Maçonnieke encyclopedie-H.

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Een ogenblik !


L'éclosion des "Fils de la Lumiére
la loge aux maçons
le premier gentleman-maçon
voués à la clandestinité
1'afflux du "beau monde"
ni athée stupide ni libertin irréligieux
le passage en France
une Loge.., a la Bastille ?
la floraison des "grades écossais
POURQUOI FRANC-MACONNERIE?
L'élection du duc de Wharton

L'éclosion des "Fils de la Lumiére


ETIENNE GOUT
Etienne Goùt nous raconte avec infiniment de clarté et de précision comment et pourquoi naquìt, au début du XVIIIe siécle, la Franc-Maçonnerie moderne, dite " spéculative " ou " non opérative ".
Le 24 jui'n 1717, en la fête de saint Jean-Baptiste, quatre loges de francs-maçons des cités de Londres et de Westminster tinrent pour la première fois une assemblée commune. Composées, semble-t-il, de bourgeois cossus, étrangers pour la plupart aux métiers du bâtiment, ces Loges ne portaient d'autre nom que celui de la taverne où elles avaient coutume de se réunir : la Couronne, le Pommìer, la Coupe el les Raísins, l'Oìe et le Gril.
C'est dans cette dernière, au pied de la cathèdrale Saint-Paul, qu'eut lieu l'assemblée générale. On décida d'en tenir une chaque année, et chaque trimestre une réunion restreinte, et l'on fit choix parmi les Fréres d'un Grand Maître, Anthony Sayer. La Grande Loge de Londres était née.
La décision ainsi prise dans une taverne, la nuit de la Saint-Jean d'été, par un quarteron de personnages dont on ne sait à peu près rien, passa tout á fait inaperçue. Aussi bien la nouvelle "obédience" ne prétendait-elle exereer sa juridiction que dans Londres et ses environs.
C'est á bon droit pourtant que les historiens attachent á l'événement une extrême importance. Pour avoir entrepris de rassemler des loges jusque-là éparses, grâce aussi à tout un concours de circonstances favorables, la jeune Grande Loge allait en peu d'années acquérir un prestige incomparable, rayonner sur toute l'Angleterre, essaimer ou faire école au-delà des mers. Son organisation et les statuts qu'elle allait bientòt se donner sont des modèles dont s'inspirent, de nos jours encore, toutes les " obédiences " maçonniques répandues sur la surface du globe. En un sens, c'est bien du 24 juin 1717 que part l'histoire de la Franc-Maçonnerie telle à peu près qu'elle existe aujourd'hui.
Mais il n'est pas de commencements absolus en histoire, et moins que partout ailleurs en Grande-Bretagne, terre par excéllence du changement dans la continuité. Si les premiers dirigeants de la Grande Loge de Londres ont bien déterminé l'essor de la Franc-Maçonnerie moderne, "non opérative", ils ne l'ont pas créée de toutes pièces. Les quatre loges fondatrices existaient, et pour cause, avant la Grande Loge, et déjà, on l'a dit, leurs membres n'appartenaient point pour la plupart au métier.
Alors pourquoi se disaient-ils francs-maçons ? Avaient-ils vraiment hérité les secrets, légendes et usages traditionnels des anciens constructeurs ? Si oui, par quelles voies ? Et pourquoi les perpétuaient-ils

la loge aux maçons
On l'a vu dans les précédents articles, il existe un lien de filiation authentique, ténu, mais ininterrompu, entre les bâtisseurs des grands ouvrages de pierre du Aloyen Age et la Franc-Maçonnerie d'aujourd'hui. C'est en terre britannique seulement, et principalement en Ecosse, que s'est faite la transition.
Dans toute l'Europe médiévale, les commerçants et artisans des villes s'étaient organisés en guildes ou corporations de métiers qui jouaient un rôle important dans l'administration municipale. Mais très rares étaient les corporations de maçons : dans toute l'Angleterre on n'en connaît d'autre exemple certain que la Compagnie des Maçons de Londres, établie dans la seconde moitié du XIVe siècle.
