SAINT-SIMONIENS
SAINT-THOMAS
SALAIRE
SALICETI
SALONIQUE
SANGRO, Raimondo di,
SANTALLIER, Louis, Benoit, Félix
SANTÉ
SAUTOIR
SAVALETTE DE LANGES, Charles Pierre Paul
SAVOIRE, Camille
SCANDINAVIE
SCEAUX
SCHAFFGOTSCH
SCHRÖDER Friedrich Ludwig
SCULPTEURS
SEA SERJEANTS
SEC, Joseph
SECRET
SEL






SAINT-SIMONIENS
Si le fondateur de l'école saint-simonienne, Claude-Henri de Rouvray comte de Saint-Simon (1760-1825), un lointain cousin du mémorialiste du Grand Siècle, appartint à la maçonnerie à la façon d'un grand seigneur admirateur de l'Encyclopédie (L'Olympique de la Parfaite Estime 1786) ses successeurs entretinrent des liens plus complexes et profonds avec l'institution.
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Les saint-simoniens constituèrent tout d'abord une société fraternelle, la Famille installée dans le « couvent » de Ménilmontant sous la direction de Barthélemy Enfantin (1796-1864), le père de la religion nouvelle qui semble avoir été lui-même maçon, selon l'affirmation de A. Lebey tout au moins (1925). La Famille fonctionna comme un groupe d'initiés, avec ses rites* quotidiens et ses symboles, assez semblable aux sociétés secrètes paramaçonniques qui fleurirent sous la Restauration, depuis Les Francs Régénérés liés aux royalistes ultra jusqu'au Néo Temple de Bernard-Raymond Fabré-Palaprat (1773-1838) dont les adeptes participèrent en nombre à la Révolution de 1830. Hippolyte Carnot et Michel Chevalier (1806-1879) qui s'illustrèrent les premiers dans le mouvement saint-simonien et le second comme conseiller de Napoléon 111, avaient adhéré à cet Ordre* initiatique en quête d'un secret* conservé dans leurs archives* avant de devenir disciples d'Enfantin. L'engagement politique personnel des saint-simoniens les fit donc passer le plus souvent par les loges*. Ainsi, parmi les saint simoniens en vue Dominique Fournel (1813-1846) fut également maçon, de même que Massol*. La personnalité la plus représentative, avant sa rupture en 1832, fut cependant Pierre Leroux qui fréquenta les loges à partir de 1848. En outre, la charbonnerie* française, constituée en 1822 au sein des Amis de la Vérité*, constitua également un vivier: Jacques Buchez (1795-1865), la cheville ouvrière de l'organisation, Jacques Flotard, Arnaud Bazard (1751-1832) appartenaient tous au mouvement saint-simonien qui trouva un nouvel élan à l'occasion des Trois Glorieuses. L'Abeille maçonnique du 7 février 1831 cite même la tenue* hebdomadaire, rue de Grenelle, d'une loge baptisée Les Saint-Simoniens... mais les archives du Grand Orient* sont muettes à ce sujet. Peut-être la condamnation en 1832 d'Enfantin et de ses amis, provoquée par les méfiances croisées des catholiques qui virent en eux une religion concurrente alors que beaucoup avaient été tentés par la pensée de Charles Fourier, la méfiance du gouvernement de Louis-Philippe et celle des milieux populaires choqués par leurs excentricités, est-elle responsable de cette discrétion. La prétention d'Enfantin aux fonctions sacerdotales suprêmes avec la constitution d'un couple-prêtre destiné à régénérer l'humanité par la naissance d'un nouveau messie ne pouvait qu'indisposer les catholiques mais aussi les macons. Si les premiers ne pouvaient admettre ce pouvoir sacralisant qui ignore l'église de Jésus-Christ et pousse le millénarisme loin des voies ouvertes par le Grand précurseur médiéval Joachim de Flore, les seconds étaient également partagés sur les objectifs d'Enfantin. Sa pensée doit certes beaucoup à Joseph de Maistre*, mais toutes les loges maçonniques ne partageaient pas ces tendances mystiques et, finalement, le rôle de l'Ordre dans la constitution de la société nouvelle paraissait bien mince.

La Famille n'a d'ailleurs pas joué un rôle décisif dans la vie du père Enfantin et il semble avoir utilisé cette société fraternelle comme une « serre », un milieu favorable à l'écoute et à l'éclosion de ses idées, à la façon dont les occultistes, à la suite d'Éliphas Lévi, considéraient l'initiation* maçonnique comme une pratique utile sans être vraiment nécessaire au développement des sciences spiritualistes qu'ils prétendaient maîtriser. Ainsi, beaucoup de membres de La Famille ne firent qu'y passer et le pamphlet d'Édouard Drumont (1844-1917), La France juive (1886), oppose d'ailleurs les Juifs* de l'école saint-simonienne cherchant une sortie du ghetto moral et prototypes du « Juif libéré», à ceux qui adhéraient à la maçonnerie. Selon Drumont, « ils étaient en tout la négation du judaïsme que nous voyons à l'œuvre et que l'on peut appeler le judaïsme franc-maçonnique ou le judaïsme gambettiste... »

Les affinités furent donc très générales, rapprochant tous ceux qui attendaient un « événement immense » dans l'ordre spirituel, à la façon de Joseph de Maistre, mais dans le camp opposé de ceux qui approuvaient la Révolution française et attendaient de la société secrète qu'elle devienne le laboratoire de la démocratie.
J.-P. L.


SAINT-THOMAS
L'histoire des loges* Saint-Thomas remonte à l'origine*-avérée - de I Ordre* maçonnique en France. Son étude éclaire le rôle des milieux jacobites* dans l'acclimatation de l'Art royal* à Paris, la fondation de la Grande Loge*, les relations conflictuelles et ambiguës entre loges dites sI jacobites » et loges prétendues « hanovriennes » ainsi que l'entrée en lice des aristocrates français dans les premiers temples maçonniques français.

Il convient de distinguer Saint-Thomas I fondée par Charles Radcliffe, comte de Darwentwater en 1725 ou 1726, de Saint Thomas II, dite encore Saint Thomas Le Breton-Le Louis d'Argent, par référence à son fondateur, le compagnon* orfèvre Thomas Pierre Le Breton et à la taverne Au Louis d'argent, rue des Boucheries, faubourg Saint-Germain Alors que Saint Thomas I affiche clairement son engagement jacobite et se place sous le patronage de saint Thomas Becket qui avait dû fuir l'Angleterre de Henri 11 et les persécutions pour trouver asile en France Saint-Thomas O est officiellement constituée le 3 avril 1732 par la Grande Loge d'Angleterre, qui saisit ainsi l'occasion de contrer l'influence jacobite dans la francmaçonnerie* parisienne. L'installation a lieu le 20 novembre 1732, rue de Bussy à proximité immédiate de la rue des Boucheries et du Louis d'argent, chez le traiteur Landelle - qui hébergera les tenues* de la loge dite de Bussy-Aumont.

L'émergence de deux mouvances maçonniques rivales, voire antagonistes paraît manifeste. Les deux cofondateurs de Saint-Thomas I sont d'authentiques partisanS des Stuart. Il s'agit de Dominique O'Héguerty, comte de Magnières en Lorraine par le duc Stanislas, et du chevalier James Hector Mc Lean, qui occupera la Grande Maîtrise de la Grande Loge de France entre le duc de Wharton, mort en 1731, et Darwentwater qui lui succédera le 27 décembre 1736. D'autre part, la loge recrute massivement parmi les officiers de la Maison du roi Jacques II à Saint Germain-en-Laye les Talbot. Douglas Fitz-James et autres Middleton, ainsi gué dans les cadres des régiments écossais et irlandais passés en France. De son côté, Saint-Thomas 11 cultive ses relations avec la Grande Loge de Londres. En septembre 1735, une tenue* est présidée par le duc de Richmond et Desaguliers*. Le comte de Saint-Florentin, secrétaire d'Etat de Louis XV, ainsi que le fils de lord Waldegrave, l'ambassadeur d'Angleterre, sont initiés à cette occasion. Assistent de surcroît à cette tenue Montesquieu* et M. de Gouffier, probablement François Louis marquis de Thois, tous deux initiés à la loge The Horn à Londres le 12 mai 1730; ainsi que le marquis de Locmaria. D'autre part, l'une des figures importantes de Saint-Thomas 11, est le duc de Picquigny, futur duc de Chauines, âgé de 23 ans en 1737. Or son hôtel parisien le fameux « Parnasse de Chauines », dont les amitiés hanovriennes sont attestées, accueille de nombreux membres de Saint-Thomas II. Les loges aux sympathies hanovriennes, Saint- Thomas II, mais aussi Bussy-Aumont ou Coustos-Villeroy*, attirent beaucoup plus les aristocrates français que les ateliers qui affichent leur jacobitisme.

Pour autant, il ne faut pas opposer radicalement les deux loges et dresser le tableau de deux maçonneries d'obédiences* hanovrienne et jacobite, prêtes à en découdre. Certes, un texte de 1737 conservé dans le fonds du procureur général près du Parlement de Paris, Joly de Fleury, et qui émane certainement des partisans du Grand Maître Darwentwater, critique de manière virulente Saint-Thomas 11, lui reprochant ses débordements festifs et l'initiation de candidats rejetés par Saint-Thomas I, mais la loge de Thomas Pierre Le Breton reconnaît celle de Darwentwater comme étant la loge du « Grand Maître ». Le célèbre président du Présidial d'Épernay, Bertin du Rocheret fait de meme dans une lettre du 23 novembre 1737. Le « Parnasse de Chauines » a, d'autre part, clairement servi de passerelle entre francs-maçons jacobites et hanovriens. Enfin Saint-Thomas Le Breton Le Louis d'Argent émane de la première loge Saint-Thomas, plusieurs frères s'en étant séparés en 1729.

Si Thomas Pierre Le Breton a tenu loge dans le village de Passy pour échapper à la surveillance policière, sa loge s'est enracinée, comme la plupart des plus anciens ateliers parisiens attestés (la loge Bussy-Aumont, par exemple), dans un quartier cosmopolite de la rive gauche de la Seine, le faubourg Saint-Germain.

L'adhésion de nombreux aristocrates traçais a ensuite permis un développement rapide. Elle a également contribué à dépasser les antagonismes entre jacobites et hanovriens, dans lesquels les frères français se reconnaissaient mal. Les membres de la Grande Loge décident, lassés par le jacobitisme « outré» du Grand Maître Darwentwater, de lui donner un successeur français en la personne du duc d'Antin.
P.-Y. B.


SALAIRE
S-009.JPG (142K) Sur le chantier du Temple* de Salomon, les Surveillants se tenaient devant les colonnes*, et à la restitution par les apprentis* et compagnons* de leur mot de reconnaissance*, ils leur versaient leur salaire. Comme I'« augmentation de salaire» sanctionne une étape franchie par le franc-maçon dans le perfectionnement de ses outils et le progrès de sa démarche les statuts imposent un intervalle minimal avant la promotion au grade supérieur. L'augmentation de salaire doit faire l'objet d'une requête préalable et d'un vote secret unanime.

