Aperçu Historique

 

I. Les origines

MISRAÏM dans son histoire mythique fait d'ADAM le premier Maçon et identifient l'histoire de cette identification à celle de l'univers. Si les Francs-Maçons entendent légitimement préserver avec soin le caractère symbolique de rituels qui font un large appel à mythes et légendes, l'histoire même de l'institution doit être démythifiée avec quelque rigueur.
Il est indéniable que la Franc-Maçonnerie moderne se rattache aux corporations de maçons et tailleurs de pierre du moyen-âge, bâtisseurs des édifices religieux et civils de l'Occident. On sait en particulier des constructeurs des cathédrales gothiques qu'ils étaient groupés en loges. On les a appelé depuis "maçons opératifs". Ils se réclamaient de Saint Jean.
La Franc-Maçonnerie moderne ou "spéculative" émergea vers la fin du XVIIe siècle et s'établit au grand jour dans le premier quart du XVIIIe.

L'expression "free mason", traduite par "maçon libre" ou "franc-maçon" , apparaît dès 1376.
Sur le chantier, les maçons se réunissaient dans la Loge, à la fois atelier et lieu de séjour, dont la première mention connue remonte à 1277. Ils y travaillaient sous la direction d'un maître d'oeuvre, ou "Maître de la Loge". L'apprentissage était long et difficile.

De l'existence de cet embryon de message spirituel, il est légitime de déduire que dans ces groupes fermés d'hommes liés par la pratique quotidienne de leur métier, et par des secrets partagés, s'est développé rapidement le sentiment propre à toute société initiatique, celui d'une affection fraternelle liée au double devoir de s'améliorer (matériellement, techniquement et spirituellement) et d'aider ses compagnons à s'améliorer également. Rien d'autre en effet ne saurait expliquer la mutation qui allait s'opérer plus tard avec le phénomène de l' "acceptation".
Dans le courant du XVIIIe siècle, les Loges, naguère structures occasionnelles consacrées au contrôle du métier, aux secours mutuels et à la formation professionnelle, devinrent une fraternité visant à propager une spiritualité et une éthique diffuses, voilées par des symboles et illustrées par des légendes. Les outils du maçon, la pierre même qu'il travaillait, devinrent le support symbolique d'une réflexion métaphysique et morale.
De cette heureuse rencontre naquit la Franc-Maçonnerie moderne, qui vint officiellement au jour le 17 juin 1717, lorsque quatre loges de Londres se réunirent pour fonder "la Très Respectable Fraternité des Maçons Acceptés", appelée rapidement Grande Loge de Londres et de Westminster, puis Grande Loge d'Angleterre. Ses Constitutions furent publiées en 1723, sous la signature du Dr. James Anderson, pasteur.
La Franc-Maçonnerie connut dès lors un développement rapide.

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II. La Franc-Maçonnerie sur le Continent

Introduite à Paris dès 1726, la Franc-Maçonnerie se répandit dans tout le royaume, puis en Europe.
Une première Grande Loge fut établie en France en 1738. Le Grand Orient de France se constitua en 1773 sous la présidence du duc de Chartres, futur Philippe-Egalité, et coexista avec la Grande Loge jusqu'à la Révolution. Dès cette époque se dessina une certaine tendance de la Franc-Maçonnerie "latine" vers la discussion de sujets philosophiques et moraux, voire politiques. L'amour du verbe et le goût de la polémique firent que dans les Loges françaises on cultiva souvent le discours au détriment de la démarche initiatique.

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III. Renaissance de la Franc-Maçonnerie MISRAÏMITE

 

Parmi tous les rites maçonniques, le plus mystérieux reste celui de MISRAÏM apparu au début du XIXe siècle. Ce Rite se veut à la fois le continuateur des divers systèmes de maçonnerie ésotérique qui fleurirent au XVIIIe siècle et l'héritier des traditions égyptiennes les plus antiques.

Par rapport aux autres obédiences maçonniques, qui souvent le reconnaissent avec difficulté, le rite de MISRAÏM se distingue par son intérêt pour les recherches cabalistiques et mystiques, mais aussi par son impressionnante hiérarchie de grades.

Dans ce rite où la notion de transmission spirituelle est essentielle et où les Grands maîtres et Grands Hiérophantes le sont généralement à vie, le problème des filiations est fondamental, d'autant plus que depuis les origines ce rite s'est maintenu à la suite des persécutions des pouvoirs civils et des calomnies fréquentes auxquelles il fut soumis de la part des organisations maçonniques plus puissantes numériquement et de tendances radicales et matérialistes.