Pour construire une abbaye, un château, une cathédrale, la main-d'oeuvre locale était insuffisante. Il fallait faire venir des ouvriers qualifiés de fort loin, souvent même de l'étranger. Exclus par leur mobilité des priviléges réservés aux corporations sédentaires, ils s'en consolaient en considérant que leur connaissance de la géométrie les rattachait aux "arts libéraux". Ils vivaient à proximité du chantier. Les matériaux á mettre en oeuvre - pierres et charpente - étaient préparés dans un atelier couvert qu'on appelait la loge aux maçons. Ils s'y réunissaient après le travail. C'est là qu'ils étaient instruits des légendes et devoirs du métier, initiés á des signes et mots de reconnaissance destinés à leur assurer embauche et fraternel aceueil sur de nouveaux ehantiers.
A la fin du Moyen Age, la profession était ainsi dotée d'un eorps de traditions très riche, d'une organisation originale, dont la cellule de base était la loge, liée à la durée du chantier,
le premier gentleman-maçon
Mais la Réforme et les guerres de religion provoquèrent une crise générale du bâtiment. Vers la fin du XVIe siècle les loges avaient à peu près complètement disparu en tous pays, à deux exceptions près.
En Allemagne, il en subsista quelquesunes, établies à demeure pour l'entretien de grandes Cathédrales, et qui gardèrent un caractère purement professionnel.
C'est en Ecosse que se produisit une mutation dècisive. Là, les maçons, rentrés dans leurs foyers, établirent dans les villes et les bourgs des loges sédentaìres, centres de réunion et non plus lieux de travail. Celles-ci nouèrent des relations entre elles et se placèrent sous la protection du maître des oeuvres du roi, William Shaw, qui prit le titre de surveillant général des maçons et étlicta, en 1958, des statuts á l'usage du métier.
Ainsi établies à poste fixe, les loges prirent l'habitude d'accueillir dans leur sein, comme membres d'honneur, le seigneur du pays ou d'autres gentlemen du cru qui, vers la fin du XVII' siècle, y surpassaient en nombre les gens de métier.
L'Ecosse est le seul pays où il existe encore des loges, aujourtl'hui toutes pareilles aux autres, qui furent, voilà des siécles, fondées par des "opératifs".
La loge Saint Mary's Chapel, à Edimbourg, toujours bien vivante, conserve ainsi des registres qui remontent à 1599.
Elle ne comprenait alors que des professionnels. Le premier "gentleman-mason" connu, John Boswell, laird (seigneur) d'Auchinleck, y fut reçu le 8 juin 1600...
En 1603 cependant, à la mort de la reine Elisabeth, son cousin Jacques VI d'Ecosse, fils de Marie Suart, était devenu roi d'Angleterre sous le nom de Jacques 1e.
D'étroites relations se nouèrent alors entre les deux royaumes naguère ennemis. Des Anglais de distinction, voyageant en Ecosse, y furent reçus masons suivant la coutume du pays. De retour chez eux, certains y tinrent loge, d'abord occasionnellement, pour admettre dans la confrérie tels de leurs concitoyens. D'autre part, bien que les anciennes loges "opératives" aient à peu près disparu en Angleterre sous le régne d'Elisabeth, sans doute certains membres de la Compagnie des Maçons de Londres avaient-ils conservé mémoire de leurs usages car, à partir de 1619, on les voit de loin en loin tenir loge á Masons'Hall, le siége de la Compagnie, pour initier à ses usages quelques gentlemen, sous le nom de maçons acceptés. Finalement, à la fin du XVI" siécle, on trouvait en plusieurs villes d'Angleterre des loges de maçons acceptés, dont aucune n'était issue d'une loge opérative anglaise, et dont les usages rituels devaient davantage aux loges d'Eeosse qu'aux ancienes loges du pays. Elles ne relevaient d'aucune autorité centrale, mais quatre d'entre elles, comme on sait, devaient, en 1717, fonder la première Grande Loge.

voués à la clandestinité
La plus ancienne loge de maçons acceptés dont la composition soit connue se tint le 16 octobre 1646 à Warrington, dans le Lancashire, pour recevoir maçons le célèbre érudit Elie Ashmole et le colonel Manwaring. On était alors en pleine guerre civile (le roi Charles 1e sera décapité trois ans plus tard).