Le « salaire d'Hiram », expression retenue par Charles Porset, évoque, à l'inverse des grades conférés aux ouvriers du temple, les sommes exigées pour l'acquisition de ces différents degrés. Leur montant témoigne de la réalité des obstacles financiers posés devant le futur initié. Aux Vrais Amis (Lyon*), le grade d'apprenti coûte 72 livres, celui de compagnon 24, et le grade de maître 48 livres. A titre de comparaison, le salaire d'un ouvrier non qualifié du bâtiment est alors d'une livre par jour. On remarquera que « la barrière la plus haute », est placée à l'entrée. Si la baisse des frais de réception est souvent attestée dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, elle n'est nullement générale et linéaire, et on sait que la bourse des maçons est souvent sollicitée pour rénover le temple ou embellir le rituel du banquet*. En outre, la soif de hauts grades* se révèle particulièrement coûteuse pour les frères qui collectionnent certificats et décors prestigieux.
P.-Y. B.


SALICETI
S-010.JPG (116K) Christophe (Saliceto, 1757 Naples, 1809) Saliceti appartient à l'une des principales familles du nord de la Corse. Étudiant en droit à l'université de Pise, il côtoie Buonarroti* puis devient avocat au conseil supérieur de la Corse. ll est élu député du Tiers Etat insulaire et obtient le retour d'exil de Pascal Paoli qu'il fait nommer commandant en chef de la Garde Nationale. Promoteur du décret de l'Assemblée nationale du 30 novembre 1789 qui affirme que la Corse « fait partie intégrante de l'Empire* français » il est élu procureur généralsyndic de ce département en septembre 1791. Saliceti commet de nombreux abus d'autorité dans l'île. Des arrestations arbitraires et des actes dictés par l'esprit de vengeance envers ses ennemis personnels se multiplient. En septembre 1792 il est une nouvelle fois élu député et il siège parmi les Montagnards. Il est le seul député corse à voter la mort de Louis XVI Fin janvier 1793, envoyé en mission en Corse pour rétablir le contrôle de la Convention sur ce département, Saliceti attire l'attention de celle ci sur les agissements de Paoli, mis hors la loi le 23 juillet 1793 et accusé d avoir eu des liens avec l'ennemi anglais. Envoyé à I armée de Carteauxs chargée de combattre l'insurrection fédéraliste touchant le Midi, il entre dans Marseille le 25 août.

C'est dans cette ville reconquise qu'il rencontre une première fois la maçonnerie: le 8 septembre 1793, il est initié parla loge La Parfaite Sincérite en compagnie de Joseph Bonaparte*, commissaire du pouvoir exécutif et futur Grand Maître. Saliceti participe à la répression anti fédéraliste. Au printemps de 1794, il dirige l'expédition d'Oneille avec Buonarroti puis se rend à Nice où il fait arrêter Bonaparte en août 1794 après l'élimination de Robespierre. Décrété d'arrestation à la suite de la rébellion jacobine de Toulon en prairial an 111, il est amnistié en brumaire an IV et rentre à Pans. Le 30 janvier 1796, il est nommé commissaire à l'armée d'ltalie et placé sous les ordres de Bonaparte. Bien qu'impliqué dans la conjuration des Égaux au cours du printemps de 1796, il n'est pas poursuivi par la justice directoriale; le 10 avril 1797 il est élu député du département du Golo au conseil des Cinq Cents. Cependant, il est. supplanté par les frères Bonaparte comme dirigeant du « parti» francophile en Corse. Peut-être par dépit, il se tourne alors vers l'ltalie et entretient des rapports étroits avec les jacobins italiens. Après le coup d'État de Brumaire qu'il réprouve au départ il est suspecté d'hostilité à Bonaparte, mais il est effacé de la liste des proscrits par le Premier Consul en personne qui va l'employer en Italie pour ses qualités d'homme d'Etat. On le retrouve à Lucques de décembre 1801 à avril 1802, puis à Gênes pour préparer l'annexion à la France et surtout à Naples de 1806 à 1809. Il fait fonction de ministre de la Police de Joseph Bonaparte puis de Murat*.

Ses excès en matière répressive déchaînent des haines féroces et son palais est détruit le 30 janvier 1808. Envoyé à Rome en 1809 où il appartient à la Consulta chargée d'administrer la ville, il retrouve la maçonnerie en devenant membre d'honneur de la loge* La Vertu Triomphante. Le vénérable* est le général Miollis qu'il avait rencontré à Nice en l'an 11. Saliceti décède dans des conditions assez mystérieuses après un dîner donné chez le préfet* Maghella à Naples. Il est une figure que la maçonnerie romaine respecte. Le 18 janvier 1810, la loge La Vertu Triomphante célèbre une tenue* funèbre en l'honneur du défunt.
M. 1


SALONIQUE
Hormis la présence, à la fin du XVIIIe siècle, d'une loge* dépendant de la Mère Loge Écossaise de Marseille* (Saint-Jean d'Écosse de l'Amitié), c'est à la fin du XIXe et surtout au début du XXe siècle que la franc-maçonnerie* se manifeste à Salonique. En 1864, la loge Italia (Grand Orient d'ltalie*) d'Istambul* fonde la loge Macedonia qui se transforme, en 1901, en loge Macedonia Risorta, appelée à devenir un des principaux centres de la contestation face au sultan Abdulhamid 11 à Istambul. A partir de 1900, des loges appartenant à plusieurs obédiences* (Grand Orient de Grèce, Grand orient d'Espagne*, Grande Loge Nationale de Roumanie) sont constituées. Les loges italiennes, Macedonia Risorta et Labor Lux (fondée en 1906), comptent parmi leurs membres des militaires qui sont à l'origine de la création, en 1906, d'un mouvement secret, embryon du futur comité Union et Progrès. Macedonia Risorta va jusqu'à soutenir l'action de ces militaires, les futurs Jeunes-Turcs, et abrite leurs réunions. Surveillée la loge italienne est l'objet d'une perquisition en 1908. La deuxième loge importante de la ville, Veritas (1904-1933) du Grand Orient* de France, n'apportait qu'un concours timide aux Jeunes Turcs. Cette loge recrutait essentiellement parmi la haute bourgeoisie juive de Salonique et les Juifs* islamisés (les Juifs représentaient 40 % de la population de cette ville). En 1908. la victoire de la révolution jeune-turque a été accueillie avec enthousiasme par les francs-maçons, lesquels défilèrent dans la ville. L'une des conséquences de cette révolution fut un brassage des races dans les loges. Mais les Grecs orthodoxes ne se font recevoir en grand nombre qu'à partir de 1913, après le rattachement de Salonique à la Grèce. Sous le régime des Jeunes-Turcs, la franc-maçonnerie a connu une période faste et une politisation intense. On a vu apparaître des loges du Grand Orient Ottoman*, d'obédiences espagnole et italienne et de la Grande Loge de France* (L'avenir de l'Orient, 1908 1939). On compte aussi une «loge » martiniste liée au mouvement de Papus* et une loge « swedenborgienne* ».
Depuis le rattachement à la Grèce et le départ en masse des musulmans, les loges étrangères ont décliné à l'avantage des loges du Grand Orient de Grèce qui possédait cinq loges dans cette ville en 1931.
Th. Z.


SANGRO, Raimondo di,
S-011.JPG (43K) prince de Severo (Torremaggiore, 1710-Naples, 1771) Raimondo di Sangro naît en 1710 au palais ducal familial de Torremaggiore, dans les Pouilles, d'Antonio di Sangro et de Cecilia Gaetani d'Aragona. Les Sangro étaient les seigneurs de ce duché depuis le Moyen Âge. De neuf ans à vingt ans, il étudie au séminaire des jésuites à Rome. Il épouse en 1732 Carlotta Gaetani d'Aragona issue de sa famille maternelle et, après avoir hérité du titre de prince, il devient gentilhomme de la Chambre de Charles III de Bourbon.

Raimondo est renommé pour sa profonde culture: ainsi, il obtient du pape Benoît XIV la dispense nécessaire pour pouvoir lire les livres interdits. Il est initié à la maçonnerie, très probablement en 1742; en août 1750, il devient Grand Maître de la Grande Loge Nationale qui venait de se constituer. Il en démissionne en juillet 1751 et abandonne, au moins officiellement, la maçonnerie. On l'accuse d hérésie et on lui fait même porter la responsabilité du miracle manqué de San Gennaro. Sa démission est la conséquence de la bulle d'excommunication contre les maçons de Benoît XIV (mai 1751). laquelle est suivie, deux mois plus tard, par l'édit de Charles 111 qui interdit les réunions maçonniques. Charles III obtient de Sangro qu'il lui fournisse une histoire de l'institution, les règlements et les consatutions en sa possession, la liste des membres de la Grande Loge. Plein d'amertume et de déception, Sangro s'enferme dans son palais de Naples et travaille dans la chapelle de famille véritable temple du symbolisme maçonnique remplie d'allégories significatives, œuvre d'artistes renommés comme le sculpteur* franc-maçon Corradini et Sammartino, l'auteur d'un remarquable Christ mort, enveloppé dans un suaire, d'une indubitable signification initiatique. La chapelle Sansevero est encore considérée aujourd'hui comme l'un des lieux artistiques les plus remarquables de Naples. Sangro est un esprit noble un auteur pétri de science, d'alchimie* et de Kabbale*. Il a confiance dans la Raison et dans ses Lumières qui peuvent éclairer et résoudre les problèmes de l'Homme. Son œuvre littéraire la plus importante publiée dans son imprimerie est la Lettre apologétique, un récit autobiographique. Il publie également sur ses presses Le Compte del Cabalis de Montfaucon del Villars et le Riccio rapito d'Antone Pope œuvres pleines d'allusions aux Rose Croix* et à Paracelse

Il fait installer, dans les caves de son palais, un laboratoire de chimie et d'alchimie avec des fours, des fourneaux des cheminées, des alambics et de la vaisselle. Il y réalise cristaux et des pierres dures. Il fait aussi des expériences sur la manière de mener à la vie des écrevisses, utilise des scellées pour transformer la nourriture en sang. Son carrosse amphibie tout comme « l'arquebuse à un canon » sont célèbres,i1 se consacre tout particulièrement à la recherche de la Lumière Éternelle en brûlant des crânes humains: pour lui, cette Lumière Éternelle représente la manifestation d'un principe vital caché dans la matière. La lumière le fascine et toutes ses expériences tendent à démontrer le triomphe de la Lumière de l'intellect sur la superstition. Il étudie les feux follets et les petites flammes qui sont parfois visibles sur la tête des pendus. Il s'intéresse beaucoup à une dissertation sur une lampe ancienne trouvée à Munich en 1753.

Ces expériences physiques l'amènent aussi à réaliser deux « machines anatomiques » qui émerveillent encore les visiteurs par leur réalisme: l'appareil circulatoire entièrement construit en métal dans un squelette. Les viscères ont disparu, mais les artères et les veines, et jusqu'aux plus infimes vaisseaux capillaires sont conservés à l'intérieur du circuit sanguin. Dans sa Lettre apologétique, se trouve son épitaphe: - Vir minus, ad omnia natus quaecumque auderet » (Un homme étonnant, ouvert à tout, qui osa tout).
F.R.