L'origine du "rite de MISRAÏM ou d'Egypte", reste assez mystérieuse. Quelques écrivains maçonniques, presque toujours de très hauts dignitaires du rite, ont tenté de mettre en avant quelques dates historiques (presque toujours légendaires), dans le but de démontrer l'ancienneté de ce Rite. Cependant, la maçonnerie spéculative est relativement récente, et ce n'est pas la date de fondation d'un ordre maçonnique qui l'ennoblit ou fait apparaître son orthodoxie, voire son authenticité, mais bien son exactitude dans l'enseignement des doctrines maçonnique et son respect de leur esprit.

La première loge française de MISRAÏM, bien attestée, fut fondée en 1814, à Paris par les frères Bédarride. Auparavant, il semble d'après les similitudes de certains rituels et le nom même du rite, qu'il y ait eu des rapports entre le rite de la Haute Maçonnerie égyptienne de Cagliostro (en trois hauts grades) et le rite de MISRAÏM (en 90 grades). Cependant, si les pistes de cette filiation sont multiples, aucune ne paraît vraiment sûre.

Selon Robert Ambelain, le rite de MISRAÏM serait né à Venise en 1788 sous la forme d'une loge de la Stricte Observance templière fondée par un groupe de sociniens auxquels Cagliostro aurait accordé une patente de constitution. Selon Reghellini de Schio (qui était originaire de Venise), avant d'arriver à Rome où il fut arrêté et emprisonné, Cagliostro se rendit en 1788 à Rovereto (petite ville située au sud de Trente, donc non loin de Venise) où il établit une loge et transmit ses pouvoirs au conseiller d'Etat Francesco Battagia de Mori comme substitut et commissaire délégué. Toujours selon le même auteur, "Venise, en fait de rite Egyptien, n'a connu que celui qu'introduisit Cagliostro, secondé par le zèle du Frère S.E. Zuliani [Girolamo Zulian, ambassadeur de la république de Venise]". Ces deux frères étaient membres importants de la loge vénitienne Saint-Jean-de-la-fidélité. Selon certains documents cités par Gastone Ventura, une loge de MISRAÏM existait à Venise en 1796, et elle aurait été reconstituée plus tard, en 1801, par le frère Tassoni, après avoir été mise en sommeil en 1797 sous l'occupation autrichienne.

Un document de la police secrète autrichienne, mentionne l'existence en 1818 d'un ordre maçonnique dénommé "Société secrète égyptienne" qui était particulièrement actif en Italie, dans les îles Ioniennes et en Egypte. Cet ordre utilisait pour désigner le vénérable de la loge, le titre de Grand Cophte, c'est à dire celui-là même que Cagliostro s'était attribué.

L'existence de cette société secrète égyptienne est donc un indice tendant à démontrer que le Rite de la haute Maçonnerie Egyptienne de Cagliostro eut effectivement différents prolongements à partir de Venise : cette société elle-même et le rite de MISRAÏM.

La continuation du rite de Cagliostro en Italie au début du XIXe siècle nous est par ailleurs confirmée par Giuseppe Gabrielli qui a récemment découvert qu'il existait à Naples en 1815 une loge "La Vigilanza", travaillant au Rite égyptien fondé par Cagliostro, dont le vénérable était Pietro Colletta, et le Grand Cophte (distinct du vénérable) le baron Montemayor.

Le régime maçonnique de MISRAÏM importé en France par les frères Bédarride et qui arrivait de Naples en Italie, possédait déjà 90 grades et se réclamait d'une tradition égyptienne des plus antiques.

L'histoire de MISRAÏM avant 1814 reste assez problématique. Cependant, la découverte récente d'un diplôme de 1811, provenant de la loge la concorde de Lanciano dans les Abruzzes vient confirmer certains documents démontrant l'importance d'un certain Lechangeur dans l'histoire originelle du rite de MISRAÏM. On remarque en effet sur ce diplôme accordant le 66e degré de MISRAÏM au frère Renzetti, la signature de trois hauts dignitaires du rite, Lasalle, Marc Bédarride et Lechangeur, pourvus chacun du 77e degré.

Les frères Lechangeur, Joly et Marc Bédarride importèrent en France la MISRAÏMisme au cours de l'année 1814, et le propagèrent postérieurement en Belgique, en Irlande et en Suisse.