Or la loge comprenait des royalistes et des partisans du Parlement, des anglicans, des puritains non conformistes, et même un catholique. Aínsi, dès sa naissance, la Franc-Maçonnerie non opératiue mettait en pratique une idée alors fort mal venue en Europe : la tolérance.
On doit y voir sa première et sa plus durable raison d'être. Dans un pays déchiré depuis plus d'un siècle par les luttes confessionnelles et civiles, les premiers francs-maçons " acceptés " furent des hommes résolus à fraterniser en dépit de tout ce qui pouvait les diviser en matiére politique et religieuse. Mais l'intolérance régnante les vouait à la clandestinité.
Les usages propres à la vieille confrérie des bâtisseurs, avee ses mots de passe et ses secrets religieusement gardés, constituèrent pour eux une strueture d'accueil toute trouvée, et ils les conservèrent avec cet amour des traditions qui a toujours été si vif en Grande-Bretagne.
En retour, le secret dont ils s'entouraient attira vers leurs loges certains de ces amateurs d'alchimie, d'hermétisme, de kabbale ou d'ésotérisme biblique qui étaient demeurés nombreux en Angleterre depuis la fin de la Renaissance. Ils espéraient y découvrir la Sagesse cachée des druides ou l'héritage des mystères des Anciens.
En fait, c'est eux qui enrichirent le vieux fonds "opératif" de rites et de symboles empruntés aux traditions philosophiques qui leur étaient chères : telle la belle légende d'Hiram, inspirée à la fois de la Bible et des initiations antiques, dont ils firent, vers 1725, la matière d'un degré nouveau de maítre maçon, inconnu des anciens bâtisseurs.
Mais plus que l'attrait du mystère et des symboles, plus que l'intérêt pour l'architecture, c'est d'abord un besoin tout humain de sociabilité, la joie de se rèunir et de festoyer par-delà les barriéres des credo et des castes, qui provoquèrent en Angleterre l'essor de la Franc-Maçonnerie.
1'afflux du "beau monde"
Cet essor devint irrésistible aprés la mort, en 1714, de la reine Anne Stuart, une anglicane bigote dont la disparition, comme en France celle de Louis XIV, fut suivie dans tout le pays d'une soif immense de liberté, de licence même...
La loi de succession protestante écartait du trône son neveu, le prétendant catholique Jacques III, au profit d'un cousin éloigné, Georges 1e', électeur de Hanovre. Après avoir durement réprimé un soulévement armé des "jacobites", le nouveau gouvernement "whig" inaugura une politique libérale. C'est dans le climat favorable ainsi créé que put naître et prospérer la Grande Loge de Londres. A peine née, celle-ci fut le siège d'une de ces mutations sans rupture dont l'Angleterre a le secret.
Il existait à Londres, depuis la Restauration monarchique de 1660, une illustre compagnie, la Société royale pour l'auancement de la science expérimentale, qui est aujourd'hui encore l'équivalent anglais de notre Académie des sciences et de notre Académie française. Elle comptait parmi ses membres un éminent professeur de physique newtonienne, Jean-Théophile Desaguliers, fils d'un pasteur français réfugié de La Rochelle après la révocation de l'édit de Nantes, et luimême pasteur anglican. En 1719, cet homme de grande valeur fut élu Grand Maître et consacra dès lors á la Grande Loge une part importante de son activité.
Quatre ans plus tard, le nombre des loges de Londres était passé de quatre à vingt, et parmi les maîtres et surveillants de ces loges. on ne comptait pas moins de quatorze membres de la Socìété royale, Cette promotion intellectuelle de la vieille confrérie s'était aceompagnée d'une promotion sociale non moins ètonnante.C'est qu'en 1721 Desaguliers avait décidé un trés grand seigneur, féru de médecine et membre lui aussi de la Société royale, Sa Grâce le due de Montaigu, á accepter, à son tour, la grande maîtrise. Un si éclatant patronage donna d'un coup á " l'ancienne et honorable confrérie "un lustre qu'elle n'avait jamais connu. Les journaux signalèrent l'événement, le beau monde afflua et, de ce jour, la Grande Loge devait être gouvernée par une série ininterrompue de nobles lords, membres souvent de la famille royale.