SANTALLIER, Louis, Benoit, Félix
(Lyon, 1830-Sotteville-lès-Rouen, 1885) Félix Santallier est l'archétype du maçon « fondateur » de la Troisième République. Santaliler s'installe au Havre en 1853 et il est critique artistique en 1854 au Journal du Havre. Au début des annëes 1860, il est associé à la rédaction du quotidien et côtoie Gustave Cazavan, maçon et chef de file incontesté du courant républicain havrais. Initié à L'Aménité (Grand Orient de France*) le 1er octobre 1860, il est Rose-Croix* en 1866. Il exerce les fonctions d'orateur, de second et de premier surveillant, de façon quasi continue de 1862 à 1874 puis de 1877 à 1879

La crise constitutionnelle de 1861 l'amène à contester la direction autocratique du Grand Maître Murat*, et il soutient deux frères suspendus par les décrets des 14 et 25 mai. L'année suivante il figure parmi ceux qui protestent contre la nomination par Napoléon III de Magnan à la Grande Maîtrise.

Il refuse la transformation du Grand Orient en société de secours mutuels et se prononce en faveur de la nouvelle rédaction de l'article I er de la Constitution qui consacre le respect absolu de la liberté de conscience. Acquis au principe de l'égalité entre les frères, il prend position au Convent* de 1871 contre le maintien des hauts grades. Déiste, il semble en revanche opposé à la réforme constitutionnelle de 1877. Persuadé qu'un franc-maçon doit œuvrer au progrès de l'humanité par l'action effective, il lance les frères havrais dans le combat contre l'ignorance et la guerre. Propagandiste de l'instruction gratuite, obligatoire et laïque, il appuie toutes les œuvres fondées par les maçons sous l'Empire* et au début de la Troisième République. Républicain laïque, Santallier se distingue surtout par la mise en place d'une fondation exemplaire en 1867,l'union de la Paix entre les peuples civilisés. Son action vise à résoudre les conflits entre nations par l'arbitrage d'un tribunal international. En septembre 1868, il fait réunir un congrès maçonnique au Havre qui réfléchit aux moyens de préserver la paix dans le monde.

Également porte-parole du radicalisme* dans les dernières années du Second Empire, en 1868, il fonde le journal Le Havre avec le concours financier de Jules Le Cesne, futur député. Polémiste redoutable devenu en quelques mois une des grandes figures de la presse républicaine, il assura le succès de ce dernier aux législatives de 1869, puis sa réélection en 1876 et 1877. Soutenu par Gambetta*, qu'il fait venir au Havre en 1872, il exerce une influence déterminante sur les comités électoraux. Son journal, surnommé « le grand électeur », assure le succès des candidats qu'il patronne.

Le conflit de 1870 est pour Santallier un véritable déchirement. Abandonnant provisoirement ses conceptions pacifistes, il participe à l'organisation de la défense du Havre et contribue en 1871, comme vénérable* de L'Aménité, à la radicalisation patriotique de la maçonnerie locale, s'associant à la xénophobie antiprussienne qui touche son atelier. Après la défaite, il a mené campagne en faveur de l'unification des courants républicains autour d'un grand parti de gouvernement et œuvre à la rédaction du manifeste de la maçonnerie havraise qui appelle communards et versaillais à cesser «l'effusion du sang français » au nom des intérêts supérieurs de la nation.

C'est dans le but de régénérer celle-ci que, de 1871 à 1884, il apporte son concours à toutes les initiatives en faveur de l'instruction, mais aussi aux sociétés récréatives qui militent en faveur d'une amélioration physique. Il soutient aussi le cercle local de la Ligue des Patriotes. Adepte de la pensée libre, positiviste, il lutte contre le cléricalisme. Réélu vénérable de L'Aménité en 1875 et 1876, il développe l'Œuvre des livrets maçonniques et tente de regrouper l'ensemble des loges normandes du Grand Orient et du Suprême Conseil. Devenu directeur-gérant d'un petit empire de presse, la fondation du Petit Havre donne à la maçonnerie havraise un instrument à la propagation de ses idées et une tribune pour promouvoir ses actions en faveur de la neutralité confessionnelle de l'instruction et de la laïcisation de la société. À l'instar des maçons de sa génération, Santallier se montre favorable au développement de l'instruction et de l'épargne pour répondre à la question sociale. S'il fonde la réussite individuelle sur l'esprit d'initiative et le travail, il se montre aussi attaché à une forme humanisée du libéralisme, défendant un « socialisme pratique » fondé sur une redistribution équitable des richesses et sur la protection légale des travailleurs. Les obsèques de ce grand maçon, libre croyant et penseur libre, sont célébrées par un pasteur très libéral, Fontanès.
O. P.


SANTÉ
S-012.JPG (366K) C'est au cours des banquets* maçonniques que sont portées les santés. Au Rite Émulation*, on porte d'abord des toasts au président de la République, aux souverains et chefs d'État au Grand Maître. Viennent ensuite les toasts " traditionnels » à la Grande Loge, au Grand Maître Provincial, à l'initié du jour, aux loges* sœurs et aux visiteurs, et au Tuileur* qui est porté « à tous les maçons pauvres et dans la détresse ». A 10 heures du soir est porté le toast « aux frères absents».

Dans la maçonnerie française, on porte sept «santés». Les deux premières sont portées au président de la République et au Grand Maître National et Provincial, la troisième au vénérable* qui dirige les travaux de la loge, la quatrième aux surveillants, la cinquième aux visiteurs, la sixième aux officiers et membres de la loge et enfin la septième et dernière est portée « à tous les maçons répandus sur la surface de la terre».

Toutes ces santés sont portées avec une gestuelle particulière pour la manière de prendre le verre, de boire et de le reposer. Lors des fêtes~ de la Saint-Jean d'hiver ou de la Saint-Jean d'été, on porte les santés avec une gestuelle plus complexe. Dans la maçonnerie française, largement propagée par les loges militaires (armée*). de nombreux noms utilisés lors des santés sont empruntés au vocabulaire des armées: le vin est la poudre forte, les boute les les barriques, l'eau la poudre faible leS serviettes les drapeaux... et les liqueurs la poudre fulminante.
J.-Fr. B.


SAUTOIR
S-013.JPG (34K) 11 fallut attendre une résolution de la première Grande Loge de Londres, en date du 24 juin 1727, pour imposer au maître* et aux surveillants de porter « les bijoux de la maçonnerie suspendus à un ruban blanc». Ce ruban n'était, à l'origine, guère plus large qu'une corde à noeuds, ainsi qu'en témoigne le cordon arboré par le vénérable* maître figurant au centre du célèbre tableau de Hogarth*, The Four Times of Day: Night (1736). Son évolution, progressive, vers la forme actuelle du sautoir est attestée, dès 1742 dans la divulgation de l'abbé Pérau Le Secret des francs-maçons, qui décrit, en ces termes, les insignes caractéristiques des officiers de loge* ,«Les jours d'initiation* le Vénérable, les deux surveillants, le secrétaire et le trésorier portent un cordon bleu taille en triangle autour de leurs cous. Á l'extrémité du sautoir du maître sont suspendus une équerre* et un compas* [..... ] les surveillants et les autres officiers portent seulement le compas »

Á partir de 1815, la Grande Loge Unie d'Angleterre* s'est appliquée à définir la forme, la couleur* ainsi que les conditions du port des différents sautoirs. De couleur bleu ciel et d'une largeur n'excédant pas quatre pouces, ils sont arborés par les officiers et les Passés Maîtres lors des tenues* ordinaires et par le vénérable maître et ses deux surveillants en Grande Loge ou au cours des assemblées provinciales. En raison de la spécificité de leurs fonctions, Grands Stewards et Grands Officiers arborent les couleurs pourpre et bleu nuit. Le 23 juin 1917, lors du bicentenaire de la fondation de la franc-maçonnerie* spéculative*, les membres des trois plus anciennes loges (Lodge of Antiquity n° 2, Royal Somerset and Inverness n° 4 et Lodge of Fortitude and Old Cumberland n° 12) reçurent du Grand Maître, le duc de Connaught, le privilège d'orner leurs sautoirs d'une bande bleu nuit.

Enfin, le révérend J. S. Ward s'est attaché dans son ouvrage An Interpretation of Our Masonic Symbols à la dimension symbolique du sautoir. « Le sautoir est un joug ou un collier semblable à celui porté par les chevaux et implique la notion de service. "Prenez sur vous mon joug", pourrait déclarer tout vénérable en investissant chacun de ses officiers. Il nous enseigne essentiellement la dignité du service et il n'existe pas de plus grand honneur que d'etre autorisé à servir nos semblables. [...] On trouve de nombreuses références à l'attribution d'un "sautoir d'honneur" dans la Bible*, mais aussi dans des récits Babyloniens et orientaux, et dans pratiquement tous les cas, ces "sautoirs" étaient conférés pour distinguer un service rendu. Aussi, nous voyons que le sautoir, historiquement comme symboliquement, dénote la récompense d'un service. »
Fr. D.




SAVALETTE DE LANGES, Charles Pierre Paul
(Tours, 1746-Paris, 1797) Fils de Charles Pierre Savalette de Magnanville (1713-1790), intendant de la généralité de Tours, puis directeur de la Caisse d'escompte et garde général du Trésor royal de 1756 à 1789, et de Marie Émilie Jolie, fille d'un fermier général, Charles Pierre Paul Savalette de Langes illustre le rôle que les financiers* d'Etat jouent au XVIIIe siècle dans le champ de la sociabilité maçonnique. Ces hommes de réseaux investissent très tôt les loges* et s'y épanouissent, à l'image du banquier Baur, Substitut du comte de Clermont, Grand Maître de la Grande Loge*. Savalette de Langes, conseiller au Parlement de Paris depuis 1746, est initié le 15 mai 1766 à L'Union Indivisible (Lille), par Mariage, commis au Trésor royal. En 1771, la réforme du chancelier Maupeou et la suppression des parlements le conduisent après un voyage en Angleterre et aux Provinces-Unies* dans un bourg de la Thiérache champenoise, Rumigny, où il fonde Les Amis Réunis*, installée le 30 mai 1771. Savalette en devient rapidement le vénérable* il y réunit notables locaux et magistrats exilés. Très active, la loge se met en sommeil après le départ de Savalette de Langes. En 1773,l'ancien conseiller au Parlement de Paris, qui s'est séparé de son office pour acquérir la charge de garde du Trésor royal adjoint, a l'occasion de ranimer Les Amis Reunis. Il obtient le transfert de la loge de Rumigny à Paris. Savalette de Langes s'engage très tôt aux cotés du duc de Chartres, futur duc d'Orléans*, et en faveur de la création du Grand Orient*, dont il devient un Grand Officier, tandis que sous son impulsion, Les Amis Réunis deviennent rapidement l'une des loges les plus actives de la capitale. Après des débuts difficiles, la loge de Savalette devient une loge mondaine dont les fastes rivalisent avec ceux des loges aristocratiques et cosmopolites. Lors de son voyage de Weimar à Paris en 1787, Bode* souligne la magnificence des représentants de la haute finance qui fréquentent Les Amis Réunis.

