées et contradictoires allant de l'indifférence (pour la majorité des maçons) à l'hostilité (Alec Mellor, par exemple, y lit l'héritage du nazisme*) et de l'euphémisation au renforcement. Pour l'opinion catholique la question de la double appartenance n'est donc toujours pas définitivement tranchée, aussi peut être faut-il s'attendre à de nouvelles clarifications de la part du Saint-Siège.
J. R.-L.