En même temps, elle chargeait le frére James Anderson "de mettre en ordre, sous une nouvelle et meilleure forme", les anciens statuts " gothiques " que l'on avait pu rassembler. Anderson était un pasteur de l'Eglise calviniste d'Ecosse, qui se piquait de belles-lettres. C'était aussi le fils d'un vitrier, maître de la loge d'Aberdeen.
Il eut tot fait de mener à bien son ouvrage qui, dûment approuvé par la Grande Loge, fut imprimé et mis en vente en 1723 sous le titre : les Constitutions des francs-maçons. Cette publication, sans précédent, d'un document maçonnique devait lui assurer une audience universelle.
ni athée stupide ni libertin irréligieux
Précédée d'une histoire de l'architecture où se mêlent les légendes du métier, l'érudition et l'imagination de l'auteur, suivie des règlements généraux de la Grande Loge, la partie capitale du livre s'intitule les 0bligations d'un franc-maçon. Elle se compose de six articles. Le premier, Touchant Dieu et la Religion, a fait couler beaucoup d'encre. Le voici: "Un maçon est tenu par son état d'obléir à la Loi morale ; et s'il entend bien l'art, jamais il ne sera un athée stupide ni un libertin irréligieux. Dans les anciens temps, les maçons devaient en chaque pays se conformer á la religion de ce pays. Mais, aujourd'hui, l'on juge plus à propos de laisser chaeun libre de ses opinions particuliéres, en ne les obligeant qu'à cette religion sur laquelle s'accordent tous les hommes : être gens de bien et loyaux, hommes d'honneur et de probité, à quelque confession qu'ils appartiennent. Par quoi la maçonnerie devient le Centre de l'Union, le moyen d'établir une amitié vraie entre personnes qui sans elle demeureraient à'jamais étrangères. " Ce texte limpide exprime bien la volonté d'ouverture et de tolérance qui caractérisait les maçons acceptés. Il ne ferme même pas complètement la porte à l'athée ; mais "s'il entend bien l'art", celui-ei sera vite éclairé par la lumière maçonnique sur la "stupidité" de sa doctrine. Cette lumière est celle de la Raison, comme en témoignent ces vers extraits d'un chant maçonnique d'Anderson : La Raison, sceptre en main, sur son trône Gouverne la loge et nous fait Un. Car on est au temps de Newton qui, en découvrant "la loi de l'Univers ", a fait Prendre conscience à la raison humaine tout à la fois de son pouvoir propre et de l'ordre du monde. Et cette raison, à laquelle Calvin avait dénié toute compétence "és choses divines", conclut maintenant, avec Newton, à l'existence d'un Grand Architecte de l'Univers et se sent capable de s'élever par ses propres forces à la connaissance de la Loi morale.
Ainsi se forme et prévaut la notion d'une religion naturelle, rationnelle et universelle, sorte de tronc commun d'où seraient issues toutes les religions particuliéres. Dans la deuxième édition de ses Constitutíons (1738), Anderson l'identifiera à la religion de Noé, qui fut sauvé seul entre tous les hommes alors qu'il n'avait pu bénéficier, et pour cause, ni de la révélation mosaïque ni de la révélation chrétienne. C'est la " vieille religion universelle" (The Old Catholic Religion) qui suffit à cimenter l'unité de tous les maçons, sans faire obstacle à leurs croyances particulières. Et puisque elle est conforme à la raison, il fàut être stupide pour être athée. Voitaire, sur ce point, ne pense pas autrement qu'Anderson et Desaguliers.

"un paisible sujet..."
L'article II des Constitutions de 1723, qui traite "du magistrat civil", procéde de la même volonté de préserver "l'union et la tranquillité" de la maçonnerie. Un loyalisme opportuniste l'inspire : Un maçon, où qu'il résìde et travaille, est un paisible sujet des pouvoirs cìvils et ne doìt jamais entrer dans des complots contre la paix et la prospéríté de la Nation.
Si done un frère se rebelle contre l'Etat, la loyale confrérie devra le désavouer, afin "de ne point porter ombrage au gouuernement du moment", Mais "s'il n'est convaincu d'aucun autre crime, on ne peut l'expulser de la loge, á laquelle il demeure indéfeetiblement lié".