L'atelier de Savalette de Langes compte en 1791 lors de l'interruption de ses travaux plus de 300 membres. Si le succès de l'atelier est donc tout à fait exceptionnel, I'œuvre de Savalette de Langes ne s'arrête pas là.

En effet, il souche sur la 12e classe des Amis Réunis une véritable académie* de recherches maçonniques, de rang européen le régime des Philalèthes* qui se consacrent à l'étude de la « science maçonnique ». Le projet répond alors parfaitement aux attentes qui s'expriment à la tombée des Lumières*, alors que l'irrationnel le dispute au rationnel et que Paris magnétisé fiévreusement autour du baquet de Mesmer. Savalette de Langes se consacre activement au développement d'un réseau d'experts des différents régimes maçonniques attestés en Europe. Il monte un remarquable réseau de correspondances, régulièrement mis à jour et sollicité par l'intermédiaire de Proponenda, véritables appels à communications. Savalette de Langes reçoit également de très nombreux visiteurS étrangers, auxquels il propose de devenir associé libre et d'envoyer des mémoires qui enrichissent le fonds de la bibliothèque des Amis Réunis. Savalette a également recours à des émissaires chargés d'approcher les plus importantes personnalités de la maçonnerie* européenne. Il remet ainsi au marquis de Chefdebien un carnet dont les fiches manifestent que Savalette de Langes est fin psychologue. Le prosélytisme de Savalette de Langes est à l'origine de sa rupture avec Willermoz* qui cherche souvent à gagner les mêmes individus à son propre projet de réforme maçonnique. Savalette de Langes a d'ailleurs parfaitement pris conscience, à l'instar du Lyonnais, du glissement du centre de gravité de la franc-maçonne rie* européenne vers l'Est. Il confie au baron Charles-Henri de Gleichen, membre des Amis Réunis, ancien ambassadeur du Danemark en France le secrétariat de langue allemande des Philalèthes, et envisage un temps de tenir le second Convent* des Philalèthes, véritable colloque international, à Kehl.

Savalette de Langes et plusieurs de ses proches (le conseiller au Parlement Lemoyne d'Aubermesnil, Roëttiers de Montaleau*, Jean-Baptiste Lesage et Taille pied de Bondy) sont approchés puis recrutés par Bode pour former le noyau des Illuminaten* à Paris à la fin de l'Ancien Régime: la loge des Philadelphes. Bode affirme avoir « essayé de leur communiquer [sa] conviction sur l'origine et le but final de la franc-maçonnerie et de les guérir de leur manie des sciences secrètes et extraordinaires ». Il parait satisfait de ses entretiens avec Savalette de Langes et les Philadelphes: « J'ai le plaisir de voir que Je n'ai pas travaillé en vain. [...] De leur superstition sur les sciences occultes et le baptême, ces trois frères sont nettement revenus et ils sont tous préparéS à accepter des idées de la nouvelle raison saine. » Le parcours de Savalette de Langes illustre ainsi la richesse de l'histoire maçonnique du second XVIIIe siècle et invite à repenser l'opposition artificielle entre rationnel et irrationnel, entre loges mondaines et cercles maçonniques inspirés pour restituer la complexité des mouvements qui traversent la sphère maçonnique.
P.-Y. B.


SAVOIRE, Camille
S-014.JPG (96K) (1869-1951) Principal acteur de la complète réintroduction du Rite Écossais Rectifié* en France au XXe siècle, Camille Savoire est le fondateur et le premier Grand Prieur du Grand Prieure des Gaules en 1935.

Camille Savoire était issu d'une famille paysans. Il termine à 16 ans comme boursier l'école primaire d'Onzain entre au lycée d'Orléans et réussit en deux ans à accomplir le cycle de cinq années qui mène au baccalauréat, auquel il est admis avec la mention « très bien ». Après avoir accompli son service militaire et terminé ses études de médecine, il devient interne à l'Hôtel-Dieu en juillet 1892. Il se consacre dès lors à la lutte contre la tuberculose et participe à partir de 1896 à des congrès médicaux dans la plupart des pays d'Europe. Son activité professionnelle lui vaudra d'etre promu commandeur de la Légion d'honneur en 1933. Elle aura une influence indirecte sur sa vie maçonnique.

Initié le 14 octobre 1892 à La Réforme, loge* relevant de la Grande Loge Symbolique Écossaise*, il rejoint le Grand Orient de France* un an plus tard. Au cours de ses voyages professionnels il constate que sa qualité de membre du Grand Orient lui rend fréquemment difficile et meme impossible la fréquentation de certains milieux maçonniques. Par l'intermédiaire ,d'Edouard de Ribaucourt* il s'adresse à Edouard Quartier-la-Tente fondateur du Bureau International de Relations Maçonniques (1903) et ancien Grand Maître de la Grande Loge suisse Alpina* (1900-1905), qui le recommande au Grand Prieur d'Helvétie Charles Montchal. En effet, les trois organes directeurs de la franc-maçonnerie* suisse (Grande Loge Suisse Alpina, Suprême Conseil et Grand Prieuré) ont d'excellentes relations internationales. Comme les traités conclus entre les Directoires Écossais et le Grand Orient de France, traités dont le Grand Prieuré d'Helvêtie a reçu les pouvoirs en 1828, sont toujours en vigueur, Savoire, Edouard de Ribaucourt* et Gustave Bastard sont armés Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte le 11 juin 1910 à Genève et, en vertu du traité qui lie le Grand Prieuré d'Helvétie au Suprême Conseil de Suisse, Savoire reçoit le 33º par équivalence. Le meme jour le Grand Prieuré d'Helvétie décerne à ces frères une patente les autorisant à fonder à Paris une Commanderie relevant de la Préfecture de Genève et prévoyant que cette Commanderie aura la possibilité de créer, réveiller ou rectifier des loges des quatre grades symboliques. Ils réveillent Le Centre des Amis le 20 juin ainsi qu'une loge de Maître Écossais (IVe) et en avertissent le Conseil de l'Ordre* du Grand Orient. Celui-ci décide d'accorder luimême des patentes à ces deux ateliers qu'il installera après avoir conclu un nouveau traité avec le Grand Prieuré d'Helvétie au mois d'avril 1911.

Les difficultés qui surgissent au cours des deux années suivantes amènent Le Centre des Amis à quitter le Grand Orient de France et à se constituer le 5 novembre 1913 en Grande Loge Nationale Indépendante et Régulière pour la France et les Colonies* Françaises dont Ribaucourt est le premier Grand Maître. Ce départ et cette création sont désapprouvés par Savoire qui n'a pas pris part à l'entreprise. Le 29 novembre 1913, le Grand Prieure d'Helvétie déclare caduc le traité d'avril 1911 et reconnaît la nouvelle Grande Loge le 22 décembre. Mais, en février 1916 sans que le traité de 1911 soit remis en vigueur, il se rapproche du Grand Orient et le Président du Conseil de l'Ordre est nommé garant d'amitié du Directoire Helvétique.

Coopté au Grand Collège des Rites en 1913 dont il devient Grand Commandeur le 15 septembre 1923, Savoire y accomplit une œuvre remarquable. En avril 1924 il se rend à Genève où le Grand Prieuré d'Helvétie organise une tenue* pour le recevoir. Le Grand Prieur Rochat ayant constaté que Charles Barrois, depuis 1919 successeur de Ribaucourt à la tête de la Grande Loge Nationale Indépendante et Régulière, est Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte, vient à Paris lui demander d'engager des pourparlers avec le Grand Orient afin d'établir des relations d'amitié entre les deux obédiences*. Barrois indique qu'il n'en a pas la possibilité ce qui amène le Grand Directoire à déclarer irrégulière la Grande Loge Nationale Indépendante et Régulière en tant que puissance rectifiée et à remettre en vigueur le traité conclu en 1911 avec le Grand Orient.

Le Grand Collège des Rites crée ou réveille des ateliers rectifiés à Bordeaux*, Marseille, Montpellier, Le Touquet et Rouen et travaille en plein accord avec le Président du Conseil de l'Ordre Arthur Groussier*, lequel en juillet 1934 élabore un traité approuvé par le Conseil de l'Ordre, prévoyant la création d'un Grand Directoire des Rites autonome ayant sous sa juridiction les ateliers de hauts grades * du Grand Orient. Savoire conçoit alors un projet d'union des diverses puissances de hauts grades sur le plan national, comprenant trois sections: l'une allant jusqu'au 309 du Rite Écossais Ancien et Accepté* dont les rituels conserveraient le caractère agnostique, conforme à la doctrine du Grand Orient; un Suprême Conseil de France unifié où se fondraient les ateliers du Rite Écossais Ancien et Accepté de l'actuel Suprême Conseil de France et ceux du Grand Collège des Rites acceptant de travailler avec les rituels en usage au sein des Suprêmes Conseils écossais; un Grand Prieuré comprenant les ateliers du Rite Écossais Rectifié supérieurs au 3º.

Le projet de traité élaboré par Groussier est rejeté par le Convent* du Grand Orient au mois de septembre 1934 et les plans de Savoire lui valent de violentes attaques personnelles. Le 20 mars 1935. Savoire propose par écrit au nouveau Président du Conseil de l'Ordre, Adrien Pouriau, le choix entre trois possibilités: exercice du Rite Écossais Rectifié au sein du Grand Orient avec une indépendance rituelle absolue, indépendance totale avec signature d'un concordat autorisant les visites réciproques et établissement d'une équivalence des grades avec la possibilité d'appartenir simultanément aux deux obédiences, séparation absolu« sous le régime de l'ignorance réciproque n'excluant pas l'existence de relationS officieuses sinon amicales. Saisi de cet e lettre le 14 avril, le Conseil de l'ordre n'examine pas les propositions de Savoire et décide de passer à l'ordre du jour.

Entre-temps. le Grand Prieuré des Gaulez avec Savoire comme Grand Prieur a été installé à Neuilly le 23 mars par une délégation du Grand Prieuré d'Helvétie. Le 31 mars, Savoire préside la réunion du Grand Chapitre* du Grand Collège des Rites auquel il expose l'ensemble de cette situation. Après réception de la lettre l'informant de la réaction du Conseil de l'ordre, il adresse sa démission de membre du Grand Orient de France et de Grand Commandeur le 18 avril aux instances compétentes, mais préside encore le 14 mai une séance du Grand Collège des Rites auquel il fait part des motifs de ses décisions. Le 24 octobre 1935, le Grand Prieuré des Gaules fonde la Grande Loge Rectifiée dont le premier Grand Maître sera le Préfet* de Neustrie, René Wibaux. Cette Grande Loge fusionnera avec la Grande Loge Nationale Française* en octobre 1958.