A l'époque même de l'apparition de MISRAÏM à Paris, le célèbre écrivain maçonnique Thory avait écrit lui aussi une notice sur ce qu'il appelait le "Rit de Misphraïm (ou d'Egypte)", où il disait notamment :

"Cette institution, qui ne date en France que de quelques années, était très en vigueur à Venise et dans les îles Ioniennes avant la révolution française de 1814. Il existait aussi plusieurs chapitres de Misphraïm dans les Abruzzes et dans la Pouille. Les chefs du quatre-vingt-septième degré de ce rite, prévoyant sans doute le sort qui menaçait les sociétés maçonnique dans ces contrées, ont transporté son siège à Paris où le grand chapitre à été établi le 21 mai 1814. Plusieurs Harams ou rabbins très instruits prétendent que le rite de Misphraïm est le véritable arbre maçonnique et que tous les systèmes quels qu'ils soient ne sont que des branches détachées de cette institution respectable par sa haute antiquité, et qui a pris naissance en Egypte. Ils ajoutent qu'ils sont possesseurs des statuts de cet ordre écrits en langue chaldéenne. Tous ces grades, excepté les 88, 89, et 90e ont des noms différents qu'on peut lire dans notre nomenclature. A l'égard de ces trois derniers, nous n'en connaissons pas la dénomination : on les a indiqués comme voilés dans le manuscrit qui nous a été communiqué, et ceux qui les possèdent sont appelés dans ce rite, Maîtres absolus ; ils prétendent au privilège de diriger instinctivement toutes les branches de la franc-maçonnerie."

 

L'origine du terme "MISRAÏM".

Le terme MISRAÏM ou mieux Mitsraïm (1) signifie en hébreu "Egypte".

Dans la Bible, MISRAÏM est aussi le nom de l'ancêtre éponyme des Egyptiens, second fils de Cham. On retrouve ce MISRAÏM dans la légende de la Rose-Croix d'Or (selon la réforme de 1777) où il est dit qu'il avait amené en Egypte une partie de la tradition sacrée. Enfin, dans l'étrange épopée que constitue l'ouvrage de Marc Bédarride, l'ordre maçonnique de MISRAÏM, datant de 1845, ce patriarche biblique est présenté comme le principal fondateur du rite de MISRAÏM auquel il donna son nom.

On ne sait pas quand le terme "MISRAÏM" fut utilisé la première fois pour désigner un rite maçonnique. Ce que l'on sait, c'est que le rite maçonnique que Sir Martin Folkes aurait fondé à Rome vers 1740, se serait appelé ainsi. Selon Renato Soriga, c'est peut-être à l'entourage du prince Raimondo di San Severo de Naples que serait due la première élaboration d'un rite de maçonnerie templière dit de "MISRAÏM". Ces suppositions sont proches des affirmations de Giambattista Pessina, Grand Maître d'un rite italien de MISRAÏM à la fin du XIXe siècle, selon lesquelles le rite de MISRAÏM avait été créé le 10 décembre 1747 à Naples et modifié en 1805.

Les Bédarride étaient de religion juive et c'était le cas de Vitta Polaco, ainsi que de Parenti. A cette époque, la maçonnerie officielle admettait encore peu les juifs, et les Bédarride ont pu être tentés par une forme rituelle où ils se sentiraient plus à l'aise. D'autre part, dans certains écrits, le patriarche Ananiah est présenté comme l'introducteur du rite de MISRAÏM en France en 1782. Ananiah était vraisemblablement un rabbin originaire du Proche-Orient, peut-être le kabbaliste Hayyim Joseph David Azulai. Il est possible que son enseignement ait été utilisé par Vitta Polaco et les Bédarride pour mettre au point les grades "mystique" 69e et 76e.

Il convient de remarquer que le cadre dans lequel se développa le rite de MISRAÏM fut celui des loges militaires qui s'installèrent dans les territoires occupés d'Italie à partir du Directoire. Or la population locale était accueillie dans ces loges, et beaucoup de juifs italiens, qui tenaient à sortir de leur isolement, s'y firent recevoir. Ce fut par exemple le cas de la loge Les Amis de l'Union parfaite - , fondée en 1796 par les officiers de la garnison française de Livourne. Il est donc probable que les Bédarride qui avaient l'habitude de fréquenter ce milieu juif italien, adepte à la fois de la Kabbale et de la maçonnerie, y trouvèrent un excellent terrain pour faire fructifier leurs grades "mystiques". On pourrait aussi imaginer qu'il y eut une influence de l'ordre des frères initiés de l'Asie, auquel participèrent de nombreux juifs, sur le rite de MISRAÏM à travers Venise (notamment par l'intermédiaire du frère Polaco), mais aucun document n'a pu étayer cette hypothèse.