Il est enfin prescrit que nulle querelle prìvée, politique ou religìeuse ne doit franchir le seuil de la loge, et affirmé que" cette obligation a toujours été strictement imposée et respectée, surtout depuis la Réforme en Grande~Bretagne".
On voit que contrairement à ce que l'on a trop souvent écrit en France, la jeune Grande Loge de Londres n'était nullement "protestante" ni "hanovrienne", mais essentiellement tolérante en politique comme en religion.
Les faits confirment ce que les textes affirment. Dès les années 1720, on relève, á Londres, l'initiation d'un jésuite, la présence dans les loges de nombreux "jacobites", celle de plusieurs leaders de la minorité catholique, l'accession à des offices maçonniques importants d'un Moses Mendes et d'un Daniel Delvalle, "éminent marchand juif", celle aussi d'un Martin Folkes, président de la Société royale, grand maitre adjoint en 1725 qui, selon le journal du révérend Stukeley, ne croyait nì à la vie future, ni aux Ecritues, ni à la Révélation, et avait "perverti" nombre de grands seigneurs parmi lesquels les ducs de Montaigu et de Richmond, grands maîtres respectivement en 1721 et 1725.
Institution d'une autorité centrale, publication de statuts bien conçus, afflux de grands personnages et "l'hommes éclairés dans l'humble confrérie, esprit de tolérance et d'ouverture répondant au besoin d'apaisement et de sociabilité de l'époque : tels allaient être les moteurs du prodigieux essor de la Franc-Maçonnerie en Angleterre d'abord, puis au-delá des mers.
le passage en France
C'est après un crochet par l'Irlande que la Franc-Maçonnerie s'est implantée en France.
Il existait, depuis 1688, une loge de francs-maçons acceptés à Dublin, à Trinity College, Mais, fondée en milieu anglais puritain, elle n'avait guére fait école. 0r, le 24 juin 1722, la Grande Loge de Londres donna pour successeur au duc de Montaigu le jeune due de Wharton.
Celui-ei, titulaire d'un titre irlandais, était bien eonnu dans la grande île dont son pére avait été longtemps le lieutenant-gouverneur. L'événement y lit sensation, les journaux de Dublin s'en firent l'écho, et bientôt était érigée, dans cette ville, une Grande Loge à l'instar de Londres, gouvernée par le comte de Rosse, un jacobite notoire, grand ami de Wharton.
L'aristocratie du royaume, en majeure partie jacobite et catholique, done privée de droits civils, afflua alors dans les loges qui, régies par les libérales Constitutions d'Anderson, lui offraient une occasion unique de s'évader de son "ghetto" moral.
Or il était de tradition que, parvenus á l'âge d'homme, Les fils des grandes familles passent la mer pour servir comme officiers dans les régiments irlandais de l'armée française. C'est à plusieurs d'entre eux qu'est due la fondation, le 1e juin 1726, de la premiére loge connue dans notre pays.
Elle se réunissait dans une taverne á l'enseigne du Louis d'argent, rue des Boucheries, près de Saint-Germain-des- Prés. Parmi ses fondateurs on connaît, outre l'Irlandais D'Heguerty, un baronet d'Ecosse, James Macleane, et le catholique anglais Charles Radcliffe, comte de Derwentwater, qui, condamné à mort á Londres pour sa participation au soulévement de 1715, devait y être exécuté en 1746. La loge du Louis d'argent n'en fut pas moins inscrite au tableau de la Grande Loge d'Angleterre, le 3 avril 1732.
Quelques jours plus tard, le 27 avril 1732, trois navigateurs britanniques fondaient, à Bordeaux, une loge anglaise qui existe toujours. La Grande Loge d'Angleterre "constituait" encore, en 1733, une loge à Valeneiennes.
En 1734 et 1735, l'aneien grand maître anglais Richmond vient tenir, à Paris, des loges occasionnelles pour recevoir maçons divers personnages distingués, parmi lesquels l'ambassadeur anglais Waldegrave et le secrétaire d'Etat, le comte de Saint-Florentin ; parmi les assistants figure le président de Montesquieu, reçu maçon à Londres dès 1730.