L'action de Camille Savoire a été souvent mal comprise. La chronologie est presque toujours rapportée de manière inexacte. Pour la reconstituer, il convient de consulter un petit livre de 126 pages publié en 1938 par Louis Charrière et les anciens cahiers du Bulletin des ateliers supérieurs du Grand Collège des Rites.

Savoire se décrivait lui-meme comme un libre penseur agnostique: « J'avoue que le libre penseur que j'ai toujours été n'a manifesté en entrant au Rite Rectifié aucune hésitation, ni éprouvé aucun scrupule lorsqu'on lui a demandé de déclarer qu'il professait l'esprit du christianisme surtout lorsque le Grand Prieur [d'Helvétie, en juin 1910] a ajouté: "Il s'agit ici de l'esprit du christianisme primitif résumé dans la maxime: Aime ton prochain comme toi-même." »
A. B.


SCANDINAVIE
Terre de contact la Scandinavie est à la croisée d'influences maçonniques multiples et concurrentes ont l importance se construit au XVIIIe siècle. Elles sont principalement françaises anglaises, germaniques et russes. La richesse de la vie maçonnique scandinave remarquable Les propos du protestant, franc-maçon et journaliste La Beau-melle, visitant les loges danoises alors qu'il était précepteur du fils du puissant comte Gram à Copenhague, en témoignent des 1748 « Combien le Nord ne fait il pas honte aux provinces méridionales par son zèle pour l'Art royal * et son attention à le faire fleurir. Heureux les peuples qui habitent de telles contrées les avantages dont ils jouissent les dédommagent bien de l'âpreté du climat ! » À la fin de l'Ancien Régime,le rayonnement est certain: en 1783, la nouvelle loge* d'Arras choisit pour titre distinctif Sophie-Magdeleine-Reine-de-Suède et proclame: « C'est du Nord aujourd'hui que nous vient la lumière ! » La chaleur de ces relations s'explique par la liaison précoce, chaleureuse et féconde, qui s'établit entre les francsmaçons français et scandinaves dès les années 1730. Les principaux intermédiaires culturels et artistiques scandinaves ont été simultanément les médiateurs maçonniques.

Le cas du baron puis comte Carl Fredrik Scheffer, introducteur de la pensée physiocratique en Suède, familier du salon de Mme du Deffand à Paris, et en retour diffuseur des découvertes scientifiques et techniques suédoises en France est exemplaire. Initié le 14 mai 1737, dans la loge parisienne Coustos-Villeroy*, élevé au grade de maître* le 21 mai (à l'âge de 22 ans), son départ de Paris voit le Grand Maître de la Grande Loge*, le comte de Darwentwater, lui octroyer la célèbre patente l'autorisant à constituer des loges régulières en Suède. Ambassadeur du roi de Suède en France de 1744 à 1752, Scheffer fut toute sa vie une cheville ouvrière de l'amitié franco-suédoise. De retour en Suède, il entreprend de réorganiser la franc-maçonnerie* suédoise. Il devient Grand Maître Provincial en 1753, en prenant la tête de la mère loge* Saint Jean Auxiliaire, puis en 1760 de la Grande Loge Provinciale à peine sortie des limbes. Il est assisté du comte Knut Posse, Grand Surveillant, et du conseiller de chancellerie Carl Fredrick von Eckleff* Grand Maître Adjoint, qui a fondé quatre ans plus tôt la première loge écossaise, L'innocence. Ces trois hommes offrent un singulier raccourci de l'histoire de la franc-maçonnerie suédoise et des liens qu'elle noua avec les francs-maçons français.

En effet, le comte Posse représente l'initiative individuelle de ces aristocrates suédois qui, initiés en France et munis de patentes françaises, fondent de retour au pays leur propre loge. Scheffer, ambassadeur, précepteur de Gustave III, sénateur et pilier du parti des « Chapeaux*» symbolise quant à lui les liens précoces qui unissent la franc-maçonnerie suédoise à la monarchie et à ses principaux serviteurs. Enfin, Eckleff, après avoir recueilli des rituels en provenance de France et de toute l'Europe, les avoir adaptés aux réalités et attentes suédoises, fonde le fameux Rite Suédois*, par lequel la francmaçonnerie suédoise affirme sa capacité à « digérer " les emprunts étrangers, à se les approprier, et manifeste son propre désir d'expansion en direction de la rive Sud de la Baltique et de la Russie*. Le travail d'acculturation auquel procède Eckleff illustre que l'histoire culturelle maçonnique est en phase avec celle des - Lumières en version nordique " où, selon Jean-François Battail", les influences sont filtrées, adaptées au milieu dans le quel elles agissent ".
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L'influence française sur la franc-maçonnerie suédoise est loin de se résumer à l'octroi de la patente de 1737 au baron Scheffer. Nettement antérieure, elle est véhiculée par plusieurs canaux. En effet, la Fraternité suédoise recrute au sein de familles francophiles apparentées les unes aux autres comme les Tessin et les Sparre. Les représentants du parti des « Chapeaux » y sont nombreux, les travaux s'effectuent en français, gage d'un recrutement socialement limité et culturellement élevé. Le patronage royal, dont bénéficie l'Ordre* à partir du règne d'Adolph Friedrich (1753-1771), qui tint lui-même le maillet à plusieurs reprises, en 1754, dans son château de Karlsberg, explique pour une bonne part son succès. Il débouche sur la fondation d'une loge royale, Konigsloge ou Konigliche Hofloge, dont les membres participent à un coup d'Etat en 1756 visant à renforcer l'autorité du roi. Ces partisans de l'absolutisme ont en commun d'avoir été initiés en France, ou d'avoir été affiliés à des loges françaises en France ou en Suède.

L'accès à la presse et aux livres français permet aux frères suédois de se tenir régulièrement informés de l'évolution de la franc maçonnerie en France, mais aussi aux Provinces-Unies* ou à Florence, grâce, notamment, à des textes de divulgation comme le célèbre Masonry Dissected de Prichard dont la traduction française paraît en Suède en 1738. L'Ordre mixte et paramaçonnique des Mopses -qui connaît un grand succès au sein de l'aristocratie européenne, tant en Angleterre qu'en Prusse ou en Pologne- est ainsi introduit en Suède dès 1747. Il compte notamment parmi ses membres le prince héritier Adolph Friedrich et la princesse Louise Ulrika. La Suède n'est donc pas une périphérie maçonnique qui reçoit tardivement des « nouveautés» périmées. Elle vibre très vite à l'unisson de Paris de Londres ou de La Haye. Mais c'est sans nul doute l'émergence et l'affirmation d'une franc-maçonnerie ouverte ment chrétienne en France, en rupture avec la franc-maçonnerie anglaise de 1717-1723 qui ancrent la franc-maçonnerie suédoise dans l'aire d'influence française. Les hauts grades* y suscitent en effet un intérêt jamais démenti.

Dans ces conditions, on comprend les inquiétudes anglaises devant l'expansion française en Suède, même si elle est médiatisée, au sens propre du terme, par les francs-maçons suédois Charles Tullman observateur avisé en bon secrétaire d'ambassade anglais, et dignitaire maçonnique jaloux de ses intérêts-il est devenu le 10 avril 1765 Grand Maître Provincial pour la Suède de la Grande Loge d'Angleterre-, décide «d'imposer aux loges du système français de travailler sous sa direction » . Avec le soutien de son supérieur sir John Goodricke, envoyé anglais en Suède et lui-même franc-maçon il fait du prosélytisme. À Copenhague, son précédent lieu d affectation, il avait également fondé plusieurs loges. Son dynamisme en avait fait aux yeux du Grand Maître anglais, lord Blaney l'homme de la situation, pour contrarier l'expansion française. Trois loges sont créées: Britannia et Phoenix à Stockholm, St-Georg à Goteborg. Luttes d influence diplomatique, rivalités maçonniques intérêts personnels contradictoires se croisent et se recoupent dans les affrontements et les grandes manœuvres qui marquent l'histoire des relations maçonniques internationales des années 1760. La Scandinavie, à l'instar des Pays-Bas autrichiens* du royaume de Naples et de la Pologne représente une zone de contact entre des aires d'influences française et anglaise encore mal fixées. Chaque puissance tente de renforcer ses positions son avantage, d'où d'inévitables incidents

À la fin de l'Ancien Régime, les ambassadeurs scandinaves en France continuent d'être d'actifs intermédiaires culturels et maçonniques, comme l'illustre le cas du baron de Staël-Holstein, époux de Germaine Necker. Son action s'inscrit dans un contexte maçonnique nouveau - les progrés de la réforme maçonnique entrepose par Willermoz* et ses Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte, qui ambitionnent de convertir à leurs vues chrétiennes et mystiques l'ensemble des provinces de la Stricte Observance*, dont le duc Carl de Sodermanland, frère de Gustave 111, souhaite également prendre le contrôle. L'abondante correspondance de Willermoz prouve que Staël-Holstein s'investit pleinement dans sa fonction de médiateur maçonnique, et dirige vers Lyon* nombre de Suédois. Staël-Holstein ira jusque dans le Comtat Venaissin pour rencontrer les illuminés d'Avignon* de l'abbé Pernéty, qui se disent inspirés par la théosophie de Swedenborg Cette curioSité maçonnique vaut à l'ambassadeur de Suède d'être convoqué par les Philaléthes à Paris en 1787.

L'activité des diplomates danois soutient la comparaison avec celle des Suédois Deux d'entre eux, Gleichen et Wächter ont été conviés aux travaux des Philalèthes~ L'affiliation aux loges françaises des envoyéS danois remonte aux débuts de la franc-maçonnerie en France, avec de Christian Sehested, ambassadeur en France de 1731, et se poursuit jusqu'à la fin de l'Ancien Régime avec Otto von Blome (1735-1803) qui exprime ses talents de concertiste amateur dans La Société Olympique* de Paris, où il représente le Danemark pendant plus de vingt ans, de 1770 à 1793. Parmi eux, le baron Charles-Henri de Gleichen (1733-1807) est sans conteste l'un des francs-maçons parisiens et européens les plus actifs durant et après son ambassade en France. Ami de Diderot et des philosophes protégé de Choiseul, familier du salon du baron d'Holbach, son séjour à Paris lui permet de s'épanouir. Mû par une curiosité insatiable, que ses Souvenirs analysent avec lucidité, il entreprend les expériences les plus diverses, de l'alchimie* au baquet de Mesmer*, de la franc-maçonnerie égyptienne de Cagliostro* à la Stricte Observance. Les francs-maçons danois sont également à l'origine de la création, à la fin de l'Ancien Régime de l'une des plus brillantes loges parisiennes: La Réunion des Étrangers officiellement fondée le 11 janvier 1784 par Ernst Frederik de Walterstorff, chambellan du roi de Danemark. Finalement munie de constitutions émanées du Grand Orient de France*, La Réunion des Étrangers connaît un succès immédiat, non seulement auprès des principaux membres de l'ambassade de Danemark, mais aussi auprès des jeunes aristocrates scandinaves qui effectuent leur Grand Tour* à travers l'Europe. La Réunion des Étrangers ménage à ses membres de nombreuses passerelles en direction des milieux maçonniques français et de la bonne société parisienne. Les artistes danois qui sollicitent en nombre leur affiliation à la loge l'ont bien compris.