L'importance de la tradition juive pour Marc Bédarride apparaît encore dans son ouvrage De l'ordre maçonnique de MISRAÏM où il fait remonter la maçonnerie de MISRAÏM aux premiers patriarches de la Bible, particulièrement au second fils de Cham appelé justement MISRAÏM. Marc Bédarride ignore complètement le Jésus chrétien, bien qu'il fasse allusion à un certain Joseph qui peuvent y faire penser, et qu'il soit question d'un autre Jésus, né en -122, traducteur en grec de l'Ecclésiaste et grand initié de MISRAÏM.


Selon Marc Bédarride, l'histoire profane désigne MISRAÏM sous le nom de Ménès et il fut adoré comme un dieu sous les noms d'Osiris, Adonis ou Séraphis (Sérapis). On retrouve ce fameux MISRAÏM dans d'autres légendes maçonniques de l'époque, en particulier chez les rose-croix d'Or du XVIIIe siècle. Mais en fait, toujours selon Marc Bédarride, la maçonnerie serait encore plus ancienne et c'est "le patriarche Adam qui aurait formé la première loge avec ses enfants". Il était donc intéressant de voir comment Marc Bédarride allait résoudre dans son ouvrage le problème de la rivalité entre Abel et Caïn, le judaïsme orthodoxe se réclamant de la tradition d'Abel, le berger nomade soumis à l'autorité de Yahveh, et la maçonnerie se référant parfois à la tradition de Caïn, le bâtisseur sédentaire, dont les descendants furent les créateurs de tous les arts et techniques.

En fait, il contourne la difficulté en déclarant que Caïn s'est repenti de sa faute et que tous les descendants d'Adam se sont réconciliés à l'époque de Jubal et Tubal-Caïn.

Marc Bédarride condamne encore "l'ouvrage sacrilège de Nemrod", le constructeur de la Tour de Babel. Aussi la maçonnerie de MISRAÏM n'a-t-elle rien de commun avec une certaine tradition caïnite qui tend à glorifier tous les réprouvés de l'Ancien Testament (Caïn, Cham, Nemrod, Esaü, etc.).

Si l'on se réfère aux documents inédits signalés par Gastone Ventura, l'on peut seulement supposer qu'il existait dans la république de Venise et peut-être dans les îles Ioniennes qui en dépendaient, un rite ou une loge dite de MISRAÏM, qui pratiquait durant la dernière décennie du XVIIIe siècle une série de hauts grades se réclamant d'une origine égytienne. Ceci confirmerait les affirmations de Robert Ambelain selon lesquelles le rite de MISRAÏM serait à Venise en 1788 sous la forme d'une loge fondée par un groupe de "sociniens" (secte protestante anti-trinitaire) auxquels Cagliostro, alors de passage à Trente, aurait délivré une patente de constitution. Ceux-ci, ne souhaitant pas pratiquer la rituélie magico-kabbalistique de ce dernier, choisissent de travailler au rite templier. Cagliostro leur transmet donc la Lumière maçonnique : les trois premiers grades de la maçonnerie anglaise et les grades supérieurs de la maçonnerie allemande, très marquée par la tradition templière.

Dans l'état actuel des recherches, il semble que la source originelle du rite de MISRAÏM se situe dans la république de Venise et qu'il ait connu son premier épanouissement dans les loges franco-italiennes du royaume de Naples sous l'autorité de Joachim Murat (1808-1814) qui, durant l'occupation napoléonienne de l'Italie, constituait un Etat vassal de l'Empire.


Il apparaît aussi que les principaux promoteurs de MISRAÏM furent les frères Parenti, César Tassoni, Charles Lechangeur, Pierre de Lasalle, Théodoric Cerbes, Vitta Polaco puis enfin Gad Bédarride et ses deux fils Marc et Michel.

 

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(1) Ce terme hébraïque possède une forme de pluriel duel qui provient peut-être de ce qu'il y avait, dans la plus haute Antiquité, deux royaumes en Egypte. Mais Mitsraïm pourrait aussi signifier "le pays des deux frontières", la mer et le désert.