Aux termes des Constitutions anglaises, les loges fondées à l'étranger demeuraient sous la "protection" du grand maître d'Angleterre tant qu'elles n'étaient pas assez nombreuses pour ériger elles mêmes une Grande Loge en leur pays.
Cette étape fut franchie en France au Plus tard en 1735. Le 27 décembre de cette année-là, en la fête de saint Jean-l'Evangéliste, les maçons parisiens assemblés réélisaient grand maître l'Ecossais Macleane et approuvaient la traduction française des Constìtutions d'Anderson, faite par un Irlandais, l'abbé Moore, grand secrétaire de la Grande Loge de France.
L'année suivante, le 27 décembre 1736, l'Anglais Derwentwater était choisi pour succéder comme grand maître à Macleane, à l'issue d'une "feste magnifique", tenue au Grand Saint-Germaín, rue du Paon, "où plusieurs sont venus, au nombre de soixante, en habits de cérémonie et se sont rendus en car rosse".
une Loge.., a la Bastille ?
C'est alors seulement que "l'Ordre", comme on commence à l'appeler, sort de "ombre. Jusque-là, composé principalement de Britanniques, il avait mené une existence fort discrète ; ni les gazetiers, ni les rapports de police n'en soufflent mot avant le début de 1737. Mais sou dain ses progrès dans la haute société sont si rapides qu'en mars son orateur attitré, le chevalier Ramsay - un homme de lettres écossais converti au Catholicisme par Fénelon - se voit à la veille d'initier Louis XV " à nos sacrés mystères ". Et bientôt il comptera dans ses rangs huit ducs français.
Cependant l'activité politique de ses dirigeants jacobites éveille l'inquiétude de l'ambassadeur britannique Lord Waldegrave, beau-frère du comte Derwentwater. Pour lui être agréable, le cardinal Fleury fait suspendre les assemblées. On opère quelques perquisitions, on défend aux cabaretiers de donner asile aux loges.
Le lieutenant de police divulgue le "secret des francs-maçons" (c'est-à-dire le rituel), obtenu d'un de ses amants par une fille d'opéra, la Carton, Louis XV promet une loge….à la Bastille au Français qui oserait succéder à Derwentwater. Mais, fInalement, celui-ci est remplacé par un grand seigneur bien en cour, le duc d'Antin, et l'Ordre,dûment francisé, reprend sa progression dans le royaume, tout en s'ouvrant, à paris surtout, à des personnes de condition modeste.
La condamnation, prononcée en 1738 par le pape Clément XII, pour des motifs assez obscurs, resta lettre morte en France, faute d'avoir été enregistrée par le Parlement, et bientôt l'on compta dans les loges un grand nombre d'ecclésiastiques et de religieux.
Aussi bien Son Altesse Sérénissime Louis de Bourbon, comte de Clermont, prince du sang, qui, en décembre 1743, l'emporta sur le prince de Conti et le maréchal de Saxe à l'élection du successeur du duc d'Antin, était-il abbé de Saint-Germain-des-Prés, et aussi, par dispense spéciale du Saint-Père, commandant en chef des armées du roi.
C'est sous le débonnaire gouvemement de ce grand maître (1743-1771) que la Franc-Maçonnerie française, tout en res serrant ses liens avec l'anglaise, allait prendre une physionomie originale en s'empanachant des hauts grades de l'Ecossìsme,
la floraison des "grades écossais"
L'Ecossìsme tire son nom d'un grade de maître écossais, apparu à Londres dès 1733, et qui entendait constituer "un ordre supérieur de maçonnerie".
Ce grade anglais ne devait rien à l'Ecosse, et sans doute avait-il, été ainsi appelé en hommage au rôle capital qu'avaient joué les loges de ce pays dans la conservation des secrets et usages des "opératifs". Dix ans plus tard, en 1743, il était introduit en France, où l'on ne douta point de sa prétendue origine écossaise.