L'étude de l'implication des Scandinaves dans la vie maçonnique française permet de contester la thèse d'une « Europe (maçonnique) française » (Louis Réau), où l'assimilation à un modèle français dominant, sur le plan de l'Art royal comme sur le plan culturel ou artistique l'emporte sur la notion d'acculturation A celle ci, il faut préférer celles d'appropriation culturelle ou de transfert. Si un certain modèle maçonnique français existe bel et bien au siècle des Lumières il se nourrit en permanence d'apports extérieurs, et luimême est à son tour emprunté, étudié digéré, interprété et, partant modifié L'idéal maçonnique bien compris encourage le métissage culturel. Pour ce qui les concerne, les francs-maçons scandinaves, loin d'être les vecteurs passifs d'une franc-maçonnerie française qui partirait à la conquête des profondeurs du continent européen, affichent en permanence leur volonté de s'approprier les apports maçonniques français, de les adapter au contexte culturel, politique et religieux des pays scandinaves. C'est au contact de l'autre, de la franc-maçonnerie française que les francs-maçons suédois prennent conscience de leur spécificité, et affirment progressivement leur identité et leur différence. En retour, ils ambitionnent de diffuser en France leurs régimes de hauts grades, leurs rituels et leur théosophie D'ailleurs sans renier l'idéal cosmopolite des pères fondateurs de 1717, la francmaçonnerie suédoise, suivant en cela la Grande Loge de France* et son successeur le Grand Orient de France milite trés tôt pour l'érection d'obédiences* nationales indépendantes de toute tutelle étrangère d'autant moins admissible lorsque des membres de la famille royale ont pris la tête de ces obédiences, ce qui est le. cas en Suède comme en France.

Le remplace ment progressif du français par le suédois dans les travaux maçonniques permet en outre d'élargir le recrutement des ateliers. Dans le domaine des hauts grades, l'amalgame a donné naissance au célèbre Rite Suédois* de Carl Fredrick von Eckleff, qui fait encore aujourd'hui l'originalité de la franc-maçonnerie scandinave, et qui bénéficie dès le XVIIIe siècle d'une large diffusion dans toute l'Europe germanophone. Les Suédois sont même intervenus directe ment pour étendre leur aire d'influence. Leurs ambitions maçonniques sont d'ailleurs indissociables de leurs prétentions politiques: non seulement, Carl de Sodermanland, Grand Maître de la Vlle province de la Stricte Observance, et rival du Supérieur Général de l'Ordre, Ferdinand de Brunswick*, recherche l'indépendance de la franc-maçonnerie suédoise, mais il tente aussi de contrôler étroitement la franc-maçonnerie des deux rives de la Baltique. On peut même, en référence au XVIIe siècle, risquer la comparaison avec le Dominium maris Balticis-l'hégémonie en Baltique, lac suédois-qu'ambitionnait Gustave-Adolphe. Le prosélytisme suédois s'affirme donc de plus en plus, gagne la France où le zèle des missionnaires maçonniques soulève quelques inquiétudes notamment chez Jean-Baptiste Willermoz. Les inter pénétrations sont manifestes, les influences complexes.
P.-Y. B.


SCEAUX
Sceaux, chartes, brefs, patentes et diplômes maçonniques et leur riche iconographie peuvent aujourd'hui paraître curieux voire anachroniques selon les usages du monde profane. Leur utilisation était pourtant généralisée dans les sociétés traditionnelles. Ces usages anciens ont en partie disparu dans la société moderne, mais ils ont pu subsister dans l'univers des loges. Cela est particulièrement vrai de l'héraldique et de la sigillographie, dont les loges ont fait de tout temps un usage abondant.

Peu connue, la tradition héraldique et sigillographique de la maçonnerie opérative est pourtant bien réelle. Ce sera naturellement l'une des sources de l'héraldique de la franc-maçonnerie spéculative. Quelques dizaines de sceaux de maçons médiévaux nous sont parvenus. Ils présentent en général des compositions utilisant les outils du métier: principalement le marteau taillant, I'équerre* et la truelle. Le compas*, étrangement absent, apparaît plutôt comme un attribut des charpentiers. Aux XVe et XVIe siècles, on rencontre aussi - notamment dans le domaine germanique-des blasons aux marques, c'est-à-dire présentant dans un écu une marque de tailleur de pierre ou de maçon. En 1472, le roi d'armes d'Angleterre accorde à la Compagnie des maçons de Londres un blason « de sable au chevron d'argent cantonné de trois tours de même et chargé d'un compas du premier». Ces armes seront utilisées par les maçons opératifs et les premiers francs-maçons acceptés* d'Angleterre. En France l'Armorial de 1696 propose de nombreux blasons de communautés de maçons. Les thèmes dominants sont toujours les outils comme à Rethel, Beaulieu Tours... ou les saints patrons comme les Quatre Couronnés à Dunkerque et à Montpellier ou le Christ en ascension (l'Ascension est souvent la fête des tailleurs de pierre) Dans la maçonnerie opérative avant le XVIIIe siècle, le thème iconographique de l'équerre et du compas entrelacés semble marginal. Il paraît absent en Angleterre et on ne le rencontre guère que dans le domaine germanique. En France. On en trouve cependant quelques attestations, tels le blason des compagnons tailleurs de pierre de Paris publié en 1663 ou celui des compagnons passant tailleurS de pierre d'Avignon.

Lorsqu'elle apparaît, la franc-maçonnerie spéculative britannique reprend les armes de la Compagnie des maçons de Londres qui deviennent le blason de la première Grande Loge. En novembre 1737, « Charles Radclyffe, comte de Darwentwater [...] Grand Maître de la très ancienne et très illustre société des francsmaçons dans le royaume de France», établit une patente en faveur du baron Scheffer. Ce premier document maçonnique français présente en en-tête un compas et une équerre entrelacés.

Les plus anciens diplômes, chartes ou patentes de la franc-maçonnerie française qui aient été conservés remontent aux années 1740. A cette époque, on ne trouve, en général, de motifs symboliques que sur les sceaux de cire qui valident le document. A étudier l'échantillon présenté par la série FMs du fonds maçonnique de la Bibliothèque nationale, on se rend compte que ces sceaux utilisent soit les armes du comte de Clermont, au nom duquel étaient délivrées les patentes, soit des motifs génériques d'emblématique maçonnique (colonnes, équerre, compas, parvis du temple, niveau...). L'utilisation récurrente du sceau du comte de Clermont invite peut-être à reconsidérer l'opinion généralement reçue selon laquelle après une ou deux années d'intérêt pour les loges, il n'aurait ensuite exercé qu'un parrainage lointain, puis se serait finalement complètement désintéressé des activités de l'Ordre*. L'utilisation de son sceau et de ses armes suppose un accord-fût-il a minima-de sa personne.

À partir des années 1760, les témoignages d'héraldique et de sigillographie maçonniques se multiplient. La première Grande Loge de France se dote d'un sceau. Quant aux sceaux des loges, ils sont extrêmement divers. Parfois ils ne présentent que le monogramme en anglaise du titre distinctif de la loge, par exemple AR pour Les Amis Réunis*. Mais, souvent, on découvre des compositions sophistiquées qui mettent en scène les attributs symboliques des plus hauts grades* pratiqués par l'atelier. Les hauts grades introduiront d'ailleurs d'autres thématiques iconographiques dans l'héraldique maçonnique. Ainsi, les chapitres, conseils, tribunaux et autres consistoires vont y importer les usages héraldiques des ordres de chevalerie. La Stricte Observance Templière* et, à sa suite, les Grands Prieurés du Régime Écossais Rectifié * sont organisés en langues ou provinces portant chacune des armoires. Lorsque les frères parviennent à certains grades du système, ils prennent armes, devises et cris. À l'origine, il semble bien que les Chevaliers Kadosh* et les princes du Royal Secret aient aussi adopté blasons et devises. Cette belle héraldique maçonnique porte témoignage de l'idéal chevaleresque qui animait les frères. Bien que de façon plus marginale, l'emblématique maçonnique a aussi emprunté des thèmes iconographiques à l'hermétisme*.

L'exemple le plus,frappant est peut-être le blason du Rite Écossais Philosophique (c'est la pierre philosopha le et non Platon qui est invoqué ici) sous le Premier Empire. Il présente les sept planètes mises en correspondance avec les sept métaux, les outils... du laboratoire et la Toison d'Or !

Avant la Révolution française*, c'est très naturellement que le Grand Orient de France* compte parmi ses Grands Officiers un Grand Roi d'Armes, le duc de la Trémoille, et un Grand Garde des Sceaux, le vicomte de Rouault. Fixé dès 1773, le sceau du Grand Orient demeure remarquablement stable jusqu'à aujourd'hui. A l'exception cependant de l'écu brochant aux armes de France qui présentera successivement les fleurs de Lys, monogramme RF-sous la première République-et aigle impériale.. Par la suite, on y mettra un globe terrestre-symbole de l'universalisme maçonnique et surtout moins sensible aux aléas de la conjoncture politique !

Blasons et sceaux maçonniques sont dans la continuité de l'héraldique et de la sigillographie de leur époque. Au XVIIIe siècle, la forme arrondie des écus rend la frontière entre blasons et sceaux peu nette. Sous Napoléon, l'emblématique maçonnique a la singularité de l'héraldique Empire.

C'est sous l'Empire que les loges inaugurent l'usage d'un autre support de l'héraldique maçonnique: les jetons de présence. Souvent en argent et réalisées par des frères graveurs* célèbres comme Coquardon, ces superbes médailles affichent les armoiries de l'atelier et parfois celles du système maçonnique auquel celui-ci se rattache.

L'usage des sceaux s'est maintenu en dépit des évolutions de la maçonnerie française. En revanche, le blason étant assimilé-bien à tort-à la noblesse et à la royauté, les formes héraldiques s'estompèrent pendant la période 1880-1911 où la maçonnerie constitua le fer de lance du parti républicain. Les loges de cette époque adoptèrent des sceaux à l'iconographie très simple-pour ne pas dire pauvre (équerre, compas, étoile, soleil*), même si certains peuvent voir dans cette simplicité un retour aux sources! Les ateliers de hauts grades maintiennent une tradition sigillographique plus élaborée. Sortie de l'écu, l'emblématique maçonnique garde néanmoins toujours l'empreinte de ses origines héraldiques.

Quand. dans l'entredeux-guerres, l'intérét pour le patrimoine symbolique de la maçonnerie renaît, blasons et sceaux fleurissent à nouveau. Ainsi en 1924 la nouvelle décoration du temple du Grand Collège des Rites, rue Cadet, affiche une magnifique galerie d'héraldique maçonnique qui arbore les blasons des grades et rites dont il a la charge. En 1927, André Lebey. important dignitaire du Grand Orient de France, fait paraître Le Blason maçonnique recueil de poésies illustré d'armoiries maçonniques «art déco». Le réveil puis le développement du Régime Écossais Rectifié contribue à revivifier l'art du blason maçonnique. Aujourd'hui comme il y a deux siècles et demi, l'une des premières formalités à laquelle doit se soumettre une nouvelle loge est le dépot de son sceau auprès de son obédience. En outre, sous le titre distinctif d'Heraldica, il existe à Pans une loge de recherche consacrée exclusivement à l'étude de l'héraldique et de la sigillographie maçonniques.
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SCHAFFGOTSCH
(Graf von), Deux frères de sang portèrent ce titre et ce nom. Leopold (Waronbrunn, 1714-? ) major du régiment de dragons Alt-Mollendorf au service de la Prusse, il est reçu maçon à la loge Aux Trois Squelettes à Breslau en 1742. En 1744, à Berlin, il décerne le ~,rade de Maître Écossais* au comte Carl Gustav Tessin, figure marquante de la vie politique et de la maçonnerie suédoise, qui devint le tuteur du futur Gustave 111. La Mère Loge* Aux Trois Globes lui remit, le 15 septembre 1746 une patente pour la loge Aux Trois Ancres à Königsberg, dont les travaux avaient commencé l"décembre 1745.

Philipp Gotthard (Waronbrunn, 1716 de Schloss Johannesberg, 1795): frère cadet de Leopold, il fait ses études chez les jésuites à Rome, est ordonné prêtre en 1738 et devient chanoine en 1742. Le 6 mars de d te année, il est reçu maçon à Breslau dans la loge Aux Trois Squelettes dont le procès-verbal indique que «toute la vénérable Société s'engagea sous foi de frère maçon de ne point découvrir la réception ». Il confie à deux membres de sa loge, Albert Joseph, comte Hoditz et Franz, comte de Grossa, le soin de fonder la loge Aux Trois Canons, ouverte le 17 septembre 1742 à Vienne (Autriche*). Ayant commis l'imprudence de reconnaître publiquement sa qualité de maçon lors d'une réunion canoniale à Olmütz où il avait sa résidence, les chanoines, en vertu de l'excommunication de 1738 refusent de participer à toute réunion religieuse tenue en sa présence et lui interdisent l'entrée de la cathédrale. Par l'entremise de I archevêque d'Olmütz, Schaffgotsch déclare sous serment, le 25 août 1742, se séparer de la maçonnerie, et Benoît XIV le dispensa des peines canoniques qu'il avait encourues. Schaffgotsch n'interrompt pas pour autant son activité maçonnique et fonde en 1744 une loge à Brockau près de Breslau où il est nommé archêve que en 1748.
A. B.


SCHRÖDER Friedrich Ludwig
S-017.JPG (87K) (Schwerin, 1744 Rellingen, Holstein, 1816) Acteur allemand célèbre pour ses compositions de Hamlet et du roi Lear, auteur d'une vingtaine de pièces de théâtre publiées en quatre volumes en 1831 adversaire résolu des hauts grades* en particulier de la Stricte Observance* et du système suédois introduit en Allemagne par Zinnendorf*, Schrôder, que Runkel considérait comme « un fils du siècle des Lumières », est le réformateur des rituels de la maçonnerie allemande et l'un des pères de l'école « authentique » des historiens de la maçonnerie. Il porte les prénoms de ses parrains, Friedrich et Ludwig von Mecklembourg-Schwerin. Sa mère l'actrice Charlotte Sophie Biereichel, avait épousé un organiste décédé en 1745 et se remaria avec Konrad Ernst Ackermann acteur célèbre et directeur d'une troupe de comédiens. Schröder débute sur les planches à trois ans en présence de l'impératrice Elisabeth de Russie, fréquente épisodiquement des écoles diverses de Varsovie à Soleure au hasard des tournées théâtrales, et gagne parfois sa vie au billard. A la mort de son beau-père, il lui succède à la tête d'un théâtre de 1400 places à Hambourg, qu'il dirige de 1771 à 1780. Il épouse l'actrice Anna Christiane Hardt en 1773, accepte un engagement en Autriche* au théâtre Impérial de Vienne où sa pièce, Die Freimaurer, est créée le 10 janvier 1784. Il reprend la direction du théâtre de Hambourg de 1784 à 1798 et va alors à Weimar faire la connaissance de Goethe, Schiller et Wielland.
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Refusé à l'unanimité le 30 mai 1769 par la loge Jonathan de Braunschweig en raison de sa profession d'acteur il est reçu grâce à l'amitié de Bode*, le 8 septembre 1774, à la loge Emanuel zur Maienblume, créée deux mois plus tôt à Hambourg par la loge Absalom en faveur de dissidents de la Stricte Observance. Le 23 octobre suivant, il fonde la loge Elisa zum warmen Herzen ou ne sont reçus que des comédiens. Déclarée irrégulière, cette loge disparaît trois ans plus tard. Schröder est élevé au grade de maître* le 6 juillet 1775 et devient Maître Écossais* le 8 mars 1776. À son retour de Vienne où il n'avait eu aucune activité maçonnique, la loge Emanuel le choisit pour vénérable le 28 juin 1787 et le réélit chaque année jusqu'en 1799. Lorsque Johann Philip Beckmann succède au Grand Maître Provincial von Extel le 8 mai de cette année, Schröder est élu Grand Maître Adjoint. Il conserve cette fonction quand la Grande Loge Provinciale proclame son indépendance le 4 février 1811 et devient la Grande Loge de Hambourg dont Beckmann est le premier Grand Maître. À la mort de Beckmann, Schröder est élu Grand Maître le 28 juin 1814.

Doué d'une culture remarquable pour un autodidacte, il se consacre alors à réunir une collection unique de documents et de rituels et, simultanément, crée u ne structure maçonnique sans précédent. Conçue en 1797 comme une loge d'instruction réservée aux maRres maçons auxquels Schröder voulait faire connaître les différents rites* aussi bien que les systèmes maçonniques inventés par des escrocs, et comme un cercle «au sein duquel s'exercerait la véritable fraternité, contrairement à ce qui se passe dans les loges » où seraient posées, oralement ou par écrit, les questions les plus diverses, cette loge ne se réunit que 18 fois, les maçons les plus âgés, rebutés par le mot «instruction» considérant l'idée de Schröder comme une atteinte à leurs privilèges, alors qu'elle enthousiasmait les plus jeunes frères. Cette première création ressuscite le 25 octobre 1802 sous le nom de Engbund, vocable inventé par Schröder, qui exprime la notion du lien étroit réunissant les membres d'un cercle intérieur. L'Engbund existera jusqu'en 1868.
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En 1817, Cornelius Ridel publie un index alphabétique de 232 pages qui constitue un répertoire pour les 182 cahiers manuscrits de l'Engbund, pour les œuvres historiques de Schroder et la vingtaine de cahiers de rituels impnmés sous sa direction à l'imprimerie secrète de Rudolfstadt qui appartenait à Wesselhoft. Elle était ainsi nommée parce que celui-ci, membre de la loge Amalia de Weimar, et ses employés s'étaient engagés par serment à conserver secret le travail qui leur était confié. L'économie des imprimés est énumérée et analysée dans la Maurerische Bücherkunde, publiée en 1886 par Reinhold Taute. En 1976, la Grande Loge du Danemark a réimprimé 300 exemplaires hors commerce des 26 cahiers de rituels et de brefs écrits historiques publies entre 1805 et 1816 par Schröder. Toutefois, les 1700 pages des Materialien et du livre que Schröder consacra à Zinnendorf n'ont été réimprimées qu'à 4 exemplaires vers 1990. Les ouvrages de Schröder reproduisent le texte de documents d'une valeur historique inestimable.

Les nouveaux rituels des trois grades symboliques que Schröder rédige après avoir consulté de très nombreux maçons sont acceptés à Hambourg le 29 juin 1801. Avec relativement peu de modifications. IlS sont aujourd'hui encore utilisés en Allemagne. Leur contenu repose sur une erreur historique remarquable. Schröder était convaincu que le texte de Three Distinct Knochs, paru à Londres en 1760, représentait le plus ancien état connu du rituel anglais et que Masonry Dissected, publié en 1730 par Prichard, en constituait une modification ultérieure, ce que démontre la correspondance de Schröder avec Friedrich Ludwig Wilhelm Meyer.
A.B


SCULPTEURS
Outre Bartholdi* nombre de sculpteurs ont fréquenté les loges* maçonniques. On peut retenir quelques noms.

Claude Michel dit Clodion (Nancy 1738 Paris, 1814), sculpteur du roi, prix de Rome en 1759, célèbre grâce à ses figurines en terre cuite, a appartenu avant la Révolution*, à La Céleste Amitié (1778 1780) et aux Amis Réunis* (1778 1784).

Pierre David d'Angers (Angers, 1788 Paris, 1856) est un sculpteur de renom particulièrement prolixe (il a réalisé 120 bustes, 54 bas-reliefs et environ 40 statues). Lauréat du prix de Rome et membre de l'Académie des beaux-arts, il est maire du XV' arrondissement de Paris en 1848 et député de gauche du Maine-et-Loire à l'Assemblée constituante. Opposé aux poursuites contre Louis Blanc et partisan de l'abolition de la peine de mort, il est arrêté le 2 décembre 1851 et doit quitter la France. Son entrée en maçonnerie dans l'atelier Le Père de Famille (Angers, 1811), est toutefois antérieure à son engagement dans la vie politique.

Honoré Guibert(Avignon,1720 Paris,1791) décorateur de l'opéra du château de Versailles et du Trianon, lié par le manège à une famille de peintres francs maçons célèbres les Vemet, figure de 1777 à 1790 sur les tableaux* de la meme loge que son neveu (Antoine Charles), Saint-Jean d'Écosse du Contrat Social et comme membre du Souverain Chapitre de la Respectable Mère Loge* Écossaise de 1777 à 1788.

Jean-Antoine Houdon (Versailles, 1741 Paris, 1828), élève de Pigalle, prix de Rome en 1761, membre de l'Académie des beaux arts et de l'institut statuaire célèbre (Voltaire assis, au Théâtre Français), a fréquenté les Neuf Sœurs* entre 1778 et 1784.

Augustin Pajou (Paris, 1730 1809), prix de Rome en 1748, professeur à l'Académie de peinture et de sculpture, considéré comme le meilleur décorateur de son temps et membre de l'Académie des beaux-arts, a apPartenu aux Cœurs Simples de l'Étoile Polaire (1775-1778), à la meme époque que Chalgrin et Wailly avec lequel il était très lié.
Chr. N.


SEA SERJEANTS
Ce cénacle tory, implanté dans les comtés de l'ouest du pays de Galles, revendiquait, selon son historiographe (Richard Fenton, 1811), une filiation historique avec les templiers qui, après la dissolution de leur Ordre, se fondirent dans les familles des seigneurs locaux. En fait, il apparut, au milieu des années 1720, pour accueillir les membres éminents d'une gentry restée fidèle aux Stuart et hostile au gouvernement hanovrien incarné par les whigs. Ses membres, admis au terme d'une « initiation* », se répartissaient en deux classes: les sea serjeants proprement dits (au nombre de 25) et les probationers (novices) astreints à un apprentissage d'une année avant de pouvoir poser leur candidature dès la première vacance. Le nombre total n'excéda jamais 35 frères. Tous arboraient suspendu à un ruban bleu, un bijou* distinctif consistant en un dauphin en argent inscrit à l'intérieur d'une cocarde elle-meme placée sur une étoile à huit branches.