Les frères bien nés déploraient alors un certain " avilissement " de l'art royal, où l'on av~it reçu trop de gens de boutique. Ils accueillirent avec empressement cette occasion de se retrouver entre eux dans des "loges écossaises", fruits d'une deuxiéme sélection. Puis l'on composa de nouveaux grades en développant les thèmes bibliques sur lesquels les maçons aeceptés d'Angleterre avaient construit ceux de maître maçon et de maître écossais. Èt comme dans un discours célèbre de 1737 le chevalier Ramsay n'avait pas craint d'attribuer la fondation de la Franc-Maçonnerie aux princes et chevaliers croisés retour de Palestine, on créa des grades chevaleresques : chevalier d'Orient, chevalier d'Occident, chevalier Kadosch (ou saint), souverain prince de Rose-Croix...
C'était toujours comme la mise en scène d'un drame sacré, interprété symholiquement en termes de progrès spirituel.
D'abord freinée, puis bientot reconnue mais jamais controlée par la Grande Loge de France, cette exubérante floraison des "grades écossais" s'arrêta vers 1765.
Nombre d'entre eux s'étaient alors propagés en tous pays, notamment en Amérique où le "rite écossais ancien et accepté", aujourd'hui pratiqué partout, devait recevoir, en 1801, son organisation définitive.
Ainsi l'on peut dire que la Franc-Maçonnerie moderne doit à l'Ecosse la conservation des anciens usages des constructeurs médiévaux, à l'Angleterre son organisation de base et sa propagation universelle, à la France l'appoint des hauts grades de l'Ecossisme.
  ÉTIENNE GOUT
POURQUOI FRANC-MACONNERIE?
Quand, au XVl11° siécle, apparurent en France les premiéres loges, leurs membres furent d'abord appelés indifféremment Maçons Iibres, Francs-Maçons ou Frimaçons : trois maniéres de rendre le terme anglais de Freemason L'élection du duc de Wharton
Celui-ci a une longue histoire, au cours de laquelle il a pris trois sens successifs.
Dés le Xll le siécle, il existait sur les chantiers anglais une catégorie professionnelle particuliére, celle des freestone masons ou tailleurs de pierre franche, c'est-à-dire fine et tendre. Au siécle suivant on les appelait par abréviation freemasons.
Mais les termes de franchise, freedom désignaient d'autre part l'appartenance à une corporation municipale et la participation à ses priviléges. C'est en ce deuxiéme sens que la corporation des maçons de Londres prit le nom de Company of Free Masons. Quand donc, vers 1620, elle inaugura la pratique de 1'"acception", où réception de membres honoraires étrangers au métier, ceux-ci furent appelés accepted masons pour les distinguer des free masons qui étaient les maçons professionnels.
Cependant au milieu du XVIIe siécle la Compagnie abandonna son titre archaique pour s'appeler Compagnie des Maçons. Ce furent alors les Maçons acceptés qui le relevérent pour s'appeler Accepted Free Masons, puis simplement Free Masons : les deux expressions sont employées indifféremment par Anderson en 1723.

L'élection du duc de Wharton
Les fondateurs de la Grande Loge de Londres étaient de joyeux convives et de francs buveurs. C'est ainsi que le festin magnifique au cours duquel le duc de Wharton fut élu Grand Maître le 25 juin 1722 fut jugé digne d'étre relaté dans un livre publié l'année suivante par l'un des participants, Robert Samber, sous le titre : Éloge de l'ébriété :
"Nous eumes un bon dîner, et pour leur honneur étemel les Fréres se comportérent fort vaillamment. Mais je laisse au Frére Eugenius Philalethes le soin d'apprécier s'il y a quelque rapport entre la maniére fort peu édifiante dont ils démolirent les énormes murailles d'un pàté de gibier et l'érection d'un temple spirituel. Je dois toutefois leur rendre cette justice qu'il ne fut pas question de politique ni de religion, en quoi ils semblérent suivre le précepte de cet auteur. Et quand l'orchestre commença à jouer l'hymne jacobite, il fut aussitòt réprimandé par un homme plein de science et de gravité(Desaguliers).
"Cependant la bouteille circulait joyeusement, et un grand personnage (Wharton) but successivement à la santé du roi, du prince, de la princesse et de la famille royale; des Églises légalement établies ; à la prospérité de la vieille Angleterre sous le présent gouvemement ; à l'amour, à la liberté et à la Science... "