La société se retrouvait une fois par an dans une ville côtière sous la houlette d'un collège de 7 officiers (un président élu à vie, un secrétaire, un trésorier, un examinateur un chapelain et deux stewards). Les réunions, consacrées à l'origine à renforcer la suprématie locale des tories par la mise en place de comités électoraux, évoluèrent, après 1750 sous l'influence de son dernier président, le député sir John Philipps, apparenté aux Walpole, vers des activités mondaines (banquet*, bal, élection d'une dame patronnesse). L'abandon au début du règne de George III, par les tories de leurs illusions jacobites* sonna le glas de la société dont certains responsables s'étaient imposés à la tête des loges* maçonniques. à l'image de sir Edward Mansell, premier Grand Maître Provincial du sud du pays de Galles de 1727 à 1754.
Fr. D


SEC, Joseph
(Cadenet, 1715-Aix-en-Provence, 1794) Né dans un bourg urbanisé de Haute-Provence Joseph Sec. dont l'ascension sociale exemplaire a été décrite par Michel Vovelle, est issu d'une famille de paysans modestes. Placé à 17 ans par son père en apprentissage pour devenir menuisier, Sec a su faire fructifier ses affaires dans le négoce du bois de charpente. Son entreprise a « monopolisé » le commerce des troncs d arbres flottant sur la Durance qui proviennent de la montagne alpine. De venu un propriétaire foncier aisé il est un notable bourgeois acquis à la Révolution* Le 27 novembre 1791, il est élu au conseil général de la commune d'Aix et flirte avec les idées jacobines. C est en 1792 que fut construite le mausolée « mystico politique » qui fit sa célébrité. La lecture complexe de ce monument curieux nous confronte en effet au problème du testament d'un initié qui a composé cet hymne à la gloire des nouvelles valeurs Le monument Sec est édifié à la manière d'un temple* à ciel ouvert et les représentations iconographiques sont sans équivoque: les 10 petits bas-reliefs sur les deux faces latérales retracent en effet la création du monde par le Grand Architecte*. puis celle de l'homme, la chute et le meurtre d'Abel et, dans un mouvement inverse, la découverte de Canaan et la montée au Ciel, un ultime médaillon évoquant Élie y accédant dans un soleil flamboyant L'accès de l'initié à la lumière supérieure montre donc une lecture maçonnique originale de l'aventure humaine.

Outre la matérialisation de l'influence de la maçonnerie sur les hommes des Lumières*, le cas Sec présente un intérêt parce que, paradoxalement, s'il est plus que probable que celui ci ait été initié il ne figure cependant sur aucun tableau* de loge*. Peut être a-t-il été affilié à une loge écossaise rattachée à la maçonnerie mystique comme les Elus coëns*. Cadre de la confrérie* des pénitents il s'est orienté à la veille de la Révolution vers la maçonnerie spéculative*. Le cheminement est fréquent dans cette province en voie de déchristianisation. Mais force est de constater que les loges élitaires n'ont pas accueilli cet ambitieux. Cas exemplaire de réussite sociale, le temple qu'il conStruit montre que Joseph Sec a préféré s'honorer lui-même pour prouver à la, postérité qu'il ne devait rien qu'à son travail, 11 témoigne d'une prise de conscience philosophique inspirée mais rare dans les milieux éclairés de la bourgeoisie aixoise.
M. l.


SECRET
S-019.JPG (301K) Dès sa naissance, la maçonnerie moderne est objet de fantasmes le principal étant le secret, qui a été l'un des arguments les plus utilisés pour justifier les premières condamnations de la toute jeune fraternité. Elle est cachée, occulte, et inquiétante: bref, c'est la « pieuvre » qui serait responsable d'une grande partie des maux du monde.

La réalité est plus prosaïque. Il est vrai que l'expression «société secrète», consacrée par l'usage, suscite bien des ambiguïtés; anthropologues, historiens et sociologues distinguent en effet les sociétés clandestines des sociétés à secrets.

Les premières sont secrètes par le fait qu'elles cachent, pour l'extérieur leurs moyens, leurs méthodes, leurs modes de fonctionnement et leurs membres. Elles ne sont en rien mystérieuses car en général, leurs buts sont connus, perçus ou plus ou moins devinés. Ces sociétés secrètes peuvent être divisées entre les sociétés politiques et les sociétés criminelles. Les associations clandestines politiques ont souvent une durée d'existence limitée et des buts bien définis. Lorsqu'ils sont atteints, la société n'a plus de raison de se cacher, puisqu'elle a pris ou renversé le pouvoir qu'elle combattait. Quelques sociétés ont des objectifs « méta politiques » tels les illuminaten*. On peut aussi classer dans cette catégorie des sociétés secrètes «justicières», comme la Sainte-Vehme, qui se substituent à la justice légale lorsque celle-ci est jugée défaillante. Les sociétés secrètes criminelles sont parfois en osmose plus ou moins grande avec les pouvoirs publics et sont structurées pour durer longtemps.

Ce premier ensemble ne doit pas être confondu avec les sociétés à secret ou sociétés de mystères, organisations initiatiques qui ne cherchent pas le plus souvent à se dissimuler, sauf si elles sont persécutées. On peut connaître leurs règles leurs modes de fonctionnement, leurs « doctrines», leurs dirigeants et souvent leurs membres. Néanmoins, leur « visibilité» va de la notoriété quasi publique à la totale discrétion.

Où situer la franc-maçonnerie* ? On peut répondre en reprenant la boutade de Jacques Bergier: « Comment voulez-vous avoir peur d'une société secrète qui a son nom dans l'annuaire ? » La franc-maçonnerie n'est pas une société secrète. La maçonnerie spéculative* peut néanmoins être qualifiée d'organisation discrète à «secret». Cette discrétion entraîne trois pratiques »secrètes ». La première est la non-communication des délibérations en loge* qui théoriquement s'étend aux absents et qui est la garantie d'une totale liberté d'expression interne. Elle peut s'apparenter au secret professionnel et cette discrétion n'est que temporaire puisque, après un certain nombre d'années (en France avant 1940), les livres d'architecture (procès verbaux) des loges et la correspondance interne des obédiences* sont largement ouvertes au public. La deuxième est la non-divulgation de l'appartenance d'une personne à la maçonnerie. Elle est une nécessité absolue et vitale dans les périodes d'antimaçonnisme* virulent. Néanmoins, un maître maçon peut, en conscience, se dévoiler à un (ou plusieurs) profane(s) s'il croit de son devoir de le faire. De plus les listes des dignitaires nationaux, parfois locaux (et dans le monde anglo-saxon, souvent celles des simples membres des loges), des principales obédiences sont le plus souvent publiques. La dernière concerne les usages symboliques et rituels, même si, depuis les premières divulgations du XVIIIe siècle, on peut trouver en librairie les textes de n'importe quel rituel maçonnique. La lecture de ces ouvrages n'est en rien un accès au « secret maçonnique» même si la plupart des maçons ne dévoilent pas les caractéristiques des grades* suivants aux membres titulaires de degrés inférieurs. Ces derniers découvrent les « secrets » du grade suivant lors de leur réception seulement. Albert Mackey affirme que le « secret » maçonnique est la condition sine qua non de l'existence de l'Art royal* et que la franc-maçonnerie «ne survivrait pas quelques années si elle venait à se transformer en société ouverte ».

Cette prudence nécessaire nourrit les pires fantasmes latomophobes, notamment dans les périodes où les «affaires» se multiplient. Il est donc souhaitable de trouver des modalités conciliant la discrétion maçonnique et la visibilité démocratique. La simple discrétion nécessaire au bon fonctionnement des associations maçonniques est d'ailleurs différente du «véritable secret » maçonnique incompréhensible et incommunicable puisqu'il est le long et lent processus de transformation intime, psychologique et morale du maçon durant toute sa « vie maçonnique ». Des courants vont cependant audelà de cette définition minimale pour certains maçons, le « secret initiatique » ne peut être éprouvé, réalisé et vécu que dans une révélation non humaine. D'autres le placent dans un mode d'accès à l'Absolu ou à la Tradition. D'aucuns y voient unie gnose maçonnique et bien d'autres choses encore. Quelle que soit la définition retenue on ne s'étonnera point de constater que certains adeptes reçus en maçonnerie peuvent ainsi passer à côté dudit secret. Casanova l'avait déjà fort bien dit: « Les hommes qui ne se font recevoir francs-maçons que dans l'intention de parvenir à connaître le secret de l'Ordre* courent grand risque de vieillir sous la truelle sans jamais atteindre leur but. Il y a cependant un secret mais il est tellement inviolable qu'il n'a jamais été dit ou confié à personne. Ceux qui s'arrêtent à la superficie des choses pensent que le secret consiste en mots signes et attouchements, ou qu'enfin le grand mot est au dernier degré. Celui qui devine le secret de la maçonnerie, car on ne le sait jamais qu'en le devinant ne parvient à cette connaissance qu'à force de fréquenter les loges, qu'à force de réfléchir, de raisonner, de comparer et de déduire... »

Peut-être faut-il rapprocher ces mots d'une intuition d'un autre maçon, J. W. Goethe: « Le secret sacré connu de tout le monde, c'est le monde ».
Y. H.M.


SEL
S-020.JPG (159K) Ce principe hermétique et alchimique prend place dans le cabinet de réflexion* où il symbolise sagesse et science. Le sel, jadis, était aussi associé, par son importance économique. au pouvoir et aux transactions. Offert avec le pain*, il constitue chez de nombreux peuples (Grecs, Hébreux Arabes, Slaves.,) une marque d'hospitalité tout comme il fut principe purificateur dans le déroulement des anciens mystères. N'oublions pas que le franc-maçon reçoit aussi un salaire* pour le travail qu'il effectue en loge* et que l'augmentation de salaire désigne alors le passage à un grade supérieur, précisions qui ne manquent pas de... sel lorsque l'on garde en mémoire l'étymologie de «salaire » (sal - le sel, d'où salarium). Dans la tradition alchimique, encore présente dans certaines obédiences*, le sel réalise l'union, la cristallisation entre mercure* et soufre* respectivement principes passif et actif, dont il opère la synthèse. Si l'on prolonge la symbolique alchimique, soufre et mercure transmutent le métal et ce processus de dissolution (solve) et de fixation (coagula) favorise le passage du néophyte à l'initié. Dans cette tradition, l'allégorie du mariage du roi et de la reine, où officie un prêtre, représentait naïvement (ou poétiquement) cette conjonction du mercure et du soufre, unis par le sel. Ce principe d'union réalisé dans l'athanor est aussi figuré par le cube que l'on retrouve dans la pierre cubique du travail maçonnique.
Vl. B.